dimanche 29 décembre 2019

Chronique de jurisprudence en droit des sociétés commerciales


Chronique de jurisprudence en droit des sociétés commerciales

SA. Convocation d’une AGE par un mandataire ad hoc

L’article 277 du Code des sociétés commerciales (CSC) détermine les personnes ayant pouvoir de convoquer l’assemblée générale des actionnaires. En cours de vie sociale, la convocation est normalement lancée par le conseil d’administration ou par le directoire. Mais en cas de besoin ajoute le même texte, l’assemblée générale peut être convoquée, entre-autre, par un mandataire nommé par le tribunal sur demande de tout intéressé en cas d’urgence ou à la demande d’un ou plusieurs actionnaires détenant au moins cinq pour cent du capital de la société anonyme lorsqu’elle ne fait pas appel public à l’épargne ou trois pour cent lorsqu’elle fait appel public à l’épargne. Dans l’arrêt de la Cour de cassation n°55339.2017 du 20 décembre 2017 (inédit), deux actionnaires détenant 80% du capital d’une société anonyme ne faisant pas appel public à l’épargne agissent devant le président du tribunal de première instance de Monastir, en soutenant que le mandat du conseil d’administration, dont ils étaient membres, a expiré, que la société a cédé la totalité de son actif industriel dans le cadre de la loi sur la restructuration des entreprises publiques et qu’elle doit normalement être dissoute et liquidée mais que l’ancien président-directeur général fait obstruction à la tenue d’une assemblée générale extraordinaire et continue à diriger la société de fait. Ils requièrent la nomination d’un mandataire ad hoc pour être chargé de la convocation d’une assemblée générale extraordinaire dont il précise l’ordre du jour. Ils n‘obtiennent satisfaction qu’en second degré. La Cour de cassation rejette le pourvoi présenté par la société et par l’actionnaire-dirigeant. L’intérêt de l’arrêt est multiple : la situation d’urgence est avérée en présence d’une vacance dans les organes sociaux ; l’existence de plaintes pénales contre les demandeurs n’empêche pas la désignation d’un mandataire ad hoc ; la loi s’exprimant en des termes généraux, le mandataire peut être chargé de la convocation d’une assemblée générale ordinaire ou d’une assemblée générale extraordinaire. Enfin selon la Cour Suprême, une clause des statuts ne peut valablement restreindre le mandat du mandataire ad hoc à la seule convocation d’une AGO.

SA. Droit de communication et droit de prendre copie des documents.

L’article 284 du CSC permet à un ou plusieurs actionnaires détenant au moins cinq pour cent du capital d’une société anonyme lorsqu’elle ne fait pas appel public à l’épargne ou trois pour cent lorsqu’elle fait appel public à l’épargne, ou détenant une participation au capital au moins égale à un million de dinars, a le droit d’obtenir, à tout moment, des copies du rapport de gestion et de la liste des engagements hors bilan, des rapports des commissaires aux comptes relatifs aux trois derniers exercices, ainsi que des copies des procès-verbaux et feuilles de présence des assemblées tenues au cours des trois derniers exercices. Si la société refuse la demande en tout ou en partie, l’actionnaire peut saisir le juge des référés à cet effet.
Le droit de prendre copies des documents se rapportant à des exercices antérieurs ne doit pas être confondu avec le droit de prendre communication des documents établis en prévision d’une assemblée à tenir. Ce droit de communication est ouvert, en vertu de l’article 280 du même code, à tout actionnaire indépendamment du taux de sa participation. Paradoxalement dans ce dernier cas, la loi ne prévoit aucune mesure d’appui en faveur de l’actionnaire qui se voit refuser l’accès à ces documents.
En l’espèce (Cass. N°56506 du 19/4/2018 inédit) et à l’occasion de la convocation à une assemblée générale annuelle pour l’exercice 2014, deux actionnaires demandent à la société tout à la fois une copie des documents se rapportant à cette assemblée et celle des exercices passés. Ayant essuyé un refus, ils agirent contre la société sur le fondement de l’article 284 et obtinrent du juge des référés une injonction de remise des documents.
Répondant au pourvoi présenté par la société, la Cour de cassation juge que la demande de prendre copie des documents sur le fondement de l’article 284 n’a pas être motivée ; il suffit qu’elle émane d’un ou plusieurs actionnaires détenant le minimum de participation requis. La demande peut être formulée à tout moment, y compris à l’occasion de la convocation d’une assemblée générale annuelle.
La lecture que fait l’arrêt sous examen de l’article 284 est irréprochable s’agissant de remise d’une copie des documents des exercices passés. On regrettera cependant que la rédaction de 284 soit insuffisante à assurer une réelle efficacité à l’intervention du juge des référés. En effet, le texte prévoit que l’action doit être dirigée contre la société alors qu’il fallait viser les dirigeants pris en leur nom personnel et non la société qu’ils représentent. De même, il fallait permettre au juge des référés de prononcer une astreinte et éventuellement de désigner un mandataire chargé de procéder à la remise des documents.
Mais l’article 284 ne peut servir de fondement à une demande relative à des documents se rapportant à une assemblée générale à venir. C’est plutôt l’article 280 qui est applicable. On note toutefois que ce texte ne consacre qu’un d’un droit de communication. L’actionnaire ne peut que prendre note des documents qu’il consulte sur place. On peut admettre qu’il puisse les photographier ou en faire un enregistrement sur magnétophone. Mais il ne peut exiger de la société une remise matérielle d’une copie. L’article 280 aurait dû, lui aussi, être complété du même dispositif prévu à l’article 284, c’est-à-dire l’appui du juge des référés en cas d’obstruction par la société à l’exercice du droit. Il est évident que l’actionnaire qui n’a pas été en mesure d’exercer son droit de communication peut exercer une action en nullité de la délibération s’il prouve que sa connaissance des documents aurait pu modifier le vote des résolutions.
La Cour de cassation n’a pas, semble-t-il, saisi la nature exacte du différend se rapportant aux documents de l’assemblée générale annuelle de l’exercice 2014. Il est certain qu’une assemblée générale annuelle fut convoquée sans que des documents aient été mis à la disposition des actionnaires pour leur permettre de voter en toute connaissance de cause. Il s’agit du rapport de gestion, de la liste des engagements hors bilan, les états financiers et les rapports générale et spécial du commissaire aux comptes. Mais selon la société, si ces documents font défaut c’est parce que l’initiative de la convocation de l’assemblée générale n’émane pas du conseil d’administration mais des actionnaires demandeurs. Ces derniers le reconnaissent dans leurs écritures en réponse au pourvoi. « Ayant constaté le défaut de tenue d’une assemblée générale dans les six premiers mois de l’année 2015, conformément à l’article 276 du CSC, et en considération de la mauvaise gestion de l’administration actuelle et de défaut de convocation de l’assemblée générale, ils ont exercé la présente action en référé. » En quelque sorte, les deux actionnaires ont voulu vaincre l’inertie du conseil d’administration à convoquer l’assemblée générale annuelle en fixant eux-mêmes une date pour sa tenue, en demandant à la société d’établir les documents s’y rapportant et en exigeant qu’ils leur soient remis. Quoique leur demande soit légitime, il faut reconnaître que le recours à l’article 280 est inadéquat et la solution doit être recherchée ailleurs.

