samedi 2 août 2014

Les principaux contrats des banques islamiques


Nous nous proposons dans cette communication de vous présenter les principaux contrats des banques islamiques, tels qu’ils peuvent se pratiquer en Tunisie[1].
Il faudra tout d’abord s’entendre sur le concept de « banque islamique » et sa distinction avec le concept de « banque conventionnelle ». Certains seraient amenés à critiquer l’usage de ce qualificatif d’islamique qui pourrait caractériser un genre spécifique de banques, et conduire, par un raisonnement a contrario, à considérer les banques conventionnelles comme des banques non-islamiques ; ce qui sera compris, dans un pays musulman, comme une sorte d’excommunications de ces banques.
Il faut dire que nous employons l’expression banque islamique par commodité de langage et sans parti pris sur la non-conformité de la pratique des banques3 conventionnelles au droit musulman (chariaa). Pour ce qui nous concerne, une banque est dite islamique lorsqu’elle accomplit des activités financières sans recourir à l’intérêt.[2] Pour éviter toute polémique faudra-il, peut-être, utiliser une expression plus neutre et plus descriptive de la caractéristique de ces banques : plutôt que de parler de banque islamique, on peut employer l’expression de banque sans intérêt ou banque participative[3].
Au-delà de cet aspect terminologique, la question se pose de savoir comment une banque  islamique peut s’incorporer dans un système de droit positif, c’est-à-dire dans un Etat qui ne reconnaît de juridique que le droit posé par lui.
Trois questions nous paraissent retenir l’attention d’un juriste lorsqu’il analyse l’insertion d’une banque islamique dans un Etat de droit positif[4].
Tout d’abord, il faut se poser la question de la régulation de l’activité de ces banques. Par exemple, la création d’une banque islamique correspond-elle à la définition d’une banque au sens qu’en donne la loi du 10 juillet 2001 relative aux établissements de crédit ? D’une manière plus spécifique, on peut se demander si cette loi[5] et ses textes d’application[6], peuvent s’appliquer à une banque islamique. Est-ce qu’il faut faire des aménagements légaux et réglementaires pour tenir compte de la spécificité de ce genre de banque, notamment pour établir, d’une part, une égalité d’accès au marché entre les banques islamiques et les banques conventionnelles et, d’autre part, pour permettre une sécurisation de leur fonctionnement ?
Ensuite, il faudra se poser la question des aspects contractuels dans les rapports entre la banque et ses clients. Nous réfléchirons à la question dans la seule hypothèse du droit interne. Le contrat de banque nous le comprenons ici dans un sens large. Il désigne à la fois le contrat par lequel une banque se procure des ressources monétaires auprès de sa clientèle et le contrat par lequel elle fait bénéficier ses clients des ressources dont elle a la libre disposition. Comment un contrat de banque islamique peut être conclu et exécuté dans les rapports entre contractants ? Est-ce qu’un contrat de banque islamique est un contrat nommé et par voie de conséquence soumis à un moule juridique connu par le droit positif ? Ou est-ce qu’il est un contrat innommé qui n’a de valeur juridique que s’il ne porte pas atteinte à l’ordre public (entendu au sens général) ? Dans un tel cas, comment le juge (ou l’arbitre) peut et doit valider et interpréter un contrat de banque islamique inconnu du droit positif ?
Enfin, il est utile de se pencher sur la question de la fiscalité des opérations de banque islamique, qu’il s’agisse de l’impôt direct (impôt sur les sociétés puisque l’on suppose qu’une banque islamique doit être constituée sous forme de société anonyme) ou des impôts indirects (notamment la TVA et les droits d’enregistrement). La fiscalité de ces banques est-elle neutre par rapport à la fiscalité des banques conventionnelles ? Comment être certain que la concurrence entre les deux catégories de banque ne soit pas faussée par les règles de droit fiscal ?
Dans l’absolu, deux solutions peuvent exister :
-          un système juridique où toutes les banques doivent être des banques islamiques. Dans une telle hypothèse, la législation d’un Etat est par définition adaptée à ce mode d’exercice des activités bancaires.

-          Un système juridique où coexistent des banques conventionnelles et des banques islamiques[7]. Dans cette hypothèse, les choses se compliquent lorsque le droit positif n’est adapté qu’à un certain mode d’exercice, c’est-à-dire dans le cas où il n’y a pas de dualité de règles les une dédiées aux banques conventionnelles, les autres aux banques islamiques. Il arrive, en effet, qu’à un moment donné, surtout le moment des premières expériences d’implantation des banques islamiques, la législation d’un Etat ne s’intéresse qu’à l’exercice conventionnel de l’activité. Cela ne veut pas dire pour autant que cette législation s’oppose à l’exercice non-conventionnel de l’activité. Plutôt elle s’en désintéresse, ou mieux elle l’ignore comme un phénomène juridique spécifique. La banque islamique existera comme un phénomène économique et social qui ne vit certainement pas dans un vide juridique, car sa régulation, au sens général, se fera par le droit commun[8] et par l’autorégulation[9].
Le droit positif tunisien consacre le principe de la liberté contractuelle. Ce principe est posé à l’article 62 du Code des obligations et des contrats qui dispose que « sont dans le commerce toutes les choses au sujet desquelles la loi ne défend pas expressément de contracter ». Il faudra donc une loi spéciale pour interdire une obligation contractuelle. Forts de ce principe, les acteurs économiques peuvent conclure tout contrat qu’ils jugent utile à leur activité.

Lorsqu’un contrat reçoit une régulation particulière, législative[10], il est dit contrat nommé. Dans ce cas, la loi détermine son régime juridique tant de point de vue de sa formation que de point de vue de ses effets. Les dispositions légales régissant les conditions de formation d’un contrat sont nécessairement impératives, car elles conditionnent la naissance même d’une obligation. Par contre, les dispositions légales régissant ses effets peuvent, selon le cas, être impératives ou supplétives de volonté. Il peut exister des difficultés à déterminer le caractère impératif d’une règle de droit.

Lorsqu’un contrat ne reçoit pas une régulation particulière, il est dit contrat innommé[11]. Dans ce cas, le contrat est valable et produit les effets recherchés par les parties en vertu des principes de la liberté contractuelle et de la force obligatoire du contrat.[12] Se posent certes des difficultés pour déterminer le contenu d’un tel contrat, mais le législateur a donné des directives pour combler les lacunes éventuelles du contrat. Outre la recherche de la volonté commune des parties[13], le juge peut déterminer un contenu objectif au contrat. Il est en effet dit à l’article 243 du Code des obligations et des contrats que « tout engagement doit être exécuté de bonne foi, et oblige, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa nature ».

Les frontières entre la catégorie des contrats nommés et celle des contrats innommés n’est jamais stable, car le droit positif évolue dans le temps[14]. Un contrat nommé peut disparaître de l’ordre positif ; généralement, cette disparition ne s’accompagne pas seulement d’une dérégulation mais plus fondamentalement d’une interdiction du contrat. Si le législateur abroge un corps de règles anciennes qui régissent un contrat nommé, ce n’est pas tant pour revenir à un système de liberté contractuelle, mais pour instituer, d’une manière impérative, une interdiction de recourir à ce contrat. Notre Code des obligations et des contrats, ancien de plus de cent ans[15], a connu un tel phénomène[16].

Inversement, un contrat innommé peut devenir un contrat nommé. On dira qu’il est reçu par le législateur. L’intervention du législateur est généralement motivée par des considérations de politique sociale et économique. La liberté contractuelle totale cède alors la place à la régulation. Notre droit positif a connu ce genre de phénomène[17]. Le législateur peut s’arrêter à mi-chemin où tout en reconnaissant l’existence pratique d’un contrat, il ne le réglemente pas dans tous ses aspects[18].

Tout chercheur qui veut étudier comment les contrats de banque islamique s’insèrent dans un Etat à droit positif ne s’écarte pas de sa démarche générale dans l’étude de tout contrat. Le premier travail est d’identifier le contrat, le qualifier pour savoir s’il est de la catégorie des contrats nommés ou de la catégorie des contrats innommés. Si le contrat est rangé dans la catégorie des contrats nommés, son insertion dans le système positif sera certainement facilitée, car il y a lieu de lui appliquer les règles du droit positif qu’elles émanent de la loi formelle ou de la jurisprudence. Si en revanche le contrat est innommé, la difficulté sera plus sérieuse, car se posera la question de la médiation de l’article 243 du Code des obligations et des contrats qui renvoie, quant à son exécution, à l’usage à l’équité et à la nature des choses, c’est-à-dire à la raison.

La difficulté, dans le cas qui nous intéresse, provient du fait que les contrats de banque islamique ne sont pas établis par rapport aux seuls référentiels du droit positif mais aussi du droit musulman qui pose ses propres contraintes, ses propres exigences et limites à la liberté contractuelle.

Si l’on veut modéliser les difficultés de ce dédoublement des référentiels normatifs on peut les ramener à une cause première : le droit musulman n’est pas un droit positif, il n’est pas également en Tunisie, contrairement à la législation de certains Etats arabes, une source accessoire du droit positif. Certes le droit musulman a pu être, pour certaines disciplines par une partie de la jurisprudence[19], même en droit des obligations[20], une source matérielle du droit positif[21], mais le phénomène de codification a créé une sorte de frontière entre le droit positif et le droit musulman. Que faire si une norme de droit positif est contredite par une norme de droit musulman ? Que faire en cas de lacune ? Doit-on la combler par référence au droit musulman ? Comment le faire alors que l’article 243 du Code des obligations et des contrats ne renvoie pour combler les lacunes d’un contrat qu’à la loi (entendu droit positif), l’usage et à la nature des choses[22] ? Doit-on pour le faire, encore qu’il faille une clause expresse, considérer que le droit musulman s’incorpore au contrat ? Pouvons-nous le faire alors que le droit musulman ne renvoie pas à un système unitaire mais à des principes appliqués différemment selon les rites[23] ?
On saisira la portée de cette discussion à la lumière de l’étude des principaux contrats des banques islamiques. On peut tenter un exercice juridique : ramener le contrat à une norme de droit positif et exclusivement à cette norme[24].

Les expressions ‘’banque’’ et ‘’établissement de crédit’’ et ‘’établissement financier’’ sont des expressions juridiquement protégées[25]. Leur emploi par une entreprise n’est possible que si elle exerce l’activité bancaire telle que définie par la loi et d’une manière conforme. Le droit tunisien n’emploie guère l’expression de banque islamique et encore moins banque conventionnelle. Il ne reconnaît que les concepts établissement de crédit, banque et établissement financier. Selon l’article 2 de la loi n°2001-65 du 10 juillet 2001, relative aux établissements de crédit, « est considérée comme établissement de crédit, toute personne morale qui exerce, à titre professionnel, les opérations bancaires.

Les opérations bancaires comprennent :

- la réception des dépôts du public quelles qu'en soient la durée et la forme,
- l'octroi de crédits sous toutes leurs formes,
- l'exercice, à titre d'intermédiaire, des opérations de change,
- la mise à la disposition de la clientèle et la gestion des moyens de paiement.

L'établissement de crédit peut aussi effectuer les opérations liées à son activité telles que le conseil et l'assistance en matière de gestion de patrimoine, de  gestion financière, d'ingénierie financière et d'une manière générale tous les services destinés à faciliter la création, le développement et la restructuration des entreprises. L'établissement de crédit peut, sous certaines conditions, prendre des participations au capital d'entreprises existantes ou en création. » La loi distingue ainsi les activités principales de banque, les activités connexes et les activités extra-bancaires[26]. Pour les besoins de l’analyse qui nous intéresse, nous nous arrêtons, au niveau des opérations de « réception de dépôt » et celle d’ « octroi de crédit ».

Selon l’article 3 de la loi de 2001, « sont considérés comme dépôts reçus du public au sens de la loi, les fonds que toute personne recueille d'un tiers à titre de dépôt ou autrement avec le droit d'en disposer pour les besoins de l'exercice de son activité professionnelle, mais à charge pour elle de les restituer à leurs titulaires. » La réception des fonds implique une remise de monnaie. L’opération au terme de laquelle les fonds sont remis à la banque ne se limite pas au dépôt. Les fonds peuvent être reçus par la banque autrement qu’à titre de dépôt. Comme toute banque conventionnelle, la banque islamique reçoit certainement des fonds du public à titre de dépôt. Mais la banque a la particularité de ne pouvoir rémunérer les fonds reçus que s’ils lui sont remis à titre participatif. Cette remise est parfaitement conforme à l’article 3 qui ne donne pas au contrat de dépôt une exclusivité dans la mobilisation de l’épargne. Les fonds participatifs reçus par la banque islamique sont librement employés par elle pour l’exercice de son activité professionnelle. La difficulté provient cependant du fait que la banque ne se charge de restituer les fonds que dans la mesure où il n’y a pas de pertes.

Selon l’article 4 de la loi, « constitue une opération de crédit au sens de la loi, tout acte par lequel une personne, agissant à titre onéreux, met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement ou toute autre garantie. Sont réputées des opérations de crédit, les opérations de leasing et d'affacturage ». Le même article finit par préciser que « ces dispositions ne sont pas applicables aux crédits consentis par les entreprises commerciales à leurs clients pour fournitures ou prestations de services, ainsi que les prêts des maisons mères en faveur de leurs filiales. » Le texte légal définit le crédit par la remise de fonds à la disposition d’une autre personne. Il vise visiblement les opérations d’avance de fonds, les prêts de sommes d’argent. Les auteurs ayant eu l’occasion de commenter la même définition employée en droit français ont remarqué qu’elle ne cadre pas exactement avec les opérations d’escompte, qui s’analysent en droit comme une opération d’achat de créance. Les remises de fonds consenties le banquier au présentateur de l’effet, n’est pas faite au titre d’une avance de fonds mais au titre de transfert de la créance[27]. Le crédit se reconnaît à la présence de trois critères : le facteur avantage, le facteur temps et le facteur risque[28]. C’est ce qui a permis au législateur d’énoncer que « les opérations de leasing sont réputées des opérations de crédit ». Appliquées au cas d’une banque islamique, les opérations de leasing et plus généralement les opérations de location assorties d’une option d’achat sont réputées des opérations de banque.

La difficulté d’interprétation provient de l’énoncé de l’alinéa dernier de l’article 4 selon lequel les dispositions de la loi « ne sont pas applicables aux crédits consentis par les entreprises commerciales à leurs clients pour fournitures ou prestations de services ». La banque islamique se comporte souvent comme une entreprise commerciale qui effectue des fournitures à ses clients, à crédit. Une telle fourniture n’est pas considérée comme une opération de banque.

En réalité, cette exclusion légale doit être interprétée a contrario lorsqu’elle est appliquée au cas d’une banque islamique. Si ce n’est cette disposition expresse de la loi, le crédit accordé par les fournisseurs de biens serait constitutif d’une opération de banque. Or justement, la banque islamique n’est pas une entreprise commerciale qui vend des biens spécifiques à crédit mais une entreprise commerciale qui vend toute sorte de biens à crédit. Contrairement à l’entreprise commerciale qui opère par définition dans un secteur d’activité déterminé[29], (par exemple distribution des chaussures, produits informatiques…), la banque islamique est une entreprise commerciale universelle[30]. Elle achète en vue de la revente tous les produits, mais elle opère dans un secteur déterminé celui du crédit.

Nous distinguons dans les développements qui suivent les opérations de réception des fonds du public (Section première) et les opérations de financement (Section deuxième) opérées par une banque islamique.

