lundi 22 juillet 2013

Menaces sur l’injonction de payer

menaces sur l’injonction de payer

Introduction
Certains arrêts rendus par la cour de cassation, cette dernière décennie, en matière d’injonction de payer, méritent un examen critique. L’impression qui s’y dégage est un échec de cette procédure de recouvrement de créances. Ce ne sont pas seulement les créanciers qui en pâtissent, mais également les intérêts d’une bonne administration de la justice dans la mesure où les procédures judiciaires sont engagées sans efficacité, entraînant par là un encombrement inutile des tribunaux et un gaspillage des ressources de l’Etat. Les raisons de l’échec se trouvent dans la conception que se fait la cour de cassation des conditions légales de la procédure d’injonction de payer et du pouvoir du juge d’appel en cas de recours du débiteur[1].

Dans certains de ces arrêts, la cour de cassation rejette les pourvois élevés contre des jugements d’appel décidant l’infirmation des injonctions de payer. Ces arrêts de rejet approuvent la motivation des juges de fond dans laquelle ils considèrent que la procédure de l’injonction de payer ne peut être poursuivie si la créance est sérieusement contestée par le débiteur. L’injonction de payer est alors rétractée et le créancier doit exercer son action en paiement devant la « juridiction de fond selon la procédure de droit commun ». Ainsi dans un arrêt du 17 juin 2010[2], la cour de cassation, sous le visa de l’article 59 C.P.C.C., rejette le pourvoi en énonçant que « la procédure de l’injonction de payer exige que la créance soit certaine et déterminée dans son montant ; que le jugement de la cour d’appel est fondé en fait et en droit tant que la créance fait l’objet d’une contestation de la part du débiteur ». Un autre arrêt en date du 28 janvier 2002[3] est dans la même veine. Il est dit dans l’un de ses attendus que « la procédure d’injonction payer, dans la mesure où elle se caractérise par l’absence du contradictoire et l’urgence, exige que son objet soit non susceptible de contestation, tel une reconnaissance dette signée par le débiteur[4], une lettre de change régulière, un chèque ou tout autre document qui peut être, selon une forte présomption, la source d’une obligation rendant la contestation du débiteur non sérieuse ». La cour de cassation estime que le débiteur soulève « une contestation sérieuse de nature à faire sortir la demande de la procédure de l’injonction de payer ».

Dans d’autres arrêts, la cour de cassation casse des jugements d’appel qui ont confirmé des injonctions de payer malgré les contestations élevées par le débiteur. Ainsi dans l’arrêt du 8 janvier 2003[5], elle censure l’arrêt d’appel qui a simplement réduit le montant de l’injonction de payer pour tenir partiellement compte de la contestation du débiteur. La censure est prononcée pour défaut de motifs, mais la motivation de la cour de cassation est en prolongement des arrêts précédents. Elle énonce que « l’article 59 exige que le titre fondement de l’injonction de payer soit établi par un écrit, qu’il émane d’une manière certaine du débiteur et qu’il ne soit pas sujet à discussion ou contestation ; la procédure étant dérogatoire et caractérisée par l’urgence, il y est interdit de soulever des questions touchant au fond du droit ou une contestation sérieuse nécessitant une instruction, un examen des pièces produites et des expertises ». La cour de cassation estime qu’ « en présence d’une contestation sérieuse et devant la nécessité d’une plus ample recherche de la réalisation du paiement, la cour d’appel devrait réformer l’injonction de payer et laisser la question au juge de fond, ayant compétence à trancher les droits des litigants et leur contestation sérieuse, d’autant plus qu’il s’agit d’une matière commerciale soumise à la liberté de la preuve »[6]. Dans un arrêt en date du 7 octobre 2003[7], la cour de cassation casse un jugement qui a confirmé une injonction de payer condamnant le débiteur à payer le montant partiel d’une lettre de change. Dans l’un des attendus de l’arrêt, il est affirmé que lorsque la créance n’est pas établie et fait l’objet d’une contestation nécessitant l’accomplissement d’une mesure d’instruction pour prouver le montant de la créance, le créancier doit s’abstenir de suivre la procédure de l’injonction de payer ; il doit agir contre son débiteur selon les procédure ordinaires ».

Un arrêt en date du 25 mai 2005[8] s’écarte pourtant de la jurisprudence précédente. La cour de cassation énonce que « l’injonction de payer se caractérise par le fait qu’elle est une procédure gracieuse non soumise au principe du contradictoire ; cela se justifie par la nature de la créance objet de la demande dans la mesure où elle est une somme d’argent déterminée ayant une origine contractuelle ou résultant d’un des effets de commerce énumérés par l’article 59 C.P.C.C ». Elle poursuit en ajoutant que « le recours en appel ouvre la porte à la contradiction et permet à l’appelant de discuter la certitude de la créance et le caractère probant des preuves produites ; il est du devoir de la juridiction de second degré de les examiner et de procéder, le cas échéant, aux instructions nécessaires ». L’arrêt d’appel soumis à l’examen de la cour de cassation est censuré du simple fait qu’après avoir exposé les arguments soulevés de part et d’autre, il « a conclu à l’existence d’une contestation sérieuse de nature à justifier la réformation de l’injonction de payer sans discuter le fond et sans avoir à juger le litige soumis à son examen ».

Un arrêt de la Cour de cassation, en date du 11 avril 2002[9], est d’interprétation délicate. A un certain point de vue, il est sensiblement proche de celui du 25 mai 2005. La cour suprême reproche à la cour d’appel d’avoir confirmé une injonction de payer malgré la contestation élevée par l’appelant qui nie avoir accepté la facture fondement de la demande. « La cour d’appel n’a pas motivé son jugement lorsqu’elle a confirmé l’injonction de payer sans procéder aux mesures d’instructions nécessaires soit par audition des parties en cause, soit par expertise ». A contrario, un tel attendu invite le juge de fond à trancher la contestation et à vider le contentieux. Mais cette lecture est démentie par la suite de la motivation. La cour de cassation a cherché à mettre en exergue les caractéristiques de la procédure de l’injonction de payer. « Dans l’intention du législateur, dit-elle, les créances certaines et ne faisant pas l’objet de contestation seront jugées selon les règles du contentieux en référé, mais les créances sujettes à contestation sont du ressort des juges de fond. La Cour de cassation clos sa motivation en disant que l’appel, après la réforme de la loi intervenue en 1986, est la seule voie ouverte au débiteur de contester la créance.

Notre analyse se veut avant tout méthodologique. On essayera de formaliser les approches adoptées par les débiteurs et les juges de fond (I) avant d’apprécier les solutions retenues par la cour de cassation (II).