Groupe de sociétés. L’apparence qu’une société appartenant à un groupe contribue aux engagements d’une autre société du même groupe

Le groupe des sociétés ne remet pas en cause l’autonomie patrimoniale des sociétés qui le composent. Ainsi, en vertu de l’article 476 du CSC, un créancier d’une société appartenant à un groupe de sociétés ne peut réclamer le payement de ses créances qu’à la société débitrice. Néanmoins exceptionnellement en vertu du même article, un créancier peut réclamer paiement à une autre société appartenant au même groupe ou aux deux sociétés solidairement :
-        s’il établit que l’une de ces sociétés a agi de manière à faire croire qu’elle contribue aux engagements de la société débitrice appartenant au groupe ou lorsque la société mère ou l’une des sociétés appartenant au groupe s’est sciemment immiscée dans l’activité de la société débitrice dans les rapports avec les tiers.
L’arrêt de la Cour de cassation n°30627.2014 du 17 mars 2016 (inédit) se veut une application de la première hypothèse, mais hélas l’exercice n’est pas réussi. Les faits sont relativement simples. Une banque, teneur de compte d’une société, a reçu du receveur des finances une opposition administrative en garantie du paiement d’une créance publique sur une société tierce. L’opposition administrative joue un rôle similaire à une saisie-arrêt. Ainsi la banque fait une déclaration au receveur puis effectue virement au profit du Trésor par débit du compte de la société cliente. Estimant le débit non-régulier, la société titulaire du compte a demandé que le compte soit crédité de nouveau. N’ayant pas obtenu satisfaction, elle agit en paiement. Le juge de premier degré lui donne satisfaction mais la Cour d’appel de Tunis rend un jugement infirmatif sur le fondement du premier tiret de l’article 476 du CSC. La banque avance cette idée que la société cliente a payé dans le passé au moyen d’un chèque tiré ce même compte une dette incombant à la société mère au profit du Trésor. Ce paiement a laissé croire la banque qu’elle contribue aux engagements de la société débitrice vis-à-vis de l’administration fiscale. La Cour de cassation a eu à se prononcer sur deux questions : l’appartenance des deux sociétés au même groupe de sociétés, ce qui constitue une question de fait laissée à la prudence des juges de fond, et la réunion des conditions d’application du deuxième tiret de l’article 476. La Cour Suprême approuve les juges de fond d’avoir considéré que le paiement fait au profit du trésor a fait croire que la société filiale contribue aux engagements de la société débitrice.
On ne peut qu’être étonné que la Cour de cassation tombe dans un tel biais. Elle est victime d’une illusion d’optique. L’exception à l’autonomie patrimoniale des sociétés appartenant au même groupe de sociétés est une protection donnée par la loi au créancier d’une société appartenant au groupe. Ce créancier a cru légitimement qu’une autre société contribue aux engagements de son propre débiteur. Or, dans notre cas d’espèce, le seul créancier de la société mère est le Trésor public. Il est le seul à pouvoir tirer bénéfice de la disposition légale et c’est au juge (et non la banque !) d’apprécier le bien-fondé de sa prétention contre la filiale. La banque teneur du compte de la filiale quant à elle n’est pas le créancier de la société mère. Elle est plutôt débitrice de la filiale puisqu’elle est tenue à son égard d’une obligation de restitution des sommes déposées en compte. Quand la banque a débité la première fois le compte de son client du montant du chèque, elle n’a fait qu’exécuter un ordre de paiement. Le mandat de payer un chèque est au surplus abstrait de toute cause. Il ne peut donc réellement produire une quelconque croyance dans l’esprit de la banque.

