mercredi 30 mars 2016

Réduction de capital par remboursement des apports Le droit de partage est-il vraiment dû ?

Réduction de capital par remboursement des apports Le droit de partage est-il vraiment dû ?


Problématique. Une société anonyme peut décider de réduire son capital dans l’objectif d’absorber les pertes qu’elle a subies ou, en dehors de toute perte, afin de restituer aux actionnaires leurs apports ou abandonner des actions souscrites par eux et non libérées. La réduction de capital peut également être décidée pour doter le fonds de réserve légale (art. 308 C.S.C) Nous nous attachons dans cette chronique à la figure de réduction de capital non motivée par des pertes dans laquelle la société restitue aux actionnaires leurs apports. Cette restitution peut se faire par versements en espèce ou par transfert de la propriété d’un bien. Il s’agit de savoir quels sont les droits d’enregistrement dus à l’occasion d’une telle opération.

La doctrine fiscale. Dans une note commune n°2/2005[1], l’Administration fiscale a commenté les dispositions de l’article 58 de la loi n°2004-90 du 31 décembre 2004 portant loi des finances pour l’année 2005 modifiant le tarif n°19 de l’article 20 du Code des droits de l’enregistrement et de timbre. Il y est prévu que « la réduction de capital des sociétés qui ne contient pas d’obligation, libération ou transmission de biens meubles ou immeubles entre les associés, membres ou autres personnes est soumise au droit fixe de 100 dinars[2] [par acte] au titre de chaque opération. »
Ce droit fixe trouve application notamment en cas de réduction de capital avec absorption de pertes ou encore réduction de capital consécutive au rachat de la société de ses propres titres (comme en cas de défaut d’agrément d’une cession d’actions à un tiers (art. 321 CSC) ou dans le cadre d’un programme d’achat d’actions (art. 88 de la loi du 14 novembre 1994, portant réorganisation du marché financier)). Le même droit fixe s’applique également quand la réduction de capital est destinée à doter le fonds de réserve légale.

La réduction de capital en l’absence de perte, donnant lieu au remboursement d’apports, peu importe qu’il soit en espèce ou par l’attribution d’un élément d’actif, ne rentre pas dans le champ d’application de ce tarif d’où la difficulté d’interprétation.

La note commune précitée résout la difficulté dans les termes suivants : ‘’les opérations de réduction de capital comportant une mutation ou un partage même partiel d’actif, demeurent soumises au droit proportionnel variable selon qu’il s’agit de bien non fongible apporté par un associé ou d’un acquêt social. Dans le premier cas, il peut y avoir perception du droit de 5% sur les mutations des immeubles et droits immobiliers, de 2,5% sur les mutations de fonds de commerce et 0,5% sur les partages d’acquêts sociaux et des autres biens meubles.’’

Certains termes employés par la note commune nécessitent qu’ils soient expliqués à nos lecteurs.
Ainsi, les biens fongibles sont ceux qui, étant “de même quantité et qualité’’ ou “de même espèce et qualité’’, peuvent se substituer entre eux pour le paiement (art. 258 COC). La fongibilité traduit ainsi "un rapport d'équivalence entre deux choses en vertu duquel l'une peut remplir la même fonction libératoire que l'autre" (Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 3, par Picard, Les biens : LGDJ 1952, n° 58). Les sommes d’argent sont l’archétype des choses fongibles. Ils s’opposent aux biens non fongibles, individualisés et non interchangeables. Les immeubles et droits immobiliers, et le fonds de commerce sont par exemple des biens non fongibles.

L’expression ‘’acquêt social’’ désigne, en droit fiscal, les apports en société de choses fongibles, les biens non fongibles ayant fait l’objet d’un apport à titre onéreux et les biens acquis ou créés par la société en cours de son existence, y compris les plus-values résultant, pour les apports des associés, de constructions, améliorations et dépenses faites sur ces biens par la société ou encore de l’exploitation sociale.