I-                    Formalisation des approches des divers protagonistes

Après avoir effectué une classification des contestations élevées par le débiteur devant les juges d’appel (A), on effectuera une classification des solutions données par ces derniers (B).

A-     Les contestations du débiteur devant la juridiction d’appel

Classification. Schématiquement, le processus conflictuel se déroule selon l’ordre suivant. Le créancier obtient du juge compétent une injonction de payer sur le fondement des seules pièces qu’il a présentées. Le débiteur, absent de la procédure, forme un recours en appel une fois qu’il a reçu signification du titre exécutoire. Il élève devant la juridiction d’appel une ou plusieurs contestations.

On donnera une brève présentation des ces contestations tout en les classant, pour une meilleure analyse, selon la nature du titre du créancier.

1-      Contestation des effets de commerce

Une première série de jugements d’appel sont rendus à propos d’injonction de payer de lettres de changes[10]. Le débiteur ayant qualité de tiré, condamné par les premiers juges en son absence, peut invoquer une contestation touchant la validité du titre et/ou ses effets juridiques.

Ainsi dans une espèce[11], le débiteur invoque la nullité des effets pour violation de la législation des changes exigeant que le dinar soit monnaie de compte et monnaie de règlement pour les transactions entre résidents[12]. Dans une autre espèce, la nullité est invoquée d’office par la cour d’appel[13] ; saisie de l’appel contre une injonction de payer que le débiteur conteste en disant qu’il a payé toutes ses dettes envers le créancier porteur d’une lettre de change allant jusqu’à offrir de déférer serment décisoire, la juridiction d’appel soulève d’office la nullité de la lettre de change pour défaut de signature par le tireur[14]. Enfin dans un arrêt du 30 décembre 1999[15], le débiteur condamné par une injonction de payer, ordonnée sur le fondement de trois lettres change, remarque que la personne condamnée n’est pas dotée de la personnalité juridique[16]. Il arrive que débiteur[17] situe la contestation de l’injonction de payer sur le terrain de la cause de l’obligation cambiaire[18] pour dire qu’elle est nulle pour défaut de provision[19].

Situant la contestation sur le plan des effets de l’obligation cambiaire, le débiteur soutient qu’elle n’est pas exigible[20] ou qu’elle est éteinte par paiement[21]-[22] ou encore que le créancier, dans un contrat synallagmatique, a exécuté son obligation en retard ce qui lui a causé un préjudice devant être réparé[23].

2-      Contestation de contrat écrit et documents commerciaux

L’injonction de payer peut être rendue sur la base d’un contrat écrit. Dans l’arrêt du 23 décembre 1999, le débiteur, une société commerciale en l’occurrence, condamné à payer le montant des primes d’un contrat d’assurance d’une flotte de véhicules de transport terrestres, invoque principalement le caractère non déterminée de l’obligation[24].

Des injonctions de payer sont également rendues sur la base des factures commerciales ou des bons de livraison. Dans un arrêt du 8 janvier 2007[25], le débiteur conteste la régularité formelle des factures ayant donné lieu à l’injonction de payer, il met en doute l’existence de la créance et surtout il nie les avoir revêtues de la mention d’acceptation. La contestation n’est pas clairement conceptualisée en droit. A l’examen, on trouve qu’elle touche à l’absence de cause de l’obligation et au défaut de preuve. C’est une contestation identique qui est soutenue dans l’arrêt du 11 avril 2002[26].

Dans l’arrêt du 28 mars 2008[27], il s’agit d’une injonction de payer rendue sur le fondement de bons de livraison. Le débiteur soutient avoir payé des lettres de changes dont certaines ont fait déjà l’objet d’une autre injonction de payer ; le débiteur prétend que le créancier utilise les bons de livraison pour obtenir un deuxième paiement. Il a même demandé au tribunal de surseoir à juger en attendant le sort d’une plainte pénale qu’il a présentée.

B-      Positions des juridictions d’appel

Quelles étaient les positions des juridictions d’appel en présence de pareilles contestations ? Sur un nombre de dix-huit arrêts de la cour de cassation consultés, on a dénombré plusieurs arrêts d’appel qui ont tranché la contestation dans un sens défavorable au débiteur. Les jugements ayant infirmé l’injonction de payer ou qui ont réduit leur montant sont moins nombreux. Nous ferons quelques commentaires sur ces jugements en cherchant ce qui pourrait leur être commun (1) avant de présenter les jugements décidant la rétractation de l’injonction de payer par une motivation inédite (2).

1-      Les jugements d’appel confirmant l’injonction de payer ou réduisant le montant de la condamnation

Ces jugements participent d’une même logique : le juge de fond exerce la plénitude de son pouvoir de juger en fait et en droit la demande de paiement des créances contractuelles de somme d’argent. Il juge de la validité de la créance[28] et des autres exceptions au paiement qui ont pu être soulevées. En réduisant le montant de la condamnation, la juridiction d’appel ne fait que tirer les  conséquences de son pouvoir d’appréciation des moyens de preuve fournis. Ce faisant, le juge d’appel exerce son pouvoir d’instruction comme il le pouvait le faire dans une procédure judiciaire de droit commun.

2-      La motivation inattendue de certains jugements d’appel décidant la rétraction de l’injonction de payer

Un jugement d’appel prononçant la rétractation de l’injonction de payer est motivé par cette circonstance que « le débiteur soulève une contestation sérieuse laquelle nécessite une mesure d’instruction et des enquêtes que le juge d’appel siège en matière d’injonction de payer ne peut connaître d’autant plus que la première instance était non contradictoire entre le créancier et le débiteur »[29]. Un autre jugement estime que « la contestation relative à la fourniture de la provision des deux lettres de change paraît être sérieuse et nécessite des mesures d’instruction qui ne relèvent pas de l’injonction de payer dont les règles requièrent que le titre, soutien de la demande, soit établi par écrit et non sujet à contestation »[30].

 II-                  La position de la cour de cassation.

Les jugements de confirmation des injonctions de payer sont de loin les plus nombreux. Ils font naturellement l’objet de pourvoi en cassation.

