mardi 25 décembre 2018

Droit du marketing. Le produit-partage




Droit du marketing. Le produit-partage




Des entreprises parrainent des organismes à caractère social, culturel, scientifique ou autre pour financer leurs activités. Les contrats fixent les actions à entreprendre, leurs modalités de réalisation et le volume des dépenses à engager. La pratique désigne ce mode de financement des organismes sans but lucratif par l’expression produit-partage. Il est défini comme « un produit ou service commercialisé dont une part du prix de vente est affectée à un organisme sans but lucratif contre l'usage par l'entreprise de sa dénomination dans sa communication. » (Olivier Binder, Le produit-partage - Une démarche solidaire, Juris associations 2007, n°369, p. 19) Etant généralement utilisé comme une déclencheur d'un acte d'achat, il peut être vu comme l'outil d'une stratégie commerciale ; il est appelé "cause related marketing" chez les Anglo-Saxons. 


Le produit-partage présente un air de famille avec d’autres pratiques de financement des associations. Ainsi il arrive qu’une entreprise, en particulier la grande distribution, émette au profit des clients des cartes de fidélité leur assurant le bénéfice de points qui sont transformés en bons d’achat de produits ou services. L’émetteur propose à ses clients qu’ils transforment les points cumulés en dons au profit d’un organisme sans but lucratif, préalablement choisi. Une autre pratique, appelée « don en fin de vente », propose aux clients de l’entreprise, au moment de paiement de leurs achats, de consentir un don à un organisme sans but lucratif. Dans ces deux derniers modes de financement, l’entreprise n’est pas donatrice, ce sont les clients qui sont donateurs. L’entreprise joue un rôle de mandataire dans la collecte des dons. (Aurélie Carlier et Alexandra Vinas, Le traitement fiscal des points « fidélité » ou le passage du statut de consommateur à celui de donateur, Juris associations 2009, n°409, p.31 ; Sarah Farhat et Emmanuel Sadorge, Les risques liés à la pratique de « dons en fin de vente », Juris associations 2018, n°586, p.32) 


Dans le produit-partage, le produit proposé à la vente peut être créé spécifiquement ou déjà existant ; il peut être vendu selon le tarif habituel ou faire l'objet d'un surcoût que le consommateur paie mais que le parrain abonde ; il peut être conditionné par la remise par le consommateur du coupon-réponse associé au produit et de la preuve d'achat, impliquant une démarche active. Le montant versé à l'organisme peut être complété par un don forfaitaire de l'entreprise. 


Les actions produit-partage soulèvent des problèmes de droit fiscal et de droit de la publicité commerciale. 


Fiscalité.


Pour l’entreprise qui supporte les frais de l’opération, il s’agit de savoir si elle peut déduire les charges qu’elle supporte du résultat imposable. L’article 12 du Code de l’IRPPIS précise que « le résultat net est établi après déduction de toutes charges nécessitées par l'exploitation, celles-ci comprennent notamment : 4) dans la mesure où ils sont justifiés et à concurrence de 2‰ du chiffre d'affaires brut, les dons et subventions servis à des œuvres ou organismes d'intérêt général, à caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social ou culturel ; et 5) Les mécénats accordés aux entreprises, projets, et œuvres à caractère culturel ayant obtenu l’approbation du ministère chargé de la culture. D’après ces textes, la déductibilité des charges liées aux dons est soumise à des limites contraignantes. Mais elles n’ont lieu à s’appliquer que si nous sommes en présence d’un véritable don ou d’un mécénat. Toute la difficulté est de savoir si le produit-partage relève du don et des mécénats exclusifs de toute contrepartie. Une décision du Conseil d’Etat français a admis qu’il s’agit non d’un mécénat mais d’un parrainage où l’entreprise expose une dépense dans l’intérêt de l’exploitation et est en rapport avec l’avantage attendu (CE., 15 févr.2012, n°340855, note Béatrice Guillaume, Fiscalité - Produit partage - Une fiscalité non identifiée, Juris associations 2012, n°461, p. 43 ; Frédérique Perrotin, Parrainage ou mécénat : une délicate distinction à opérer, Petites affiches - n°204 - page 3). « En l'absence de contrepartie en nature fournie par l'organisme bénéficiaire - sous forme de bien ou de prestation de services -, il convient d'évaluer l'« intérêt commercial » de l'entreprise. Il importe notamment d'apprécier si, à défaut de partenariats avec les organismes bénéficiaires, l'entreprise aurait pu vendre ses produits dans les mêmes conditions » (Armelle Verja, Fiscal - Produit-partage - Action de mécénat ou parrainage ?, Juris associations 2012, n°464, p.42). 

Pour l’organisme bénéficiaire, la somme reçue dans le cadre du parrainage est une recette publicitaire et est soumise à l’impôt commercial. S’il s’agit d’un mécénat, le don n’est pas imposable. La nature d'opération de parrainage entraîne des conséquences en matière de TVA. Elle y est assujettie au taux normal (Le Lamy Optimisation fiscale de l'entreprise, n°338-35) 

Les parties ont intérêt à conclure une convention précisant notamment la définition de l'opération, l'apport respectif des parties, leurs droits de contrôle sur l'opération et la durée de l'opération. Ces données permettront de qualifier l'opération de mécénat ou de parrainage et, par conséquent, de déterminer le régime fiscal applicable. 


Publicité commerciale


Les entreprises de parrainage font souvent une campagne de communication à destination des consommateurs pour leur faire connaître leur engagement social auprès des organismes sans but lucratif. Les messages publicitaires sont diffusés sur les différents supports et sur les emballages des produits. Il est dit en substance que le producteur s'engage à prélever une certaine somme, relativement modique, par unité de produit vendu, du prix de vente pour la remettre à tel ou tel organisme à caractère social. 


La communication sur des opérations produit-partage doit respecter les règles posées par la loi n°98-40 du 2 Juin 1998, relative aux techniques de vente et à la publicité commerciale et par la loi n° 92-117 du 7 Décembre 1992, relative à la protection du consommateur. 


Au sens de l’article 35 de la loi de 1998, « est considérée comme publicité, toute communication ayant un but direct ou indirect de promouvoir la vente de produits ou de services, quels que soient le lieu ou les moyens de communications mis en œuvre. » La communication d'une action de parrainage contribue indirectement à promouvoir la vente de produits car elle est de nature à donner au consommateur un motif spécifique à l'acte d'achat. En achetant les produits concernés, le consommateur croit contribuer lui-même à la réussite de l'action de l’organisme bénéficiaire. 


Du moment que l’activité de parrainage n’est pas interdite par la loi, la publicité qui y est afférente n’est pas interdite en vertu de l’article 36 de la même loi. La Cour de cassation française a estimé que l’opération ne constitue pas un acte de concurrence déloyale (Cass. com., 30 juin 1998, no 19.401, SEFRB et CEREDAP c/ L'Oréal).


Selon l’article 36 de la loi de 1998, « l’annonceur doit être en mesure de prouver l’exactitude des allégations, indications ou présentations annoncées. » L’article 13 de la loi 1992 interdit quant à lui toute publicité pour des produits comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations ou indications fausses ou de nature à induire en erreur... » Ainsi, la publicité commerciale ne doit être ni mensongère ni trompeuse. 


Le terme exactitude a un sens fort de correspondance à la réalité des choses. La publicité ne doit pas être mensongère. Le respect de cette condition doit amener l’entreprise à aménager les moyens de preuve de l’exactitude. Il faut tenir compte qu’il peut exister divers canaux de publicité véhiculant chacun un message publicitaire propre. Tous doivent être exacts. 


On communique, dans le cas d’une opération produit-partage, à propos d’un engagement financier auprès de certains organismes sans but lucratif. L’engagement du parrain est dans la majorité des cas plafonné mais il n’apparait pas en tant que tel dans le message publicitaire. En effet, en s’adressant au public des consommateurs, pendant une période donnée, le parrain s’engage à prélever une certaine somme sur chaque produit vendu mais sans dire jusqu’à quel montant l’accord est établi. L’engagement pris vis-à-vis du consommateur cible n’est pas indiqué en valeur absolue, même si le produit concerné est indiqué d’une manière précise. 


La publicité ne peut être considérée comme exacte que si le parrain est capable de fournir les moyens de preuve de la véracité de son allégation relative à l’engagement pris. Ce sont les éléments tirés de la comptabilité qui vont faire ressortir le volume des ventes effectuées pour le produit considéré pendant la période de publicité. 


Le parrain est amené à arrêter la campagne de communication quand le montant des prélèvements à effectuer atteint le budget alloué aux organismes concernés. 