En application de la note commune, nous aurons ainsi les droits d'enregistrement suivants :
-          droit de mutation proportionnel de 5% en cas de réduction de capital par attribution à l’un des associés d’un bien immeuble ou d’un droit réel immobilier apporté par un autre associé ;
-          droit de mutation proportionnel de 2,5% en cas de réduction de capital par attribution à l’un des associés d’un fonds de commerce apporté par un autre associé ;
-          droit de partage de 0,5% en cas de réduction de capital par versement aux associés de sommes d’argent ou par attribution aux associés d’actifs quelconques acquis ou créés par la société en cours de vie sociale ;
-          aucun droit mutation ou droit de mutation en cas de réduction de capital par attribution à l’associé rapporteur le bien apporté, sauf le problème de la soulte et de la plus-value.

On relève de ce qui précède que la note commune n°2/2005 fait référence, d’une part à la théorie de la mutation conditionnelle en cas de partage d’actifs après liquidation de la société et assimile, d’autre part la réduction de capital par attribution d’actifs à une opération de liquidation de société.

La théorie de la mutation conditionnelle. Elle remonte à l’Ancien Régime français, à une époque où les auteurs considéraient que l’apport en nature n’était pas entièrement translatif de propriété dès lors que la société était considérée comme recevant l’exploitation du bien apporté avant de retourner dans le patrimoine de l’apporteur lors de sa dissolution. Cette doctrine, combattue par la majorité des auteurs, a été admise par la Cour de cassation française (Cass., ch. réunies, 6 juin 1842, S. 1842. 1. 484. – 22 déc. 1904, DP 1905. 1. 209). « Les apports purs et simples de corps certains n’opèrent mutation, en droit fiscal, que sous la condition suspensive que l’objet apporté ne sera pas repris par l’apporteur lui-même lors de la dissolution de la société. Si l’associé reprend, au moment du partage, les corps certains dont il a fait apport, il doit être réputé n’avoir jamais cessé d’en être propriétaire, au point de vue fiscal. Par suite, l’attribution de ces biens à l’apporteur ne donne pas ouverture du droit de partage ou au droit de mutation, dès lors que la condition ne s’est pas réalisée. » (Guy Laval, Droits d’enregistrement perçus lors du partage d’une société, Juriscalsseur Enregistrement, Traité, Fasc. 100, n°55) Si le bien a été attribué à un associé autre que le rapporteur, le droit de mutation devient exigible lors du partage de la société sans cumul avec le droit de partage.

La théorie de mutation conditionnelle des apports n’a pas reçu une consécration législative dans le Code des droits de l’enregistrement et de timbre. Elle a la valeur d’une simple doctrine fiscale (Habib Ayadi, Les droits d’enregistrement et de timbre et leur contentieux, CPU 2008, p. 299 et s.) Il n’existe pas de jurisprudence tunisienne publiée pour savoir si elle est ou non reçue par les tribunaux. On mentionnera toutefois que le Code des sociétés commerciales prévoit à l’article 46 in fine que « lorsque la liquidation résulte de la dissolution de la société, les associés peuvent, après le paiement de tous les créanciers, reprendre les biens meubles ou immeubles objet de leurs apports, sauf stipulation contraire des statuts ». Cette disposition est apparemment une consécration implicite de la théorie de la mutation conditionnelle des apports.

L’assimilation d’une réduction de capital à un partage. Nous avons précédemment vu que la note commune 2/2005 assimile la réduction du capital d’une société moyennant attribution d’acquêts sociaux à un partage pour la soumettre au droit de partage au taux de 0,5%. Pour justifier cette assimilation, la note commune emploie l’expression de « partage partiel d'actif ».

