vendredi 1 juin 2018

Renouvellement des contrats de distribution


Le renouvellement des contrats de distribution






La distribution des produits des producteurs ou importateurs aux consommateurs fait intervenir des agents économiques indépendants qui les achètent en vue de leur revente en leur état. Des professionnels, également indépendants, peuvent jouer un rôle d’intermédiation (courtage, commission et agence commerciale) entre les fournisseurs et les distributeurs. 



Les contrats qui se nouent entre les partenaires de toutes sortes peuvent n’être que des ventes ponctuelles, même si elles sont répétitives, ou se mouler dans des accords-cadres précisant les caractéristiques générales des relations contractuelles futures. L’avantage des accords-cadres est d’assurer une stabilité des relations commerciales et une prévisibilité des flux économiques. Les opérations de distribution ont, en effet, vocation à s'inscrire dans le temps. 



Les contrats-cadres de distribution sont divers selon leur contenu. Les principaux sont la concession, la franchise et la distribution sélective (Philippe Grignon, Distribution, Répertoire Dalloz commercial, n°67). Ils sont souvent conclus pour une période déterminée plus ou moins longues. 



Le contrat est dit à durée déterminée en présence d'un terme extinctif, dont l'expiration a pour effet d'éteindre les obligations principales et, par voie de conséquence, le contrat. Le terme est un événement futur et certain dont dépend l'exigibilité ou l'extinction de l'obligation. Le Code des obligations et des contrats s'intéresse principalement au terme suspensif – qui situe l'exigibilité de l'obligation (art 136 et s). L’art 144 distingue le terme suspensif et le terme résolutoire. Le terme extinctif fait cependant son apparition dans certaines dispositions relatives aux contrats spéciaux à exécution successive. 

Il appartient aux seules parties de déterminer la durée du contrat. En droit tunisien, la loi ne pose aucune règle impérative en la matière. Lorsque le contrat est à durée déterminée, chacun doit en respecter le terme. C'est une conséquence de la force obligatoire des contrats (art 242 COC). Le contractant qui met fin au contrat de manière anticipée engage sa responsabilité. 



L’arrivé du terme produit un effet extinctif automatiquement. En principe, aucun avertissement préalable n'est nécessaire. En outre, les parties ne sont pas tenues de renouveler la convention qui arrive à expiration. C’est encore une application de la liberté contractuelle. Le non-renouvellement du contrat n'a pas à être motivé et ne donne pas lieu au paiement d'une indemnité. 



Pour autant le renouvellement du contrat constitue un enjeu économique pour les parties. Pour cela il fait l’objet de certaines règles d’origine contractuelle ou légale. 



I- Le renouvellement consenti 


Le contrat de distribution peut anticiper le problème de son renouvellement. On fera un bref inventaire des principales clauses le concernant. 



A) Clause de non reconduction. 


Le contrat de distribution peut comporter une clause qui écarte expressément tout renouvellement du contrat par tacite reconduction à l’arrivée du terme. La difficulté nait quand à l’expiration du contrat, les parties poursuivent leur relation contractuelle. La question est de savoir si la poursuite des relations contractuelles, après l’échéance du terme, constitue une modification de la clause de non-reconduction convenue. Le contrat est-il renouvelé ? Une réponse négative s’impose. La règle est admise par analogie avec ce que prévoit l’art 794 COC en matière de location. « La continuation de la jouissance n’emporte pas tacite reconduction lorsqu’il y a congé donné ou autre acte équivalent indiquant la volonté de l’une des parties de ne pas renouveler le contrat. » 



B) Clause de pourparlers en vue du renouvellement 


Les parties peuvent convenir de se rapprocher à l’approche de l’arrivée du terme afin d’examiner s’il y a lieu de renouveler le contrat. Une telle clause constitue un accord de pourparlers. Durant la période indiquée, les parties demeurent libres de leurs engagements et peuvent donc rompre les discussions avant la formation du nouveau contrat. Il n’y a pas obligation de négocier mais il n’y a d’obligation de faire aboutir les pourparlers. Mener des pourparlers parallèles est légitime, mais continuer des pourparlers alors qu'un accord a déjà été conclu avec un autre ne l'est pas (Cass. com., 26 nov. 2003, n°1662, BJS, n° 6, P. 849) 