La dernière remarque relative à la cessation de la publicité quand le montant du budget alloué sera atteint, nous amène à réfléchir à cette circonstance que la communication publicitaire sur l'action de parrainage est véhiculée par des stickers apposés sur l'emballage des produits. Or la durée de commercialisation des produits sur le marché peut se prolonger dans le temps avec des taux de rotation différents selon les régions. Il est par exemple possible que des consommateurs résidents à Kebili continuent à trouver sur le marché des produits portant des stickers annonçant l'engagement de parrainage alors que le volume des ventes dans d'autres zones permet déjà de couvrir le montant budgétisé. Ce risque résiduel est inévitable. La précaution à prendre est d'imprimer et d'apposer un nombre de stickers correspondant au volume de vente global nécessaire au financement du budget alloué. 


L'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARRP) en France préconise que le message publicitaire intègre le nom de l'organisme bénéficiaire et la destination des fonds sollicités. Lorsque le montant des fonds ne peut être clairement défini en amont, elle recommande qu'une estimation ou que les éléments servant de base au calcul de cette somme soient mentionnés dans la publicité de l'entreprise. 

Les entreprises de restauration collective - Aspects de droit du travail


Les entreprises de restauration collective

Aspects de droit du travail



I-   Circulation des salariés et externalisation


Des hôpitaux publics, des établissements privés de santé, des restaurants scolaires ou universitaires, des maisons de retraite, des établissements pénitentiaires, des entreprises de production pétrolière, de grands établissements publics ou des groupes de sociétés etc. offrent à leurs usagers, clients ou personnels des services de restauration collective, voire même des logis, dont la gestion peut être assurée par l’établissement concerné ou externalisée. Le recours à l’externalisation présente l’avantage de permettre à l’entreprise bénéficiaire de recentrer son action sur le cœur de son métier. 

L’entreprise tierce qui assure le service de restauration ou d’entretien et de nettoyage des logements est généralement sélectionnée suite à un appel d’offres lancé sur la base d’un cahier des charges. Si le contrat est passé avec une entité publique, sa qualification peut être, selon les cas, un marché public ou une délégation de service public. Lorsque les contractants sont des opérateurs de droit privé, le contrat est un contrat d’entreprise (art 866 COC). Les services contractuels sont fournis dans des locaux propres à l’établissement intéressé, avec ses équipements de cuisine et son petit matériel d’exploitation. Le prestataire de service en a simplement l’usage à titre gratuit à charge pour lui d’en assurer la conservation. C’est un prêt à usage (art 1055 COC). 

Quelle qu’elle soit sa nature, le contrat est conclu pour une durée déterminée. Un moment avant l’expiration de la durée, l’établissement bénéficiaire lance un nouvel appel d’offres et le jeu de la concurrence permettra de dire si l’entreprise en place sera reconduite ou laissera la place à une autre. Dans ce dernier cas, la question se pose de savoir si le personnel de l’entreprise sortante poursuit la relation de travail avec celle qui lui succède. L’entité bénéficiaire des services peut passer d’un mode d’externalisation à une gestion directe et la même difficulté se pose de dire si le personnel du prestataire est transmis à l’entité bénéficiaire. Nous sommes là en présence d’un problème de circulation des salariés entre un ancien et nouvel employeur. 

L’article 15 du Code de travail (CT) dispose que « le contrat de travail subsiste entre le travailleur et l’employeur en cas de modification de la situation juridique de ce dernier notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds et mise en société » La disposition est reprise mot par mot d’une solution consacrée en droit français par la loi du 19 juillet 1928 et reprise à l’article 1224‐1 du Code du travail. Elle signifie le transfert automatique des contrats de travail en cours -peu importe leur durée (CDD et CDI)-, comme conséquence du transfert d’entreprise. C’est là une exception au principe de la relativité des conventions (art 242 COC). Le transfert automatique est d’ordre public et s’impose tout aussi bien au nouvel employeur qu’aux salariés. Le refus par un salarié de rejoindre son poste de travail, suite au transfert, est constitutif d’une faute pouvant justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire à son encontre. Le nouvel employeur qui refuse de reprendre un ou plusieurs salariés commet licenciement ouvrant droit à indemnisation au profit du salarié concerné. Par ailleurs, l’ancien et le nouvel employeur ne peuvent convenir du contraire et assurer, frauduleusement, un licenciement avant transfert de l’entreprise. « La fraude aux règles d'ordre public du transfert d'entreprise étant caractérisée, les sociétés cédante et cessionnaire [seront] solidairement responsables. » (Julien Icard, les Cahiers Sociaux, 1er mars 2015, n°272, p. 159) 

Mais faut-il encore que les conditions du transfert légal soient vérifiées. Cela suppose tout d’abord que l’entreprise passe d’une personne à une autre, c’est-à-dire un changement de personne. L’instrument par lequel est assuré le transfert peut être, selon l’article 15 du CT, un décès, une vente, une fusion, une transformation de fonds ou un apport en société. Mais la liste est donnée à titre indicatif. On aura l’occasion de le vérifier dans le cas de changement d’entreprise de restauration collective. Le transfert doit enfin porter sur une entreprise, c’est-à-dire à un ensemble de moyens matériel et humain assurant une finalité économique. 

La difficulté d’application du texte résulte du fait que, dans certains cas, il n’y pas de lien direct entre l’ancien et le nouvel employeur. C’est le cas lorsqu’un service public était délégué à deux concessionnaires successifs. Une solution ancienne consacrée par la Cour de cassation française (Cass. civ., 27 févr. 1934, DH 1934, p. 252) avait admis l’application de la solution légale au changement de concessionnaire. Pour éviter une application excessivement extensive de la règle, l’esprit de nuance avait amené la jurisprudence à distinguer le transfert d’entreprise et la perte de marché. Il y a une simple perte de marché quand une entreprise se succède dans l'entretien et le nettoyage de locaux (Cass. soc., 7 nov. 1989, Bull. civ. 1989, V, n° 644) ou dans le gardiennage. En revanche il y a cession d’entreprise lorsqu’une entreprise de restauration collective succède à une autre. Selon un arrêt de Cour de cassation française du 24 nov. 2009, le transfert des moyens d'exploitation nécessaires à la poursuite de l'activité de l'entité peut être indirect. « Ayant constaté que le service de restauration de l'établissement constituait en son sein une entité économique autonome et que les moyens en locaux et en matériels nécessaires au fonctionnement de ce service avaient été mis à la disposition des prestataires successifs, [la cour d'appel] en a exactement déduit le transfert d'une entité économique autonome, peu important que d'autres matériels ou produits aient été apportés par le dernier exploitant » (Les cahiers sociaux, 1er mars 2010, n°218, p. 87). Comme nous l’avons signalé plus haut, l’entrepreneur de restauration collective utilise les locaux et les équipements de restauration dans le cadre d’un contrat de prêt à usage. Or ce même contrat est passé avec son successeur et le transfert d’entreprise est indirect. Mais la solution retenue par les tribunaux suppose une relation triangulaire (Patrick Morvan, Transfert d’entreprise. Domaine, Fasc. 19-50, JurisClasseur Travail Traité n°121) Ainsi par exemple quand l’entité bénéficiaire des services de restauration décide d’assurer elle-même le service, il n’y a pas de transfert d’entreprise, mais seulement une perte de marché et donc la reprise des contrats de travail ne peut lieu par l’effet de la loi. 

A défaut de transfert d’une entreprise, la circulation des salariés ne peut être assurée que par voie conventionnelle. Ainsi, Le consentement de toutes les parties concernées est requis.

II-  Champ d’application des conventions collectives sectorielles et accords atypiques de travail

Le lendemain des événements de 14 Janvier 2011, certaines entreprises de restauration collective, surtout celles assurant des services dans des sites de production pétrolière ou électrique avaient connu des mouvements de revendication sociale. Les grévistes avaient réclamé l’application de la convention collective nationale des hôtels classés touristiques et établissements similaires. Ils auraient pu réclamer l’application de la convention collective nationale des cafés, bars restaurants et établissements similaires, mais la première leur était, semble-t-il, plus favorable. Certains employeurs avaient été conduits à céder en concluant avec les syndicats de base des accords pour une application progressive de la convention sectorielle. En droit de tels accords non de l’accord que le nom. Car pour qu’il y ait une véritable convention, il faut une rencontre de volontés entre deux sujets de droit. Or un syndicat de base n’a pas de personnalité juridique et ne peut donc être partie à une convention. Considérés comme tels ces accords sont nuls mais ils sont convertis, en application de l’article 328 COC, en actes unilatéraux qui obligent valablement l’employeur envers les salariés (art 22 COC). 

En l’espèce, une fois la convention collective sectorielle eut été rendue effective pour le futur, certains salariés avaient agi en justice pour demander son application rétroactive. 

Les actions syndicales peuvent globalement poursuivre deux objectifs. Soit elles tendent au changement du droit en vigueur soit elles tendent à forcer son respect. Dans ce dernier cas, l’action syndicale n’est pas exclusive d’un éventuel recours en justice. 