Section 1 : La réception des fonds du public par une banque islamique

La banque islamique reçoit des fonds des tiers. Généralement, le contrat la liant au client est soit un contrat de dépôt (§1) soit un contrat de dépôt participatif (§2). Le premier contrat est codifié dans le Code des obligations et des contrats. Le deuxième pose un problème de qualification. Récemment, le législateur a introduit une nouvelle institution, développée par les praticiens de la finance islamique. Il s’agit de la loi n°2013-30 du 30 juillet 2013, relative aux sukuk islamiques. Il s’agit de titres, négociables, considérés comme des valeurs mobilières. Même s’ils peuvent être émis par l’Etat, les établissements, les entreprises publiques, les collectivités publiques locales, les entreprises du secteur privé, ils seront vraisemblablement plus utilisés par les banques pour drainer l’épargne (§3).

§ 1 Le contrat de dépôt stricto sensu

Dans une banque conventionnelle, les fonds reçus de la clientèle le sont toujours dans le cadre d’un dépôt à vue ou à terme. La banque contracte une obligation de restitution[31]. Son obligation est de résultat et le client ne court, juridiquement, aucun aléa de perte.

Une banque islamique reçoit des dépôts à vue de sa clientèle de la même manière qu’une banque conventionnelle. Cela lui permettrait de leur fournir des services de caisse. Elle agit alors en qualité de mandataire pour effectuer paiement ou pour recevoir paiement. La banque contracte une obligation de résultat pour restituer le solde disponible.

Cette ressemblance avec les banques conventionnelles a des limites justifiées par l’exclusion du jeu des intérêts dans une banque islamique[32].

Tout d’abord, le contrat de compte d’une banque islamique prévoit qu’aucune possibilité de découvert ou facilité de caisse n’est possible[33]. Le titulaire du compte ne doit émettre des titres de paiement sur le compte que dans la limite du solde disponible. La banque est donc justifiée à rejeter pour insuffisance de provision tous les ordres de paiement émis par le titulaire. Il est évident que l’interdiction des intérêts ne s’étend pas aux commissions pour services rendus.

Ensuite, les comptes ne peuvent servir des intérêts créditeurs au profit de la clientèle[34].

Enfin, la pratique des jours de valeur devient sans objet dans une banque islamique. A supposer que cette pratique soit valable en droit tunisien, ce qui reste douteux[35], les dates de valeur n’ont d’intérêt pratique que pour le calcul des intérêts liés à la position débitrice d’un compte[36]. Or nous avons vu que les comptes en banque islamique ne peuvent être en aucun cas débiteurs et s’ils l’ont été les intérêts ne courent pas[37].

§ 2 Les dépôts participatifs

Les dépôts à terme dans une banque conventionnelle peuvent être rémunérés par des intérêts fixes ou variables. Ils sont alors des prêts donnés à la banque. Une banque islamique ne peut pas emprunter en payant des intérêts. Il faudra mettre un autre instrument de mobilisation de l’épargne.

La pratique des affaires dans les banques islamiques distingue entre le dépôt participatif général et le dépôt participatif spécial. Les fonds remis à la banque dans un compte participatif général, sont investis dans des différents projets de maturités différentes et successives, initiés par la banque de manière continue. Les fonds remis dans un compte participatif spécial sont affectés dans des projets établis d’une manière personnalisée, en quelque sorte, définis par la convention des parties. Les fonds remis à la banque ne sont pas garantis ni dans leur capital ni dans leur rémunération. C’est là leur différence essentielle avec les dépôts à terme dans une banque conventionnelle. L’existence de ces deux comptes d’investissement pose une difficulté spécifique pour le régulateur pour le calcul du ratio prudentiel des banques islamiques[38]. En droit privé, il faut chercher s’ils ressortent d’une qualification juridique identique.

a)      Le dépôt participatif général, un contrat de commande

On peut classer le contrat participatif général dans la catégorie des contrats de commande visé par les articles 1195 à 1225[39]. L’article 1195 le définit comme « le contrat par lequel une personne, appelée bailleur de fonds, remet un capital déterminé à une autre personne, dénommée gérant ou agent, lequel se charge d’employer ce capital dans le commerce, en son propre nom, mais pour le compte du bailleur de fonds, moyennant une quotité déterminée dans les bénéfices. »

Le Code des obligations et des contrats détermine les conditions de formation du contrat, ses effets et son extinction. Sans s’attacher à l’étude de l’ensemble des dispositions légales, nous nous arrêtons à celles qui sont les plus caractéristiques pour la pratique bancaire.

Au niveau des conditions de formation du contrat, la loi exige le consentement des parties et la remise des fonds entre les mains du gérant[40]. Le contrat est donc à la fois consensuel et réel. La capacité requise des deux parties est celle de contracter société[41]. Le capital remis par le bailleur de fonds doit être déterminé[42] et dans le commerce[43]. La part dans les bénéfices du gérant doit être déterminée[44] ; elle ne peut consister en une somme fixée d’avance même si elle est prélevée sur les bénéfices[45]. La stipulation que les bénéfices appartiendront en totalité au bailleur de fonds ou au gérant[46], annule le contrat en tant que contrat de commande, mais il sera, selon le cas, qualifié soit un contrat de travail, soit un contrat de prêt[47]. Le contrat est le plus souvent conclu pour une durée déterminée. Si l’arrivée du terme y met naturellement fin, on peut se demander si le décès du bailleur du fonds survenu en cours du contrat produit une fin anticipée. L’article 1224 du Code des obligations et des contrats consacre une solution à mi-chemin entre la dissolution et la poursuite du contrat. Il énonce que « le décès ou l’incapacité survenue du bailleur de fonds ne dissout par la commande, et l’agent a le droit de continuer les opérations commencées, mais il n’a pas le droit d’en entreprendre des nouvelles. » C’est une sorte de maintien de la commande pour les besoins de la liquidation. La solution n’est certainement pas d’ordre public. La convention des parties peut prévoir une solution qui permette au banquier de continuer le contrat jusqu’à son terme initial en ayant au besoin le droit d’entreprendre de nouvelles opérations.

Dans le contrat de commande, la banque a la qualité d’agent du bailleur du fonds pour employer les fonds reçus. Cependant dans les rapports avec les tiers, la banque agit en son nom. Les bailleurs de fonds n’entretiennent aucune relation contractuelle avec les tiers. C’est pour cette raison que l’article 1195 du Code des obligations et des contrats précise que le gérant ou l’agent se charge d’employer ce capital dans le commerce, en son propre nom[48].

L’examen des pouvoirs de la banque comme gérant doit être fait tant dans les rapports bilatéraux avec chaque client que dans les rapports collectifs entre la banque et l’ensemble des clients.

Dans les rapports individuels, les pouvoirs du gérant dans l’emploi des fonds sont très étendus. Le législateur en tire plusieurs conséquences. L’agent a la gestion exclusive du fonds qui lui a été confié[49]. Le bailleur de fonds ne peut stipuler qu’il prendra part à la gestion, ni par ailleurs pouvoir s’y opposer[50]. La clause restreignant la faculté d’action du gérant à certains cas déterminés, par exemple s’il n’autorise à traiter qu’avec certaines personnes, ou dans un certain lieu, ou pendant un certain temps de l’année, annule le contrat[51]. Les actes d’aliénation à titre gratuit sont cependant interdits au gérant[52]. Mais ce dernier peut accorder des réductions et autres tolérances qui sont d’usage dans le commerce[53]. Cette restriction risque de poser une difficulté pour la banque islamique quand il s’agit de consentir des abandons de créances à des débiteurs en difficultés économiques ayant reçu un financement.

L’article 1205 du Code des obligations et des contrats régit les rapports que peut avoir le gérant avec plusieurs bailleurs de fonds à la fois. Le gérant, énonce le texte, peut se charger des affaires d’autres personnes, pourvu qu’il les tienne distinctes les unes des autres et s’il n’y a préjudice pour les intérêts du premier bailleur. Il doit, en tous cas, en donner avis à ce dernier. Cette disposition est en réalité le prolongement de la disposition qui la précède selon laquelle, l’agent est autorisé à trafiquer pour son compte et avec ses propres capitaux. En ce cas, il doit tenir une caisse distincte de celle de la commande[54] sauf s’il y a un usage contraire. Cette dernière réserve d’une possible fusion des fonds selon les usages n’existe pas à l’article 1205 quand il s’agit de fonds remis à l’agent par plusieurs bailleurs. Interprété littéralement, l’article 1205 pose des difficultés pour une banque islamique. De première part, la nature des choses veut qu’elle banque soit appelée à recevoir des fonds d’un ensemble indéterminé de bailleurs de fonds. De seconde part -le plus souvent- les fonds reçus d’un seul client sont insuffisants à eux seuls à assurer le financement d’une opération particulière. Enfin, une meilleure division des risques impose que l’ensemble des fonds remis participent au financement des diverses opérations de la banque. La règle du cloisonnement comptable à laquelle est astreinte une banque islamique freine sa capacité d’intervention. A notre sens, Il n’est pas interdit de raisonner par analogie avec la règle de l’article 1204 qui traite de l’hypothèse où l’agent trafique aussi avec ses fonds propres sans être astreint à la tenue d’une comptabilité distincte conformément aux usages ou la nature du contrat. On ne voit pas quelle est la différence avec le cas d’un agent qui emploie les fonds des autres bailleurs de fonds ; il peut les mélanger conformément aux usages ou la nature du contrat de commande passé avec une banque islamique. 

L’article 1214 du Code des obligations et des contrats impose au gérant toutes les obligations du mandataire quant à la reddition des comptes et à la justification de ses dépenses. Il n’y a pas de contradiction entre cette disposition et celle qui interdit au bailleur de fonds de s’immiscer dans la gestion. La reddition des comptes se réalise en effet ex post, après la gestion de l’agent, elle n’est donc pas une immixtion dans la gestion. La reddition des comptes consiste pour l’agent de justifier les comptes de la commande, à la fois dans ses dépenses, pertes et revenus[55]. Même si la loi est muette, l’on doit considérer que la règle est d’ordre public et ne peut être écartée par la convention contraire. La question se pose de savoir comment s’organise, à l’échelle de la pratique bancaire, la reddition des comptes de la commande. La banque doit-elle traiter d’une manière individuelle avec chaque client ou doit-elle le faire d’une manière collective avec l’ensemble de ses clients ? Cette question est d’importance particulière pour la protection des bailleurs de fonds[56].
b)     Le contrat participatif spécial, un contrat de commission

La qualification de contrat de commande est-elle toujours possible lorsqu’il s’agit d’un contrat de compte participatif spécial ? Rappelons que dans ce contrat, le pouvoir d’agir de la banque est restreint par la convention qui indique spécifiquement l’affectation des fonds. La réponse est négative car selon l’article 1218-6 du Code des obligations et des contrats, « le contrat de commande est nul comme tel, lorsque la faculté d’action du gérant est restreinte à certains cas déterminés ; par exemple s’il n’est autorisé à traiter qu’avec certaines personnes, ou dans un certain lieu, ou pendant un certain temps de l’année ». Le contrat de commande se caractérise justement par la généralité des pouvoirs confiés au gérant. Les restrictions que lui apportera la convention sont de nature à disqualifier le contrat de commande en tant que tel. La banque n’agit plus en qualité d’agent mais en qualité de commissionnaire[57]-[58].

§3) Les Sukuk islamiques

La loi du 30 juillet 2013[59] définit les sukuk comme étant des « titres négociables[60] qui représentent des parts communes à valeur égale dans la propriété de biens, d’usufruit, de services, de droits, existants ou qui seront créés ou un mélange de biens, d’usufruit, de services, de monnaies et créances du produit de la souscription. »[61] « Les sukuk sont émis dans le cadre d’un contrat conformément aux normes charaïques et sur la base du principe de partage de profits et de pertes. »[62]

Le principe de partage de profits et de pertes évoqué dans la loi signifie que les titulaires des sukuk ont droit à une partie des revenus générés par les actifs sous-jacents ainsi qu’à une part des profits générés par la vente de ces actifs à terme[63]. Les revenus sont générés grâce à un contrat passé par l’émetteur ayant pour objet l’actif sous-jacent considéré. Le contrat en question doit respecter le droit musulman (finance islamique). Il s’agit notamment des contrats de murabaha, ijara, istisna, salam, mudharaba, moucharaka,  mouazara, mousaquat, mougharasaa[64]. Les sukuk peuvent être adossés sur un portefeuille varié constitué de plusieurs transactions, un mélange au sens de l’article 1er de la loi du 20 juillet 2013.

L’émission des sukuk peut être directe ou indirecte. Elle est directe lorsque l’émetteur est l’Etat, une collectivité publique locale ou une entreprise du secteur public[65] ou privé[66]. Elle est indirecte lorsque l’émetteur est un fonds commun de sukuk. Dans ce dernier cas, les parts du fonds commun de sukuk sont également considérées des sukuk. En principe, l’émission de sukuk est faite à travers un fonds commun de sukuk sauf si le comité de contrôle charaïque n’en voit pas la nécessité[67]. Ceci n’est pas sans rappeler les techniques de titrisation conventionnelle[68]. Le législateur tunisien[69] a calqué les solutions qu’il a retenues pour la structuration d’un fonds commun de créances[70].

A titre d’exemple, les sukuk adossés sur des actifs mis en ijara sont émis selon les étapes suivantes. On identifie l’actif sous-jacent, tel un immeuble. La propriété de l’immeuble est ensuite transférée au fonds commun de sukuk[71]. Ce fonds commun acquiert la propriété de l’immeuble en payant le prix soit en obtenant un prêt bancaire prévoyant éventuellement le report du remboursement jusqu’à ce que les porteurs du sukuk aient payé soit en vendant les sukuk avant d’acheter le bien qui sera repris en ijara par un preneur. Le reste de l’opération se passe d’une manière classique. Les loyers, qui couvrent le principal et l’intérêt, sont reversés aux titulaires des sukuk[72].

Il existe principalement deux types catégories de sukuk : d’une part, les sukuk dont la rémunération et le remboursement reposent principalement sur des actifs sous-jacents et qui s’apparentent à des titrisations ; d’autre part les sukuk dont la rémunération et le remboursement sont fondés sur des actifs sous-jacents, mais dans lesquels les investisseurs se reposent principalement sur l’engagement d’une ou plusieurs entités pour tout ou partie des paiements dus au titre des sukuk[73]. Dans ce dernier cas, l’article 4 de la loi du 30 juillet 2013 reconnaît que les sukuk peuvent être assurés par des garanties personnelles ou réelles conformément aux normes charaïques et la législation en vigueur.

Les titres sukuk sont négociables conformément aux normes charaïques. Les sukuk murabaha et salam sont jugés non-négociables à moins que la cession se fasse à leur valeur nominale[74]. Lorsqu’il s’agit de sukuk d’un mélange, un portefeuille mixte, la négociation est possible s’il est composé d’actif tangible supérieur à 51% tandis que les liquidités et les créances sont inférieures à 50%[75].



Section 2 : Les contrats de financement

Répugnant l’intérêt, une banque islamique ne peut consentir des prêts productifs d’intérêts à sa clientèle[76]. La pratique bancaire[77] recourt usuellement à deux contrats commutatifs conformes à la charia[78] adossé à un actif tangible[79] (§1) ou des apports en capital pour financer la clientèle (§2).

§ 1 Les contrats commutatifs conformes à la Chariaa

On peut distinguer les contrats fondés sur le mécanisme de la vente et ceux fondés sur le mécanisme de la location ; les principaux d’entre eux sont al mourabaha (A) et al ijara (B). Le but économique est de faire naître à la charge du client une obligation de somme qui permet de limiter les risques de pertes. Le plus souvent, le client consent une sûreté au profit de la banque pour réduire le risque d’impayé. De ce point de vue, rien ne distingue une banque islamique et une banque conventionnelle[80]. Il est évident que le recours à ce mode de financement n’évacue par le risque de défaillance, ce qui pose la question du mode de réparation sous forme d’intérêt de retard (C).