C) Clause de prorogation 


Les mots sont chargés de sens en droit. Ainsi il faut faire attention au vocable utilisé dans la rédaction du contrat. Plus particulièrement, la prorogation ne doit pas être confondue avec le renouvellement. La prorogation est une modification du contrat, par report du terme. Le contrat de distribution peut prévoir une clause de prorogation tacite en l’absence d’une dénonciation unilatérale dans un certain délai ou à la demande d’une partie. La prorogation peut également résulter d’un accord entre les parties avant que le terme soit expiré. La prorogation laisse intact le contrat ainsi que les sûretés qui y sont attachées. 



D) Clause de renouvellement tacite 


La reconduction (ou renouvellement) du contrat suppose que l'effet extinctif du terme a joué. Elle donne naissance à un nouveau contrat, même si le vocable de reconduction laisse à penser que c'est le même contrat qui se poursuit. La reconduction peut procéder d'un accord de volonté tacite, tel que la poursuite de l'exécution après le terme, mais aussi d'une clause dite de tacite reconduction. 



En cas de reconduction tacite, on se demande quelle est la teneur du contrat nouveau. Est-il le décalque du contrat ancien ? En France par analogie à ce que prévoyait l'art 1738 CC relatif aux baux, la jurisprudence retient que le nouveau contrat est, sauf volonté contraire, conclu pour une durée indéterminée. Par ailleurs, les autres éléments du contrat reconduit « ne sont pas nécessairement identiques. » L’art 1214 CC, après la réforme de 2016, dispose désormais que « le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée. ». La solution est différente en droit tunisien. L’art 793 COC, énonce que le contrat de location se renouvelle tacitement « dans les mêmes conditions et pour la même période. » La clause de la tacite reconduction présente l’intérêt de fixer le contenu du contrat renouvelé. La partie qui ne souhaiterait pas reconduire le contrat devra généralement le dénoncer en respectant le délai de préavis contractuel. 

E) Clause de renouvellement exprès 


Le contrat distribution peut stipuler que le contrat sera automatiquement renouvelé, aux mêmes conditions et pour une durée identique à celle du contrat initial, à moins que l’une des parties ne notifie à l’autre son intention de ne pas le renouveler un certains temps avant l’arrivée du terme. Le renouvellement peut cependant être conditionnel, en ce sens qu’il est subordonné à la réalisation de certaines conditions, souvent des performances de la part du distributeur. 



II- Le droit au renouvellent 


Le renouvellement du contrat peut être un droit, particulièrement en faveur du distributeur. 



A) Le droit au renouvellement prolongement de l'obligation de loyauté 


Le non-renouvellement du contrat peut dans certaines circonstances être abusif, non en raison des motifs invoqués mais en raison d’un comportement antérieur du cocontractant qui a laissé croire que le contrat allait se renouveler. Le fondement de la solution est le principe de cohérence ou l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui. C’est un principe général de droit qui, fort heureusement, est consacré en droit tunisien à l’art 547 COC. Des auteurs n’hésitent pas à rattacher la solution à l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi (art 243 COC). Le droit au renouvellement est souvent invoqué par le distributeur en présence d’investissements qu’il avait effectué dans la perspective de la poursuite de la relation contractuelle. La réponse apportée par la jurisprudence française comparée à ce type de prétention consiste à distinguer selon que ces investissements étaient effectués sur initiative propre du distributeur ou sur demande du fournisseur ou du moins après son accord (Christian Bourgeon, La prise en compte des investissements dans la résiliation abusive des contrats de distribution, Revue des contrats, n° 4, p. 1107). Mais le problème se déplace pour savoir quels types d’investissements et quelle est leur importance. La jurisprudence a déclaré abusive une résiliation de contrat alors que le préavis contractuel d'un an avait été respecté, dès lors que le concédant avait imposé à son distributeur des investissements importants et que l'économie générale de la convention s'inscrivait dans la longue durée, car il s'agissait d'une concession déficitaire que le concessionnaire s'était engagé à redresser : les attentes du distributeur ne devaient donc pas être déçues (Cass. com., 20 janv. 1998 : Contrats, conc., consom. 1998, comm. 56, obs. L. Vogel). 