La demande d’application rétroactive de la convention sectorielle sous-entend que cette dernière est applicable de jure dès l’origine. Il s’agit d’une manière générale d’un problème de détermination du champ d’application d’une convention collective sectorielle. 

Le champ d'application d'une convention collective sectorielle est exprimé en termes d'activité économique. Pour une entreprise exploitée sous une forme sociale, le juge tient compte de l'activité réelle indépendamment de la dénomination de la société ou de la définition statutaire de son objet. En pratique, les difficultés d'application surgissent soit parce qu'une entreprise exerce plusieurs activités à la fois soit parce que les termes d'une convention sont flous. Tel est le cas de la convention nationale des hôtels classés touristiques et établissements similaires. L'expression "établissements similaires" autorise une extension du champ d'application de la convention au-delà des hôtels classés touristiques qui renvoient à une catégorie normalisée d'entreprise. La même expression est encore utilisée dans deux autres conventions collectives (bars, cafés et restaurants et entreprise de gardiennage, de sécurité et de transport de personnel). Il appartient au juge de dire si une entreprise de restauration collective est un établissement similaire à un hôtel touristique classé. La convention collective s’interprète comme toute loi conformément aux directives d’interprétation de droit commun. Quand bien même elle prévoit la création d’une commission paritaire entre les parties signataires habilitée à résoudre les différends nés à l’occasion de son interprétation, le juge demeure compétent à exercer son impérium et n’est pas tenu de surseoir à statuer. Dans le cas d’espèce, la mission du juge est un peu facilitée car la convention collective énonce donne des exemples de ce qui est considéré comme étant similaire à un hôtel classé de tourisme. Il s’agit des pensions, villages de vacances, relais et motels. Même si la convention date de 1975 son interprétation peut se faire à la lumière de la nomenclature des établissements hôteliers donnée par le décret n°2007-457 du 6 mars 2007 portant classement des établissements fournissant des services d’hébergement. Elle vise outre les hôtels touristiques, les appart-hôtels, les villages de vacances, les motels, les pensions de famille, les campements, les hôtels de charme, les gîtes ruraux, les résidences touristiques et les chambres d’hôtes. 

dimanche 30 septembre 2018

L’éviction provisoire du preneur d’un local commercial pour défaut de paiement du loyer


L’éviction provisoire du preneur d’un local commercial 
pour défaut de paiement du loyer



Problématique. Une des chambres du Tribunal de première de Tunis, statuant en référé, rejette, depuis deux ans, les demandes des bailleurs tendant à l’éviction provisoire des preneurs des locaux commerciaux à défaut de paiement du loyer échu, quand elle constate l’absence d’un avis de paiement dressé par un huissier de justice et demeuré sans effet pendant un délai de trois mois. Les ordonnances de rejet (ex. Ord. n°72411 du 2 nov. 2016) sont faites sous le visa de l’art 23 de la loi n°77-37 du 25 mai 1977 régissant les baux commerciaux et sous le bénéfice d’un arrêt de la Cour de cassation, considéré en la circonstance comme un précédant (Cass. civ., n°63808 du 30 fév. 1998 (sic), Bulletin civ., 2, 1998, p. 222). 

L’art 23 de la loi du 25 mai 1977 énonce que « le bail est résilié à défaut de paiement du loyer aux échéances convenues passé le délai de trois mois à partir de la date d’émission par voie d’huissier notaire (entendre huissier de justice) d’un avis de paiement resté sans effet. L’avis doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Le délai susvisé peut être prorogé et la résiliation est prononcée d’office.» L’arrêt de la Cour de cassation de 1998 est rendu à l’occasion d’une espèce où le bailleur avait agi au fond pour demander le prononcé de la résiliation judiciaire du bail, en application de l’art 796 du COC, au motif que le preneur ne payait le loyer qu’en cours des instances de référé engagées à son encontre tendant à la récupération provisoire du local à défaut de paiement. Les juges de fond donnèrent suite à la demande. La Cour de cassation accueillit le pourvoi en tiré de la violation de l’article 23 de la loi de 1977 l’estimant « un texte spécial d’ordre public et ne supportant pas une interprétation extensive (sic). ». A notre avis, deux questions sont à distinguer. 

L’expulsion du preneur conséquence de la résiliation du bail. A bien réfléchir, l’art 23 et l’arrêt précité, visés par les ordonnances de rejet sujet de notre chronique, traitent d’une question étrangère à la récupération provisoire des locaux loués. Il s’agit plutôt de la résiliation du bail pour faute dans le paiement du loyer. La résiliation, notion réservée au contrat à exécution successive, est le pendant de la résolution dans les contrats instantanés. Elle emporte un anéantissement pour le futur du contrat, sans effet rétroactif ou partiellement rétroactif selon certains auteurs. 

Un contractant non payé à l’échéance peut exercer, à son choix, deux principales actions : une action en paiement avec, éventuellement, réparation du dommage subi et une action en résolution (ou résiliation) du contrat. 

En droit commun, la résolution est prononcée par jugement rendu par le juge de fond (art 273 COC). Exceptionnellement, elle peut résulter de la convention des parties, en application d’une clause résolutoire (art. 274 COC) que les juges interprètent d'une manière restrictive. En principe, la résolution judiciaire donne au juge un pouvoir d’appréciation alors que la clause résolutoire la lui ôte (Sami Jerbi, La résolution du contrat dans la jurisprudence tunisienne : un hymne en quatre temps, in Cinquante ans de jurisprudence civile, sous dir. Mohamed Kamel Charfeddine, CPU, 2010, p. 5). 

La résiliation visée par l’art 23 n’est ni une résolution judiciaire ni une clause résolutoire. C’est plutôt une résolution extrajudiciaire d’origine légale. Son champ d’application est limité à la sanction de la seule faute dans le paiement du loyer. Elle ne s’étend pas au manquement des autres obligations financières du preneur ni a fortiori aux autres obligations contractuelles. En vertu de l’art 23, le bailleur peut donner un préavis formel de paiement assorti d’un délai de quatre-vingt-dix jours ou d’un délai supérieur prévu par le contrat pour effectuer paiement. Passé le délai imparti, la résiliation joue de plein droit et le locataire perd le droit de jouir du local loué et peut être expulsé par ordonnance de référé. 

En pratique, le juge des référés est invité à exercer un contrôle a posteriori sur les conditions de la résiliation extrajudiciaire. Il contrôle la forme de l’avis de paiement et les éventuelles contestations soulevées par le preneur, notamment les exceptions d’inexécution qui peuvent justifier son refus de payer. C’est le cas quand il est dans l’impossibilité de jouir des locaux pour une raison imputable au bailleur. De manière générale, on considère la mise en œuvre par le bailleur de la résiliation extrajudiciaire doit être faite de bonne foi. Dans l’espèce ayant donné à l’arrêt de Cour cassation de 1988, le locataire avait reproché au bailleur sa mauvaise foi car il refusait de recevoir paiement du loyer et préférait agir devant le juge des référés pour demander son éviction du local au prétexte qu’il était défaillant. En présence d’une contestation sérieuse sur la légalité de la résiliation extrajudiciaire la demande d’expulsion du preneur est rejetée. Il faudra agir devant le juge de fond. En tout état de cause, le jugement de référés n’a pas l’autorité de la chose jugée devant le juge de fond et le preneur peut soumettre au juge de fond les contestations que le juge des référés a rejetées en prononçant son expulsion. 

L’éviction provisoire du preneur par le jeu l’exception d’inexécution. En réalité, le bailleur impayé peut se frayer une troisième voie qui ne soit ni une action en paiement du loyer ni une résiliation extrajudiciaire pour défaut de paiement. Elles présentent toutes les deux des inconvénients. La première ne donne satisfaction au bailleur qu’au terme d’une longue procédure devant le juge de fond avec les éventuelles difficultés d’exécution en cas d’insolvabilité du preneur. La seconde quant à elle, quand bien même est relativement rapide, est économiquement coûteuse car elle met fin au contrat et prive le bailleur du revenu auquel il escomptait. Le bailleur peut préférer maintenir le contrat tout en suspendant momentanément l’exécution de sa propre prestation en raison du comportement de son cocontractant. 

Nous avons déjà relevé que le locataire peut contester la régularité de la résiliation extrajudiciaire sur le fondement de l’exception d’inexécution. Or ce même fondement peut jouer en sens contraire en faveur du bailleur. « Dans les contrats bilatéraux, énonce l’alinéa 1er de l’art 247 du COC, l’une des parties peut refuser d’accomplir son obligation jusqu’à l’accomplissement de l’obligation corrélative de l’autre partie… » Une auteure a pu écrire que « la suspension du débiteur de sa seule obligation, sans suspension du contrat, [c’est-à-dire l’exception d’inexécution] a un effet comminatoire »… « c’est afin de contraindre son contractant à exécuter qu’une des parties va refuser toute exécution. » (Cécile Chabas, L’inexécution licite du contrat, LGDJ 2002, p. 330.) Elle est « un moyen de pression : on prive l'autre partie de la prestation qu'il attend afin de le pousser à reprendre l'exécution ou à corriger son exécution défectueuse. » (Le Lamy de l’exécution forcée Sous dir. Claude Brenner et Pierre Crocq n°235-10). 