Certains des pourvois ne sont pas directement fondés sur l’article 59 C.P.C.C. C’est le cas du pourvoi qui demande la censure du jugement d’appel du fait de la nullité d’une lettre de change retenant une monnaie étrangère comme monnaie de compte de l’obligation monétaire[31] ou encore celui qui conteste le pouvoir du juge d’appel d’annuler d’office une lettre de change non signée par le tireur[32] ou celui qui soutient la nullité de l’obligation en raison de la disparition de la personne morale de la société débitrice par suite de sa dissolution[33]. Les juges de fond ont, dans tous ces cas, jugé la contestation en droit et les pourvois en cassation sont rejetés par application de la règle de droit. Peu importe pour nous de savoir si ces rejets sont fondés ou non[34]. Notre seule remarque pour les besoin de l’analyse que nous faisons de la jurisprudence de la cour de cassation, est de souligner que la cour ne dénie pas aux juges d’appel le pouvoir de trancher la contestation élevée par le débiteur.

Plusieurs pourvois sont fondés sur l’article 59 C.P.C.C. Ils sont formulés selon diverses nuances.

Des fois les griefs invoquent le caractère non déterminé de l’obligation[35] ou la confusion faite par la juridiction d’appel entre une créance déterminée et une créance certaine[36]. Mais la confusion peut également provenir du pourvoyant lui-même lorsqu’il invoque le caractère non déterminé de l’obligation alors qu’en réalité il vise son caractère incertain[37]. Il est même advenu que le pourvoyant n’arrive pas à bien conceptualiser la nature de violation de l’article 59[38]. Dans ces différents cas, la cour de cassation est invitée à vérifier la motivation du jugement attaqué ou la qualification du caractère certain et déterminé de l’obligation dont on demande le paiement (A).

Ces diverses variations sur la violation de la loi, au sens général, de l’article 59 se distinguent ouvertement d’un autre type de critique où il est dénié au juge d’appel le pouvoir de trancher le différend au prétexte qu’il existe une contestation sérieuse sur la créance. Le juge d’appel ne pouvait pas, selon certains pourvois, ni ordonner une mesure d’instruction, ni, a fortiori, juger la demande. Son rôle consiste à constater l’existence de la contestation et son caractère sérieux. Si ces deux conditions sont vérifiées, il devrait conclure à la rétractation de l’injonction de payer déférée devant lui et, renvoyer, selon une formule employée, les parties devant le « juge fond » compétent. Le juge d’appel commettrait une violation de la loi, c’est-à-dire l’article 59 C.PC.C., s’il dépasse la limite de sa juridiction en se prononçant dans un sens ou un autre sur la contestation (B)

Avant d’aborder ces deux aspects, on doit signaler qu’on trouve des fois chez le créancier des attitudes opportunistes lorsque la juridiction d’appel confirme l’injonction de payer dans son principe et réduit le montant de la condamnation. Ainsi dans l’affaire du 28 mai 2006[39], le créancier, mécontent du jugement d’appel, soutient dans son pourvoi en cassation que « certaines transactions ont donné lieu au tirage de lettres de change, mais que d’autres ont seulement donné lieu à l’émission des factures commerciales. Les paiements qu’il a reçus sont affectés au paiement des lettres de changes et non au paiement des opérations commerciales. Ce même créancier affirme même avoir convenu avec le débiteur, en présence d’un commerçant ayant joué le rôle de médiateur, d’une transaction par laquelle le débiteur s’engage à payer la somme réclamée et que lui-même poursuivi pénalement pour tentative de recevoir double paiement, a été acquitté ». Ces éléments factuels, dont on doute qu’ils puissent être discutés devant la cour de cassation, sont avancés comme un argument destiné à dénier au juge de l’injonction de payer le pouvoir de juger la contestation ; celui-ci, soutient le pourvoyant, ne peut relever que du juge de droit commun. Il appartenait alors à la juridiction d’appel non pas d’ordonner une expertise mais de réformer complètement l’injonction de payer pour permettre aux parties de revenir à l’exercice d’une action de droit commun. Si l’on a qualifié l’attitude du créancier comme opportuniste, c’est parce que l’on comprend mal qu’il prenne l’initiative d’agir devant le premier juge selon la procédure de l’injonction de payer et quand le débiteur entend se défendre devant le juge d’appel en soulevant une contestation quelconque qui l’autorise à ne payer tout ou partie de la créance demandée, le créancier réclame du juge qu’il ne juge pas la contestation, mais simplement réformer l’injonction de payer pour revenir à l’exercice d’une action de droit commun. Il y a dans son attitude une contradiction au détriment du débiteur. Le créancier est libre de choisir l’une des voies de droit, mais s’il choisit la procédure de l’injonction de payer, il ne peut faire marche arrière par simple opportunisme.

  A-     La vérification par la cour de cassation du caractère certain et déterminé de l’obligation de somme d’origine contractuelle objet de l’injonction de payer

La cour de cassation est souvent  invitée à exercer son contrôle sur le juge d’appel pour vérifier s’il a  bien motivé son jugement quant au caractère certain de la créance (1) ou s’il a exactement qualifié les caractères liquide et certain de créance objet  de l’injonction de payer (2).

1-      Le contrôle de la motivation  du caractère certain de la créance

La cour de cassation est le plus souvent invitée à exercer un contrôle sur la motivation du jugement d’appel relativement au caractère certain de la créance.

La créance pouvant faire l’injonction de payer, doit être certaine et liquide. Lorsqu’il s’agit d’une critique fondée sur le défaut ou insuffisance de motif, souvent ce qui est en cause c’est la motivation du jugement quant à la constatation des faits nécessaires à la conclusion du caractère certain de la créance.

Ainsi en est-il de ce pourvoi qui, à propos d’une demande de paiement de quatre factures de vente, accompagnées de bons de livraison signés, le débiteur conteste avoir signé lesdites factures ou avoir pris livraison des marchandises. La censure du jugement d’appel qui a confirmé l’injonction de payer, est justifiée par le fait que lorsqu’un plaideur ne reconnait pas sa signature, le juge doit ordonner une vérification[40]. N’ayant pas effectué les instructions nécessaires pour chercher la vérité, la juridiction d’appel n’a pas suffisamment motivé son jugement.

Un autre arrêt[41] s’inscrit sur le registre du défaut de motif. Il s’agit d’une injonction de payer rendue contre l’Hôtel Cap Carthage. L’appelante conteste sa signature et conteste avoir traité avec le demanderesse. Le juge d’appel « remarque « la dénégation de la signature par la Société Cap Carthage est sans effet car celle-ci ne peut émaner que du représentant de l’Hôtel Cap Carthage ou du représentant légal de Prima Sol ». La censure du jugement d’appel était prévisible. Il appartient au juge de fond de vérifier l’identité de celui qui a signé les lettres de change ; le jugement est non motivé lorsqu’il estime que la signature émane de l’un des représentants légaux de la Société Hôtel Cap Carthage ou de la Société Prima Sol.