mercredi 11 décembre 2019

Du nouveau en droit des sociétés commerciales Les sociétés anonymes admises à la cote



Les sociétés anonymes admises à la cote

Nous traitons dans les développements qui suivent les nouveautés de la loi n°2019-47 relatives aux organes d’administration et de direction générale des sociétés anonymes admises à la cote de la bourse.

I-                   Les administrateurs indépendants

Le projet de la loi présenté par le Gouvernement prévoit d’ajouter un article 190 (bis) CSC disposant que le conseil d’administration des sociétés admises à la cote de la bourse doit comprendre deux administrateurs au moins indépendants des actionnaires pour une durée ne pouvait être inférieure à trois ans. Une règle équivalente est énoncée pour les sociétés admise à la cote de type nouveau où le conseil surveillance doit comprendre deux membres indépendants (art 239 bis). Lors de la présentation de la loi au vote, les deux premiers alinéas de l’art 190 (bis) ont sauté. Cet article commence par un aliéna 1er énonçant « que le mandat des deux membres indépendants ne peut être renouvelé qu’une seule fois. » C’était une inadvertance commise par la commission parlementaire.

Littéralement interprétée, l’obligation de désigner un membre indépendant s’applique à toutes les sociétés dont les titres sont admis à la cote de la bourse. Or on peut coter des titres de capital et des titres de créance. De lege ferenda ne fallait-il pas viser seulement les sociétés dont les titres de capital sont cotés ? La notion de société faisant appel public à l’épargne est mois large que celle de société faisant appel public à l’épargne.

Un membre est considéré comme indépendant s’il n’entretient aucune relation avec la société, les actionnaires ou les dirigeants de nature à mettre en cause l’indépendance de sa décision ou qui est susceptible de le mettre en situation de conflit d’intérêts effectif ou éventuel.

La notion d’administrateur indépendant a été consacrée pour la première en droit tunisien pour les sociétés exerçant une activité de crédit. Le conseil d’administration d’une banque ou d’un établissement financier doit être composé d’«au moins de deux administrateurs indépendants des actionnaires.» L’indépendance est envisagée d’une manière extensive dans les rapports avec les actionnaires, l’établissement et ses dirigeants. L’administrateur désigné en cette qualité ne doit pas être lié à ces différentes parties par une «relation de quelque nature qu’elle soit… de nature à toucher l’indépendance de sa décision ou...le mettre dans une situation de conflit d’intérêts actuel ou probable.» C’est cette même définition qui a été reprise par le législateur dans le CSC pour les sociétés cotées. 

L’administrateur indépendant ne doit pas être confondu avec l’administrateur représentant les petits actionnaires. Ce dernier terme renvoie dans la loi bancaire à la notion de « public » telle que définie par la réglementation du marché financier, et plus spécialement le règlement général de la Bourse qui définit les conditions de la cotation des titres de capital sur l’un des marchés de la Bourse. 

Sur délégation de pouvoir, la Banque centrale de Tunisie énumère les situations suivantes comme constitutives d’un défaut d’indépendance : 

- être lié par des liens avec l’établissement au sens de l’article 23 de la loi n°2001-65 relative aux établissements de crédit. Cet article 23 est aujourd’hui abrogé mais il a pour équivalent l’article 43 de la loi de 11 juillet 2016 ; 

- avoir une participation directe ou indirecte dans le capital de l’établissement, 

- faire partie des salariés de l’établissement ; 

- exercer depuis moins d’une période de 9 ans un mandat de membre représentant les intérêts des actionnaires dans ledit conseil ; 

- exercer depuis une période de moins de 6 ans un mandat de commissaire aux comptes dans l‘établissement. 

- l’administrateur est choisi parmi « les clients, fournisseurs ou prestataires de services significatifs de l‘établissement ». Cette situation évoque le manque d’indépendance pour motif de conflit d’intérêts entre l’établissement et la personne nommée. 