Le contentieux en référé tendant à l’éviction momentané du preneur refusant de payer le loyer est répandu. Il est implicitement admis par le législateur à l’art 449 du CC quand il interdit, pendant la période d’observation, les actions tendant à la récupération des biens meubles immeubles pour défaut de paiement d’une obligation de somme. 

Il faut néanmoins observer que les praticiens n’ont pas réellement conscience du fondement de l’action. Jamais l’art 247 COC n’était expressément invoqué au soutien des demandes d’éviction provisoire. Seul l’art 201 CPCC était visé. Il donne compétence au juge des référés de prendre toute mesure provisoire dictée par l’urgence et ne préjudiciant pas au fond. 

La perte de vue de l’art 247 COC peut s’expliquer par cette circonstance que l’exception d’inexécution est, en principe ; utilisée comme en dehors de toute autorisation du juge. Elle C’est un acte de justice privée où l'excipiens est juge des ses droits. Sa mise en œuvre n’est d’ailleurs pas subordonnée à une mise en demeure préalable (Olivier Deshayes, l’exception d’inexécution, Répertoire Dalloz civil, n°48) - l’art 247 COC ne la requérant pas - sauf à considérer celle-ci comme un simple moyen de preuve de la défaillance du débiteur (Olivier Deshayes, op. cit. n°49). Le contrôle du juge intervient a posteriori dans le cadre d'une procédure judiciaire engagée contre l'excipiens par son partenaire, qui réclame l'exécution forcée ou la résolution de la convention. 

Si, dans notre cas, le bailleur est contraint de saisir le juge des référés pour demander la reprise du local loué si le locataire ne paie le loyer dû c’est en raison de la mainmise du preneur sur la chose louée. Ne pouvant faire justice à lui-même, le bailleur demande au juge des référés de lui venir en aide dans la mise en œuvre d’une prérogative légale n’obéissant à aucun formalisme préalable. Même si l’ordonnance d’éviction était exécutée, elle ne remettrait pas en cause la poursuite du contrat de bail car elle intervenait en dehors de toute résiliation judiciaire ou extrajudiciaire. Le preneur pourrait être réintégré dans les lieux loués s’il justifiait avoir payé ou du moins consigné la somme due (V. contra un arrêt critiquable Cass. civ., n°12269 du 15 janvier 2002, Bulletin civ. 2002, p. 308). 

La nouvelle jurisprudence qui émerge chez certains juges des référés de Tunis témoigne-t-elle d’une méfiance à l’égard de l’exception d’inexécution dans les baux commerciaux ? Peut-être estiment-ils la mesure disproportionnée par rapport à la faute commise, car elle est de nature à compromettre la survie de l’entreprise. Comme si le retard de paiement doit être suffisamment long pour justifier une éviction du preneur à bail. Mais dans ce cas, la motivation des décisions de rejet de l’éviction doit être faite sur une autre base que celle de l’article 23 de la loi de 1977.

in le Manager, n°244  Septembre 2018.

dimanche 19 août 2018

La publicité sur Internet, la nécessité d’un encadrement juridique en Tunisie


La publicité sur Internet, la nécessité d’un encadrement juridique en Tunisie




Dispositif légal de la publicité. Deux textes, de portée générale, régissent la publicité commerciale en Tunisie. L’art 13 de la loi n°92-117 relative à la protection du consommateur interdit toute publicité pour des produits comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations ou indications fausses ou de nature à induire en erreur lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs des éléments tels l’existence du produit, sa nature, sa composition, ses qualités substantielles, sa teneur en principes utiles, son espèces ou son origine ainsi que sa quantité, ou son mode et sa date de fabrication ; les propriétés, prix et conditions de vente des produits objet de la publicité ; les conditions de leur utilisation et des résultats attendus ; les modalités et procèdes de vente du produit ; l’identité, la qualité ou l’aptitude de l’annonceur. » L’interdiction s’applique dès l’instant ou la publicité est diffusée en Tunisie et quelque soit le support publicitaire utilisé. Sa violation est punie d’une amende de 1000 dinars à 20000 dinars. La loi n°98-38, relative aux techniques de vente et de publicité commerciale complète la loi de 1992. Elle définit la publicité commerciale, interdit certaines publicités, désigne les demandeurs à la charge de la preuve des allégations publicitaires et les responsables. Elle attribue au ministre chargé du commerce le pouvoir de prendre des mesures conservatoires et au tribunal chargé des poursuites pénales un pouvoir d’instruction ou d’imposer aux annonceurs de publier, à leurs frais, une ou plusieurs annonces rectificatives. D’autres textes sont spécifiques à certains supports (presse écrite ou en ligne et media audiovisuel), à certains produits et services objet de la publicité (tabac, médicaments…) ou encore à la publicité de certaines techniques de promotion des ventes (soldes, promotion, facilités de paiement). Il n’existe pas un texte qui régit spécifiquement la publicité en ligne, la loi n°2000-83 relative aux échanges et au commerce électronique ne traitant que du mode de formation du contrat électronique. 


La publicité cachée. Les règles de droit commun comportent une lacune en ce qu’elles omettent d’exiger l’identification de la publicité. L’obligation n’est expressément posée que pour deux supports. Ainsi le décret-loi n°2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition pose la règle selon laquelle « toute publicité prenant la forme d’article doit être précédée ou suivie du terme (publicité), (annonce) ou (avis) et qu’elle doit être également présentée en caractère apparent qui la distingue du reste des informations et articles ». Le même décret-loi interdit « au propriétaire de tout périodique, à son directeur ou directeur de rédaction ou aux journalistes qui y sont employés d’accepter un montant d’argent ou n’importe quel autre avantage ayant une valeur vénale en vue de conférer le caractère d’information ou d’article à une annonce ou une publicité. L’obligation d’identification de la publicité a été également consacrée par la HAICA en vertu des pouvoirs réglementaires qu’elle a reçus de « fixer les règles de conduite relatives à la publicité et contrôler leur respect par les établissements de communication audiovisuelle. » 


La publicité est toute communication ayant un but direct ou indirect de promouvoir la vente de produits ou de services, quels que soient le lieu ou les moyens de communications mis en œuvre. L’identification du message publicitaire est considérée comme découlant du principe de la loyauté des transactions économiques. L’art 9 du Code ICC (CCI) consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale énonce que « la communication commerciale doit pouvoir être nettement distinguée en tant que telle, quels que soient la forme et le support utilisés. Lorsqu’une publicité est diffusée dans des médias qui comportent également des informations ou des articles rédactionnels, elle doit être présentée de telle sorte que son caractère publicitaire apparaisse instantanément et l’identité de l’annonceur doit être apparente. La communication commerciale, ajoute le texte, ne doit pas masquer leur finalité commerciale réelle. Une communication destinée à promouvoir la vente d’un produit ne doit donc pas être présentée comme une étude de marché, une enquête de consommation, un contenu généré par les utilisateurs, un blog privé ou un avis indépendant. » Le droit européen impose d’une manière générale l’identification du message publicitaire. La Cour de cassation française a pu sanctionner le directeur d'un magazine pour avoir déposé sur les pare-brise de véhicule des tracts publicitaires sous forme d’un imprimé officiel de contravention ! L’art 11 de la loi de 92-117 qui définit les pratiques déloyales ne peut être étendu à la publicité cachée en raison de son caractère pénal. 


Les faux avis de consommateurs. Web 2.0, a rendu internet véritablement interactif. Les avis des internautes jouent un rôle fondamental dans le choix des consommateurs. Ces derniers recherchent d’informations horizontales et non plus verticales. Dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie, ces avis supplantent les guides gastronomiques et touristiques. Ils sont censés décrire une expérience authentique et sincère (Xavier Delpech, avis d’un internaute sur un restaurant, Juris tourisme 2015, n°181, p. 14). Les entreprises disposant d’un site Internet ou d’un compte sur l’un des réseaux sociaux offrent aux consommateurs la possibilité de donner leurs avis sur les produits et services qu’elles fournissent. La pratique est valable, mais le message ne doit en aucun cas être trompeur et être présenté comme le reflet d’e l’opinion des consommateurs (Alexandre Fievée, l’e-réputation » la gestion juridique de l’image de l’entreprise sur internet, RLDI, n°72, 2011, p. 70). Des pratiques déviantes sont observées mais faute d’un texte adéquat elles ne peuvent être poursuivies en Tunisie. Il s’agit par exemple de rédiger de faux avis. Un professionnel crée lui-même du contenu, présenté comme des avis positifs des consommateurs, afin de promouvoir ses produits ou services. Il peut s’agir, en sens inverse, de supprimer du site de tout ou partie des avis de consommateurs négatifs au profit des avis positifs. Une autre technique consiste pour le gestionnaire du site à traiter les avis dans des délais différents selon qu’ils sont positifs ou négatifs. La solution amiable d’un litige peut amener le marchand à ne pas publier un avis négatif (RLDI, n°107, 2014, p. 62). L’entreprise peut aussi être victime d’un dénigrement en ligne par des faux avis en ligne (Célia Zolynski, Concurrence déloyale et Internet, AJ Contrats d’affaires 2014, p.162). 