Cette même assimilation avait prévalu en droit français jusqu’à un revirement de la jurisprudence opéré par un arrêt de principe en date du 23 septembre 2008. Dans cette affaire, la société Cidinvest avait procédé à deux réductions successives de son capital social (non motivées par des pertes) par diminution de la valeur nominale des titres. À l’issue de ces opérations, les associés avaient reçu un remboursement corrélatif du montant de cette réduction. L’administration fiscale avait qualifié de partage lesdites opérations et les a taxées comme telles aux droits d’enregistrement prévus pour le partage. Le principal associé exposé à un refus d’enregistrement acquitta la totalité des droits d’enregistrement demandés, puis réclama la restitution par voie gracieuse puis contentieuse en se prétendant non redevable du droit de partage faute de partage.

La Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt (22 déc. 2006, La revue fiscale du patrimoine, n°7-8, Juillet 2007, étude 16, note Renaud Mortier ; Droit fiscal, 30-35, 26 juillet 2007, comm. 788, Gauthier Blanluet ; JCP E n°31, 2 août 2007, 1999, note Reginald Legenre, RTD Com. 2006, p. 691, note Gauthier Blanluet) infirmatif d’un jugement de premier degré défavorable à la demande de remboursement. La Cour d’appel énonce que « (…) pour être soumis au droit d’enregistrement de l’art. 746 CGI l’acte contenant la réduction de capital d’une société doit être analysé en un acte de partage de biens ; que le CGI ne comportant pas de définition autonome de partage de l’actif social, il convient, (…), de se référer, en cette matière aux dispositions de l’art. 1884-4 du Code civil ; que le partage de l’actif social visé par cet article et auquel s’appliquent les règles du partage des successions ne peut avoir lieu qu’après la clôture de la liquidation de la société, c’est-à-dire lorsque la société n’existe plus. »

L’Administration fiscale a élevé un pourvoi en cassation qui a donné lieu à un arrêt de rejet (Cass. com., 23 sept. 2008, JCP N n°41, 10 oct. 2008, act. 665, Eric Meier et Régis Torlet ; RTD com., 2008, p. 802, note Paul Le Cannu et Bruno Dondero ; La revue fiscale du patrimoine n°11, Nov. 2008, étude 19, Renaud Mortier ; Droit fiscal n°49, 4 déc. 2008, comm. 608 Gauthier Blanluet). Selon la Cour de cassation, « les associés n’ont pas entendu liquider la société dont la personnalité morale n’a pas été atteinte et (…) les décisions de réduction de capital mettent à la charge de la société directement envers chacun des associés une dette par part détenue » La Cour de cassation rejette l’argument de l’administration fiscale selon lequel « les conditions du partage sont réunies du fait de l’existence de l’indivision au moins un temps de raison entre chacun des associés sur la masse indivise des fonds sociaux correspondant à la fraction réduite du capital suivie de la répartition individuelle et privative entre les associés de ces mêmes fonds devenus disponibles ».

Ainsi, selon la Haute juridiction, toute répartition de valeurs sociales entre les associés qui laisse subsister la personne morale n’est pas un partage. Le partage suppose, en effet, que la société ait été préalablement liquidée. Ce n’est que lorsque la liquidation est terminée, que la société n’existe plus en tant qu’être moral et qu’il lui succède un état d’indivision entre les associés, que le partage peut intervenir. Il consiste alors à mettre fin à cet état d’indivision en attribuant à chaque associé un droit exclusif sur certains biens en échange des droits indivis qu’il possédait sur l’ensemble du fonds social. Cette même analyse peut prospérer en Tunisie.

L'opération de réduction de capital par remboursement d'apports est par conséquent soumise au droit fixe du tarif n°22 de l'article 23 du Code des droits de l'enregistrement, soit 20 dinars par page. Les associés qui auront acquitté les droits de partage, voire même un droit de mutation, peuvent agir en justice pour demander restitution des droits indûment payés.

Sami Frikha




[2] Le droit fixe est porté à 150 dinars par acte en vertu de la loi de finance pour l’exercice 2013.