La caractéristique générale de ces contrats commerciaux c’est leur complexité et leur formation successive et la création d’un rapport de dette avec le client qui s’engage à payer une somme d’argent déterminée sur une période convenue. Il va sans dire que le droit positif connaît les contrats de vente, de mandat ou de location. Il leur fixe des règles précises. La question est de savoir si l’on doit apprécier la validité et les effets de ces contrats par référence au droit positif ou par référence au droit musulman[81].



A)     Les contrats de crédit fondés sur la vente : Al Mourabaha[82]

Ce contrat s’inscrit dans le sillage du verset coranique qui rend licite la vente et interdit le riba[83]. Il est le plus fréquemment utilisé par les banques commerciales islamiques[84].

Etymologiquement, la mourabaha vient de ribh, ce qui signifie le profit, le surplus par rapport aux coûts d’acquisition. Il s’agit d’une vente suivie de revente et où le deuxième acheteur connaît le prix de la première acquisition. En droit musulman, la vente murabaha se distingue de la vente musawama où le deuxième acheteur ne connaît pas le prix de la première acquisition. La vente murabaha suppose une relation de confiance entre les contractants car il y a risque que le revendeur avance un prix d’achat mensonger de nature à induire l’acquéreur en erreur sur la marge réelle.

Le contrat de vente murabaha peut s’appliquer à la vente de tout bien, qu’il soit meuble ou immeuble, corporel ou incorporel. Mais l’objet du contrat mourabaha doit être conforme aux prescriptions de la chariaa[85].

Dans la pratique, ce mode de financement est utilisé à court terme pour l’acquisition de matières premières et de produits semi-finis[86]. Lorsqu’il s’agit de financer à moyen terme l’acquisition de biens d’équipement on parle de vente à tempérament, mais le mécanisme juridique est identique.

La pratique bancaire doit résoudre quelques difficultés pour réduire certains risques. Nous citerons les plus importants d’entre elles.




a)      Risque de défaut de liaison avec le donneur d’ordre

La banque ne prend l’initiative d’acquérir le bien en vue de sa revente que sur ordre du client qui se propose de l’acheter et en payer le prix à terme. La banque islamique est de ce point de vue un simple intermédiaire financier. Elle n’est pas une véritable entreprise commerciale qui achète en vue de revendre un bien. Elle n’a donc pas un stock préalablement constitué. Elle n’achète des biens que sur ordre de son client. Toute la question est de savoir comment s’opère le montage de l’opération. La Banque doit-elle conclure au préalable une promesse de vente avec son client donneur d’ordre ? N’est-il pas mieux indiqué pour elle qu’elle conclue le contrat de vente avec le client avant même qu’elle ne devienne propriétaire de la chose ?

Deux opinions opposées sont soutenues selon les rites.

1) Selon certains docteurs de droit musulman, une personne ne peut vendre un bien que si elle en est propriétaire. La vente de la chose d’autrui serait nulle[87]. Appliquée à une banque islamique cette règle l’expose à un aléa qu’elle se doit de prévenir par la conclusion d’une promesse de vente, unilatérale voire même réciproque[88]. Les jurisconsultes musulmans reconnaissent le caractère contraignant de la promesse de vente, mais cela n’entraîne qu’une obligation de faire[89]. Les deux parties doivent donc conclure le contrat définitif de vente, une fois acquise la chose. De là sorte il y a au moins trois contrats qui se forment successivement : une promesse de vente entre la banque et le donneur d’ordre, une vente du fournisseur à la banque et une revente de la banque au client. Par ailleurs et dans la mesure où la banque se limite à un simple rôle financier  elle se décharge dans sa propre opération d’achat sur un tiers ou sur le client qui, dans le même contrat de promesse de vente ou par un acte séparé, joue le rôle de mandataire dans l’achat du bien. Le mandat peut s’étendre à la délivrance de la chose mais non au paiement du prix de vente[90].
                                        
La conclusion d’une promesse de vente ne résout pas toujours les difficultés lorsque le droit positif exige pour la perfection de la vente d’établir un acte formel, un instrumentum. Il y a risque de résistance du donneur d’ordre à passer l’acte définitif lorsque la banque lève l’option de vente. Elle ne peut surmonter la difficulté qu’en actionnant le donneur d’ordre (promettant) pour obtenir un jugement valant vente[91]. Elle peut même être justifiée à demander le paiement intégral du prix de vente en vertu d’une clause de déchéance du terme insérée dans la promesse de vente[92].

En garantie de l’exécution de la promesse de vente, il n’est pas interdit à la banque de recevoir des arrhes[93] pour s’assurer l’exécution de l’acheteur son engagement[94]. En cas, d’exécution du contrat de promesse, le montant des arrhes sera porté en déduction de ce qui est dû par l’acheteur[95]. Lorsque l’obligation ne peut être exécutée ou est résolue par la faute de l’acheteur, la banque a le droit de retenir les arrhes et ne doit les restituer qu’après la prestation des dommages alloués par le tribunal si le cas y échet[96].

2) Le droit tunisien, inspiré des règles de fiqh malékite ou hanafite[97], consacre une autre solution qui permet de faire l’économie d’un montage complexe et aléatoire. L’article 576 du Code des obligations et des contrats dispose, en effet, que « la vente de la chose d’autrui est valable 1) si le maître la ratifie ; 2) si le vendeur acquiert ensuite la propriété de la chose ». En vertu de cette disposition, la banque peut conclure le contrat de vente avant même qu’elle n’achète le bien, mais le contrat de vente comporte nécessairement un mandat par lequel le client agira au nom et pour le compte de la banque pour acheter le bien et en prendre livraison.

Qu’il y ait une promesse de vente préalable ou une vente ferme avec le donneur d’ordre, la banque pour déterminer justement le coût total de l’opération et sa marge se doit d’obtenir une offre ferme du vendeur initial fixant les conditions essentielles du contrat.
b)     Risques de rendement

1) La détermination du prix de revente doit être conforme à la chariaa. Si l’on pose cette difficulté résolue, le paiement du prix à terme, échelonné ou en une seule fois, n’est pas considéré comme un riba en droit musulman[98]. « Le contrat peut comprendre une clause de déchéance du terme en cas d’échéance impayée. A l’inverse, un paiement avant l’échéance ne peut entraîner de remise sur le prix. Une banque peut faire une ristourne sur le prix de vente d’un bien qu’elle cède mais le rabais ne doit pas être mentionné dans le contrat de cession. »[99]

Selon l’opinion de certains auteurs impliqués dans la finance islamique, le taux de rendement d’une opération murabaha peut être établi de la même manière que l’on détermine un taux d’intérêt conventionnel[100]. Ce taux de rendement ne devient pas pour autant un intérêt prohibé[101].

Nous signalons une difficulté juridique par comparaison aux opérations de prêt conventionnelles. Dans un prêt conventionnel, l’intérêt peut être fixe ou variable. Dans ce dernier cas, la variation est déterminée à l’aide d’un critère objectif indépendant de la volonté des parties, le plus souvent il s’agit d’une indexation sur le taux mensuel de l’intérêt sur le marché monétaire[102].

En droit strict, le critère de référence doit avoir un lien avec l’opération projetée, par exemple le taux d’intérêt moyen applicable dans le marché monétaire. Nous nous demandons s’il est possible pour une banque islamique de faire varier le prix en fonction d’un critère objectif choisi par les parties. Si la variation du prix est possible, le critère peut-il être celui du taux d’intérêt sur le marché bancaire conventionnel ou doit-il être tiré de la variation du prix de la chose vendue sur un marché ?[103] Une réponse est justifiée par l’interdiction de l’aléa (gharar) en droit musulman.

2) Le taux de rendement obtenu par une banque islamique peut encore être déterminé en fonction de deux autres risques : 1) Le risque que la banque perde le bien tant qu’elle le possède, et 2) risque que le bien soit retourné par l’acheteur à la banque suite à la découverte d’un vice caché[104].

Le risque de perte du bien dans un système de promesse de vente, achat et revente, peut être réduit par la limitation du temps séparant l’acquisition du bien par la banque et sa revente au client. Quelques minutes ou quelques secondes peuvent séparer les deux ventes[105]. La banque peut même conclure une assurance[106]. Mais dans un système de vente de la chose d’autrui, le risque de la banque disparaît complètement.

En droit de la vente, le vendeur s’oblige à garantir la paisible jouissance de la chose, à livrer une chose conforme et à garantir les vices cachés de la chose qui diminuent sensiblement sa valeur ou la rendent impropre à l’usage auquel elle est destiné[107].

Dans une vente, le vendeur est tenu de garantir les vices cachés de la chose. La garantie n’a pas besoin d’être stipulée[108]. L’acheteur en cas de découverte d’un vice caché, qui rend la chose impropre à l’usage auquel elle destinée ou qui en diminue la valeur[109], a une action en résolution de la vente et en dommages-intérêts[110]. L’action en garantie se prescrit dans un délai d’un mois pour les biens meubles[111] et d’une année pour les biens immeubles[112]. Le délai court à compter de la livraison de la chose[113], et il est susceptible de prorogation ou de réduction par stipulation du contrat[114]. Le vendeur de mauvaise foi ne peut cependant opposer ces délais à l’acheteur ni toute autre clause limitant sa garantie[115]. Une jurisprudence établie de la Cour de cassation[116] qualifie de vendeur de mauvaise foi, le commerçant ou l’industriel qui vend les produits de son commerce. Il faut comprendre par là que la jurisprudence qualifie le vendeur professionnel comme étant un vendeur de mauvaise foi[117]. C’est une règle de fond et non une simple présomption légale. La banque islamique peut, de ce point de vue, être qualifiée de vendeur de mauvaise foi puisqu’elle agit d’une manière professionnelle.

Indépendamment de cette dernière règle, il faut reconnaître que la banque court le risque de se voir opposer par l’acheteur, qui par définition n’a pas encore réglé le prix de vente, l’exception d’inexécution pour repousser une demande de paiement du prix de vente[118]. L’exception d’inexécution peut être opposée à tout moment sans subir la prescription, elle dite perpétuelle[119].

On mesure à la lumière de ces remarques relatives à la responsabilité du vendeur professionnel, le danger couru par la banque islamique qui non seulement s’expose au risque de non-recouvrement du prix de vente mais aussi au risque de réparation du préjudice subi par l’acheteur en raison du vice de la chose.

On peut penser protéger la banque en insérant une clause de non-responsabilité pour les vices cachés de la chose. L’article 670 du Code des obligations et des contrats permet en effet de stipuler la non-responsabilité du vendeur. En réalité, pareille clause n’immunise pas complètement la banque islamique pour deux raisons au moins :
-          D’une part, dans les rapports avec les consommateurs, la clause qui limite ou qui exclut la responsabilité du vendeur est nulle. La règle est consacrée à l’article 17 al. 1 de la loi du 7 décembre 1992, relative à la protection des consommateurs.

-          D’autre part, l’article 673 du Code des obligations et des contrats précise que la clause limitative ou élusive de responsabilité est inopérante si le vendeur est de mauvaise foi ou s’il est à l’origine du vice[120]. Comme nous l’avons relevé plus haut, une jurisprudence établie considère de mauvaise foi le vendeur professionnel[121]. Les acheteurs ne trouveront donc pas un meilleur garant que la banque[122]. C’est vainement que celle-ci conviendra dans le contrat que l’acheteur (entendre le client de la banque) reconnaît avoir reçu la chose d’une manière conforme et sans aucun vice et qu’il s’engage à ne pas demander garantie. Une telle stipulation est selon la Cour de cassation sans effet.[123]

Pour éviter un tel fâcheux résultat, la banque peut obtenir du client (donneur d’ordre d’achat) une garantie de bonne exécution des obligations du vendeur originaire à l’égard de la banque consentie en nom propre et non en sa qualité de donneur d’achat ou de mandataire de l’institution financière[124].

B)     Al Ijara

Al ijara consiste à demander à une banque l’achat d’un bien ou son usufruit en vue de le donner en location au client sur une période déterminée, avec ou sans option d’achat en fin du contrat.
L’architecture du montage ne diffère pas fondamentalement de celle de mourabaha et elle n’est pas sans rappeler le contrat de leasing en droit positif tunisien avec cette différence que ce dernier contrat n’est conçu que pour la location financières d’immeubles ou biens d’équipement professionnels.[125]

« L’opération fait intervenir trois acteurs : un fournisseur de biens, la banque qui achète le bien ou l’équipement et devient bailleur en le louant, pour une période déterminée, à son client lequel devient preneur et paye un loyer[126] Le client peut jouer le rôle de mandataire de la banque.

Dans une variante de ce mode de financement, le preneur acquiert d’une manière progressive le bien loué au fur et à mesure du paiement du loyer, mais pour cela il paiera un supplément d’une partie du prix d’acquisition. Cette variante limite l’utilisation par le banquier de la propriété comme garantie du crédit. L’expression utilisée pour désigner ce contrat est ijara bil (avec) moucharaka[127] ou ijara waktina. « L’ijara peut également être utilisé comme montage de déconsolidation financière ou lease back à condition que le contrat de vente et de location soit dissocié, le deuxième succédant au premier. »[128]

Le contrat de location peut être conclu avant que la banque ne devienne propriétaire de la chose à louer[129], néanmoins le loyer n’est dû qu’à compter de la date de délivrance de la chose au locataire[130], c’est-à-dire le commencement de la jouissance du bien. Nul besoin donc d’une promesse de location avant l’acquisition du bien par la banque[131].

Le contrat ne doit pas porter sur une chose consomptible (qui se détruit par le premier usage). L’utilisation du bien doit être pour une destination licite.

La durée de la location et le montant des loyers doivent être déterminés à l’avance.
En droit positif tunisien, la vente du bien à l’expiration du contrat ou en cours de son déroulement à la demande du client se fait dans le cadre d’une promesse unilatérale du bailleur[132]. Certains auteurs de droit musulman, ont estimé que le bailleur ne peut être contraint de vendre la chose louée à l’expiration du contrat de location car cela est de nature à anéantir le droit de propriété du bailleur et viole l’interdiction de l’existence de deux contrats dans un seul. Mais les experts contemporains ont fini par admettre la validité de la promesse unilatérale du banquier qui a une valeur contraignante. Cette promesse doit être insérée dans un contrat distinct[133], mais la clause d’indivisibilité insérée trahit l’artifice de la distinction des deux contrats.

En droit positif, le contrat de leasing est soumis au droit commun sauf les dispositions spéciales contenues dans la loi du 26 juillet 1994[134]. Etant un contrat de location, les dispositions régissant le contrat de location prévues dans le Code des obligations et des contrats s’appliquent. L’article 742 énonce que le bailleur est tenu d’entretenir la chose louée pendant la durée du contrat en état de servir sa destination selon sa nature sauf les stipulations des parties. La règle est donc supplétive de volonté. Par ailleurs le contrat de location peut prévoir une clause d’exonération de responsabilité pour vice de la chose. Mais celle-ci ne s’applique pas quand le bailleur est de mauvaise foi. Il n’existe pas une présomption légale de mauvaise foi comme en matière de vente.

Dans les contrats de leasing conventionnels, l’institution financière fait supporter les risques de la chose louée au preneur[135]. En revanche dans le contrat d’ijara, une banque islamique, en sa qualité de propriétaire, doit effecteur les réparations nécessaires au maintien en état et l’entretien normal du bien en location[136]. Deux règles énoncées par la norme AAOIFI alourdissent la responsabilité du bailleur :

-          le bailleur ne peut exiger du locataire qu’il effectue les grosses réparations dont dépend la production / conservation des fruits. Le locataire n’est tenu qu’aux réparations d’entretien[137] ;
-          les clauses d’exonération de la garantie des vices affectant le droit de jouissance et les clauses d’exclusion de la responsabilité en cas de dommage affectant le droit de jouissance causé par le fait du bailleur ou par un événement en dehors de sa volonté sont réputées non-écrites.