B) Le droit au renouvellement pour cause de dépendance économique 


L’art 5 de la loi du 15 septembre 2015 portant réorganisation de la concurrence et des prix interdit « l’exploitation abusive d'un état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solutions alternatives, pour la commercialisation, l'approvisionnement ou la prestation de services. L’abus peut notamment consister dans la rupture de relations commerciales sans motif valable ou au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. L’abus par rupture de relations commerciales, ne vise pas un contrat à durée déterminée qui est arrivé à terme, mais plutôt un contrat renouvelé au moins une fois. 

Le législateur ne donne pas une définition légale de l’état de dépendance économique. Le Conseil de la concurrence a donné la définition suivante, suivant en cela, la jurisprudence française. « La dépendance économique résulte de la réunion de plusieurs éléments qui sont de nature à mettre un partenaire économique dans une situation telle qu’il peut difficilement possible échapper à ses effets. Ces éléments sont la notoriété de la marque du partenaire, la part qu’elle occupe sur le marché de référence, la part du partenaire dans le chiffre d’affaires du client ou fournisseur, la difficulté pour ce dernier de trouver une solution équivalente. (D. n°61124 du 31 Déc. 2009, Rapport annuel 2009). 

L’appréciation de l’état de dépendance économique se fait in concreto en tenant compte de la situation particulière de l’entreprise dépendante. L’application de l’art 5 n’est toutefois subordonnée à la démonstration que la situation d’abus de dépendance économique porte atteinte au jeu de la concurrence. La notoriété de la marque du fournisseur ne conduit pas nécessairement à lui donner une position dominante sur le marché. La solution alternative est définie comme étant la possibilité pour le client de s’approvisionner des produits correspondant à ses besoins dans des conditions techniques et commerciales équivalentes à celles qui prévalaient dans les rapports avec l’ancien fournisseur. Le Conseil de la concurrence a eu l’occasion d’apprécier la réunion de ces conditions dans une décision opposant un distributeur tunisien à un laboratoire pharmaceutique français qui fabrique des produits de protection solaire. Une convention de concession commerciale est conclue entre les parties pour une durée initiale de cinq années, renouvelée par tacite reconduction. La rupture des relations commerciales entre les parties ne permet pas au distributeur de trouver une autre marque notoire de substitution ; le Conseil de la concurrence, contrairement à l’avis du rapporteur, estime d’une part, que les grandes marques étrangères n’acceptent d’habitude de ne traiter qu’avec un seul distributeur et d’autre part, même si d’autres marques étrangères ne sont pas présentes en Tunisie, leur commercialisation nécessite de grands investissements commerciaux qui ne donnent pas le même résultat que celui obtenu précédemment (D. n°71142, du 17 sept. 2009 Rapport annuel 2009, p. 129). Dans une autre décision, il s’agit d’un abus de dépendance économique commis par concessionnaire vis-à vis de son sous-concessionnaire qui a refusé d’accepter de nouvelles conditions commerciales injustifiées (D. n°131331 du 2 juil. 2015, Rapport annuel 2015, p. 76). 

Selon une jurisprudence constante du Conseil de la concurrence, l’état de dépendance économique ne doit pas résulter d’une décision volontaire de la victime. Cette condition est reprise de la jurisprudence française, mais quelques décisions de la Cour d’appel de Paris s’en sont écartées en considérant que la dépense économique « est une situation objective dont l’origine est indifférente ». Certains autres se sont montrés critiques à l’égard de la condition posée. D’autres invitent à distinguer entre les exigences du droit de la concurrence et celle du droit de la responsabilité civile qui, au besoin, admet un partage de responsabilité.

Article publié in le Manager, Mai 2018.