La régulation de l’activité de collecte, de modération et de diffusion des avis en ligne provenant des consommateurs, qu’il s’agisse d’une activité principale ou accessoire s’impose de nos jours. Il en est de même de celle des plateformes de référencement. 


Les sites de référencement. La croissance des données mises en ligne Web nécessite l’utilisation d’outils de recherche destinés à faciliter la navigation et l’accès à l’information ou aux sites recherchés. Les moteurs de recherche, fonctionnant d’une manière logicielle à travers des robots, plus ou moins puissants, appelés spider, parcourent le Web pour indexer les sites et leur contenu. Les résultats de recherches apparaissent sous forme d’un lien hypertexte, où un clic de souris permet d’accéder à la chose référencée. La visibilité des marques et des entreprises sur le Web dépend des résultats donnés par ces moteurs. Le référencement « naturel » peut ne pas être suffisant, il est souvent fait recours au référencement « commercial » payant. 


Le référencement des marques et des entreprises donne lieu à divers problèmes juridiques, tels celui de la contrefaçon des marques d’autrui (utilisation d’un mot-clé identique à une marque pour promouvoir des produits et services identiques à ceux visés par ladite marque ; voir par ex CJUE, 23 mars 2010), d’atteinte au droit d’auteur, du parasitisme (un moteur de recherche qui renvoie directement l’utilisateur vers une page secondaire ou intérieure du site relié sans passer par la page d’accueil ce qui ne permet pas de visionner les bannières publicitaires ou pages de publicité présentées sur le site relié le privant ainsi des revenus publicitaires), de publicité mensongère (défaut de mise à jour des prix affiché, défaut de mention de la période de validité des offres etc.) ou de pratique commerciale déloyale. Dans ce dernier cas, la Cour de cassation française a condamné un site de comparaison des prix qui ne compare que les prix des entreprises qui ont obtenu un référencement payant auprès de lui et sans que l’internaute sache qu’il s’agit d’une activité publicitaire. A sa défense, le site soutient qu’il n’y a de publicité qu’en cas « de démarche active de sollicitation du public » et quand s’y perçoit un message promotionnel. Mai la publicité existe même quand elle est indirecte. Tel est le cas quand existe un accord commercial entre comparateur et comparés destiné à présenter ces derniers en tête du classement (Cedric Manara, Comparer et classer, est-ce promouvoir ? Dalloz actualité, 13 déc. 2012). En droit tunisien, un tel comportement n’est pas sanctionné faute de texte. 


Les chaînes vidéo et blogs. L’expression chaîne vidéo désigne des offres de contenus sur les plateformes de vidéo en ligne. Les créateurs de ces contenus, appelés Youtubers, se professionnalisent et tirent des revenus issus de la publicité ou autres pratiques commerciales intégrées au sein même de leurs contenus en proposant des placements de produits, des unboxing, opérations spéciales, participations à des conventions ou events. Les mêmes pratiques peuvent s’observer chez les blogueurs. Les marques explorent les possibilités de véhiculer des messages promotionnels par leur intermédiaire pour influencer le comportement des consommateurs de par leur e-réputation et la large audience que draine chacun de leur contenu publié sur les réseaux sociaux. L’obligation de loyauté devrait faire que les Youtubers, blogueurs et instagrameurs soient tenus d’une obligation de transparence concernant le financement de leurs contenus.


Article publié in le Manager, Juillet 2018.

vendredi 1 juin 2018

Renouvellement des contrats de distribution


Le renouvellement des contrats de distribution






La distribution des produits des producteurs ou importateurs aux consommateurs fait intervenir des agents économiques indépendants qui les achètent en vue de leur revente en leur état. Des professionnels, également indépendants, peuvent jouer un rôle d’intermédiation (courtage, commission et agence commerciale) entre les fournisseurs et les distributeurs. 



Les contrats qui se nouent entre les partenaires de toutes sortes peuvent n’être que des ventes ponctuelles, même si elles sont répétitives, ou se mouler dans des accords-cadres précisant les caractéristiques générales des relations contractuelles futures. L’avantage des accords-cadres est d’assurer une stabilité des relations commerciales et une prévisibilité des flux économiques. Les opérations de distribution ont, en effet, vocation à s'inscrire dans le temps. 



Les contrats-cadres de distribution sont divers selon leur contenu. Les principaux sont la concession, la franchise et la distribution sélective (Philippe Grignon, Distribution, Répertoire Dalloz commercial, n°67). Ils sont souvent conclus pour une période déterminée plus ou moins longues. 



Le contrat est dit à durée déterminée en présence d'un terme extinctif, dont l'expiration a pour effet d'éteindre les obligations principales et, par voie de conséquence, le contrat. Le terme est un événement futur et certain dont dépend l'exigibilité ou l'extinction de l'obligation. Le Code des obligations et des contrats s'intéresse principalement au terme suspensif – qui situe l'exigibilité de l'obligation (art 136 et s). L’art 144 distingue le terme suspensif et le terme résolutoire. Le terme extinctif fait cependant son apparition dans certaines dispositions relatives aux contrats spéciaux à exécution successive. 

Il appartient aux seules parties de déterminer la durée du contrat. En droit tunisien, la loi ne pose aucune règle impérative en la matière. Lorsque le contrat est à durée déterminée, chacun doit en respecter le terme. C'est une conséquence de la force obligatoire des contrats (art 242 COC). Le contractant qui met fin au contrat de manière anticipée engage sa responsabilité. 



L’arrivé du terme produit un effet extinctif automatiquement. En principe, aucun avertissement préalable n'est nécessaire. En outre, les parties ne sont pas tenues de renouveler la convention qui arrive à expiration. C’est encore une application de la liberté contractuelle. Le non-renouvellement du contrat n'a pas à être motivé et ne donne pas lieu au paiement d'une indemnité. 



Pour autant le renouvellement du contrat constitue un enjeu économique pour les parties. Pour cela il fait l’objet de certaines règles d’origine contractuelle ou légale. 



I- Le renouvellement consenti 


Le contrat de distribution peut anticiper le problème de son renouvellement. On fera un bref inventaire des principales clauses le concernant. 



A) Clause de non reconduction. 


Le contrat de distribution peut comporter une clause qui écarte expressément tout renouvellement du contrat par tacite reconduction à l’arrivée du terme. La difficulté nait quand à l’expiration du contrat, les parties poursuivent leur relation contractuelle. La question est de savoir si la poursuite des relations contractuelles, après l’échéance du terme, constitue une modification de la clause de non-reconduction convenue. Le contrat est-il renouvelé ? Une réponse négative s’impose. La règle est admise par analogie avec ce que prévoit l’art 794 COC en matière de location. « La continuation de la jouissance n’emporte pas tacite reconduction lorsqu’il y a congé donné ou autre acte équivalent indiquant la volonté de l’une des parties de ne pas renouveler le contrat. » 



B) Clause de pourparlers en vue du renouvellement 


Les parties peuvent convenir de se rapprocher à l’approche de l’arrivée du terme afin d’examiner s’il y a lieu de renouveler le contrat. Une telle clause constitue un accord de pourparlers. Durant la période indiquée, les parties demeurent libres de leurs engagements et peuvent donc rompre les discussions avant la formation du nouveau contrat. Il n’y a pas obligation de négocier mais il n’y a d’obligation de faire aboutir les pourparlers. Mener des pourparlers parallèles est légitime, mais continuer des pourparlers alors qu'un accord a déjà été conclu avec un autre ne l'est pas (Cass. com., 26 nov. 2003, n°1662, BJS, n° 6, P. 849) 



C) Clause de prorogation 


Les mots sont chargés de sens en droit. Ainsi il faut faire attention au vocable utilisé dans la rédaction du contrat. Plus particulièrement, la prorogation ne doit pas être confondue avec le renouvellement. La prorogation est une modification du contrat, par report du terme. Le contrat de distribution peut prévoir une clause de prorogation tacite en l’absence d’une dénonciation unilatérale dans un certain délai ou à la demande d’une partie. La prorogation peut également résulter d’un accord entre les parties avant que le terme soit expiré. La prorogation laisse intact le contrat ainsi que les sûretés qui y sont attachées. 