2-      Le contrôle de qualification des caractères certain et déterminé de la créance

L’article 59 CP.C.C. permet au créancier d’une somme déterminée d’origine contractuelle ou d’un effet de commerce d’obtenir une injonction de payer. Littéralement entendu, ce texte ne mentionne que le caractère déterminé de la créance. Il ne dit rien sur son caractère certain. Cette exigence résulte plutôt de l’article 64 CPCC. Si le juge estime la créance établie, le juge en ordonnera le paiement.
L’examen des arrêts de la cour de cassation permet de constater que seul l’article 59 est invoqué tant pour le caractère liquide de la créance que pour son caractère certain. C’est une erreur, dont il faudra expliquer les raisons.

a-      Le contrôle de la qualification du caractère déterminé de la créance

Pour obtenir une injonction de payer une somme d’argent d’origine contractuelle, il faudra justifier de son caractère déterminé. La créance de somme d’argent est déterminée lorsqu’elle consiste en une somme fixe, un quantum monétaire connue d’avance. On emploie aussi l’expression « créance liquide » pour désigner une somme déterminée.

La créance est dite liquide lorsque l’acte écrit porte indication de son montant ou contient tous les éléments permettant son évaluation. Il peut s’agir d’une créance de prix, d’un loyer, d’honoraires, d’un capital emprunté ou de ses intérêts rémunératoires, d’apport en numéraire en société, etc. Les créances indemnitaires pour la réparation d’un dommage consécutif à une faute contractuelle, ne sont pas déterminées[42]. Elles ne seront liquidées qu’avec le prononcé du jugement. Une créance de réparation dans un contrat synallagmatique, par définition indéterminée, pesant à la charge du vendeur n’est pas de nature à rendre non liquide la créance de prix de vente. Le vendeur peut demander paiement du prix de vente dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer sans que sa faute dans l’exécution du contrat y soit un obstacle[43]. En effet, l’acheteur n’est autorisé à retenir le prix qu’en cas d’éviction ou de menace d’éviction[44] ou de vice de la chose[45].

Le problème se pose lorsqu’il s’agit simplement d’une somme déterminable. Un créancier d’une telle somme peut-il en obtenir paiement selon la procédure de l’injonction de payer ? La cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans deux cas de demande de paiement des primes d’assurance. Ainsi dans l’arrêt du 23 décembre 1999[46], une compagnie d’assurance réclame le paiement des primes d’assurance d’un parc déterminé de véhicules de transport. Le pourvoi critique la cour d’appel pour avoir confondu entre créance certaine et créance déterminée. La créance est déterminée lorsque son montant est connu d’avance et d’une manière certaine. La cour de cassation rejette le pourvoi en estimant qu’« il résulte du jugement attaqué et des pièces sur lesquelles il s’est fondé que la créance, en plus du fait qu’elle a une cause contractuelle, elle est d’un montant déterminée dans la mesure où la police d’assurance a précisé le parc assurée et le pourcentage de prime pour chaque véhicule ». Comme l’on peut constater la cour de cassation ne dit pas qu’il est permis d’ordonner le paiement d’une créance déterminable mais elle énonce, par raccourci, que la somme réclamée est déterminée. On ne peut que se féliciter que la cour de cassation ait retenue une conception extensive de l’exigence de liquidité de la créance en matière d’injonction de payer. Elle est conforme à la définition que nous avons avancée de la notion puisqu’il suffit de vérifier que « le titre contient tous les éléments permettant son évaluation »[47].

Dans l’arrêt du 11 octobre 2006, l’assureur réclame le paiement de six primes d’assurance de transport de marchandises importées. Le pourvoi observe l’injonction de payer est rendue d’une manière globale, elle ne détermine pas d’une manière détaillée de la valeur de chaque prime et son objet ce qui constitue une violation de l’exigence du caractère certain de la créance. En réponse la Cour de cassation observe que « le contrat d’assurance énonce dans ces conditions particulières que la prime d’assurance équivaut 0,25% de la valeur assurée en cas de transbordement de la marchandise d’un navire à un autre. Dans une telle hypothèse, le calcul de la prime dépend de la valeur de la marchandise et des conditions de transport. La demanderesse n’a pas précisé les méthodes de calcul de la prime et n’a pas donné les justifications de la valeur de la marchandise transportée conformément au contrat ». Ce qu’il y a de souligner c’est la suite de la motivation de l’arrêt. Il se réfère à l’article 59 CPCC pour lui faire dire « qu’il exige que la créance soit déterminée c’est-à-dire certaine » et il ajoute que « la certitude la relation contractuelle ne rend pas pour autant la créance certaine ». La cour de cassation, comme d’ailleurs le pourvoyant, n’établit pas une nette distinction entre les deux exigences du caractère déterminé de la créance et sa certitude. Cette même confusion des concepts est observée dans d’autres arrêts[48].

La confusion entre créance déterminée et créance liquide est probablement due au fait que « la contestation (qui rend une créance incertaine) peut facilement déraper de l’existence vers le quantum »[49]. La contestation du montant de la créance au prétexte qu’elle est partiellement ou totalement payée n’est pas de nature à rendre la créance indéterminée (ou non liquide), elle la rend plutôt non certaine. Dans ce cas, c’est l’article 64 CPCC qui est applicable et non l’article 59.

On termine ces remarques par distinguer, comme le soutient un auteur[50], entre deux conceptions de la liquidité d’une créance : il existerait « une liquidité subjective, c’est-à-dire une liquidité de la créance dans l’esprit des parties, qui disparaîtrait du fait de la contestation sur le montant de la créance », et « une liquidité objective qui serait suffisamment caractérisé quand, malgré les arguties d’un plaideur, se trouveraient réunis les éléments nécessaires pour chiffrer la créance par un simple calcul ».

