vendredi 9 septembre 2011

Commentaire d'arrêt Cass. civ n°71694 du 16 février 2000.

Cass 71694 du 16 février 2000 (Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2000, p. 172). L’obligation de non-concurrence extrastatutaire est-elle nulle pour défaut de publicité légale ?
Les statuts d’une société à responsabilité limitée ont été régulièrement publiés, mais les associés ont convenu, par un acte extrastatutaire, qu’il leur sera interdit d’accomplir une activité personnelle concurrentielle à celle de la société. L’un des associés ayant, semble-t-il, contrevenu à cette obligation, en réalisant quelques opérations d’intermédiation, son coassocié, par ailleurs gérant de la société mais agissant à titre personnel, l’actionne en paiement de la part qui devrait lui revenir dans les revenus encaissés. Le défendeur entend repousser l’action en soutenant d’une part, que l’acte extrastatutaire en question n’a pas été publié et, par voie de conséquence il est nul en application de l’article 17 du code de commerce, et d’autre part, que les activités en question sont accomplies à titre personnel et ne l’ont pas été au nom et pour le compte de la société. Il fait remarquer aussi que certaines opérations sont antérieures à la société.
Après une condamnation en première instance, la Cour d’appel de Sousse prononce un jugement de débout. Son arrêt fut justement cassé, mais la motivation de la Cour de cassation, en apparence abondante, reste confuse et éminemment critiquable.
I-                    Les confusions regrettables de la Cour de cassation
La Cour de cassation remarque que la Cour d’appel de Sousse a pu constater que la société a publié ses statuts ainsi que le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive portant approbation des statuts et nomination du pourvoyant en qualité de gérant. Pourtant, s’étonne la Cour de cassation, la Cour d’appel a déclaré nul l’accord des associés présenté au soutien de l’action au motif qu’il doit être considéré parmi les actes constitutifs et soumis à publicité légale. Au lieu que la Cour de cassation corrige l’erreur commise par la Cour d’appel en ce que l’acte convenu n’est pas un acte constitutif ou modificatif des statuts, mais une simple convention d’associés régie par le droit commun des contrats, la juridiction suprême s’est placée au niveau de l’article 17 du code de commerce pour chercher une interprétation qui sauverait la convention de la nullité pour défaut de publicité.
Le raisonnement de la Cour de cassation est mené en trois séquences qui dénotent d’une confusion totale des concepts.
1)      La confusion entre rapports entre associés et rapports entre la société et les tiers
La Cour remarque que « l’article 17 du code de commerce consacre la nullité pour défaut de publicité légale, néanmoins les associés ne peuvent opposer la nullité aux tiers ; la société continue à exister dans les rapports des associés même si elle n’est établie par écrit ou non publiée».
L’erreur saute aux yeux, car l’article 17 du code de commerce prévoit expressément la nullité d’une société non publiée. Et cette nullité produit naturellement effet entre associés. La même solution est prévue dans le code des sociétés commerciales (art. 17). La Cour de cassation a pu confondre les conséquences du défaut de publicité dans les rapports entre la société et les tiers et son effet entre les associés. En effet, lorsque loi dispose que la nullité ne peut être opposée aux tiers (art. 180 du code de commerce ou encore l’art. 18 du code des sociétés commerciales), cela signifie que la société ne peut pas opposer la nullité des conventions passées par elle avec des tiers (l’exception de nullité) au motif qu’elle est une société nulle pour défaut de publicité. L’exception de nullité de la société est non pertinente dans les rapports avec les tiers ; la convention n’est donc pas annulée et garde son effet obligatoire.
Le traitement sera différent s’il s’agit d’un litige entre associés où l’un d’eux soulève la nullité de la société pour défaut de publicité légale. Le juge prononcera la nullité lorsqu’il constate que la formalité n’est pas accomplie. La société ayant existé avant qu’elle ne soit annulée, la nullité ne produit effet que pour le futur. C’est une conséquence du caractère successif de la société. Celle-ci sera soumise, dans les rapports entre les parties, à une procédure de liquidation (art. 105 du code des sociétés commerciales).
L’erreur commise par la Cour de cassation est d’avoir confondu deux registres distincts : l’effet du défaut de publicité à l’égard des tiers et son effet à l’égard des parties. La Cour de cassation fait une erreur de raisonnement en passant insensiblement d’un registre à un autre. Le raisonnement conduit est le suivant : puisque les associés ne peuvent opposer la nullité de la société aux tiers pour défaut de publicité, c’est qu’indirectement ou a contrario, elle demeure valable entre eux. C’est cette conclusion qui n’est pas correcte.