D) Clause de renouvellement tacite 


La reconduction (ou renouvellement) du contrat suppose que l'effet extinctif du terme a joué. Elle donne naissance à un nouveau contrat, même si le vocable de reconduction laisse à penser que c'est le même contrat qui se poursuit. La reconduction peut procéder d'un accord de volonté tacite, tel que la poursuite de l'exécution après le terme, mais aussi d'une clause dite de tacite reconduction. 



En cas de reconduction tacite, on se demande quelle est la teneur du contrat nouveau. Est-il le décalque du contrat ancien ? En France par analogie à ce que prévoyait l'art 1738 CC relatif aux baux, la jurisprudence retient que le nouveau contrat est, sauf volonté contraire, conclu pour une durée indéterminée. Par ailleurs, les autres éléments du contrat reconduit « ne sont pas nécessairement identiques. » L’art 1214 CC, après la réforme de 2016, dispose désormais que « le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée. ». La solution est différente en droit tunisien. L’art 793 COC, énonce que le contrat de location se renouvelle tacitement « dans les mêmes conditions et pour la même période. » La clause de la tacite reconduction présente l’intérêt de fixer le contenu du contrat renouvelé. La partie qui ne souhaiterait pas reconduire le contrat devra généralement le dénoncer en respectant le délai de préavis contractuel. 

E) Clause de renouvellement exprès 


Le contrat distribution peut stipuler que le contrat sera automatiquement renouvelé, aux mêmes conditions et pour une durée identique à celle du contrat initial, à moins que l’une des parties ne notifie à l’autre son intention de ne pas le renouveler un certains temps avant l’arrivée du terme. Le renouvellement peut cependant être conditionnel, en ce sens qu’il est subordonné à la réalisation de certaines conditions, souvent des performances de la part du distributeur. 



II- Le droit au renouvellent 


Le renouvellement du contrat peut être un droit, particulièrement en faveur du distributeur. 



A) Le droit au renouvellement prolongement de l'obligation de loyauté 


Le non-renouvellement du contrat peut dans certaines circonstances être abusif, non en raison des motifs invoqués mais en raison d’un comportement antérieur du cocontractant qui a laissé croire que le contrat allait se renouveler. Le fondement de la solution est le principe de cohérence ou l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui. C’est un principe général de droit qui, fort heureusement, est consacré en droit tunisien à l’art 547 COC. Des auteurs n’hésitent pas à rattacher la solution à l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi (art 243 COC). Le droit au renouvellement est souvent invoqué par le distributeur en présence d’investissements qu’il avait effectué dans la perspective de la poursuite de la relation contractuelle. La réponse apportée par la jurisprudence française comparée à ce type de prétention consiste à distinguer selon que ces investissements étaient effectués sur initiative propre du distributeur ou sur demande du fournisseur ou du moins après son accord (Christian Bourgeon, La prise en compte des investissements dans la résiliation abusive des contrats de distribution, Revue des contrats, n° 4, p. 1107). Mais le problème se déplace pour savoir quels types d’investissements et quelle est leur importance. La jurisprudence a déclaré abusive une résiliation de contrat alors que le préavis contractuel d'un an avait été respecté, dès lors que le concédant avait imposé à son distributeur des investissements importants et que l'économie générale de la convention s'inscrivait dans la longue durée, car il s'agissait d'une concession déficitaire que le concessionnaire s'était engagé à redresser : les attentes du distributeur ne devaient donc pas être déçues (Cass. com., 20 janv. 1998 : Contrats, conc., consom. 1998, comm. 56, obs. L. Vogel). 

B) Le droit au renouvellement pour cause de dépendance économique 


L’art 5 de la loi du 15 septembre 2015 portant réorganisation de la concurrence et des prix interdit « l’exploitation abusive d'un état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solutions alternatives, pour la commercialisation, l'approvisionnement ou la prestation de services. L’abus peut notamment consister dans la rupture de relations commerciales sans motif valable ou au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. L’abus par rupture de relations commerciales, ne vise pas un contrat à durée déterminée qui est arrivé à terme, mais plutôt un contrat renouvelé au moins une fois. 

Le législateur ne donne pas une définition légale de l’état de dépendance économique. Le Conseil de la concurrence a donné la définition suivante, suivant en cela, la jurisprudence française. « La dépendance économique résulte de la réunion de plusieurs éléments qui sont de nature à mettre un partenaire économique dans une situation telle qu’il peut difficilement possible échapper à ses effets. Ces éléments sont la notoriété de la marque du partenaire, la part qu’elle occupe sur le marché de référence, la part du partenaire dans le chiffre d’affaires du client ou fournisseur, la difficulté pour ce dernier de trouver une solution équivalente. (D. n°61124 du 31 Déc. 2009, Rapport annuel 2009). 

L’appréciation de l’état de dépendance économique se fait in concreto en tenant compte de la situation particulière de l’entreprise dépendante. L’application de l’art 5 n’est toutefois subordonnée à la démonstration que la situation d’abus de dépendance économique porte atteinte au jeu de la concurrence. La notoriété de la marque du fournisseur ne conduit pas nécessairement à lui donner une position dominante sur le marché. La solution alternative est définie comme étant la possibilité pour le client de s’approvisionner des produits correspondant à ses besoins dans des conditions techniques et commerciales équivalentes à celles qui prévalaient dans les rapports avec l’ancien fournisseur. Le Conseil de la concurrence a eu l’occasion d’apprécier la réunion de ces conditions dans une décision opposant un distributeur tunisien à un laboratoire pharmaceutique français qui fabrique des produits de protection solaire. Une convention de concession commerciale est conclue entre les parties pour une durée initiale de cinq années, renouvelée par tacite reconduction. La rupture des relations commerciales entre les parties ne permet pas au distributeur de trouver une autre marque notoire de substitution ; le Conseil de la concurrence, contrairement à l’avis du rapporteur, estime d’une part, que les grandes marques étrangères n’acceptent d’habitude de ne traiter qu’avec un seul distributeur et d’autre part, même si d’autres marques étrangères ne sont pas présentes en Tunisie, leur commercialisation nécessite de grands investissements commerciaux qui ne donnent pas le même résultat que celui obtenu précédemment (D. n°71142, du 17 sept. 2009 Rapport annuel 2009, p. 129). Dans une autre décision, il s’agit d’un abus de dépendance économique commis par concessionnaire vis-à vis de son sous-concessionnaire qui a refusé d’accepter de nouvelles conditions commerciales injustifiées (D. n°131331 du 2 juil. 2015, Rapport annuel 2015, p. 76). 

Selon une jurisprudence constante du Conseil de la concurrence, l’état de dépendance économique ne doit pas résulter d’une décision volontaire de la victime. Cette condition est reprise de la jurisprudence française, mais quelques décisions de la Cour d’appel de Paris s’en sont écartées en considérant que la dépense économique « est une situation objective dont l’origine est indifférente ». Certains autres se sont montrés critiques à l’égard de la condition posée. D’autres invitent à distinguer entre les exigences du droit de la concurrence et celle du droit de la responsabilité civile qui, au besoin, admet un partage de responsabilité.

Article publié in le Manager, Mai 2018.

mardi 1 mai 2018

Privatisation. Nullité d’une clause de conformité contrariant le cahier des charges de l’appel d’offres


Privatisation
Nullité d’une clause de conformité 
contrariant le cahier des charges de l’appel d’offres