 b-      Le contrôle de la qualification du caractère certain de la créance

Dans l’arrêt du 22 novembre 2002[51], la cour de cassation était saisie d’un pourvoi intenté par le bénéficiaire de la lettre de change qui conteste un jugement d’appel qui a prononcé la rétractation d’une injonction de payer d’une lettre de change non signée par le tireur. Le pourvoi invoque cette circonstance que le débiteur[52] reconnaît avoir signé la lettre de change. Un tel document vaut un « titre de créance » ou « une reconnaissance de dette » susceptible de donner lieu à une injonction de payer. Le pourvoi critique la juridiction d’appel pour avoir soulevé d’office la nullité de la lettre de change non signée par le tireur. La cour de cassation adhère à cette argumentation, elle estime que « la juridiction d’appel n’aurait pas dû soulever la nullité tant que le débiteur reconnait avoir signé[53] la lettre de change ». En réalité, la cour devrait dire qu’une lettre de change nulle comme telle ne perd pas toute valeur juridique. Ainsi elle peut valoir un billet à ordre si par ailleurs les conditions légales d’un tel titre sont réunies, ou une reconnaissance de dette. Sur le fond, une telle solution s’explique aisément. Le caractère d’ordre public de la nullité d’une lettre de change ne comportant pas la signature du tireur n’est pas de nature à enlever au titre sa valeur d’une reconnaissance de dette. Il suffit que l’écrit soit signé par le débiteur. La signature exprime le consentement à l’obligation. L’article 328 du code des obligations et des contrats, consacre clairement cette solution[54]. La difficulté se situe, en réalité, au plan procédural. Dans quelle mesure, la procédure d’injonction de payer peut être suivie pour le recouvrement d’un engagement unilatéral de volonté ?.

Dans l’arrêt du 8 janvier 2007[55], il s’agit d’une contestation élevée par le débiteur quant à la preuve de la créance au moyen d’une facture acceptée. La cour de cassation est appelée à se prononcer sur la question de savoir si la réception de la facture par les employés de la société et l’apposition du cachet de ladite société expriment l’acceptation de la facture ; en résulte-il un consentement sur le contenu de la facture ? Une réponse négative est apportée par la cour de cassation. La réception de la facture ne vaut pas acceptation. Le contrôle opéré ici est un contrôle de la qualification du consentement du commerçant au contenu d’une facture. En d’autre terme, la cour de cassation considère que la réception d’une facture s’analyse en un acte strictement matériel ; il n’exprime pas une intention et une volonté sérieuse ; elle ne peut donc valoir consentement. On peut discuter du bien-fondé de la réponse si l’on se réfère à un précédent arrêt de la cour de cassation en date du 9 novembre 1988. Selon cet arrêt, « La prise en charge de la facture par les livres comptables est une acceptation de son contenu ; elle peut par conséquent être considérée comme moyen de preuve de la créance ». Comme l’on peut constater cet attendu déplace la question au niveau de la preuve de l’obligation par les livres comptables du commerçant. L’on sait en effet que les livres comptables régulièrement tenus peuvent servir de preuve pour et contre le commerçant[56]. Mais l’attendu suivant de l’arrêt est plus éloquent quant à la preuve par la facture exclusivement. La cour de cassation énonce qu’« il est d’un usage commercial établi et d’une jurisprudence stable que la réception par le commerçant d’une facture et la non-contestation de son contenu, qui s’exprime par son rejet immédiat par une lettre recommandée ou quelque forme équivalente, équivaut à une acceptation ; elle sert dès lors comme moyen de preuve écrit de la créance entre commerçants »[57].

B-      La négation du rôle du juge d’appel de vider la « contestation sérieuse » élevée dans le cadre d’un appel contre l’injonction de payer

La question est souvent posée à la cour de cassation de dire si en présence d’une contestation, qualifiée de sérieuse, la juridiction d’appel avait pouvoir (ou obligation) de la trancher, même si, au besoin, elle devait ordonner une mesure d’instruction ou une expertise.

On peut s’étonner, si l’on se rappelle l’évolution de la procédure de l’injonction de payer, que la question soit posée en ces termes. En effet, dans sa version initiale, la loi permettait, au débiteur de faire opposition à l’injonction de payer ce qui avait pour résultat de faire revenir les parties devant le même juge ayant ordonné l’injonction de payer. Le débat se déroule alors contradictoirement et le jugement rendu en premier ressort est susceptible d’appel[58].

Une telle organisation du recours contre l’injonction de payer était jugée lourde car elle aboutissait, le plus souvent, à une application des règles de droit commun de procédure : la contradiction et le double degré de juridiction. Le recours à l’injonction de payer ne serait dès lors qu’un détour inutile et de surcroît onéreux pour le créancier. Il lui serait plus simple d’assigner le débiteur devant le tribunal compétent selon la procédure classique.

Ce défaut procédural de l’injonction de payer a conduit le législateur à modifier la loi pour donner la procédure actuelle où l’injonction de payer ne peut être attaquée qu’en appel[59]. Le créancier qui choisit de suivre le recouvrement de sa créance selon cette procédure contraint son débiteur -et se contraint lui-même aussi- à ne débattre contradictoirement du rapport d’obligation, qui rappelons-le est d’origine contractuelle, qu’une seule fois. En consacrant cette réforme procédurale, le législateur a conscience de l’atteinte qu’il fait aux droits de la défense en ne permettant pas un double examen de l’affaire ; on s’en doute pas que le choix est fait pour accélérer le recouvrement des créances de sommes d’argent déterminée, certaine et d’origine contractuelle.

A bien regarder, la question est posée à la cour de cassation selon deux configurations différentes. La réponse donnée par la cour de cassation n’est pas à l’abri de la critique.

a)      Pourvoi intenté contre un jugement d’appel de confirmation totale ou partielle d’une injonction de payer

Dans sa première configuration, la question se pose à l’occasion d’un pourvoi intenté contre un jugement d’appel ayant confirmé totalement ou partiellement une injonction de payer. Les auteurs de pourvoi se limitent à invoquer un défaut ou une insuffisance de motifs, mais la cour de cassation va plus loin que cette critique en déniant au juge d’appel le pouvoir de trancher les « contestations sérieuses des parties » dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer. Tel est par exemple le cas d’un arrêt en date du 28 janvier 2002[60] où le pourvoi critique le  jugement d’appel qui a délaissé certains faits qui font douter du caractère certain de la créance. Le pourvoi critique par ailleurs les juges d’appel pour défaut de réponse à conclusions relativement à la prescription de l’action en paiement ou pour avoir estimé que la plainte pénale pour faux est non sérieuse car elle est déposée après le prononcé de l’injonction de payer alors le plaignant ne pouvait avoir connaissance de l’existence des chèques avant cette date». La censure du jugement attaqué est encourue car « la contestation soulevée par le débiteur nécessite des enquêtes et instructions faisant sortir l’injonction de payer du domaine de l’article 59 CPCC ».