Si c’est un tiers qui agit en paiement de l’obligation, les associés sont tentés de vouloir repousser l’action en paiement en soulevant une exception de nullité de l’obligation au motif qu’elle est contractée par une société nulle pour défaut de publicité. La loi interdit de se prévaloir d’un tel moyen de défense. L’obligation sera tenue pour valable à moins qu’il existe une cause de nullité spécifique touchant au contrat passé lui-même. Comme l’on peut observer le problème dont est saisi le juge est limitée à la seule validité de l’obligation dont se prévaut le créancier à l’égard de la société. Il la tient pour valable en dépit de l’existence d’un motif de nullité de la société. Le juge ne se prononce pas sur la validité de la société et ne prononce pas sa nullité. La nullité de la société est seulement invoquée comme un moyen de défense d’une action en paiement intentée par un créancier, mais ce moyen est jugée indifférent.
Est différente l’action exercée par un associé contre un autre pour demander l’annulation de la société pour défaut de publicité légale. La nullité doit être prononcée par le juge lorsqu’il constate que la condition de forme imposée par la loi n’est pas remplie. Peut-il rejeter de prononcer la nullité et donc reconnaître la continuation de la société en estimant que la société devient une société de fait devant continuer entre les associés ? Le faire c’est se refuser à appliquer la loi. Les règles de forme sont une condition de validité inévitable, sinon on videra la sanction légale de son sens. Invoquer la théorie de société de fait revient à invoquer un concept qui n’a de valeur juridique que dans le contexte d’une action exercée par un tiers contre la société. En dehors de ce contexte, le concept est inutile, voire même faux. La théorie de société de fait est une application particulière de la théorie de l’apparence en droit des sociétés. Elle est une mesure de protection des tiers contre les associés et non une mesure de protection d’un associé contre un autre dans une action en nullité.
2)      Confusion au niveau de la nature de la nullité
La Cour de cassation poursuit en critiquant les juges de fond d’avoir confondu la nullité absolue - comme c’est le cas où la cause de la société est contraire à la loi et qui ne peut être régularisée- et la nullité relative qui a pour cause le défaut d’une formalité légale et cette nullité ne peut être opposée par les associés aux tiers et ne peut avoir d’effet entre les associés eux-mêmes ».
Il est incontestable que la distinction entre nullité absolue et nullité relative trouve un fondement dans la distinction entre les causes de nullité. L’illégalité de la cause de la société conduit à une nullité absolue alors que la violation d’une règle de publicité n’est sanctionnée que par une nullité relative puisque la loi admet que la régularisation intervienne (art. 180 du code de commerce ; art. 108 et 179 du code des sociétés commerciales).
La distinction des nullités en raison de leurs causes produit des effets au niveau de leur régime juridique. La Cour de cassation a essayé d’en faire la démonstration. Sur un plan strictement méthodologique, on devrait s’attendre à ce que la Cour de cassation effectue une comparaison du régime des deux nullités au niveau du même effet de droit. Ainsi lorsqu’elle affirme qu’une nullité absolue n’est pas susceptible d’être couverte par une confirmation ou une régularisation, elle devrait conclure qu’une nullité relative peut être couverte par une confirmation ou une régularisation. Or ce que dit la Cour c’est tout autre chose. Elle estime qu’ « une nullité relative ne peut être opposée par les associés aux tiers et ne peut avoir d’effet entre les associés eux-mêmes ». Ce n’est pas réellement une comparaison qu’elle fait.
L’erreur de la Cour de cassation n’est pas simplement méthodologique, elle l’est également de fond. La nullité absolue et la nullité relative produisent le même effet quand il s’agit des rapports avec les tiers. Les transactions conclues par la société de fait ne sont pas remises en cause par la nullité de la société. Dans les rapports entre les associés, une société dont la nullité est prononcée est soumise à une procédure de liquidation, peu importe la nature de la nullité encourue. L’intérêt de la distinction entre les deux types de nullité n’est pas à rechercher au niveau des effets de la nullité une fois prononcée, mais au niveau de l’action en nullité, c’est-à-dire au niveau des personnes ayant qualité pour agir, au niveau de la possibilité de couvrir la nullité et au niveau du délai de prescription.