Un arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass. civ. n°37050.2106 du 18 juillet 2016, non publié) s’est prononcé sur une problématique inédite dans l’histoire des privatisations en Tunisie. Les faits de l’espèce remontent au début des années deux mille. Une entreprise publique et sa filiale ont lancé un appel d’offres international pour la cession du contrôle d’une société industrielle. L’opération de cession fut initiée et conclue sous l’égide de la loi n°89-9 du 1er février 1989 relative aux participations et entreprises publiques, telle que modifiée et complétée par les textes subséquents, notamment la loi n°94-102 du 1er août 1994 qui a introduit le mécanisme de cession de bloc d’actions par appel d’offres sur cahier des charges (art.33-4)[1]. En l’espèce, les soumissionnaires ont présenté leurs soumissions conformément à un cahier des charges où il était indiqué l’absence de toute garantie de la part des cédants ; les soumissionnaires étaient présumés avoir pris connaissance de la situation juridique, économique et comptable de la société, et étaient appelés à évaluer à leur risque et profit la juste valeur des actions à céder sans pouvoir se prévaloir à l’encontre des cédants d’une surestimation de l’actif ou d’une sous estimation du passif.
Un candidat a l’acquisition a été déclaré adjudicataire et le Premier ministre, sur avis de la Commission d’assainissement et de restructuration des entreprises à participations publiques, a autorisé de « passer la cession [au prix de la soumission] conformément au cahier des charges. »
Le contrat définitif de cession énonce au préambule que le cessionnaire n’avait consenti à la cession au prix fixé qu’au vu des états financiers précédents la vente, établis par la société cible. Une clause du contrat prévoit un audit post-acquisition à réaliser par un expert-comptable à désigner de commun accord entre les parties. Elle garde toutefois silence quant aux effets juridique des résultats des travaux d’audit. Plus loin, le contrat comporte une déclaration des cédants selon laquelle les états financiers de référence ont été élaborés conformément aux normes comptables tunisiennes, mais aucune garantie de passif ou d’actif n’est donnée. Enfin le contrat liste les documents contractuels et établit un ordre de priorité où le contrat définitif de cession a un rang supérieur au cahier des charges en cas de contradiction.
L’expert-comptable désigné a remis son rapport en concluant que les états financiers de référence ne reflétaient pas la véritable situation économique de la société cible. L’auditeur a constaté une insuffisance du montant des provisions pour risques et charges. Plus d’une dizaine d’années après la cession, la société d’acquisition, qui avait entre-temps absorbé la société cible, agit en justice pour réclamer la condamnation des principaux cédants au paiement de la valeur de l’insuffisance des provisions révélée par le rapport d’audit. Les juges de fond, après avoir ordonné deux expertises judiciaires, ont retenu la responsabilité des cédantes. Selon la Cour d’appel le contrat de cession a été autorisé par le Premier ministre et ses stipulations l’emportent sur celles du cahier des charges.
Les cédantes soutiennent auprès de la Cour de cassation qu’à supposer que la déclaration de sincérité des états financiers puisse s’analyser en une garantie, celle-ci est contraire à l’acte soumission présenté par le cessionnaire et au cahier des charges sur la foi desquels l’autorisation du Premier ministre a été donnée. Leur garantie encourt alors la nullité pour violation de la loi de 1994. Selon les auteurs du pourvoi, le législateur a institué une procédure d’appel d’offres sur cahier des charges en s’inspirant de la réglementation des marchés public assurant la transparence dans la passation des contrats, l’égalité des chances entre les candidats et la protection des deniers publics. Le choix de l’acquéreur final se fait selon une procédure formaliste faisant intervenir une commission consultative et une autorité investie du pouvoir d’autoriser la cession, lesquelles ne tiennent compte que des stipulations du cahier des charges et de l’acte de soumission. L’établissement de l’acte définitif de cession n’est pas une occasion de renégocier les termes de la cession, en prévoyant notamment une garantie qui était expressément exclue dans l’appel d’offres. L’acte définitif de cession n’a d’intérêt que d’être le support de la formalité d’enregistrement à la Bourse des valeurs mobilières de Tunis[2]. Le participant public, contrairement à une personne privée, perd sa liberté contractuelle quand il envisage de céder ses titres. Il ne peut modifier l’économie de la transaction après la publication du cahier des charges. Le Premier ministre n’est même pas habile à déroger aux conditions de l’appel d’offres en autorisant une négociation de gré à gré. Les auteurs du pourvoi ne manquent pas de rappeler une décision du Conseil constitutionnel français (Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986)[3] ou encore les prises de position du Conseil d’Etat français qui accepte d’exercer un contrôle sur la teneur des contrats définitifs de vente à la demande des candidats évincés[4].
La Cour de cassation reprend à son compte l’argumentation du pourvoi. « La conclusion du contrat définitif de cession n’est pas une occasion de renégocier le contenu du cahier des charges, une telle renégociation est contraire aux procédures de vente sur cahier des charges et constitue une contravention à la loi du 1er février 1989. » L’arrêt ajoute que « les déclarations du cessionnaire contenues dans le préambule d’où il ressort que son consentement à la cession au prix fixé est déterminé par divers éléments dont notamment les états financiers approuvés et certifiés par le commissaire aux compte, lui donne droit de demander la nullité du contrat et non d’engager la responsabilité des cédants. » D’où selon la Cour de cassation, « le contrat de cession exprime une déclaration de conformité des états financiers et non une garantie, expressément exclue par le cahier des charges. » Sans besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le pourvoi, la Cour de cassation casse et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Tunis autrement composée.



[1] La loi de 94 intègre « dans le champ des privatisables une nouvelle catégorie d’entreprises. Désormais, les entreprises dont le capital est entièrement ou partiellement détenu par les entreprises publiques sont éligibles à la privatisation. Ce type d’entreprises constitue un ensemble hétérogène, puisqu’il englobe au moins deux sous catégories. La première recouvre des filiales d’entreprises publiques. La seconde se compose d’entreprises dans lesquelles participent des entreprises publiques sans en constituer des filiales, le critère de distinction étant le niveau de la participation au capital. » Dorra Noomane-Bejaoui, Les privatisations en Tunisie, Université Paris Dauphine - Paris IX, 2014, p. 84.
[2] La technique de la cession sur appel d’offres sort de la catégorie des techniques boursières. L’article 33-5 de la loi de 1989 énonce que « les ventes de blocs d'actions telles que définies à l'article 33-4 de la présente loi sont réalisées à la bourse des valeurs mobilières sans négociation, nonobstant toute disposition contraire ».
[3] « L'évaluation de la valeur des entreprises à transférer sera faite par des experts compétents totalement indépendants des acquéreurs éventuels ; qu'elle sera conduite selon les méthodes objectives couramment pratiquées en matière de cession totale ou partielle d'actifs de sociétés en tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur boursière des titres, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de l'existence des filiales et des perspectives d'avenir ; que, de même, l'ordonnance devra interdire le transfert dans le cas où le prix proposé par les acquéreurs ne serait pas supérieur ou au moins égal à cette évaluation ; que le choix des acquéreurs ne devra procéder d'aucun privilège. » 
[4] Une auteure a écrit à ce propos : « Trois types de procédures sont prévus pour garantir l'égalité de traitement des candidats. En cas de privatisation, l'Etat doit recourir à la procédure d'appel d'offres, avec cahier des charges, ou bien sous le contrôle d'une personnalité indépendante. La procédure de l'accord de coopération industrielle, commerciale ou financière concerne les cessions minoritaires. Ces procédures donnent lieu à publication au Journal officiel. Lorsqu'il est saisi par des candidats écartés, le juge administratif exerce sur les actes de cession un contrôle poussé au regard du principe d'égalité. A cela peut s'ajouter le contrôle de la Commission européenne, qui veille à ce que la privatisation ne comporte pas d'éléments d'aide au profit des acquéreurs. » Anémone Cartier-Bresson, L'Etat actionnaire, LGDJ, 2010, p. 82.

dimanche 1 avril 2018

Les risques fiscaux d’un acte anormal de gestion


Les risques fiscaux d’un acte anormal de gestion


Un arrêt du Tribunal administratif (TA n°311015 du 10 Juin 2013 in Jurisprudence du Tribunal administratif 2013, IORT, p. 630) a rejeté un pourvoi en cassation contre un arrêt de la Cour d’appel de Tunis (CA Tunis 80907 du 27 mai 2009) confirmant un jugement de premier degré qui a rejeté un recours en annulation d’un arrêté de taxation d’office où l’Administration fiscale a redressé la situation fiscale d’une société industrielle, nouvellement entrée en activité et installée dans une zone de développement régional, spécialisée dans le montage de produits électroménagers, en ce qu’elle commercialise ses produits à une marge brute inférieure à la moyenne du secteur. Avant qu’elle n’entame son activité proprement industrielle, la même société avait pratiqué le commerce de distribution des mêmes produits en les revendant à un prix inférieur à leurs coûts d’achat. Dans les deux cas selon l’Administration fiscale, la société a abandonné une partie des recettes qu’elle aurait pu réaliser. Il s’agit d’un acte anormal de gestion qui autorise un rappel de suppléments de cotisations tout à la fois en matière d’impôt sur les sociétés et en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
Le pourvoi en cassation invoque la violation du principe de la liberté de gestion de l’entreprise et du coup la non-immixtion de l’Administration. Le TA y répond dans ces termes : « Attendu que si le principe de la liberté de gestion des entreprise économiques oblige à reconnaître à leurs dirigeants une indépendance dans la prise des décisions appropriées aux activités et à la direction des biens, il n’empêche que l’administration est en droit d’exercer son contrôle sur la régularité de la gestion et s’opposer aux actes anormaux de gestion destinée à éluder l’impôt ou l’atteinte à la loyauté dans la concurrence notamment quand celle-ci est contraire aux intérêts de l’entreprise ». Le Tribunal administratif estime que la société n’a pas réussi à justifier ses reventes à perte ou ses ventes à une marge brute inférieure à la moyenne du secteur.

La motivation tirée de l’atteinte à la loyauté dans la concurrence est manifestement erronée. Le droit fiscal n’a pas en effet pour objectif d’assurer le respect de la concurrence sur le marché.