La préservation de l’indépendance de l’administrateur ne dépend pas de l’absence de toute relation contractuelle avec l’établissement mais de l’absence d’une relation contractuelle significative. Le caractère significatif s’apprécie, à notre sens, des deux côtés, celui de l’établissement et celui de l’administrateur. Par exemple, l’établissement ne peut choisir des administrateurs indépendants parmi ses gros clients, qu’ils soient déposants ou emprunteurs. De même, n’est pas administrateur indépendant un fournisseur qui se trouve en situation de dépendance économique par rapport à l’établissement. Il y a dépendance économique lorsque le fournisseur réalise la quasi-totalité de son chiffre d’affaires avec l’établissement. Il reste entendu que l’indépendance s’apprécie, en la matière, au cas par cas. 

Les nouvelles dispositions du CSC ne renvoient pas à un décret d’application. Mais rien n’interdit que le détenteur du pouvoir réglementaire général intervienne en la matière. Il peut s’inspirer de la définition réglementaire édictée par la BCT. 

La délibération de l’assemblée générale ordinaire doit identifier les administrateurs indépendants, mais aucune motivation spéciale ne figure dans la décision de nomination. L’administrateur désigné en cette qualité déclare souvent accepter le mandat en affirmant surtout satisfaire aux critères d’indépendance requise par les règlements. 

Quelle est la sanction de la nomination d’un administrateur qui ne satisfait pas aux critères d’indépendance ? La nomination est-elle nulle comme l’est la désignation d’un administrateur se trouvant dans un cas d’incapacité, d’incompatibilité ou d’interdiction ? 

Les nouvelles dispositions du CSC se prononcent expressément sur la sanction du défaut d’indépendance au moment de la nomination. Elles prévoient la sanction de la nullité de la désignation. L’administrateur ou le membre du conseil de surveillance faussement indépendant devient un dirigeant de fait ; il subit les conséquences dommageables de sa gestion sans qu’il puisse bénéficier des avantages, tels que les jetons de présence. 

La survenance, en cours de mandat, d’une circonstance ou d’une relation de nature à porter atteinte à l’indépendance de la personne constitue-t-elle un motif suffisant de perte de la qualité d’administrateur ? Les articles 190 (bis) et 239 (bis) prévoient que la perte d’indépendance en cours du mandat justifie une révocation décidée par l’assemblée générale. 

On peut se demander s’il est interdit au conseil d’administration de charger un administrateur indépendant d’une mission spéciale rémunérée conformément à l’article 205 CSC. Une réponse négative s’impose sauf à vérifier si l’indépendance de l’administrateur peut-être remise en cause. 

La loi bancaire de 2016 a prévu la création de divers comités au sein du conseil d’administration ayant un rôle auxiliaire et non décisoire : comité d’audit, comité des risques, comité des nominations et de rémunération et comité charaïque pour les banques de finance islamique. Le comité d’audit et le comité des risques sont présidés par un membre indépendant. Il est interdit de cumuler la qualité de membre dans le comité d’audit et dans le comité des risques. 

La récente intervention du législateur dans le CSC étendant la désignation d’un administrateur indépendant aux sociétés cotées n’a pas été suivie d’une mesure d’accompagnement que nous considérons nécessaire. En effet, l’article 256 (bis) du CSC exige la création d’un « comité d’audit » pour certaines sociétés parmi lesquelles les sociétés faisant appel public à l’épargne dont les sociétés cotées sont une espèce. Le comité permanent d’audit est composé de trois membres au moins, désignés par le conseil d’administration parmi ses membres. Ne peut être membre du comité d’audit, le président-directeur général, le directeur général ou le directeur général adjoint. L’exclusion de ces personnes est justifiée par la volonté d’assurer une indépendance du comité d’audit par rapport au management. Nous avons autrefois remarqué que le législateur aurait dû ajouter une cause d’incompatibilité avec toute fonction salariale au sein de la société. Nous y ajoutons aujourd’hui cette autre remarque que le législateur aurait dû exiger qu’au moins un membre indépendant siège dans le comité d’audit. 

On peut se demander pour quelle raison le législateur a exigé que les membres indépendants soient au moins au nombre de deux. Pour un établissement de crédit, cette exigence s’inscrit dans le sillage de la création des comités auxiliaires au conseil d’administration. Or dans les sociétés cotées, il n’est prévu qu’un seul comité obligatoire. On peut penser que la justification de ce nombre doit être recherchée dans le but de renforcer l’indépendance. Un seul administrateur peut apparaître que trop minoritaire. Les deux administrateurs indépendants peuvent donc se soutenir ce qui conduit à renforcer leur indépendance. 

Pour assurer un supplément d’indépendance le législateur reprend la même règle de la loi bancaire qui limite le renouvellement du mandat à une seule fois. Mais l’avantage du CSC est d’avoir ajouté deux autres règles qui n’ont pas d’équivalent dans la loi bancaire. 

La première est relative à la durée du mandat des membres indépendants. Elle ne peut être inférieure à trois ans. Indirectement, cette exigence a pour corollaire de remettre en cause les dispositions de l’article 190 du CSC qui s’en remet aux statuts pour déterminer la durée du mandat des administrateurs sans qu’elle soit supérieure à trois ans. Une société cotée à la bourse doit modifier ses statuts pour fixer la durée du mandat des administrateurs à trois ans. En fixant une durée minimale de trois ans, le législateur s’inspire de la règle fixant la durée du mandat du commissaire aux comptes. On considère que la durée est un gage d’indépendance dans l’exercice du mandat. 