Dans un autre arrêt du 8 janvier 2003[61], la cour de cassation a été saisie d’un pourvoi contre un jugement d’appel qui a réduit le montant de l’injonction de payer sans qu’une expertise ne soit ordonnée. L’auteur du pourvoi soutient que le jugement d’appel n’a pas répondu à ses conclusions et n’a pas ordonné une expertise. La cour de cassation censure le jugement attaqué après une longue motivation. Elle énonce que l’article 59 C.P.C.C. « requiert que le titre fondement de l’injonction de payer soit un écrit émanant d’une manière certaine du débiteur et non susceptible de contestation ou de discussion ; la procédure d’injonction de payer est exceptionnelle et caractérisée par l’urgence ; il est de ce fait interdit de soulever dans le même cadre des questions touchant au fond du droit, des contestations sérieuses, notamment lorsqu’elles nécessitent des recherches et examen des pièces fournies et la réalisation d’expertises ; pareille tache est de la compétence du juge de fond qui est seul compétent pour la trancher ». Plus loin, la cour de cassation estime qu’« il appartient à la juridiction d’appel de rétracter l’injonction de payer et laisser la question au juge de fond qui a compétence de trancher le fond des droits… ». Cette même motivation est littéralement reprise par la cour de cassation dans un arrêt en date du 28 mai 2006[62].

Un autre arrêt du 7 octobre 2003 énonce « qu’il résulte de l’article 59 C.P.C.C. que parmi les conditions requises pour poursuivre la procédure de l’injonction de payer, la créance demandée doit être déterminée ; si elle est non établie et fait l’objet d’une contestation nécessitant l’accomplissement d’une mesure d’instruction pour établir sa valeur, il appartient au créancier de s’abstenir à poursuivre cette procédure et se doit d’agir selon les procédures ordinaires ». La même motivation est littéralement reprise dans un arrêt en date du 8 janvier 2007[63].

b)      Pourvoi intenté contre un jugement d’appel de rétractation d’une injonction de payer

Dans une deuxième configuration, la cour de cassation est saisie de pourvoi contre des jugements d’appel ayant prononcé la rétractation de l’injonction de payer au motif que la procédure ne peut être poursuivie en cas de contestation sérieuse de la part du débiteur. Les deux occasions dans lesquelles la cour de cassation a été appelée de se prononcer sur pareil recours ont donné deux réponses opposées. Ainsi, l’arrêt du 25 mai 2005[64] censure la juridiction d’appel en ce qu’elle s’est contentée de relater les moyens soulevés de part et d’autre, en concluant à leur caractère sérieux, et justifier ainsi la rétractation de l’injonction de payer sans trancher le débat au fond. Un tel jugement, estime la cour suprême, viole les articles 66, 144 et 148 C.P.C.C ». En sens opposé, la cour de cassation dans un arrêt caractérisé par une motivation sibylline qui contraste avec une motivation plus ample du pourvoyant, approuve les juges de fond pour avoir décidé la rétractation de l’injonction de payer. Le pourvoi croyant tirer profit de l’arrêt du 25 mai 2005, qu’il cite, voit son recours rejeté au motif que le juge de fond n’est pas tenu d’ordonner des mesures d’instruction tant qu’il a pu déterminer le sens de son jugement ». Selon la cour de cassation, les articles 66,144, 86 C.P.C.C. et 108 C.P. n’ont pas été violés.

c)       Appréciations

L’interprétation des ces différents arrêts est difficile à faire car dans la quasi-totalité des cas la censure est à la fois encourue pour insuffisance de motif et pour violation de l’article 59 C.PCC. Logiquement, les deux motifs de cassation ne fonctionnent pas ensemble, car ou bien il y a insuffisance de motifs, et la cour de cassation ne peut vérifier la bonne application de la loi ou bien motivation est suffisante mais qu’il y a violation de la loi. Les deux motifs de cassation sont alternatifs et non cumulatifs.

La motivation de la cour de cassation selon laquelle le juge d’appel n’est pas habile à trancher les contestations soulevées par les parties est critiquable car elle introduit dans l’article 59 ou 64 C.P.C.C une notion complètement étrangère à la procédure de l’injonction de payer, celle de « contestation sérieuse » qui empêcherait le juge à juger. La procédure de l’injonction de payer est ouvertement contaminée par les règles régissant le contentieux des référés. Cette contamination est rendue possible pour l’emploi de l’expression « urgence ». Les juges confondent en réalité deux notions totalement différentes urgence et rapidité ; ils confondent entre une procédure accélérée de recouvrement de créance et une procédure d’urgence destinée à mettre en place des mesures conservatoires provisoires. La notion d’urgence est la notion-passerelle qui a permis au juge de passer insensiblement d’un registre à autre ; il s’est permis de ce fait de donner aux articles 59 et 64 une portée inattendue.

Il faut, à notre sens, remettre les pendules à l’heure. La procédure d’injonction de payer est une procédure de fond. Le juge de l’injonction de payer, qu’il statue en première instance ou en appel, ne sort pas de sa compétence lorsqu’il tranche le rapport d’obligation. L’intervention de ce juge en première instance ne se distingue de l’intervention du juge de droit commun de premier degré que par la disparition du contradictoire. Le juge de l’injonction de payer saisie de la demande n’ordonne le paiement que s’il est convaincu que la créance est établie, c’est-à-dire certaine. Le juge de premier degré de droit commun obéit à la même règle. Il ne condamne le débiteur qu’une fois la créance est éprouvée d’une manière certaine. C’est le processus décisoire qui change. Là où le juge de l’injonction de payer se prononce au seul contact des pièces fournies par le demandeur, le juge de droit commun se prononce après examen contradictoire. Il est cependant certain qu’au fond, un jugement de condamnation à payer une quelconque somme d’argent, de quelque juge qu’il émane, ne peut être fondé que sur une créance certaine.

Si le juge de l’injonction de payer estime que la créance est non-établie, il refusera la demande de paiement et le créancier ne pourra faire appel de cette décision. Il lui incombera de poursuivre le paiement selon la procédure contradictoire. Cette interdiction de refaire la procédure de l’injonction de payer est une restriction légale dérogatoire aux solutions de droit commun[65].

Si la demande l’injonction de payer est accueillie par le juge, elle sera susceptible d’appel de la part du débiteur. Le juge d’appel fera un nouvel examen de la demande, mais il le fera sous l’éclairage donné par le débiteur en présence du créancier. Les pouvoirs du juge d’appel ne se distinguent en rien des pouvoirs d’un juge d’appel dans une procédure de droit commun. Il peut ordonner des mesures d’instruction, mais il n’est pas tenu de le faire, c’est une simple faculté. Il ne le fera pas quand les éléments figurant dans le dossier sont suffisants pour lui permettre de se prononcer. Mais si ces éléments sont insuffisants, il devra ordonner toute mesure d’instruction utile sinon son jugement sera entaché d’une insuffisance de motif. Le juge d’appel ne peut jamais fonder le refus des mesures d’instruction sur cette circonstance que la contestation élevée est sérieuse. Son rôle est, en effet, de vider la contestation. En méconnaissant sa compétence, il viole la loi. L’arrêt du 25 mai 2005 est à cet effet exemplaire. Il a justement censuré la juridiction d’appel d’avoir méconnu l’étendue de sa juridiction.