La théorie de l’acte anormal de gestion. L’art. 11 IRPPIS, applicable aux sociétés soumises à l’IS par renvoi de l’article 48-I du même code, dispose au § I, que « le résultat net est déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par l'entreprise y compris notamment la cession de tout élément d'actif. » Le § II  du même article ajoute que « le résultat net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt sur le revenu, diminuée des suppléments d'apports et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. »  L’art. 12 du même code ajoute, enfin, que « le résultat net est établi après déduction de toutes charges nécessitées par l'exploitation, .. »

Le juge fiscal prolonge ces textes et consacre ce qu’on appelle la théorie de l'acte anormal de gestion. La théorie joue en droit fiscal l’équivalent d’un principe général de droit en droit civil. Selon le juge fiscal (CE sect,, 1er juill. 1983, req. n°28315, Dr. Fisc. 1984, n°5, comm. 148. Concl. P. Rivière), seuls peuvent ne pas être pris en compte les actes ou opérations qui ont été réalisés à des fins autres que celles de satisfaire les besoins ou, de manière générale, servir les intérêts de l'entreprise et qui, dans ces conditions, ne peuvent pas être regardés comme relevant d'une gestion normale de celle-ci. La loi elle-même, dans certains cas, définit l'acte de gestion anormal en interdisant la déduction d'une rémunération ne correspondant pas à un travail effectif ou excessive eu égard à l'importance du service rendu ou encore de dépenses somptuaires. Elle prévoit encore que les dépenses engagées par les entreprises dans le cadre de manifestations de caractère philanthropique, éducatif, sportif... ne sont déductibles qu'à certaines conditions.

La théorie de l’acte anormal de gestion permet donc à l’Administration de considérer une décision de gestion de l’entreprise ne lui est pas opposable pour le calcul de l’impôt pour cette raison qu’elle n’a pas été prise dans l’intérêt de l’entreprise. Le concept d'acte anormal de gestion traduit en des termes propres au droit fiscal la notion d'intérêt social en droit des sociétés commerciales.

Classification des actes anormaux de gestion. S'agissant de dépenses étrangères aux intérêts de l'entreprise, la réintégration s'appuie le plus souvent sur les dispositions de l'article 12, lequel définit les charges déductibles. Il y a donc ici refus d'une déduction. Mais la théorie de l'acte de gestion anormal peut conduire à la prise en compte, dans les résultats imposables, des profits que l'entreprise aurait pu faire et auxquels elle a renoncé pour des raisons étrangères à son propre intérêt. L'opération que l'on écartera est celle qui consiste par exemple à livrer des marchandises sans en exiger le prix ou à consentir des avances sans intérêts ou abandonner une créance (Sami Kaiem, Les implications fiscales de l’abandon de créances, Revue tunisienne de fiscalité n°20, p. 178). L'Administration fiscale, et le juge éventuellement, se substitueront alors au chef d'entreprise pour faire, dans l'intérêt de son entreprise, ce qu'il n'avait pas fait. Le juge fiscal français va encore plus loin en considérant la prise excessive de risque comme un acte anormal de gestion (Florence Deboissy, Prise de risque excessive et acte anormal de gestion, Dr. fisc. n° 23, 4 Juin 2015, p. 386)

Appréciation de l’arrêt du TA. L'acte anormal, avons-nous dit, résulte soit de l'absence de contrepartie à la fourniture d'un bien ou d'un service, soit d'une contrepartie insuffisante. C’est ce qu’a admis le Tribunal administratif dans l’espèce rapportée. L'anormalité de l'acte provient d'un profit insuffisant (9%) eu égard à celui qui eût été possible de réaliser en vendant à une marge supérieure au moins équivalente à celle de la moyenne du secteur (estimée à 15%). Le pourvoi se contente de se prévaloir du principe de la liberté de gestion et de son corolaire la non-immixtion de l’administration. Dans une espèce proche de la notre, le Conseil d’Etat français a cependant estimé « que la circonstance qu’une entreprise qui s’abstient de facturer une marge commerciale ne peut, à elle seule, faire présumer que cette facturation présente un caractère anormal. » (CE, 23 janv. 2015, n°369214, LPA, 10/03/2015 – n°49, p. 3 note Frédérique Perrotin) En l'espèce, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité des frais de promotion d’un médicament. L’entreprise a engagé en la circonstance des dépenses de promotion en faveur du médicament pour une part excédant 12 % du chiffre d'affaires imputable à ce médicament, soit le taux moyen des frais de promotion des entreprises du secteur pharmaceutique. En cela, l’Administration a estimé qu’une telle action ne relève pas d'une gestion commerciale normale. Or pour le Conseil d’Etat, il n'appartient pas à l'Administration de se prononcer sur l'opportunité des choix arrêtés par une entreprise pour sa gestion. La parenté avec notre espèce est évidente car la société redressée fait nouvellement son entrée sur le marché et il est de son intérêt de vendre à des prix concurrentiels. Il est vrai que l’argument n’a pas été formellement soutenu dans le pourvoi. Généralement, on estime que le contribuable n’a pas une obligation, grâce à une meilleure gestion, de réaliser un meilleur profit (Frédérique Perrotin, Acte normal de gestion et cession d’action, note sous CE, 23 déc. 2011, n°327562, LPA 11/11/2011 – n°8 p. 4).

La charge de la preuve de l’anormalité. Il appartient à l’Administration fiscale d’apporter la preuve des faits sur lesquels elle s’appuie pour estimer qu’il y a un acte anormal de gestion. Elle doit apporter la preuve de la renonciation au profit ou d’une dépense non justifiée ou excessive. Si cette preuve est faite, il incombe au contribuable de démontrer que l'acte incriminé comporte en réalité un intérêt pour l'entreprise.

Domaine de la théorie de l’acte anormal de gestion. L'acte de gestion anormal est essentiellement invoqué en matière de bénéfices industriels et commerciaux et d'impôt sur les sociétés. Les opinions divergent quand il s’agit de savoir si la théorie peut être étendue à la matière imposable non commerciale. Un arrêt du Conseil d’Etat français a répondu par la négative (CE, plén. fisc., 23 déc. 2013, n°350075, Dr. fisc. n°14, 3 avr. 2014, comm.252). La théorie joue, en revanche, en matière des revenus fonciers, par exemple quand le loyer est insuffisant. L’art. 28 IV IRPPIS précise par ailleurs que la plus-value [immobilière] imposable, est égale à la différence entre d’une part, le prix de cession déclaré des biens et droits susvisés ou celui révisé suite aux opérations de vérifications fiscales selon les procédures applicables en matière de droits d’enregistrement et d’autre part, le prix de revient d’acquisition. »

La théorie de l'acte de gestion anormal ne joue pas en matière de TVA en raison de son caractère réel (Saoussen Jammoussi Azaiez. Le pouvoir d’appréciation de l’administration dans la déductibilité des charges, Revue tunisienne de fiscalité, n°15, p. 123). Sur ce point, l’arrêt rapporté est critiquable en ce qu’il a rejeté le pourvoi qui critique les rehaussements des impôts en matière de TVA sur le fondement de la théorie de l’acte anormal de gestion.

Le fait, pour une société, de céder à l'un des associés des biens à un prix notablement inférieur à leur valeur vénale réelle ne relève pas, en règle générale, d'une gestion normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Mais alors se profile un autre risque fiscal pour les bénéficiaires de l’avantage.

Le risque fiscal pour les bénéficiaires de l’avantage. Nous avons vu précédemment vu que lorsque l'acte de gestion anormal est établi, il y a lieu à redressement des résultats de l'entreprise. Un second redressement est souvent notifié au bénéficiaire de l'acte de gestion anormal. Ainsi lorsque l'entreprise responsable de cet acte relève de l'impôt sur le revenu, le bénéficiaire, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un associé ou du chef de l'entreprise individuelle, est imposé dans la catégorie des bénéfices des professions non commerciales ou encore à l'impôt sur les sociétés. Quand l'entreprise, auteur de l'acte de gestion anormal, relève de l'impôt sur les sociétés, l’associé bénéficiaire est imposé au titre des revenus des valeurs mobilières. « En cas d’acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l’objet de la transaction, ou, s’il s’agit d’une vente délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l’avantage ainsi octroyé doit être qualifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution d’un bénéfice. » (CAA Marseille, 5 juillet 2013, Rémunération et avantages occultes, Jean-Luc Pierre, Droit des sociétés, n°11, Nov. 2013, comm. 195). Quand des associés achètent auprès de la société une propriété immobilière ou des titres d’une filiale à un prix inférieur à leur valeur vénale ils tombent sous le coup de l’article 29-II IRPPIS qui considère comme revenus distribués, toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices » L’art. 30 IRPPIS assimile à des revenus distribués « les rémunérations, avantages et bénéfices occultes. » Ils sont donc imposables.

Publié in le Manager Mars 2018.