La deuxième règle ajoutée par le CSC, conséquente de la précédente, est d’avoir interdit à l’assemblée générale de révoquer l’administrateur indépendant sauf pour faute de gestion ou de manquement à l’obligation d’indépendance. Ainsi, le membre indépendant n’est pas révocable ad nutum comme c’est le cas du reste des membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance. Etant une sanction, la révocation doit-être inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale, elle ne peut-être invoquée comme un incident de séance. Par ailleurs, le membre en cause doit-être en mesure de se défendre. 

II- La séparation des fonctions de président et de directeur général 



En vertu des dispositions de l’article 215 CSC (ancien), « les statuts peuvent opter pour la dissociation entre les fonctions de président du conseil d’administration et celle de directeur général de la société. » Il s’agit là d’une dissociation facultative des organes. La règle d’inspiration allemande, signifie que la direction effective de la société doit être assurée par « quatre yeux ». La dissociation des fonctions est parfois utilisée pour faciliter la succession d'un PDG sortant : l'ancien PDG occupe les seules fonctions de président du conseil d'administration, avant de reconstituer au profit du DG qui a fait ses preuves les fonctions de PDG. 

Les nouvelles dispositions imposent la dissociation des fonctions quand la société est admise à la cote de la bourse. La mise en place effective de la dissociation connaîtra une résistance en raison de l’idée que l’on se fait de l’exercice du pouvoir au sein de la société et en raison de son implication sur les rémunérations du président et du directeur général.

Du nouveau en droit des sociétés commerciales DROIT COMMUN DES SOCIÉTÉS ANONYMES


DROIT COMMUN DES SOCIÉTÉS ANONYMES (I)

Nous poursuivons dans la présente chronique le commentaire des nouveautés introduites par la loi n°2019-47, relative à l’amélioration du climat des investissements au droit des sociétés anonymes.

I-                 Contrôle des conventions réglementées


Le nouveau dispositif légal a élargi la liste des conventions soumises à autorisation du conseil d’administration en visant « les opérations de cession cinquante pour cent ou plus des actifs sociaux. » Nous avons déjà commenté ce type d’opération quand nous avons traité les opérations soumises à l’approbation de l’assemblée générale des associés dans une SARL (le Manager Juillet 2019). La cession de cinquante pour cent ou plus des actifs a la même signification quelle que soit la forme de la société.
Un autre apport, non moins important de la nouvelle loi, consiste à exiger du conseil d’administration, appelé à donner une autorisation à une convention réglementée, qu’il se décide au vu d’un rapport spécial du ou des commissaires aux comptes précisant les conséquences de l’opération projetée sur la société. Nous apprécions la solution à deux niveaux : ses implications tout d’abord et son opportunité ensuite.

A)   Les implications de la solution

Une première implication du rapport spécial est que le conseil d’administration, ou du moins le président du conseil d’administration, doive informer le commissaire aux comptes du projet du contrat soumis à autorisation.
Le commissaire aux comptes doit donner son appréciation sur les conséquences de l’opération ; en fait il s’agit d’apprécier les conséquences probables, c’es-à-dire de faire une analyse prospective de l’opération. La convocation du commissaire aux comptes à la réunion du conseil d’administration appelé à statuer sur l’autorisation n’est pas requise.
Le commissaire aux comptes doit avoir accès à toute information pertinente sur les motifs de l’opération et ses conséquences telles qu’ils ressortent de l’analyse qu’en fait la direction générale du moment où elle en a pris l’initiative et du moment où elle est tenue d’agir en entrepreneur avisé. Pour autant, le commissaire aux comptes n’est pas simplement appelé à certifier que les données sur lesquelles se fonde la direction générale sont exactes et sincères. Il va plutôt faire sa propre analyse des conséquences de l’opération sur la société. Bien entendu, le commissaire aux comptes doit élaborer son rapport selon les règles de l’art et les normes professionnelles en matière d’analyse prospective.
Si le commissaire aux comptes refuse de présenter son rapport spécial ou tarde de présenter il y a faute professionnelle qui peut justifier sa révocation ou sa responsabilité ou les deux à la fois.
Si le conseil d’administration autorise l’opération en l’absence du rapport spécial, soit que le commissaire aux comptes n’ait pas été sollicité soit qu’il n’ait pas disposé de temps suffisant pour le présenter y a-t-il un vice de forme ? Le doute est permis car le législateur n’a pas modifié l’alinéa 2 de l’article 202 CSC selon lequel « nonobstant la responsabilité de l’intéressé, les conventions sus-indiquées à l’article 200 du présent code, contractées sans l’autorisation du conseil d’administration, peuvent faire l’objet d’une annulation si elles entraînent des dommages à la société » Donc une convention autorisée par le conseil d’administration qui a occasionné un dommage à la société ne peut être annulée pour défaut de rapport spécial. Mais il faut faire attention. Le conseil d’administration qui autorise une convention sans inviter le commissaire aux comptes à donner un rapport spécial commet l’infraction d’entrave visée par l’article 13 sexis CSC.
Les nouvelles dispositions ne remettent pas en cause les règles jusque-là en vigueur qui requièrent du commissaire aux comptes de présenter aux actionnaires, réunis en assemblée générale, un rapport spécial sur les conventions autorisées par le conseil d’administration. Ni la loi ni les règlements n’imposent un contenu précis au contenu de ce rapport. La question est désormais de savoir si le commissaire aux comptes présente aux actionnaires le même rapport qu’il a établi pour les besoins de l’autorisation. Peut-il y avoir deux rapports spéciaux de teneur différente selon les destinataires du rapport spécial ? La question est d’importance au cas où l’appréciation qui est faite par le commissaire aux comptes des conséquences économiques et financières de l’opération était négative sur la société : le commissaire aux comptes doit-il, dans ce cas, révéler aux actionnaires la teneur de son rapport spécial ? Les avis peuvent être partagés. D’une part, le secret des affaires peut imposer une certaine discrétion sur le contenu du rapport spécial présenté au conseil d’administration et d’autre part, le commissaire aux comptes doit rendre comptes aux actionnaires de l’exécution de la mission dont il est chargé par la loi. Le silence du commissaire aux comptes sur le contenu de ce rapport spécial donné au conseil d’administration encourage les actionnaires à engager des expertises de gestion au sens de l’article 290 (bis) CSC.
Le commissaire aux comptes est tenu d’une obligation de moyens ; il peut être responsable des fautes commises dans l’élaboration du rapport spécial ; il faut apprécier sa responsabilité en fonction des données dont il a pu disposer au moment de l’élaboration du rapport spécial.
Le rapport spécial du commissaire aux comptes ne dispense pas le conseil d’administration d’agir d’une manière avisée. Sa responsabilité demeure entière quand bien même il adopte la même approche et les mêmes conclusions du commissaire aux comptes dans son rapport spécial.