Il a été justement observé que de telles obligations augmentent inutilement les frais de transactions et conduisent à une inflation de coûts et ne sont pas tirées de textes coraniques mais plutôt de pratiques coutumières[138].

Le locataire a l’obligation de jouir de la chose conformément à sa destination, sans abus, et de payer le loyer à sa date. Le défaut de paiement du loyer peut être sanctionné par la résiliation du bail dans les conditions de droit commun. Dans un contrat de leasing conventionnel, il est souvent stipulé une clause pénale égale au montant du loyer restant à courir sur la période initiale. Le droit musulman n’offre pas cette possibilité par souci d’équité[139].

C)     La question de l’intérêt de retard

En recourant aux opérations de type commercial (achat en vue de la revente ou de la location), la banque islamique évacue l’intérêt rémunératoire de son activité, mais elle n’échappe pas à la problématique du retard de paiement de la créance de prix.

En droit commun[140], le créancier d’une obligation de somme déterminée est en droit de demander au débiteur le paiement des intérêts de retard. Le créancier est dispensé de la preuve du préjudice subi en raison du retard de paiement. La loi présume la perte et lui donne droit à une réparation sous forme d’un intérêt légal[141]. La réparation est forfaitaire et la démonstration d’un préjudice supérieur ne permet pas d’avoir droit à un supplément d’intérêt de retard. Néanmoins, le créancier peut réclamer une indemnisation en sus des intérêts de retard réparation de son préjudice à condition qu’il soit un préjudice spécial distinct du simple retard de paiement. Il ne doit pas résulter de la seule privation de la somme d’argent qui lui est due à l’échéance[142]. Ces solutions ne sont pas d’ordre public. La convention des parties peut y déroger en posant un taux d’intérêt différent du taux légal, en exigeant la preuve d’un dommage ou en stipulant une clause pénale.

Une banque islamique établie en Tunisie peut réclamer l’application des dispositions de droit commun. Son cocontractant ne peut lui opposer comme moyen de défense son caractère de banque islamique ne fonctionnant pas avec les intérêts qu’ils soient rémunératoires ou compensatoires. Le juge applique la loi positive dans la mesure où la convention des parties n’y déroge pas.

Les auteurs ayant eu l’occasion d’observer la pratique des banques islamiques relèvent que celles-ci choisissent l’une des deux solutions suivantes[143] :

La banque peut exiger du client défaillant qu’il verse les intérêts de retard tout en les reversant à une œuvre charitable. L’indemnité à verser acquiert une nature « répressive », elle joue comme une peine privée. Il est incontestable que dans les rapports créancier-débiteur, cette pratique se recommande de l’application des règles de droit commun. Le fait que la banque renonce aux intérêts de retard ou ‘’purifie’’ ses revenus en reversant les intérêts de retard au profit d’une œuvre caritative ne nous concerne pas et ne relève pas de la sphère juridique.

La banque demande au client, sur la base d’une clause du contrat, de verser une compensation basée sur le taux de profit qu’elle réalise sur les comptes d’investissement. A la différence de l’intérêt légal ayant un aspect forfaitaire la clause du contrat détermine calcule les intérêts de retard en lui donnant un aspect indemnitaire aussi proche du préjudice réel. Ce mode de réparation n’est pas de nature à exclure la qualification d’intérêts moratoires car il s’agit toujours de réparer un préjudice lié au retard de paiement d’une obligation de somme. La clause on l’a vu est valable au regard des règles de droit positif. Poussé jusqu’à ses conséquences ultimes cette solution fait que si la banque ne réalise pas de profit pendant la période de défaut, elle ne peut prétendre à aucune compensation. La clause ne joue parfaitement que si la défaillance est individuelle ou le fait de certains clients seulement. Si par contre la défaillance est généralisée s’étendant à tous les clients, ces derniers  ne paient paradoxalement rien. Ils profitent de leur défaillance qui est la cause de la perte subie par les comptes d’investissement.

Ces pratiques nous interpellent à poser une question essentielle : le retard de paiement pourrait-il justifier, au regard du droit musulman, la demande d’intérêts de retard ? Si l’intérêt de retard est illicite au regard du droit musulman on ne comprend pas pourquoi la banque islamique en réclame le paiement. Il y a, à notre sens, contradiction à admettre l’illicéité des intérêts de retard et la possibilité d’en réclamer le paiement, même si leur montant est reversé à des tiers. La contradiction n’est pas levée en soutenant que la banque ne les garde pas pour elle et qu’elle les donne à une œuvre caritative. D’un point de vue strictement juridique, c’est la banque qui perçoit les intérêts. L’usage qu’elle en fait par la suite n’est pas pertinent pour l’analyse juridique. Le subterfuge juridique qui consiste à réclamer le paiement des intérêts et à les donner à des œuvres caritatives montre, si besoin est, que le problème est mal posé et que la solution donnée est maladroite. Il y a peut être une erreur dans l’analyse juridique : on a confondu l’intérêt rémunératoire et l’intérêt moratoire. Derrière l’apparence d’identité de la notion d’ « intérêt » se cache une dualité des réalités juridiques. Les fonctions accomplies ne sont pas les mêmes[144].

Du point de vue des principes, il y a un choix à faire : ou bien on interdit à tout créancier de somme d’argent de demander des dommages intérêts en cas de retard de paiement ou bien on doit reconnaître son droit à la réparation du dommage. Certes dans ce dernier cas, il y aura une difficulté de quantification du montant de la réparation mais il sera inévitable qu’elle soit payée en somme d’argent. Il y a deux manières de le faire : ou bien c’est le législateur qui fixe un taux uniforme ou bien il appartient au juge de le fixer.

§ 2 Le financement par apport en capital

La loi autorise les établissements de crédit à accomplir des activités extra-bancaires sous forme des participations au capital des sociétés. Elle leur impose néanmoins des limites tant en pourcentage de participation et qu’en valeur lorsqu’il s’agit de participer au capital de sociétés commerciales, industrielles et de services non-financiers[145]. Ces limites s’imposent tout aussi bien aux banques conventionnelles qu’aux banques dites islamiques. Leur but est d’ordre prudentiel et de protection de l’épargne. Alors que les participations dans des sociétés financières semblent être justifiées sur le plan économique pour favoriser l’émergence de groupes bancaires et financiers intégrés, les autres participations dans des sociétés autres que financières même si elles permettent une meilleure connaissance des secteurs économiques, une diversification de l’offre de financement et une meilleure mobilisation de l’épargne, exposent au risque de défaillance, nuisible à la sécurité des épargnants qui ont déposé ou remis leur fonds à la banque.

Parmi les motivations d’une banque à participer au capital des sociétés non-financières, on trouve cette volonté de compléter le tour de table de sociétés clientes. Mais le plus souvent, l’offre de financement par la dette est une condition préalable au financement par le capital. Un financement exclusif par apport au capital comporte des risques de rendement. Il doit être adossé à un financement par la dette pour assurer un rendement moyen satisfaisant avec la même relation.

Notre propos ici est de ne traiter que de la pratique contractuelle du financement par apport au capital suivie par les banques islamiques. Trois principales questions se posent à elle quand elles décident de le faire. Dans quel type d’activité économique une banque islamique peut-elle participer ? Sous quelle forme sociale prend-elle participation ? Quel rapport contractuel (extrastatutaire) peut-elle avoir avec le fondateur, promoteur ou principaux associés de la société pour s’assurer une sortie à terme ?

A)     Les impératifs de droit musulman liés aux activités des sociétés cibles

Une banque islamique fait usage de sa liberté contractuelle pour décider du principe de sa participation. Il va de soi que la sélection des sociétés cibles se fera en premier abord en fonction de critères objectifs, de nature économique, et des critères subjectifs liés à la moralité, le professionnalisme et la surface économique des partenaires sociaux. Sur ces aspects, l’appréciation que fait une banque islamique du projet de participation ne se distingue guère de celui poursuivie par une banque conventionnelle. Les mêmes règles de l’art d’analyse financière sont suivies. Néanmoins, une banque islamique tient compte d’autres impératifs spécifiques liés à des exigences de droit musulman. Certaines activités économiques sont en effet prohibées et font qu’une banque islamique s’interdit d’y participer[146]. Les cas les plus topiques sont l’industrie et le commerce de l’alcool, de la viande porcine, voire même du tabac. L’appréciation de cette interdiction de principe pose des fois des problèmes de son extension. Une banque islamique peut-elle participer à une société hôtelière qui distribue de l’alcool et la viande de porc dans son établissement[147] ? Peut-elle participer à une compagnie aérienne qui distribue de l’alcool sur ses lignes ?[148] Un auteur a pu écrire que « la liste des activités qui entrainent l’exclusion de nombreuses entreprises varie de manière considérable en fonction du Comité de Shari’ah…, la question est, d’une part, de savoir si une activité est interdite et, d’autre part, dans quelle mesure l’activité délictueuse est importante pour la société. »[149] Une autre extension du champ d’exclusion résulte de l’interdiction de l’intérêt. Une banque islamique n’intègre pas dans son groupe des sociétés bancaires conventionnelles ou des sociétés d’assurance non-mutualistes. Et même si elle est invitée à participer dans une société industrielle ou commerciale, une banque islamique fera attention à la composition de la dette ou revenus de cette société pour vérifier si elle comporte une partie substantielle d’intérêt (riba) interdit. A titre d’exemple une banque islamique ne participe pas à une société holding ou une société mère qui joue le rôle de banquier conventionnel de son groupe. Un respect strict de cet impératif risque néanmoins de conduire à une inefficience économique. Les jurisconsultes de droit musulman étaient alors amenés à fixer des critères quantitatifs de l’importance du riba interdit[150].





B)     Le véhicule de la participation bancaire

Le Code des sociétés commerciales applicable aux sociétés commerciales est d’inspiration occidentale et ses dispositions sont impératives[151]. Une banque islamique souhaitant prendre une participation au capital d’une société commerciale ne peut le faire que dans le cadre d’une société constituée sous l’une des formes prévues par ledit Code. Les formes classiques des sociétés de droit musulman, quoique toutes reprises par le Code des obligations et des contrats[152], ne semblent pas être admises comme véhicule des participations à des sociétés commerciales[153]. Au surplus, le droit musulman ne connaît pas la notion de personnalité morale[154] ce qui ne facilite guère une protection optimale de l’investissement. En pratique et contrairement à l’enseignement de la doctrine qui estime que le contrat de commandite ou le contrat de commande est l’instrument juridique de choix d’une participation au capital par banque islamique, la société anonyme s’est largement imposée unique véhicule[155]. Aucune différence n’existe sur ce point entre une banque conventionnelle et une banque islamique. Le mode d’administration collectif d’une société anonyme permet à la banque d’avoir droit à siéger au conseil d’administration (ou le conseil de surveillance) et d’avoir ainsi un certain rôle dans l’orientation et le contrôle de la gestion. Le taux de participation nécessairement minoritaire de la banque ne peut être contrebalancé que par le choix de cette forme de société.

Le Code des sociétés commerciales autorise l’émission d’actions de priorité. Une règle générale est consacrée à l’article 317. « Les actions peuvent conférer des droits différents à leurs titulaires. » Cet article s’ajoute aux textes spéciaux régissant les actions à dividende à prioritaire sans droit de vote[156] et les certificats d’investissement privilégié[157]. Les règles de droit musulman s’opposent, semble-t-il, aux actions de priorité en ce qu’elles rompent l’égalité entre associés[158]. Les banques islamiques exigent donc la suppression des actions de préférence quand elles participent au capital des sociétés[159].

C)     La rétrocession des titres de participation

Une banque qu’elle soit conventionnelle ou islamique n’a pas vocation à rester indéfiniment actionnaire dans la société dans laquelle elle participe. Le plus souvent, elle souscrit (ou acquiert) les actions sur ordre du principal actionnaire de la société à charge pour ce dernier des les acquérir (ou les faire acquérir par un tiers) selon un rythme convenu et moyennant un prix fixé à l’avance. La participation bancaire apparaît comme un service rendu au promoteur et rémunéré par une plus-value de cession. La banque conclut donc, avant qu’elle ne devienne actionnaire, une promesse de cession synallagmatique qui s’exécute par fractions selon un calendrier convenu. Les délais de cession sont arrêtés en fonction des possibilités de paiement du promoteur notamment celles issues des dividendes distribués par la société. Au fur et à mesure de l’exécution de la promesse, le taux de participation de la banque est réduit et le capital investi est amorti.

a)      Le portage bancaire classique

Dans la pratique des banques conventionnelles, le prix de cession est déterminé d’avance en application d’un pourcentage cumulatif à la manière d’un taux d’intérêt dans une opération de prêt. Sur un plan strictement juridique, il ne s’agit pas d’un prêt avec intérêt, mais une opération de cession où l’on échange des titres de société en contrepartie d’un prix[160]. Les éventuels dividendes mis en distribution par la société et touchés par la banque sont déduits du prix définitif de vente. Le prix de cession ne tient donc pas de la valeur de la société le jour de la réalisation de la cession définitive. La banque est prémunie contre les risques de perte tout comme elle ne peut bénéficier d’un meilleur prix au cas où la société réalise un résultat bénéficiaire important. L’opération est appelée dans le jargon des praticiens portage d’actions.

La validité des contrats de portage a donné lieu à un contentieux fourni. Les promoteurs quand la valeur vénale des titres est négative, par suite des pertes subies par la société émettrice, rechignent à se porter cessionnaires des titres portés. Ils excipent de la nullité de la convention de portage en ce qu’elle enfreint au principe de la répartition proportionnelle des pertes et profits entre associés[161]. Une convention de portage qui détermine un prix de cession d’actions déconnecté de leur valeur réelle des titres le jour de la cession prémunit la banque des risques de pertes et par suite elle devient nulle.

Les premiers arrêts rendus par les tribunaux français, mais aussi tunisiens[162], ont prononcé la nullité des conventions. Ils avaient considéré pendant longtemps que cette convention cachait un pacte léonin puisque le cédant était exonéré de toute perte[163]. Mais par la suite, la jurisprudence tant tunisienne que française a assoupli sa position concernant ces clauses non-statutaires en estimant qu’il ne s’agit pas là d’une clause ayant une incidence sur la société, mais d’une convention de cession dont l’objet est « d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux… »[164]. Il a été surtout observé que dès lors que, « dans le portage, les dividendes sont imputés sur le prix de sortie, le porteur ne retire aucun profit des actions. L’exonération du risque de perte qui provient du caractère prédéterminé du prix de sortie, ne saurait à elle seule établir le caractère léonin du portage. La clause léonine interdit de scinder le profit et la charge. »[165] Par ailleurs, la promesse de cession est synallagmatique. « L’obligation de céder introduit en effet un aléa dans la situation du porteur car il ne peut plus alors choisir. »[166] Aujourd’hui les tribunaux tunisiens accueillent favorablement les actions des banques tendant à déclarer des jugements tenant lieu d’acte de cession et à la condamnation des contractants défaillants au paiement du prix de cession.

En réaction à cette pratique d’affaires, notamment de la part des capital-risqueurs, le législateur tunisien a réagi par la loi n° 2008-78 du 28 décembre 2008 en imposant que les conventions conclues par les sociétés d’investissement à capital-risque avec leurs donneurs d’ordre fixant les modalités et les délais de la réalisation des rétrocessions ne stipulent pas des garanties hors projet ou des rémunérations dont les conditions ne soient pas liées aux résultats des projets[167]. Cette intervention du législateur n’est pas dictée par le souci de faire respecter le principe de contribution des associés aux pertes, mais plutôt pour faire respecter la vocation des sociétés de capital-risque d’autant plus qu’elles bénéficient d’un régime fiscal de faveur. Dans le système du capital-risque, le prix de cession des actions portées devient déterminable en fonction des critères objectifs fixés dans la convention car en droit tunisien on ne peut s’en remettre à la détermination du prix de vente à un expert. La règle est consacrée par l’article 579 du Code des obligations et des contrats. Les critères fixés par la convention doivent avoir un lien avec les performances de la société émettrice.