Les précédentes remarques permettent d’expliquer l’embarras de la cour de cassation à retenir des motifs de cassation adéquats et non contradictoires.

Nous avons en effet vu que la cour invoque à la fois l’insuffisance des motifs et la violation de la loi. Le premier motif trouve une justification dans cette constatation que le juge d’appel devrait s’expliquer davantage en présence de la contestation qu’il n’a pas complètement vidée. Il fallait qu’il ordonne une mesure d’instruction. Dans cette situation le reproche  de violation de la loi n’a plus de sens. Si la cour de cassation s’est trouvée obliger de justifier la censure par la violation de la loi, c’est pour être en conformité par rapport à la prémisse qu’elle a posé selon laquelle en présence d’une contestation sérieuse la procédure de l’injonction de payer ne peut être poursuivie.

Juillet 2013




[1] Une série d’arrêts vont par contre dans un sens contraire lorsqu’il s’agit de recours exercé sur la base d’un effet de commerce qui a circulé par voie d’endossement. Par exemple, C. cass. n° 48925 du 14 janvier 1998, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 1998, II, p. 225.
[2] C. cass. n°38306.2009, inédit.
[3] C. cass n°11867, du 28 janvier 2002, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2002, I, p. 79.
[4] On remarquera à titre incident que l’injonction de payer est une procédure de recouvrement des créances contractuelles. Il en découle que les obligations naissant des déclarations unilatérales de volonté sont hors champ d’application de la procédure. Il en est de même des actions d’un tiers bénéficiaire fondées sur une stipulation pour autrui.
[5] C. cass n° 19826, du 8 janvier 2003, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2002, I, p. 132.
[6] C. cass n° 19826, du 8 janvier 2003, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2003, I, p. 134.
[7] C. cass. n° 24431, du 7 octobre 2003, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2004, I,p 136.
[8] C. cass n° 9156, du 25 mai 2005, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2005, I, p. 113.
[9] C. cass. n °12744, du 11 avril 2002, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2002, I, p. 83.
[10] Il s’agit dans l’arrêt n°11867 du 28 janvier 2002 (bulletin des arrêts de la cour de cassation 2002, I, p. 79) d’un débiteur qui conteste en appel l’injonction de payer ordonnée sur la base de deux chèques. Il se prévaut de la prescription de l’action en paiement et du dépassement du délai de présentation du chèque ; il ajoute avoir déposé une plainte contre le porteur du chèque qui s’est permis de compléter la date du chèque puis il l’a endossé à son profit après le décès du tireur.
[11] C. cass. n°24431, du 7 octobre 2003, précité.
[12] L’auteur du pourvoi ne cite pas l’article 21 alinéa 2 de la loi n°76-18 du 21 janvier 1976 portant codification de la législation des changes et du commerce extérieur régissant la Tunisie et les pays étrangers.
[13] C. cass n°18607 du 22 novembre 2002, précité.
[14] La nullité est justifiée au regard de l’article 269 du code de commerce fixant les énonciations obligatoires de la lettre de change. La signature de celui qui émet la lettre de change est une des exigences posées par ce texte. Une lettre de change ne comportant pas la signature ne vaut pas comme telle (C. cass. n° 27116 du 30 décembre 2003, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2003, II, p). 301. Mais la traite vaut comme reconnaissance de dette du tiré. Voir dans la jurisprudence française : CA Paris, 10 janv. 1967, RTD com. 1967. 207, obs. J. Becqué et M. Cabrillac ; V. aussi Cass. com. 10 févr. 1971, Bull. civ. IV, no 42, RTD com. 1972. 126, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange. Cass. com., 11 juill. 1988, Bulletin 1988 IV N° 239 p. 164.
[15] C. Cass. n°62011 du 1é février 1999, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 1999, I, p. 72.
[16] Ce qui sera nul dans cette dernière espèce est l’injonction de payer elle-même et non le titre de créance.
[17] Les arrêts que nous commentons mettent en conflit le tireur et le tiré. La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts où le porteur de la lettre de change, souvent un banquier, a reçu la lettre de change par voie d’endossement. La Cour de cassation rejette les contestations tirées du rapport fondamental.
[18] Des fois le débiteur conteste la régularité de la procédure d’injonction de payer qui n’a pas été précédée d’une sommation de payer conforme au formalisme de l’article 60 CPCC (C. cass n° 8883 du 30 mai 2005, Bulletin des arrêts de la cour de cassation, 2005, I, p, 191.) ou que le créancier a dressé un protêt hors délai (….) ou dans un domicile différent du domicile contractuel (C. cass n°26536 du 30 décembre 2003, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2003, 1, p. 145). Ces deux dernières contestations n’ont pas été jugées suffisantes pour entraîner une remise en cause de l’injonction de payer.
[19] Dans un autre cas, le débiteur soutient que le porteur de la lettre a reçu par un endossement postérieur à la date d’échéance ce dont il résulte les effets d’une cession civile et qu’il n’a pas reçu livraison des marchandises vendues. C. Cass. n°50890, du 24 février 1998, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 1998, 2, p. 232.
[20] C. cass n° 8883, du 30 mai 2005, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2005, p, 191. Le débiteur affirme être lié au tireur par un compte courant qu’il faudra clôturer avant de demander paiement.
[21] C. cass n°19826 du 8 janvier 2003, Bulletin des arrêts de la cour de cassation p. 132. Dans cette espèce, le débiteur affirme avoir payé les billets à ordre objet de l’injonction de payer. Il produit à l’appui de sa prétention un état, émanant du créancier, sur les paiements reçus couvrant tout aussi bien les billets à ordre en question que d’autres opérations.
[22] C. cass. n°24431 du 7 octobre 2003, précité. Le débiteur soutient que les effets sont créés en rémunération de services d’intermédiation dans des opérations d’exportation de véhicules industriels, or dans la réalité, l’exportation n’a porté que sur un nombre inférieur et la commission y afférente a été payée tel que cela a été reconnu par le créancier dans une correspondance adressée par téléfax.