B)    Appréciations critiques

L’appréciation de la solution légale quant à son opportunité peut être faite à double niveau. Celui de son champ d’application et celui de son bien-fondé quant à la nature de la mission incombant traditionnellement au commissaire aux comptes.
Le commissaire aux comptes est appelé à donner une opinion sur les toutes les conventions soumises à autorisation du conseil d’administration. Le domaine d’application de la règle est très large qui risque de surcharger le travail du commissaire aux comptes et d’augmenter les coûts de l’audit pour la société.
Au plan des principes, le recours au commissaire aux comptes pour l’élaboration d’un rapport spécial est éminemment critiquable. Car du moment qu’il n’appartient pas au commissaire aux comptes de s’immiscer dans la gestion de la société, il est contradictoire de lui demander de présenter quasiment une étude économique financière sur une opération de gestion dont la responsabilité incombe aux dirigeants. Ces derniers sont juges de la manière selon laquelle ils dirigent la société d’une manière avisée. Le conseil d’administration, appelé à donner son autorisation, peut confier l’analyse des conséquences économiques à un service interne à l’entreprise, à un comité émanant de lui ou un administrateur dans le cadre d’une mission spéciale. Le conseil d’administration peut également externaliser l’étude et la confier à un professionnel de son choix. Il n’est pas interdit que ce professionnel soit un expert comptable. Il n’y a aucun impératif supérieur à ce que la loi confie l’étude au commissaire aux comptes. Ce dernier ayant à présenter un spécial aux actionnaires appelé à contrôler a posteriori l’opération doit être maintenu dans une situation d’indépendance intellectuelle. Cette indépendance il ne la conserve que s’il ne participe pas à la prise de décision au sein de la société par son avis. Nous croyons que le législateur a fait une erreur de plume en ne distinguons entre la profession d’expert comptable et la mission de commissaire aux comptes. A notre sens, il ne faut pas trop s’attacher à la lettre du texte. Le législateur a voulu simplement énoncer que le conseil d’administration se prononce au vu d’un rapport établi par un expert comptable[1]. L’interprète peut corriger l’erreur de rédaction[2] et retenir une lecture téléologique de la loi qui a pour mérite de maintenir la cohérence de la mission d’audit qui postule la règle de non-immixtion dans la gestion. Le commissaire aux comptes établit un seul rapport spécial qu’il présente à l’assemblée générale une fois la convention autorisée par le conseil d’administration.
Sur un autre plan, la solution légale ne manque pas de soulever des réserves pour son inconséquence. On s’étonne, en effet, que le législateur ne soit allé jusqu’à imposer au conseil d’administration qu’il motive son autorisation « en justifiant de l’intérêt de la convention pour la société, notamment en précisant les conditions financières qui y sont attachées » pour reprendre la solution retenue par le droit français à propos des conventions mettant en jeu un conflit d’intérêt.[3] Du coup, on est bien devant une solution insolite où le commissaire aux comptes, organe de contrôle, est appelé à apprécier, de son point de vue les conséquences économiques et financière d’une opération projetée mais où l’organe d’administration chargé de prendre une décision ne soit pas invité à motiver sa décision par des motifs précis.