Le risque de nullité d’une promesse de cession à un prix simplement déterminable n’est cependant pas à écarter soit parce que la comptabilité tenue par la société est irrégulière et ne permet pas de s’assurer d’une correcte application des critères posés par la convention, soit parce que les décisions prises par le dirigeant influencent considérablement le jeu de ces critères qui deviennent ainsi potestatifs. Les rédacteurs des conventions de portage sont conscients d’un tel danger et prévoient, à titre subsidiaire, des clauses pénales pour sanctionner les déclarations mensongères de leurs cocontractants, relatives à la validité de la convention, ou les fautes commises dans la tenue de la comptabilité[168].

La solution imposée par la loi de 2008 est cependant d’un champ d’application limité aux sociétés d’investissement à capital-risque. Les banques et les sociétés d’investissement à capital fixe ne sont pas visées et peuvent continuer à convenir d’un portage de titres avec un prix déterminé d’avance ne tenant pas compte des résultats de la société émettrice.

b)     La pratique des banques islamique : La participation dégressive

Les développements précédents nous montrent qu’il existe en droit positif tunisien deux méthodes possibles de sortie d’une banque d’une société au capital de laquelle elle a participé : soit par cession moyennant un prix déterminé d’avance le jour de l’acquisition de la qualité d’actionnaire, soit par cession moyennant un prix déterminable également convenu au moment de la souscription, mais qui est mis en application le jour de la cession définitive. La question se pose dès lors de savoir si les banques islamiques sont autorisées par les règles de droit musulman à conclure des conventions de portage stipulant un prix déterminé d’avance. Les banques islamiques doivent-elles plutôt se comporter comme un capital-risqueur et fixer le prix en tenant compte de la valeur de la société ?

La littérature consacrée au financement bancaire par apport au capital distingue génériquement entre deux types de sociétés (moucharaka)[169]. Les sociétés fixes (définitive ou continue)[170] et celles dégressives[171]. « Alors que le premier type oblige la banque et le client à rester partenaires dans la société, jusqu’à l’expiration du contrat, le second, permet à l’établissement de crédit de se désengager de cette société au fur et à mesure de son développement. » [172] On comprend que la problématique que nous cherchons à résoudre se pose dans un système de participation dégressive assurant à la banque une sortie convenue préalablement à son entrée au capital.

Le ‘’Lamy droit du financement’’ nous décrit le montage des participations dégressives de la manière suivante : « Il s’agit principalement du financement immobilier : le client veut acheter une maison pour laquelle il n’a pas les fonds adéquats. Il se rapproche d’une banque qui accepte de lui fournir les fonds nécessaires à l’achat de la maison. Vingt pour cent du prix est payé par le client et 80% du prix par le financier. Ainsi le financier détient 80% de la maison alors que le client en détient 20%. Après avoir acheté la propriété en commun, le client va payer un loyer au bailleur pour l’utilisation du bien (maison). Dans le même temps, la part du financier est divisée en huit parts égales, chaque unité représentant la propriété de 10% de la maison. Le client s’engage auprès de la banque à acheter une part tous les trimestres. » « En conséquence, après le premier terme (trois mois) il va procéder au rachat d’une part au bailleur de fonds en payant 1/10 du prix de la maison. Il réduit ainsi la part du bailleur de fonds de 80% à 70%. Le loyer exigible est réduit en conséquence. A la fin du deuxième trimestre, il achète une autre unité et augmente sa part dans la propriété à 40% etc. »[173]

Dans ce montage, on trouve deux contrats parallèles : un contrat de société (des fois une simple indivision par acquisition conjointe) et un contrat de location. Il a pour effet de séparer le patrimoine immobilier et l’investissement d’entreprise[174].

1) La société conjointe a un objet immobilier. Il consiste en l’acquisition (ou la construction) d’un bien immeuble en vue de sa location à un exploitant, un entrepreneur. Le contrat de location est destiné à assurer à la société immobilière un rendement fixe et transfère les risques de l’exploitation à un tiers qui se trouve n’être que le coassocié de la banque[175]. Le loyer est normalement calculé pour permettre la rémunération des capitaux investis dans l’immobilier[176]. Il est cependant vrai que les difficultés financières de la société d’exploitation rejaillissent sur la société immobilière. Pour s’en prémunir, il faudra mettre en place des garanties extrinsèques.

2) La banque islamique et son client conviennent également d’une promesse synallagmatique de vente des parts de la banque dans la société. Les bénéfices distribués par celle-ci sont normalement affectés au paiement du prix de cession. Comment est alors fixé le prix de cession ? Les auteurs ne sont pas éloquents sur cette question précise[177]. La norme de conformité n°12 de l’AAOIFI écrit ce qui suit : « l’associé acquiert sa part progressivement sur la base d’un contrat de vente à la valeur du marché ou à une valeur convenue au moment de l’achat. Il est interdit d’exiger la vente à leur valeur nominale. »[178] On comprend par là que le prix doit être déterminable en fonction de la valeur économique de la société, mais le fait que celle-ci dispose d’un rendement fixe à travers la location le prix fixé est en rapport avec le montant du loyer et du coup la banque est prémunie contre les risques de perte.

La participation dégressive dans les banques islamiques participe dans son esprit du même système d’un portage conventionnel avec un prix déterminé d’avance. La banque islamique est assurée d’un rendement fixe qui la prémunit de la perte[179]. Mais alors que dans un portage classique, la banque peut avoir un droit de regard sur la gestion de la société puisqu’il n’y a pas de nécessité d’opérer une séparation patrimoniale entre bien immobilier et biens d’entreprise, la banque islamique est mise à l’écart de la gestion de l’entreprise.