3)      Le prétendu fondement de la nullité relative pour défaut de publicité légale
Pour asseoir plus amplement sa doctrine, la Cour de cassation s’est évertuée à chercher le fondement de la nullité relative pour défaut d’accomplissement des formalités de publicité légale. Elle estime que « la formalité dépend du bon vouloir des associés et qu’il ne leur est pas permis de tirer profit de leur négligence ». Elle ajoute que dans la mesure où la publicité légale est destinée à protéger les tiers c’est à eux qu’il revient de se prévaloir du défaut de publicité si leur intérêt l’exige ». Ce fondement n’explique pas le caractère relatif de la nullité, il explique plutôt le défaut d’incidence de l’absence de publicité sur les actes accomplis avec les tiers au nom de la société. C’est ce que nous avons désigné sous le concept de société de fait. La société a effectivement existé dans les rapports avec les tiers et cela est suffisant pour produire un effet aux contrats passés avec eux. Il n’appartient pas aux associés d’esquiver le caractère obligatoire de la convention au prétexte que la publicité légale n’est pas accomplie. Mais rien dans ce fondement n’explique le caractère relatif de la nullité.
II-                  Le nécessaire recadrage du litige
Tout est question de cadrage du litige. L’action de l’associé en réparation du préjudice subi en raison de la violation de l’obligation de non-concurrence a-t-elle un fondement dans l’acte de société ou dans l’acte extrastatutaire ? Le demandeur, pourtant gérant de la société, choisit d’agir contre l’associé défaillant sur le terrain de droit commun (art. 242 coc) et à titre personnel. Ce faisant il agit sur le terrain extrastatutaire.
Le défendeur quant à lui situe sa défense au niveau droit des sociétés et il en tire deux conséquences juridiques :
-          l’acte extrastatutaire se rattache aux statuts et doit être publié pour être valable dans les rapports entre les parties ;
-          l’activité commerciale n’est pas accomplie par la société et il n’a y pas lieu à chercher un partage de bénéfice.
Il s’agit dans cette espèce de la violation d’une obligation de non-concurrence. Or une telle obligation peut être convenue entre associés soit dans les statuts, à la constitution de la société ou en cours de vie sociale, soit dans un acte extrastatutaire. Il faut bien être certain de l’origine de l’obligation.
1)      La violation d’une obligation statutaire de non-concurrence
Lorsqu’elle a une valeur statutaire et qu’elle convenue en cours de vie de la société, la clause ne peut être introduite que par des délibérations prises par les associés à l’unanimité. On estime en effet qu’une telle clause augmente les engagements des associés ce qui ne peut se faire qu’avec leur consentement unanime[1]. Mais en tout cas, les associés doivent expressément exprimer leur intention de modifier les statuts et quant à la forme leurs délibérations doivent être publiées sous peine de nullité. La loi requiert la publicité légale de tout acte modificatif des statuts, peu importe de savoir si la stipulation n’est destinée qu’à régir les rapports entre associés[2]. A défaut de publicité l’obligation est nulle ; l’associé contrevenant peut se défendre contre une action en responsabilité, engagée à son encontre par la société[3], en soulevant l’exception de nullité ou en élevant une action reconventionnelle.
Bien entendu, le succès de ce moyen de défense n’est pas totalement assuré, car la nullité étant relative, rien n’empêche la société de procéder aux formalités de publicité légale en cours de procédure et couvrir d’une manière rétroactive la nullité.
2)      La violation d’une obligation de non-concurrence extrastatutaire
Lorsqu’elle est extrastatutaire, la clause de non-concurrence est régie par le principe de la liberté contractuelle[4] et de l’effet relatif des contrats. Sa validité n’est soumise à aucun formalisme. Elle n’a pas besoin d’être établie par écrit, sauf que cela soulève un problème de preuve car la preuve littérale est nécessaire[5]. A fortiori aucune publicité légale n’est requise. Seuls les contractants peuvent se plaindre de la violation de l’obligation de non concurrence[6].
Septembre 2011


[1] Cass. com., C., 26 mars 1996, J.C.P. éd. G., 1996, 45, n°24 ; J.C.P. éd. E., 1996, n°38, observations A. Viandier et J.-J. Caussain.
[2] La sanction par la nullité pour défaut de publicité légale n’intéresse que les rapports entre les associés, elle se distingue de la sanction par l’inopposabilité dans les rapports entre la société et les tiers.
[3] L’action en réparation appartient à la société et non aux associés agissant à titre personnel.
[4] Art. 118 du code des obligations et des contrats.
[5] Art. 473 du code des obligations et des contrats.
[6] Le plus souvent, la société n’est pas partie au contrat, elle ne peut agir en responsabilité pour demander réparation du préjudice subi en cas de contravention.

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