II-                Les assemblées générales

L’article 276 CSC régissant le mode de convocation des assemblées générales a subi une double modification. Son champ d’application qui était limité, par inadvertance de rédaction, à la seule assemblée générale ordinaire, est étendu à toute assemblée générale réunissant des actionnaires titulaires d’actions ordinaires. Ensuite le délai de convocation est porté à vingt et un jours au moins au lieu de quinze jours auparavant.
La convocation des actionnaires à l’assemblée générale se fait par avis de convocation à insérer au Journal officiel de la République tunisienne et au bulletin officiel du registre national des entreprises. Conformément aux règles de droit commun, le délai de convocation est un délai franc où le jour de parution du dernier avis et le jour de réunion ne sont pas pris en compte.
De lege ferenda, on aurait souhaité que le législateur fasse une distinction entre deux questions distinctes : le mode de convocation à l’assemblée générale et le délai de convocation. S’il peut-être utile que le législateur prévoie un délai minimum de convocation, la convocation par avis publié dans le journal officiel et dans bulletin du registre national des entreprises pouvait n’être que supplétive de volonté ou limitée aux seules sociétés cotées ou faisant appel public à l’épargne. Il n’est pas interdit que les statuts prévoient un autre mode de convocation laissant une trace écrite surtout s’il s’agit de sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne. Ces stipulations nous paraissent valables car elles ne heurtent pas une disposition touchant à l’ordre public.



[1] A rapprocher avec l’article 413 CSC où un expert comptable doit faire une évaluation économique de la société pour les besoins d’un protocole de fusion.
[2] La Commission juridique de l’OECT n’a pas osé soutenir la même idée dans une prise de position n°11/2019 où elle s’est contenté de recommander aux commissaires aux comptes de faire un rapport spécial sur les conséquences économiques et financière sans émettre un jugement sur la nature de l’opération qu’il soit positif ou négatif. Or en droit, la méthode littérale qui suppose la perfection de la loi a été écartée. (Cass. crim. 8 mars 1930, D. 1930.1.101, note P. Voirin, La Cour approuvant les juges ayant rectifié le sens du décret du 11 nov. 1917 qui interdisait de descendre d'un train complètement arrêté).
[3] Bruno Dondero, Le nouveau droit des conventions réglementées dans les sociétés anonymes, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 38, 18 Septembre 2014, 1466, § 14 et ss.

dimanche 29 septembre 2019

Du nouveau en droit des sociétés commerciales LES SUARL


LES SUARL

1. - Nous poursuivons dans cette chronique l’étude des modifications et des ajouts apportés par la loi n°2019-47 du 29 mai 2019, relative à l’amélioration du climat des affaires (JORT n°47 du 11 juin 2019), aux sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée (SUARL). Ces sociétés sont une variante des SARL et ne constituent pas une forme spéciale de société quand bien même la loi exige, selon le cas, de mentionner, avant ou après la dénomination sociale, l’abréviation SARL ou SUARL pour caractériser la variante sociale dont il s’agit (91 CSC).
2. - La SUARL peut être constituée ab initio comme elle peut résulter de la transformation d’une autre forme de société de personne ou de capitaux, suite à la réunion de toutes les parts ou actions dans une même main. La réunion des parts sociales d’une SARL pluripersonnelle dans une même main ne conduit pas en droit strict à une opération de transformation de société. Il s’agit plutôt d’une conversion. L’associé devenu unique se limite généralement à faire une simple mise à jour des statuts pour préciser la nouvelle répartition des parts sociales d’autant plus qu’en pratique, les rédacteurs des statuts des SARL établissent une formule hybride ayant vocation à s’appliquer tant à la SARL pluripersonnelle qu’à la SUARL. Les remarques que nous venons de faire à propos des conséquences de la réunion de toutes parts sociales d’une SARL dans une même main doivent conduire le législateur à corriger la rédaction de l’article 23 CSC qui n’est point compatible avec les dispositions des articles 90 et 148 CSC.

3. – Les apports de la loi du 11 juin 2019 à la SUARL sont relativement importants. Ils touchent la constitution de la société (1) sa gérance (2) et la formalisation de décisions de l’associé unique (3).