[1] Actuellement deux banques islamiques sont établies en Tunisie : Al Baraka, qui est une banque non-résidente et Banque Zitouna.
[2] Nous laissons de côté le problème de la validité de l’intérêt en droit musulman car les avis sont partagés. Le Code des obligations et des contrats comportait, lors de sa promulgation, un article 1095 selon lequel « la stipulation de l’intérêt dans un contrat de prêt est interdite entre musulmans. La clause est nulle et annule le contrat ». Cet article fut abrogé par la loi n°58-148 du 7 novembre 1958. Pour s’en tenir au débat actuel sur la scène publique tunisienne, il y a, semble-t-il, des prises de positions opposées. Certains muftis de la République rejoignant la position classique des fiqaha qui interdisent toute sorte d’intérêt :
محمد صالح بن يونس السوسي التوزري العباسي، الفتاوى التونسية في القرن الرابع الهجري، جزء 2، نشر دار سحنون 2009، ص.992 وما بعدها.
En revanche, certains juristes contemporains soutiennent que ce qui serait interdit, dans le texte coranique, c’est l’usure, c’est-à-dire le caractère excessif des intérêts et non le principe de l’intérêt (Sadok Belaid, Islam et droit, CPU, 2000, p. 270 et s. Pour un exemple du débat doctrinal chez les économistes musulmans sur l’interdiction de l’intérêt, voir Abdelkader Sid Ahmed, Economie islamique principes et réalités, l’expérience récente des pays arabes, une première évaluation, Revue Tiers Monde, T. 31, No. 122 (Avril-Juin 1990), pp. 405-435, notamment la page 411.
[3] En Europe, l’emploi de l’expression banque islamique ne semble pas choquer l’opinion publique (Guillaume Tabourin, La finance islamique, le point de vue du superviseur, in La finance islamique : l’autre finance, Table ronde du 19 juin 2008, Centre français de droit comparé, Vol. 11, éd. Société de législation comparée, 2009, p. 114). Le législateur marocain s’apprête à légiférer en la matière en utilisant l’expression « banques participatives ». Un projet de loi (n°103-12) consacré aux établissements de crédit et organismes assimilés contient dans un titre troisième un cadre juridique aux banques participatives. Le projet de loi est consultable sur le lien suivant : http://www.finances.gov.ma/Docs/2014/CA/projet%20loi%20bancaire%20fr.pdf
L’expression banques participatives est reçue dans l’Union européenne. Un Avis émanant du Comité économique et social européen sur la "Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité des régions et au Comité économique et social européen - Un plan d'action pour faciliter l'accès des PME au financement" recommande, afin d'assurer le financement des PME, de consacrer les meilleures pratiques du secteur bancaire. Il invite à réfléchir à l'élaboration d'un cadre permettant d'encourager l'octroi de crédits de la part d'institutions dont le fonctionnement est fondé sur une philosophie de partage des risques et des bénéfices, car les PME pourraient certainement en tirer profit. Des approches telles que les banques participatives devraient être examinées soigneusement par la Commission. Le CESE invite celle-ci à élaborer un livre vert sur la base duquel un débat pourrait être engagé sur les banques participatives au niveau européen. Des initiatives isolées prises par différents pays comme le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Luxembourg et Malte sont positives mais susceptibles d'entraver une intégration plus poussée de l'industrie des services financiers au sein de l'UE. En outre, toute initiative isolée non coordonnée est susceptible de ne pas donner les résultats les plus efficaces que ce type de financement pourrait produire, par exemple le partage des risques, la participation aux résultats et l'approche sociale des finances. Stimuler la micro-finance avec des politiques spécifiques d'investissement se référant à la finance islamique pourrait également susciter de nouvelles activités entrepreneuriales tout en contribuant à lutter contre la pauvreté dans certaines régions. Dans ce contexte, une communication de la Commission prévoyant des méthodes de financement alternatives, traitant de ces méthodes et les encourageant devrait être élaborée pour garantir qu'elles soient mises sur un pied d'égalité avec des méthodes de financement conventionnelles. » Journal Officiel du 15 novembre 2012 - Numéro C 351 - Page 45.
[4] La même problématique est traitée par Pr. Noomen Rekik, Le contrats de financement à l’épreuve du droit positif, Etudes juridiques 2013, n°20, p. 19 et s.
[5] Loi n° 2001-65 du 10 juillet 2001 relative aux établissements de crédit (JORT n° 55 du 10 juillet 2001, p. 1671), telle que modifiée et complétée par la loi n°2006-19 du 2 mai 2006 (JORT n°37 du 9 mai 2006, p. 1251)
[6] Notamment la normalisation prudentielle et comptable.
[7] La dualité peut s’observer sur une échelle micro-économique. En effet, une banque peut avoir deux métiers parallèles, en quelque sorte deux guichets. Il s’ajoutera dans ce cas, des difficultés de l’organisation d’un cloisonnement des activités. Les banques conventionnelles peuvent aussi créer des filiales pour s’adonner à des activités de mourabaha ou ijara.
[8] On pose par définition, le principe de la complétude juridique du droit positif. Il y aura certainement un besoin d’adaptation, mais pas un problème de lacune au sens technique du terme.
[9] Fadi Achi & Elisabeth Forget, La gouvernance des comités de charia, Revue de droit bancaire et financier n°2, mars 2011, étude 14. Les comités de charia ont été créés au début des expériences des banques islamiques par décision propre de la banque. Ainsi en Tunisie, la BEST-BANK (devenue AL BARKA) établie en Tunisie comme banque islamique off shore avait comme un contrôleur charaïque, en la personne de Cheikh Mokhtar Sellami, alors Mufti de la République. Son rôle était d’attester de la conformité des modèles des contrats de la banque aux règles de la charia. Récemment, le législateur est intervenu par des textes spéciaux pour donner un cadre juridique à l’institution de ces comités. L’article 27 de la loi n°2013 du 30 juillet 2013, relative aux sukuk islamiques (voir infra) prévoit qu’ « un comité de contrôle charaïque est nommé par la partie émettrice et se charge de décréter à propos de toutes les questions charaïques relatives à l’opération d’émission des sukuk, de la fatwa et de l’audit charaïque. » « Le ministère chargé des finances procède à la désignation d’un comité de contrôle charaïque qui se charge de l’étude des questions charaïques, de la fatwa et de l’audit charaïque des opérations de sukuk émis ou garantis par l’Etat ou émis par les collectivités locales (article 28). » « Les décisions du comité de contrôle charaïque ont un effet obligatoire (article 29). » La loi n° 2013-48 du 9 décembre 2013, relative aux fonds d’investissement islamiques impose à chaque fonds de disposer d’un comité de contrôle charaïque chargé de l’émission des fatwas et du contrôle pour s’assurer de la conformité des transactions du fonds avec les normes charaïques. Les décisions dudit comité sont exécutoires (article 3). » Cette loi encadre plus étroitement le fonctionnement du comité.
[10] L’article 65 de la Constitution de 2014 réserve à la Loi la matière des obligations civiles et commerciales. Les règlements de toutes sortes ne peuvent fixer des règles aux obligations qu’en vertu d’une délégation de la loi ou pour l’appliquer.
[11] La distinction ‘’contrats nommés’’ et ‘’contrats innommés’’ trouve consécration dans l’article 1107 du Code civil français promulguée par la loi du 17 février 1804. Elle n’a pas été reprise dans le Code des obligations et des contrats, mais elle est enseignée par la doctrine.
[12] Article 242 du Code des obligations et des contrats.
[13] Article 515 du Code des obligations et des contrats.
[14] Voir Mathias Latina, Le contrat, généralités, Répertoire Dalloz civil, décembre 2013 (mise à jour : mars 2014), n°235. L’auteure ajoute que « l'originalité du contrat innommé peut n'être que partielle. La doctrine distingue en effet, parmi les contrats innommés, les contrats mixtes ou complexes, qui empruntent les traits d'un ou plusieurs contrats nommés distincts, des contrats sui generis totalement originaux, et par conséquent insusceptibles d'être rattachés à des contrats nommés existants. »
[15] Mohamed Kamel Charfeddine (sous la dir. de), Livre du Centenaire du Code des obligations et des contrats, 1906-2006, Centre de Publication Universitaire, 2006.
[16] La loi n°58-1 du 28 janvier 1958 a abrogé la vente à réméré بيع الثنيا, la vente à livrer avec avance de prix بيع السلم. Le Code des droits réels a interdit la vente de superficie abrogeant ainsi implicitement l’article 573 du Code des obligations et des contrats. Voir, Jules Roussier, L'application du chra’ au Maghrib en 1959, Die Welt des Islams, New Series, Vol. 6, Issue 1/2 (1959), pp. 25-55.
[17] Par exemple, le contrat de cession de jouissance d’immeuble à temps partagé (Loi n°2008-33 du 13 mai 2008), le contrat de franchise (Loi n° 2009-69 du 12 août 2009, relative au commerce de distribution. L’article 15 de cette loi renvoie à un décret d’application pour fixer les clauses minimales du contrat de franchise. Il s’agit du décret n°2010-1501 du 21 juin 2001 portant fixation des clauses minimales obligatoires des contrats de franchise ainsi que les données minimales du document d’information l’accompagnant).
[18] Par exemple, le contrat de leasing régi par loi 94-89 du 26 juillet 1994 relative au leasing. A noter que la loi n°94-90 du 26 juillet 1994 prévoit des dispositions fiscales relatives au leasing ; Le contrat de vente avec facilité des paiements à destination des consommateurs régi par la loi n°98-38 du 2 juin 1998 relative à la vente avec facilités de paiement.
[19] En particulier en matière de statut personnel. Monia Ben Jémia, Le juge tunisien et légitimation de l’ordre juridique positif par la charia, in La Charia aujourd’hui, usages de la référence au droit islamique, (sous-dir. Baudouin Dupret, La Découverte Recherches 2012, p. 153.
[20] La discussion doctrinale sur les sources de droit en Tunisie est très fournie lorsqu’il s’agit d’apprécier le rapport du droit positif avec droit musulman. Les auteurs favorables à la thèse que le droit musulman constitue une source de droit avancent l’argument des articles 1 et 38 de la Constitution de 1959 (repris respectivement à l’article 1 et 74 de la Constitution de 2014). En matière des obligations et des contrats, on ajoute que le Code des obligations et des contrats peut être interprété, en cas d’ambiguïté, par référence aux règles du fiqh principalement celui du rite hanafite. En effet, le Code des obligations et des contrats serait une synthèse des règles de droit musulman et du droit occidental. De même en cas de lacune et par application de l’article 535 du Code des obligations et des contrats, il peut être fait appel aux principes généraux de droit, cette expression désignerait alors les principes de droit musulman.
صلاح الدين الملولي، إشكالية المصادر ومكانة الفقه الإسلامي أمام فقه القضاء، مجموعة محاضرات "وحدة البحث القانون المدني"، "خمسون عاما من فقه القضاء، 1959-2009 تحت إشراف الأستاذ محمد كمال شرف الدين، نشر مركز النشر الجامعي 2010، ص. 88 وما بعدها.
Contra Ali Mezghani, Les rapports du Code statut personnel avec le droit musulman, R.T.D. 1975, II, p. 46. L’auteur estime que le colonialisme est essentiellement économique. L’Etat colonial a imposé l’application du droit économique occidental et a laissé perpétuer le droit musulman classique pour régir le statut personnel.
[21] Les juristes distinguent le droit musulman comme source matérielle et le droit musulman comme source formelle. Si dans la majorité des cas, le droit musulman est entendu par la jurisprudence comme une source matérielle, certains jugements l’appliquent immédiatement comme source formelle, c’est-à-dire sans la médiation d’une loi positive. Voir : صلاح الدين الملولي، المرجع السابق، ص. 93.
[22] Les articles 532 et 533 du Code des obligations et des contrats ne laissent pas expressément une place au droit musulman.
[23] Lorsque l’idée de codification du droit musulman a fait jour dans les pays sous domination coloniale. On a cherché à faire l’économie des divergences entre les rites. Ainsi, « lorsque le législateur tunisien a réglementé les sociétés commerciales, il a repris dans le code des obligations et des contrats la distinction fondamentale du droit musulman entre société et quasi-société, de même qu’il a retenu toutes les formes de société abstraction faite des divergences qui opposent les jurisconsultes musulmans. » Slaheddine Mellouli & Sami Frikha, Les sociétés commerciales, La Maison du livre 2013, p. 12. Un juriste algérien du début du 20e siècle, Aboubaker !abdesselam Ben Choaïb, avait écrit un article sur la problématique de la ‘’Codification du droit musulman’’ (et ce à l’occasion de la publication de la première partie du projet de codification du droit musulman en Algérie). Il cite le passage suivant de la Balance de Chârâni traduit par Perron : « A aucune époque de l’islamisme, les grands ulémas au hauts légistes n’ont inculpé le changement de rite au point de vue de l’application. La raison est que tous les rites sont fondés sur les mêmes bases et que l’application des données légales, sous les deux formes, est dans l’orthodoxie et la vérité. » Revue du monde musulman, 1909, numéros 7-8, p. 454.
[24] L’inverse est impossible en droit. On ne peut pas ramener le contrat de banque islamique à une norme de droit musulman à l’exclusion des normes étatiques.
[25] Article 14 de la même loi 2001-65 du 10 juillet 2001 relative aux établissements de crédit.
[26] Sur cette distinction, voir Valerie Debrut, Le banquier actionnaire, Presses universitaires juridiques, Université de Poitiers – 2013, n°44 et s., pp. 46-47.
[27] Thierry Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien 3e éd. 1999, p. 33.
[28] Ibid, p. 35.
[29] L’article 6 de la loi n° 2009-69 du 12 août 2009, relative au commerce de distribution impose au commerçant distributeur d’indiquer le secteur de son activité. Il ne peut y avoir des commerçants opérant dans tous les secteurs d’activité. On perçoit la portée de cette règle lorsque l’exercice du commerce de distribution est fait par une personne morale. La nécessite que l’objet social soit déterminé implique que la société ne puisse se contenter d’indiquer dans ses statuts qu’elle distribue tout type de produit.
[30] A ne pas confondre avec l’expression ‘’banque universelle’’.
[31] Article 996 du Code des obligations et des contrats.
[32] Nicols Mathey, La prise en compte des déterminants religieux dans la relation bancaire, Revue de droit bancaire et financier n°2, Mars 2012, dossier 13, n°11 et s ; Jérôme Lasserre Capdeville, Le compte de dépôt et la finance islamique, Revue de droit bancaire et financier n°6, Novembre 2011, étude 33.
[33] Il est rappelé qu'en application de l'article 672 du Code de Commerce, le compte dépôt ne comporte pas la faculté de découvert. Toutefois, si la banque a admis une ou plusieurs opérations qui ont rendu le compte débiteur, elle doit en aviser, sans retard, le déposant qui est tenu de régulariser aussitôt sa situation. Ces découverts donnent lieu à perception des intérêts et commissions prévus par la banque [conventionnelle] pour les avances en comptes courants (Article 2 de la circulaire de la Banque centrale de Tunisie n°91-22 du 17 décembre 1991 portant réglementation des conditions de banque).
[34] La réglementation bancaire n’interdit pas aujourd’hui de rémunérer les dépôts à vue par des intérêts, mais elle en fixe une limite. Le taux d'intérêt applicable aux comptes à vue en dinars et à tout dépôt ou placement en dinars d'une durée inférieure à trois mois ne doit pas excéder deux points de pourcentage (Article 1 de la circulaire de la Banque centrale de Tunisie n°91-22 du 17 décembre 1991 portant réglementation des conditions de banque). La perspective de recevoir une rémunération sous forme d’intérêts est de nature à encourager les épargnants à placer des fonds chez les banques conventionnelles. En pratique, la possibilité de rémunérer les dépôts à vue n’a pas rencontré un succès.
[35] La Cour d'appel de Tunis a rendu un arrêt sur la problématique spécifique de la validité des dates de valeur dans les comptes en banque (arrêt n°3611/1223 du 3 juillet 2013 inédit). L'appelant conteste leur validité pour plusieurs raisons dont notamment celle tirée de la lettre de l'article 1097 du Code des obligations et des contrats et de l’absence de cause (suivant en cela la jurisprudence française). La Cour d'appel de Tunis rejette la demande et reconnaît la validité des dates de valeurs par la motivation suivante :
« Attendu que l'appelant a critiqué le recours par l'expert à la circulaire de la Banque Centrale de Tunisie n°22-91 du 17 juillet 1991 modifiée par la circulaire n°15-96 du 29 novembre 1999 au motif que le texte applicable est l'article 1097 du Code des obligations et des contrats. »
« Attendu que l'appelant n'est pas admis à se prévaloir de l'article 1097 du Code des obligations et des contrats dans la mesure où les textes spéciaux prévalent sur les textes généraux. Etant donné que le litige porte sur un compte courant bancaire, il est soumis aux dispositions spéciales du Code de commerce, les textes d'application et les dispositions réglementaires régissant les activités bancaires édictées par la Banque Centrale de Tunisie lesquelles suivent l'usage bancaire. En particulier, ce qui caractérise le compte courant bancaire, selon les dispositions de l'article 728 et suivant du Code de commerce, est sa soumission à la volonté des parties et à défaut aux usages, selon les termes mêmes de l'article 737 du même Code. »
« Attendu qu'il ne peut être admis de critique contre le jugement de premier degré qui a fait application de la circulaire de la Banque Centrale ».
[36] Le Calvez, D. 2002. 1891 (les dates de valeur et l'usure: touche pas à mon taux!) ; Bragantini-Bonnet, JCP E 2008, no 19, p. 13, spéc. no8 (l'anatocisme conventionnel) ; Ferry, Rev. dr. bancaire 1993. 106. – Mouly, RJDA 1993. 503; Rev. dr. bancaire 1994. 227. En dehors des remises de chèques en vue de leur encaissement, la pratique des «dates de valeur» ne permet pas à une banque de faire naître à la charge du titulaire d'un compte courant une obligation de payer des intérêts dès lors que les opérations concernées (remises d'espèces ou retraits) n'impliquent pas que, même pour le calcul des intérêts, les dates de crédit ou de débit soient différées ou avancées. Com. 6 avr. 1993: Bull. civ. IV, no 138; D. 1993. 310, note Gavalda ; JCP 1993. II. 22062, note Stoufflet.
[37] En droit et sauf stipulation contraire du contrat de compte, la banque islamique est en droit d’exiger le paiement des intérêts débiteurs, à charge pour elle de les purifier en les reversant à des œuvres caritatives.
[38] Kaouther Toumi, L’impact des comptes d’investissement participatifs sur le ratio prudentiel des banques islamiques, Les cahier de la finance islamique n°2, p. 39.