[23] C. cass n°9156 du 25 mai 2005, Bulletin des arrêts de la cour de cassation I, p. 113. Le débiteur soutient dans cette espèce que les lettres de change sont créées dans le cadre d’une opération de vente d’une grue mais le vendeur n’a pas rempli ses obligations de garantie et il n’a pas installé la grue dans le site aménagé pour la recevoir ; il s’estime en conséquence autorisé à ne pas payer la valeur des effets. Le débiteur donne à sa contestation une portée générale mais en réalité seul le retard du créancier à exécuter son obligation est sérieusement mis en cause.
[24] Le débiteur invoque accessoirement la disparition de la personnalité morale de la société du fait de la « décision liquidation ». En pure logique, l’argument doit être placé le premier et aurait conduit à la nullité de l’injonction de payer et non à la nullité de l’obligation.
[25] C. cass n°8043 du 8 janvier 2007, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2007, p. 128.
[26] Il s’agit d’une injonction de payer fondée sur des factures adossées sur des bons de livraisons ; le débiteur condamné conteste avoir signé les factures et les bons de livraison
[27] C. cass n° 8400 du 28 mai 2006, Bulletin des arrêts de la cour de cassation p. 1.
[28] Les juges de fond ont tranché la contestation en droit. Les pourvois en cassation sont rejetés. La cour de cassation approuve les juges de fond pour avoir bien appliqué la loi. Peu importe pour nous de savoir si ce rejet est critiquable ou non en droit. Notre seule remarque pour les besoins de l’analyse que nous faisons de la jurisprudence de la cour de cassation, est de souligner que la cour ne dénie pas aux juges d’appel le pouvoir de trancher la contestation élevée par le débiteur pour se dérober à la condamnation.
[29] C. Appel, Tunis, n°76286 du 11 décembre 2008 critiqué devant la cour de cassation dans son arrêt du …. .
[30] C. Appel, Tunis, n°81159 du 23 avril 2004 critiqué devant la cour de cassation dans son arrêt du …. Il faut avouer que la rédaction des chefs de pourvoi en cassation n’est pas toujours réussie par les avocats. Souvent, ils sont présentés pèle mêle sans aucun ordre et sans précision. Ainsi dans le pourvoi jugé par l’arrêt du 8 janvier 2003, le pourvoyant reproche à la cour d’appel dans un moyen unique la dénaturation des faits, le défaut de motivation et la mauvaise application des articles 420 et 421 du code des obligations et des contrats et l’article 275 du code de commerce. Nulle mention n’est donc faite de l’article 59 CPCC.
[31] C. cass n°24431 du 7 octobre 2003, précité.
[32] C. cass n°18607 du 22 novembre 2002, précité.
[33] Ce qui sera nul dans cette dernière espèce est l’injonction de payer elle-même et non le titre de créance.
[34] On peut être critique envers la Cour de cassation lorsqu’elle estime que l’obligation cambiaire entre résidents est valablement contractée lorsque la lettre de change précise un montant à payer en franc ou son équivalent en dinar. L’alinéa 1er de l’article 21 du code des changes énonce expressément que les obligations monétaires entre résidents doivent être libellées en dinars tant en monnaie de paiement qu’en monnaie de compte. De même on peut être critique envers la solution retenue par la cour de cassation qui a censuré l’arrêt d’appel en ce qu’il a soulevé d’office la nullité de la lettre de change non signée par le tireur.
[35] C. cass n°1926, du 11 octobre 2006 Bulletin des arrêts de la cour de cassation
[36] C. cass n°73428 du 23 décembre 1999, Bulletin des arrêts de la cour de cassation p. 77
[37] Arrêt du 8 janvier 2007, p. 128.
[39] Arrêt 8400 du 28 mars 2008, précité.
[40] La cour de cassation ne vise pas l’art. 229 C.P.C.C.
[41] C. cass n°62011 du 12 février 1999, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 1999, I, p. 72.
[42] En revanche une créance indemnitaire, déterminée au moyen d’une clause pénale, peut faire l’objet d’une injonction de payer sous réserve de vérifier le caractère certain de la faute génératrice de dommage.
[43] C. cass n°36642 du 27 juillet 1995, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 1995, I, p. 356.
[44] Art. 682 C.O.C.
[45] Art. 683 C.O.C.
[46] C. cass n°73428 du 23 décembre 1999, Bulletin des arrêts de la cour de cassation, p. 77.
[47] Certains sont tentés d’entretenir la confusion en raisonnant à propos des cas où la somme demandée est indéterminée, par exemple une créance de réparation d’un préjudice corporel, et qu’elle a besoin d’être chiffrée par le tribunal. On assimile ainsi une créance déterminable à une créance indéterminée alors qu’en droit elle doit l’assimiler à une créance déterminée. C’est pourquoi une vente moyennant un prix déterminable est valide alors que si l’on assimile à un prix indéterminable, la vente sera nulle.
[48] Arrêt 8043 du 8 janvier 2007.
[49] Jean Carbonnier, T.4, 21e éd., n° 343 b.
[50] ….
[51] C. cass n°18067 du 22 novembre 2002, précité.
[52] Le pourvoi n’emploie pas l’expression « le tiré ».
[53] La Cour de cassation s’exprime maladroitement en disant littéralement tant que la défenderesse reconnaît avoir créée la lettre de change ».
[54]  Art. 328 C.O.C. « l’obligation est nulle comme telle mais qui a les conditions de validité d’une autre obligation légitime, doit être régie par les règles établies pour cette obligation ».
[55] C. cass n°8043 du 8 janvier 2007, précité.
[56] Art. 11 al. 1 C.C.
[57] C. cass n°17941 du 9 novembre 1988, Bulletin des arrêts de la cour de cassation vol. 1, 1988, p. 167.
[58] Farouk Mechri, La procédure de l’injonction de payer en Tunisie, RTD 1974, p. 11 et s.
[59] Raouf Najjar, L’appel de l’injonction de payer, in Actes de colloque « L’appel » du 18 au 20 mai 1989, éd. Faculté de droit et des sciences politique de Tunis, Tunis 1993, p. 81.
[60] C. cass n°11867, du 28 janvier 2002, précité.
[61] C. cass n°19826 du 8 janvier 2003, précité.
[62] C. cass n°8400 du 28 mai 2006, précité.
[63] C. cass n°8043 du 8 janvier 2007,  précité.
[64] C. cass n°9156 du 25 mai 2005, précité.
[65] Le rejet d’une demande par le juge à la suite d’une procédure contradictoire n’empêche le créancier d’agir une seconde fois. Les jugements de rejet ne tranchent pas une contestation et ne sont pas revêtus de l’autorité de la chose jugée.