[39] عقد قراض أو مضاربة David Santillana, auteur du projet préliminaire du Code civil et commercial tunisien note à la marge de l’article 1176 (l’actuel article 1195 du Code des obligations et des contrats) la remarque suivante : « Le Kiradh, qu’on traduit à tort par commandite, est l’ancien contrat de commande des statuts médiévaux en France et en Italie (commenda) ; nous lui avons consacré un titre à part, afin de ne pas le confondre avec la commandite moderne, dont il est d’ailleurs la forme primitive : il est assez curieux de le retrouver, encore vivant, dans le droit arabe, et je ne suis pas décidé à fondre le deux contrats. » Voir pour l’histoire de la pratique des contrats d’association Moudharaba et charika, Sadok Boubaker, Négoce et enrichissement individuel à Tunis du XVIIe siècle au début du XIXe siècle, Revue d'histoire moderne et contemporaine, T. 50e, No. 4 (Oct. - Dec., 2003), p. 52. « En dehors de quelques grandes fortunes, les fonds de la plupart des sociétés restent modestes et leur durée assez courte : elle est de vingt-sept mois à Sfax. Les marchands préfèrent renouveler les associations ou les multiplier plutôt que de s'engager dans des opérations lourdes et risquées. » A noter au passage que le contrat de commande n’a pas été repris par le Code marocain des obligations et des contrats qui n’est qu’une copie du Code tunisien des obligations et des contrats.
[40] Article 1198 du Code des obligations et des contrats.
[41] Article 1197 du Code des obligations et des contrats. Le projet préliminaire exige la capacité de donner et de recevoir mandat, ce qui n’est guère justifié car le contrat de commande est une espèce de société.
[42] Article 1195 du Code des obligations et des contrats.
[43] Article 1218-3 du Code des obligations et des contrats.
[44] Article 1218-1 du Code des obligations et des contrats. Kaouther Toumi, op. cit., (note 38 supra) , observe (p. 45) que « la gestion des comptes d’investissement représente une préoccupation majeure pour les banques islamiques. En pratique la banque islamique se trouve dans l’obligation de s’engager dans un ensemble de pratiques qui servent à lisser les taux de rendement sur les comptes d’investissement et ce, pour protéger leurs titulaires d’une variation défavorable des revenus générés par les actifs financés par ces fonds d’investissement et leur payer une rémunération comparable à celle des marchés. » Selon le même auteur, les techniques de lissage sont au nombre de trois : « investir une part significative des comptes non rémunérés dans des actifs à court terme de faible risque et de rendement certain » ; « rétention des réserves à partir des profits attribuables aux titulaires des comptes d’investissement et aux actionnaires » ; « faire varier le ratio Mudhareb Share. La part des profits de la banque déterminée initialement est la part maximale, alors que la part distribuée réellement varie d’une période à une autre en fonction du taux de rendement réel. ». 
[45] Article 1218-2 du Code des obligations et des contrats.
[46] Le contrat est également nul s’il est stipulé que les bénéfices profiteront à un tiers.
[47] Art 1219 du Code des obligations et des contrats. La nullité s’opère avec une requalification du contrat. C’est une application d’une règle générale posée à l’article 328 du Code des obligations et des contrats.
[48] La formule n’est pas sans rappeler le contrat de commission, avec cette différence qu’ici l’agent est rémunéré par une part dans les bénéfices et non par une commission.
[49] Article 1200 du Code des obligations et des contrats.
[50] L’interdiction de l’immixtion dans la gestion. L’opposition est considérée en droit comme une forme d’immixtion dans la gestion, elle est donc interdite.
[51] 1218-6 du Code des obligations et des contrats.
[52] Article 1202 du Code des obligations et des contrats.
[53] La disposition est utile dans l’application de la législation du redressement des entreprises en difficultés économiques.
[54] Article 1204 du Code des obligations et des contrats.
[55] L’article 1136 du Code des obligations et des contrats énonce que « tout mandataire doit rendre compte au mandant de sa gestion, lui présenter le compte détaillé de ses dépenses et de ses recouvrements, avec toutes les justifications que comporte l’usage ou la nature de l’affaire et lui faire raison de tout ce qu’il a reçu par suite ou à l’occasion du mandat. »
[56] Les modalités de l’organisation de la protection méritent une réflexion. On peut proposer de créer une masse des déposants à l’image de la masse des porteurs de certaines valeurs mobilières (actions à dividende prioritaire sans droit de vote, certificat d’investissement, obligataires ou titres participatifs). La création d’une masse ayant des intérêts collectifs nécessite une intervention de la loi. On peut se poser la question si en l’état actuel des textes, le commissaire aux comptes peut jouer un rôle pour contrôler les comptes de la commande. Le secret professionnel auquel est tenu le commissaire aux comptes (article 270 du Code des sociétés commerciales) lui interdit de communiquer avec les bailleurs de fonds. Comment par ailleurs être assuré que la banque n’ait pas commis de faute de gestion ou de fraude aux droits des bailleurs de fonds ?
[57] Article 601 du Code de commerce.
[58] La requalification du contrat nul avait existé dans le projet du Code à l’article 1203 et s’étendait à tous les cas de nullité prévus à l’article précédent (article 1202 du projet ce qui correspond à l’actuel article 1218). L’article 1219 a repris la requalification du contrat mais il l’a cantonnée à certains cas spécifiques de nullité.
[59] La loi n°2013-30 du 30 juillet 2013, relative au sukuk islamiques (JORT 2013, n°62, p. 2301).
[60] Les sukuk sont en outre qualifiés de valeurs mobilières au sens de la loi relative à la dématérialisation des titres (article 2 de la loi du 30 juillet 2013).
[61] La norme 17 de l’AAOIFI emploie l’expression sukuk d’investissement. Ils sont définis comme « des titres de même valeur nominale représentant des parts indivises d’un droit de propriété de biens, de droits d’usufruit, de services ou d’actifs d’un projet déterminé ou d’une activité d’investissement particulière. »
[62] Article 1er de la loi du 30 juillet 2013.
[63] Les sukuk ne sont pas des actions ou parts sociales dans la mesure où leurs titulaires n’ont pas vocation à participer aux décisions relatives à la conduite de l’activité, l’administration du contrat ou la gestion de l’actif sous-jacent. La loi ne prévoit cependant pas une expression collective des titulaires des titres. Il n’y a pas une assemblée spéciale des souscripteurs.
[64] AAOIFI, La norme de conformité 17, Finance islamique, les normes de conformité de l’AAOIFI, Volume 1, AAOIFI – Paris Europlace, 2013, p. 223 ; Michel Stork, Les sukuk : aspects de droit français et de droit musulman, Revue de droit bancaire et financier n°2, mars 2011, étude 17.
[65] Lorsque l’entreprise est publique l’émission des sukuk doit être autorisée par le ministre chargé des finances. Il peut se trouver parmi les émetteurs des banques publiques. Elles sont soumises à autorisation.
[66] Article 5 de la loi du 30 juillet 2013. Le fait que les sukuk soient considérés comme des valeurs mobilières devrait avoir pour conséquence de limiter leur émission à des sociétés par actions. Pour les entreprises du secteur privé, un décret devrait fixer les conditions d’émission des sukuk. Ce décret n’est pas encore publié.
[67] Article 10 de la loi du 30 juillet 2013.
[68] Comparer avec l’article 35 du Code des organismes de placement collectif. La titrisation des créances bancaires conventionnelles est faite par la création d’un fonds commun de créances. C’est « une copropriété ayant pour objet unique l'acquisition de créances saines détenues par les banques ou d'autres organismes prévus par décret, en vue d'émettre des parts représentatives de ces créances. » 
[69] En droit français, « la structuration des sukuk se fait selon le schéma suivant : une entreprise qui souhaite acquérir un immeuble et se financer sur les marchés (ou obtenir un financement adossé à tout ou partie de son patrimoine immobilier) crée une filiale ad hoc (un special purpose vehicle ou SPV) qui émet des titres de créances qui seront qualifiés de sukuk. Ces titres de créance sont souscrits par des investisseurs islamiques. Avec les fonds ainsi levés le SPV acquiert un immeuble qu’il donne immédiatement en crédit-bail (ijara) à une société opérationnelle de son groupe. Puis au terme d’une convention de fiducie, le SPV transfère l’immeuble et le contrat d’ijara à un établissement de crédit (ou à un SPV créé par celui-ci) agissant en tant que fiduciaire. Les redevances payées au titre de l’ijara seront normalement appréhendées par le fiduciaire qui les affectera au remboursement et à la rémunération des sukuks. Il en sera de même du prix de cession de l’actif (en cas d’engagement de rachat, d’exercice d’une option d’achat ou de cession à un tiers). » Mathieu Vignon et  Romain Pichot, Islamic bonds (sukuks), vers une solution française ? Revue trimestrielle de droit financier, mai 2009 ; François Barrière, Propriété, fiducie et sukuk, JCP E n°10, p. 1203.
[70] Le fonds commun de sukuk n’a pas la personnalité morale mais la technique permet de créer un patrimoine autonome ; les dispositions de droit commun relatives à l’indivision ne lui sont pas applicables ; les dispositions relatives à la société en participation ne lui sont pas applicables. Le fonds commun de sukuk, à l’instar d’un fonds commun de créances, est constitué à l’initiative conjointe d’une société de gestion et d’un dépositaire. La société de gestion doit être une société anonyme pour objet unique la gestion du fonds commun de sukuk. Le dépositaire est une banque au sens de la loi n°2001-65 du 10 juillet 2001. Voir, Nathalie Baruchel, La personnalité morale en droit privé, Eléments pour une théorie, LGDJ 2004, pp. 172-174 et pp. 340-342.
[71] Il ne faut pas confondre les fonds communs sukuk avec les fonds d’investissement islamiques qui peuvent être créés soit sous la forme d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières ou de sociétés d’investissement ou de fonds experts ou d’entreprises non-résidentes exerçant l’activité de prise de participations au capital des entreprises existantes ou en création prévues par l’article 147 du code de prestation des services financiers aux non-résidents. Les fonds d’investissement islamiques sont régis par la loi n°2013-48 du 9 décembre 2013 (JORT 2013, n°98, p. 3396).
[72] Mahmoud El-Gamal, Finance islamique, aspects légaux, économique et pratiques, traduction et adaptation de Jacqueline Haverals, De Boeck, 2010, p. 143.
[73] Anouar Hassoun, Principes de structuration des sukuk, in Finance éthique et finance islamique : quelle convergence ? Actes de séminaire ‘’Finance éthique et finance islamique’’ organisé par l’Ecole de Management Strasbourg, le 11 février 2009, publié in Les cahiers de la finance islamique n°1, p. 22.
[74] Comparer avec l’article 584 du Code des obligations et des contrats. Le vendeur peut céder son droit au prix, même avant paiement, sauf les conventions contraires entre les parties. Cette disposition n’a pas lieu dans les ventes de denrées alimentaires, entre musulmans.
[75] Considérons l’exemple suivant : un portefeuille composé de créances dont 36% sont issues de contrats de leasing et 64% sont basées sur des structures de mourabaha. Le sukuk ne sont pas négociables. Il faudra donc créer un fonds commun de sukuk avec la totalité des créances ijara et la moitié des créances mourabaha pour permettre la négociabilité des sukuk. La solution trouve une explication dans un principe juridique classique qui veut que la majorité détermine le genre : un alliage constitué de 51% d’or et de 49% de nickel est assimilé à l’or et ne peut être vendu que pour un poids et une échéance identique. Michaël Moaté, La création d’un droit bancaire islamique, Thèse Université de la Rochelle, Faculté de droit, sciences politiques et gestion 2011, note 476, p. 131.
[76] Dans une banque conventionnelle, on distingue aussi le crédit par signature. Il n’est pas interdit qu’une banque islamique se porte caution mais en pratique les banques sont réticentes, car le client peut mettre du temps à rembourser.
[77] Certaines banques conventionnelles filialisent cette activité. Gilles Saint Marc, La finance islamique : un enjeu pour la France, in La finance islamique : l’autre finance, op. cit., p. 108.
[78] Un autre contrat de droit musulman, salam, peut être utilisé par les banques islamiques, mais il est actuellement interdit en droit tunisien par l’effet de la loi n°58-1 du 28 janvier 1958. Le contrat est réputé nul. Les contrats antérieurs à la loi sont résiliés.
[79] Nicolas Mathey, La prise en compte des déterminants religieux dans la relation bancaire, Revue de droit bancaire et financier, n°2, Mars 2012, dossier n°13. L’auteur remarque que la nécessité d’adosser le crédit à un actif tangible rend assez contraignante la mise en place de prêts à la consommation classique. Le crédit renouvelable devient totalement impensable.
[80] Les contrats de banque islamiques doivent également mentionner le taux effectif global.
[81] Pour mesurer les conséquences de la prévalence du droit musulman par rapport du droit positif, il suffit d’imaginer la solution au cas où la vente est faite par mandat. Voir Chafik Chahata, La représentation dans les actes juridiques en droit musulman, Revue internationale de droit comparé. Vol. 8 N°4. Octobre-décembre. pp. 538-546. L’auteur examine dans cet article le régime du mandat dans une opération de vente. Il se limite à l’étude de la question du seul point de vue de l’école Hanafite.
[82] Frédéric Durand et Sami Hazoug, La murabaha, Revue de Droit bancaire et financier n° 2, Mars 2011, étude 16.
[83] Coran, S II, V.275.
[84] Gérard Brayer, La finance islamique, une autre finance, in La finance islamique : une autre finance, op. cit., p. 25.
[85] Le législateur tunisien n’a pas prévu un texte de portée générale renvoyant au droit musulman comme source de droit. Mais le Code des obligations et des contrats a prévu certaines dispositions tenant compte soit de la qualité des parties au contrat comme étant des musulmans (articles 210, 584, 720, 834, 1023, 1255 et 1463) soit un renvoi spécifique au droit musulman comme source formelle pour une question déterminée (articles 369, 575, 733, 1253, et 1428). L’article 575 du Code déclare « nulle entre musulmans la vente de choses déclarées impures par la loi religieuse, sauf les objets dont elle a autorisé le commerce, tels les engrais pour les besoins de l’agriculture. »
[86] Cherif Karim, La finance islamique : Analyse des produits financiers islamiques, mémoire, Haute Ecole de Gestion de Genève (HEG-GE) 2008, p. 33 consulté le 29 juillet 2014 (http://ribh.files.wordpress.com/2007/08/analyse-des-produits-financiers-islamiques-cherif-karim.pdf) ; Gérard Brayer, La finance islamique, une autre finance, in La finance islamique : une autre finance, op. cit., p. 25, observe que « le financement par Murabaha ne peut porter que sur des actifs tangibles et par conséquent ne permet pas de financer les dépenses d’exploitation d’une entreprise. »
[87] Les Chafféites et Hanbalites considèrent que la possession préalable de l’objet du contrat par le vendeur est une condition sine qua non à la conclusion du contrat. Voir Mahmoud El Gamal, op. cit., p. 96.
[88] La norme AAOIFI énonce que l’acte constatant la promesse unilatérale d’achat du client ne doit pas comprendre une promesse synallagmatique des deux parties (l’institution financière et le client).
[89] Dans ce système, la banque stipuler à son profit un droit d’option pendant un délai déterminé. L’article 700 et suivant du Code des obligations et des contrats régit la vente sous condition suspensive en faveur de l’une des parties (vente à option).
[90] Le paiement du prix est fait directement par la banque au fournisseur. La norme AAOIF exige que l’institution financière paye elle-même et ne doit pas déposer le prix d’achat sur le compte du client mandataire. Elle doit obtenir du vendeur les pièces établissant la réalité de la vente.
[91] Mohamed Moncef Chaffai, La demeure du débiteur, thèse, Faculté de droit et des sciences économiques et politiques de Tunis, 1984 (ronéotypé), p. 256. La norme AAOIFI énonce que l’institution financière ne peut pas considérer que le contrat de murabaha pour le donneur d’ordre d’achat est conclu automatiquement aussitôt qu’elle acquiert le bien, de même qu’elle ne peut pas contraindre le client-donneur d’ordre d’achat à réceptionner le bien et à payer le prix de la vente murabaha, s’il refuse de conclure le contrat murabaha. La violation de la promesse donne lieu à une indemnisation du préjudice réel causé par le client et cela par la prise en charge par ce dernier, de la différence entre le prix de revente de la chose à un tiers et le prix de vente payé par l’institution au vendeur originaire.
[92] La banque ne peut, dans ce cas recourir, à la procédure de l’injonction de payer. En effet, une promesse de vente ne peut créer une obligation de somme. Il faudra attendre le jugement valant vente.
[93] Article 303 du Code des obligations et des contrats.
[94] François Gueranger, (Finance islamique, Une illustration de la finance islamique, Dunod, 2009, p. 105) écrit que la banque peut demander au client de la représenter auprès du fournisseur et de régler celui-ci directement, à charge pour elle de le rembourser ensuite.
[95] Article 304 du Code des obligations et des contrats.
[96] Article 305 du Code des obligations et des contrats. La norme AAOIFI énonce que « l’institution peut recevoir de son client une somme d’argent appelée hamich juddiya, mais il ne s’agit pas d’un arboun. » Elle ajoute que « l’institution financière ne peut pas se saisir de cette somme en cas d’inexécution du client de sa promesse ayant force obligatoire. Son droit se limite à retrancher le montant du préjudice réel subi résultant de cette inexécution. Ce montant est égal à la différence entre le coût de revient de la marchandise et son prix de revente à un tiers. L’indemnité ne comprend pas la perte de chance. »
[97] Mais les Hanafites et les Malékites considèrent que la possession préalable n’affecte que l’exécution de la vente et non sa validité.
أحمد بن طالب، التفويت في ملك الغير، دار ميزان للنشر 2009، ص. 295 عدد 241.
[98] Exemple dans le rite hanafite : ‘’Si, quelqu'un ayant acheté au terme d'une année [non déterminée], le vendeur retenait (mana') la chose vendue jusqu'à l'expiration [de l'année] et qu'en suite il la livrât, [l'acheteur] aurait droit au terme d'une autre année [d'après l'imâm (1)]. Les deux disciples (2) professent l'opinion contraire’’. Voir, Ibrhim ibn Mohammad ibn Ibrhim al Halabi, Droit musulman (rite Hanafite), Le Moultaqa el abheur, avec commentaire abrégé du Madjma el anheur, traduction H. Sauvaire, Marseille, Typ et Lith Barlatier-Fetssat père et fils, 1882, p. 7.
[99] François Gueranger, Finance islamique, une illustration de la finance éthique, Dunod, 2009, p. 63.
[100] Les facteurs influençant la formation des taux d’intérêt sont au nombre de trois : le coût du financement, le coût du risque et le coût opératoire. Voir, Jacques Dubos, Intérêts et commissions. - Fixation des taux d'intérêts, Jurisclasseur Banque- Crédit – Bourse, Fasc. 510, n°20 et s., date de fraîcheur 28 Décembre 2004.
[101] Elyes Jouini et Olivier Pastré, La finance islamique, une solution à la crise ? Paris Europlace – Economica, 2009, p. 26-27. « Même si la murabaha rappelle singulièrement un contrat de dette classique, elle s’en distingue sur quelques points essentiels. Premièrement la banque est, au début, propriétaire effectif de l’actif sous-jacent. Il ne s’agit donc pas d’un prêt, mais d’une opération de vente à crédit. Dans cette opération la banque supporte les risques liés à la détention de l’actif. Deuxièmement, il n’y a pas de référence explicite à un taux d’intérêt…La rémunération du créancier ne compense pas l’utilisation de l’argent mais correspond plutôt à la rémunération du service rendu par la banque. Enfin, le montant de la marge bénéficiaire ne varie pas avec le temps : il est fixé d’avance et ne varie pas durant la durée du délai de paiement accordé. »
[102] Le marché monétaire est actuellement organisé par la circulaire de la Banque centrale de Tunisie n°2005-9 du 14 juillet 2005 telle que modifiée par circulaire aux établissements de crédit n°2009-07 du 19-02-2009. Jacques Dubos, op., cit., n°18, observe que « l'usage des taux fixes s'est fortement contracté et la pratique des taux variables ou révisables s'est généralisée pour les prêts à long terme, avec ou sans fixation d'un taux "plancher" et d'un taux "plafond" ». La remarque est également valable en Tunisie.
[103] L’article 579 du Code des obligations et des contrats dispose que « le prix de vente doit être déterminé. On ne peut en reporter la détermination à un tiers ni acheter au prix payé par un tiers, à moins que le prix ne soit connu des contractants. On peut, cependant, s’en référer au prix fixé dans une mercuriale, ou tarif déterminé, ou à la moyenne des prix du marché, lorsqu’il s’agit de marchandises dont le prix ne subit pas de variations. Lorsque ce prix est variable. Lorsque ce prix est variable, les contractants sont présumés s’en être référés à la moyenne des prix pratiqués. » La norme AAOIFI énonce que « le prix de vente ou la marge bénéficiaire ne doit en aucune façon dépendre d’indices inconnus ou déterminables dans le futur tels que la conclusion d’une vente dont la marge bénéficiaire serait indexée sur le taux LIBOR qui sera connu dans le futur. Il n’y a pas d’inconvénient à désigner un indice parmi les indices connus, dans la phase de la promesse, pour s’y référer dans la détermination du taux de bénéfice à condition que la détermination de la marge bénéficiaire dans le contrat murabaha pour le donneur d’ordre d’achat soit sur la base d’un pourcentage déterminé du coût de revient et que la marge ne dépende pas du LIBOR ni du facteur temps. »
نذير بن عمو، البيع والمعاوضة، مركز النشر الجامعي، تونس 2007، ص، 173 وما بعدها
[104] Mahmoud El-Gamal, op.cit., p. 98.
[105] La norme AAOIFI énonce qu’il faut laisser écouler une période entre l’exécution du mandat et la conclusion du contrat murabaha pour le donneur d’ordre d’achat par le biais de la notification par le client de l’exécution du mandat et de la réalisation de la vente. Voir Nicolas Hardy, Finance islamique : les acteurs, les instruments, op. cit., p. 97 : « la pratique bancaire s’est aussi orientée vers la limitation la plus grande possible, voire la quasi-disparition, de la période intermédiaire durant laquelle se retrouve en risque. »
[106] Mahmoud El-Gamal, ibid.
[107] Article 647 du Code des obligations et des contrats.
[108] Article 630 du Code des obligations et des contrats.
[109] Article 647 du Code des obligations et des contrats.
[110]  Article 655 du Code des obligations et des contrats.
[111] Article 672 al. 3 du Code des obligations et des contrats.
[112] Article 672 al. 2 du Code des obligations et des contrats.
[113] Article 672 al. 2 et 3 du Code des obligations et des contrats.
[114] Article 672 in fine du Code des obligations et des contrats.
[115] Article 673 du Code des obligations et des contrats. La norme AAOIFI énonce que « l’institution peut, dans le contrat de murabaha pour le donneur d’achat, stipuler à son profit une clause d’exonération de la garantie de tout ou partie des vices du bien. En présence de cette clause, il est préférable que l’institution subroge le client dans ses droits contre le vendeur originaire pour la garantie des vices du bine vendu. »
[116] Cass. Civ. 2895 du 10 nov. 2000, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Civ. 2000, p. 120 ; Cass. Civ. 2556 du 27 oct. 2004, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Civ. 2004, p. 177.
[117] نذير بن عمو، البيع والمعاوضة، مركز النشر الجامعي، تونس 2007، ص، 326 وما بعدها.
[118] Article 247 du Code des obligations et des contrats.
[119] Article 335 du Code des obligations et des contrats.
[120] A comparer avec l’article 244 du Code des obligations et des contrats qui annule les clauses de non- responsabilité en cas de faute intentionnelle ou de faute lourde.
[121] La jurisprudence publiée ne fait pas ressortir des espèces où le litige a porté sur la validité d’une clause limitative ou élusive de responsabilité. L’article 673 du Code des obligations et des contrats s’applique indifféremment à la question des délais pour notifier la survenance du vice caché ou pour agir en garantie et les clauses limitatives ou élusives de responsabilité.
[122] Le recours contre la banque étant économiquement plus intéressant, on fait ici l’économie de la solution qui consiste à dire qu’en cas de cessions successives, le sous-acquéreur dispose en plus de l’action contre son vendeur immédiat, acheteur précédent de la chose, d’une action en garantie contre le vendeur antérieur, lequel est souvent le fabricant de la chose. (La jurisprudence française admet en effet que la garantie contre les vices, née du contrat passé entre un vendeur et un acheteur, se transmet avec la chose au sous-acquéreur ce qui permet à ce dernier, ayant cause à titre particulier de l'acheteur, d'agir par la voie contractuelle contre un vendeur antérieur ou le vendeur initial, aussi bien qu'à l'encontre de son propre cocontractant (V. Cass. 1re civ., 4 févr. 1963 : JCP 1963 GII, 13159, note Savatier ; RTD civ. 1963, p. 564, obs. Cornu, véhicule automobile d'occasion. – Cass. 1re civ., 5 janv. 1972 : JCP 1973, II, 17340, note Malinvaud, véhicule automobile d'occasion. – V. aussi Cass. civ., 12 nov. 1884 : S. 1886, 1, p. 149, et Philippe Rémy, obs. RTD civ. 1983, p. 756 : l'auteur considère cette jurisprudence comme centenaire). Cette solution est fondée sur l'idée objective que la garantie est un accessoire nécessaire de la chose, attaché à sa propriété). En Tunisie, l’article 17 al. 1 de la loi du 7 décembre 1992, consacre la règle de la transmission de la garantie au consommateur sous-acquéreur d’un bien auprès d’un professionnel. La solution est soutenue en droit commun. Voir, Abdelwaheb Rebai, La vente d’immeuble à construire en droit tunisien, LGDJ 2003, pp. 379-381.
[123] Cass. Civ. 28132, du 16 février 2004 Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Civ. 2004, p. 33.
نذير بن عمو، البيع والمعاوضة، المرجع السابق، ص. 328.
Elyes Jouini et Olivier Pastré, op. cit., p. 104. Les auteurs proposent pour la place de Paris de « prévoir que lorsque la revente du bien financé intervient concomitamment au premier achat, le Financier revendeur puisse être exonéré de la garantie des vices cachés (qui reposerait alors toute entière sur le vendeur initial). »
[124] La norme AAOIFI.
[125] Article 1 de la loi n°94-89 du 26 juillet 1994, relative au leasing. L’article 2 de la loi déclare nul de tout effet toutes clauses et stipulations et tous arrangements contraires aux dispositions de l'article premier de la loi.
[126] François Guéranger, op. cit., p. 113.
[127] Jean Devèze (sous-dir.), Lamy financement, 2013, n°5453 et 4562.
[128] Michaël Moaté, La création d’un droit bancaire islamique, thèse Faculté de droit, science politique et gestion Université de La Rochelle, 2011, p. 91 ; Mahmoud El-Gamal, op. cit., p. 133.
[129] Le Code des obligations et des contrats ne vise pas expressément la location de la chose d’autrui.
[130] Le loyer n’est pas dû le jour où le banquier paie le prix d’achat.
[131] Ibid, p. 92; contra la norme 9 AAOIFI : § 3.1 : « Il est exigé pour la validité du contrat ijara qui a pour objet une chose déterminée qu’il soit précédé de l’acquisition du bien destiné à être loué ou de son usufruit. »
[132] Article 4 de la loi n°94-89.
[133] Mahmoud El-Gamal, op. cit., p. 134.
[134] Article 2 de la loi de 1994
[135] Jérôme Lasserre Capdeville, Les principes de la finance islamique : présentation et illustration, Revue de droit bancaire et financier, n°2, 2011, étude 13.
[136] Lamy financement, op. cit., 2013, n°5454.
[137] Il semble qu’on entend par réparations d’entretien les frais de maintenance régulière.
[138] Mahmoud El-Gamal, op. cit., p. 136.
[139] Lamy financement, op. cit., 2013, n° 5455.
[140] Article 278 al. 2 du Code des obligations et des contrats.
[141] L’article 278 al. 2 du Code des obligations et des contrats ne fixe pas expressément le taux de l’intérêt de retard. Les juges étendent en pratique les dispositions de l’article 1100 du même Code applicable aux intérêts rémunératoires du prêt.
[142] Article 278 al. 3 du du Code des obligations et des contrats ; Voir Stéphane Piedelièvre, Intérêts des capitaux, Répertoire Dalloz commercial, 2012-3, n°23.
[143] François Guéranger, Finance islamique, une illustration de la finance éthique, Dunod Paris 2009, p. 107.
[144] Sur cette distinction, voir Vincent David, Les intérêts de sommes d’argent, LGDJ 2005, pp. 50-65 ; Fabrice Gréau, Recherches sur les intérêts moratoires, Defrénois 2006, pp. 131-154.
[145] L’article 21 de la loi énonce qu’« un établissement de crédit ne peut affecter plus de 10 % de ses fonds propres à une participation dans une même entreprise. Il ne peut également détenir directement ou indirectement plus de 30 % du capital d'une même entreprise. Toutefois, il peut, à titre temporaire, dépasser ce pourcentage lorsque la participation est faite en vue de permettre le recouvrement de ses créances. » L’exception est d’interprétation stricte.
[146] Ibrahim Cekici, Du filtrage islamique, Les cahiers de la finance islamique n°1, p. 15,
[147] Nous pouvons à titre d’exemple comparer avec la pratique suivie par la Société de promotion du Lac de Tunis au capital de laquelle participe le groupe saoudien Al Baraka à hauteur de 50% avec l’Etat tunisien pour la commercialisation des lots de terrains à bâtir. Il est requis des établissements touristiques installés dans la zone du Lac de Tunis de ne pas commercialiser l’alcool. La prescription de l’interdiction est consignée dans le cahier des charges du plan de lotissement. Dans les faits l’interdiction est respectée.
[148] Isabelle Riassetto, Les fonds islamiques, Revue de Droit bancaire et financier n° 2, Mars 2011, étude 18, n°19. « L'existence de multinationales rend difficile l'identification des titres totalement ‘’purs’’. La solution consiste en ce cas à en ‘’purifier’’ les revenus en reversant la quote-part dite ‘’impure’’ à un organisme de bienfaisance. »
[149] Mahmoud El-Gamal, op. cit., p. 162.
[150] Mahmoud El-Gamal, op. cit., p. 163. L’auteur rapporte que « les premiers théologiens avaient été fort stricts, n’autorisant d’abord que les investissements dans des entreprises ayant un ratio de dettes/actifs de 5% puis de 10%. Avec le temps, ces ratios se sont assouplis tout en maintenant l’objectif de n’investir que dans des entreprises ayant peu de dette ou peu de revenus d’intérêts. »
[151] Article 1 du Code des sociétés commerciales.
[152] Slaheddine Mellouli & Sami Frikha, Les sociétés commerciales, La Maison du livre 2013, Tunis, p. 13 : « Le code des obligations et des contrats a retenu toutes les formes de sociétés du droit musulman abstraction faite des divergences des jurisconsultes du droit musulman sur la validité ou la nullité de tel ou tel type de société en particulier. Le législateur tunisien semble ainsi avoir considéré que la question n’est tranchée ni dans le Coran ni dans la sunna, parole du prophète, mais résulte de l’effort intellectuel des jurisconsultes. »
[153] Une opinion doctrinale soutient que les sociétés à objet civil ne peuvent être constituées que sous l’une des formes prévues par le Code des obligations et des contrats. Cf., Sami Frikha, Modernisation du droit des sociétés civiles (en arabe), in Questions doctrinale de droit civil contemporain (sous la dir. de) Mohamed Kamel Charfeddine, Regroupement Latrech du Livre Spécialisé 2014. p. 383 ; Contra Christine Labastie-Dahdouh et Habib Dahdouh, Droit commercial, Volume 2, Entreprises sociétaires, Tome 1, règles communes, IHE Editions 2003, p. 23 : « Sont ainsi des sociétés civiles, les sociétés soumises aux dispositions du Code des obligations et des contrats mais aussi celles qui sont soumises au Code des sociétés commerciales, qui ne sont pas commerciales par la forme mais qui sont civiles par l’objet, c’est-à-dire les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite simple à objet civil ». Mais ces deux auteurs indiquent en note de base de page que : « Le Code des sociétés commerciales crée cependant un doute. En effet, l’intitulé du code indique que les sociétés incluses dans le code sont des sociétés commerciales or ne sont commerciales par leur forme que les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés de capitaux (par actions). Pour justifier la présence des sociétés en nom collectif et des sociétés en commandite simple, on pourrait être conduit à penser que ces sociétés ne peuvent être utilisées que pour des activités commerciales. »
[154] Selim Jahel, Le droit des sociétés commerciales français dans ses rapports avec la Chari’a : le cas de l’Arabie Saoudite, in La place de la Chari’a dans les systèmes juridiques des pays arabes, Editions Panthéon Assas, 2012, p. 330 ; sur la personnalité juridique des sociétés civiles en droit tunisien, voir Sami Frikha, Modernisation du droit des sociétés civiles op. cit., p. …
[155] Un auteur suggère le recours à la société en participation. Mehdi Bali, Le réveil de la société en participation par les finances éthiques, Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janvier 2011, étude 3.
[156] Article 346 du Code des sociétés commerciales.
[157] Article 375 du Code des sociétés commerciales.
[158] Selim Jahel, op. cit. pp. 132-133 ; [158] Mahmoud El-Gamal, op. cit., p. 163. Ce dernier auteur cite une prise de position de « l’Académie Fiqh de l’Organisation de la Conférence Islamique qui lors de sa septième séance interdit l’émission d’actions préférentielles qui donnent à leurs détenteurs un droit prioritaire vis-à-vis des actifs de la société ou le droit de bénéficier d’un dividende d’un montant déterminé. »
[159] Voir Haykel Hajjaji, Pactes d’actionnaires et financements islamiques, RDAI/IBLJ, n°5, 2009, p. 561.
[160] En pratique, les banques exigent la fourniture d’une sûreté pour garantir les obligations d’achat et de paiement du prix.
[161] Article 1300 du Code des obligations et des contrats.
[162] La jurisprudence tunisienne n’est malheureusement pas publiée.
[163] Par réaction à cette jurisprudence hostile, certaines banques tunisiennes et des sociétés d’investissement (capital-risque) ont cru trouver une parade dans la stipulation des clauses compromissoires dans les conventions de portage. On espérait que les arbitres soient plus sensibles aux pratiques des affaires.
[164] Cass. com., 20 mai 1986, Rev. Sociétés, 1986, p. 587, D. Randoux ; Cass. com., 10 janvier 1989, J.C.P. 1989, II, 21256, A. Viandier ; Cass. Civ., 29 octobre 1990, R.T.D.Com., 1991, p. 359, n°3.
[165] C. Champaud ; Jean-Pierre BERTREL, Portage des droits sociaux, Répertoire Dalloz Sociétés, vol. 5, n°38-40.
[166] C. Champaud ; Jean-Pierre BERTREL, op. cit., n°40.
[167] En pratique, certains promoteurs ont cherché à appliquer à la nouvelle règle aux contrats de portage conclus antérieurement et dont l’exécution se poursuit sous l’empire de la nouvelle loi.
[168] On prévoit même de sanctionner les fautes de gestion commises par les dirigeants.
[169] « La moucharaka pourrait faire penser à la moudaraba. Elle se distingue néanmoins de cette dernière en ce que les deux parties participent au financement de l'opération » : Melik Nekaa, Pour un financement islamique solidaire, Les cahiers de finance islamique, n°5, 2013, p. 83.
[170]  مشاركة ثابتة أو دائمة.
[171]  مشاركة متناقصة.
[172] Lamy droit du financement, op. cit., 2013, n°5502.
[173] Lamy droit du financement, op. cit., 2013, n°5483.
[174] Pareil montage est classique en matière de gestion patrimoniale. Souvent, la société immobilière prend la forme d’une société civile. Voir, Marie‐Hélène Monsèrié‐Bon, La société civile, outil de séparation des patrimoines, Droit et Patrimoine 2004, p. 128.
[175] La norme de conformité de l’AAOIFI n°12 énonce : « l’une des parties au contrat de société peut prendre à bail la part de son associé en contrepartie d’un loyer déterminé et pendant une période déterminée. Chaque associé demeure responsable de l’entretien de sa partie » Dans ce passage, la société n’est qu’un état d’indivision. Un indivisaire prend en location la part indivise de l’autre.
[176] Un auteur a estimé que « la comparaison du coût de financement lié à chacune des banques montre que la banque islamique fait payer chaque mois 30 £ de plus que la banque traditionnelle, soit 3600 £ de plus sur la durée totale du crédit. » Kader Yahia, La finance islamique au Royaume-Uni : Quel coût pour le consommateur?, Les cahiers de finance islamique, n°5, 2013, p. 39.
[177] Lamy droit du financement précité.
[178] Finance islamique, Les normes de conformité de l’AAOIFI, Vol. 1, AAOIFI-Paris Europlace, édition ESKA, 2013, p. 190.
[179] Un auteur [Michaël Moaté, op. cit., p. 109] a pu écrire que « la création de ce type de moucharakah est révélatrice de la difficulté qu’on les banques islamique à développer un modèle basé sur l’association stricte. Elle soulève de plus de nombreuses interrogation au regard du droit classique. Ainsi, en entrant dans une relation de moucharakah dégressive, la banque et son client ne désirent pas l’association en tant que telle, mais simplement un moyen licite d’emprunter à crédit. Ceci est suffisamment éclairé par la nécessaire fixation préalable des revenus dégagés par le projet, revenus dont le partage servira à désintéresser les deux partenaires et le fait que le projet ne puisse pas dégager de perte autre le non-paiement du leasing par le client. »