1- Constitution
4. - Une société unipersonnelle à responsabilité limitée peut désormais être constituée tout aussi bien par une personne physique que par une personne morale (art 149 al 1 CSC). Dans l’ancienne disposition, elle ne pouvait être constituée que par une personne physique. L’intervention de la nouvelle loi est quelque part tardive. Elle aurait dû se réaliser en 2001 quand le législateur a pris soin de réguler les groupes de sociétés. L’ouverture des SUARL aux personnes morales permet en effet de filialiser des établissements d’une société.
5. - La libéralisation de la SUARL par le nouvel article 149 CSC n’est cependant que relative. Ainsi l’ancienne limitation de la participation des personnes physiques à une seule SUARL est maintenue. Jadis on a justifié cette limitation par le souci de protéger les créanciers contre un dépiècement du patrimoine de l’entrepreneur. On a cependant répliqué que « le danger pour les créanciers, dans la mesure où il
est réel, découle de la simple institution de l’EURL ; la multiplication des sociétés unipersonnelles n’aggrave pas leur situation. Patrick Serlooten et Marie-Hélène Monsérie-Bon, Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, Répertoire Dalloz Droit des Sociétés, Janv. 2012, n°79 » En France, l'interdiction pour une personne physique d'être l'associé unique de plus d'une EURL a été supprimée depuis 1994.
Les personnes morales peuvent en revanche multiplier leur participation à des SUARL. Rien n'interdit à une association d'être associée d'une SARL et donc, le cas échéant, d'être ou de devenir associée unique d'une EURL. Les sociétaires doivent néanmoins veiller à ce que l'objet social de cette EURL soit conforme à l'objet de l'association.
6. - Par ailleurs, une SUARL ne peut être elle-même associé dans une autre SUARL (art 149 al 2 CSC). Il en découle qu’une SUARL qui est associé dans une société d’une autre forme et qui réunit en une seule main toutes les parts sociales ou actions ne peut se transformer en SUARL. Elle doit donc régulariser sa situation. Mais une SUARL peut participer à une société pluripersonnelle ou tout autre forme de société.
7. - On note, enfin, une difficulté d’application de la loi du fait des contraintes posées par l’article 462 du CSC pour qui une société mère ou une société holding doit avoir la forme d’une société anonyme. Une SARL qui entend filialiser une activité en l’apportant à une SUARL est obligée de se transformer en société anonyme.
8. - Il faut également  tenir compte de la réglementation des participations réciproques conformément aux articles 467 et 468 CSC.

2- La gérance
9. - La gérance d’une SUARL peut être confiée à l’associé unique ou un gérant non associé. Il a été jugé en France qu’associé unique ne peut être titulaire d'un contrat de travail, même en présence d'un gérant non associé qui, nommé et révoqué par l'associé unique, ne dispose d'aucun pouvoir de direction sur ce dernier (Cass. soc., 16 janv. 2019, no 17-12.479).
10. - Une personne morale associée unique ne peut elle-même gérer la société ; elle doit désigner une personne physique. La règle résulte implicitement du jeu de l’article 112 CSC auquel renvoie l’article 148 CSC.
11. - Il ne peut être désigné plusieurs gérants à la fois pour la même SUARL (art 154 CSC). La règle contraire est admise dans la SARL. Mais il n’est pas interdit au gérant de conférer, sous sa responsabilité, un mandat spécial pour une durée déterminée à un ou plusieurs mandataires.
12. - L’associé unique personne physique ne peut emprunter de la société. Cette interdiction est levée pour une SUARL constituée par une personne morale en vertu de l’article 474 CSC où il est permis de réaliser des opérations financières entre des sociétés du même groupe.

13. - Quand le gérant unique n’est pas l’associé unique, on se demande quel est le régime de protection sociale. Doit-il pouvoir cotiser sous le régime des salariés indépendants ? Il nous semble que cela soit possible. Mais dans ce cas, quelle la protection sociale de l’associé unique ? En réalité, le droit social ne reconnait qu’un seul gérant soit employeur dans une société. Dans la mesure où ce dernier n’exerce pas une activité professionnelle il n’est pas assujetti au régime des indépendants.
14. - Quand il est un non associé, le gérant peut-être révoqué par décision de l’associé unique. N'est pas irrégulière la révocation du gérant non associé d'une SARL devenue unipersonnelle décidée par l'associée unique, lors d'une assemblée convoquée par lui, alors même que les statuts prévoyaient que les assemblées sont convoquées « par la gérance » ou, « après une mise en demeure faite par lettre recommandée au gérant », par un ou plusieurs associés dès lors qu'il appartient à l'associé unique de se prononcer sur la cessation des fonctions du gérant par une décision unilatérale, que ce dernier avait été informé du projet de révocation le concernant et mis en mesure de présenter ses observations avant la prise de la décision de révocation (Com. 9 mars 2010, no 09-11.631, Bull. Joly 2010. 530, note Monsèrié-Bon).
15. - Le gérant unique peut être soumis à l’action en comblement du passif.
16. - Les pouvoirs du gérant en matière des conventions réglementées, autres que celles portant sur des opérations courantes conclues à des conditions normales, n’ont pas retenu l’attention du législateur à l’occasion de la présente réforme. En France, il est fait une distinction entre les conventions passées entre la société et un gérant non associé et celles passées entre la société et l’associé unique. Dans le premier cas, une autorisation préalable de l’associé unique est nécessaire. Il n’est pas interdit de combler la lacune de la loi par une disposition statutaire.

3- Formalisation des décisions sociales
17. - Selon l’ancien alinéa 2 de l’article 154 CSC « toutes les décisions sociales sont signées et consignées dans un registre spécial coté et paraphé par le greffe du Tribunal de première instance du lieu du siège social. » Il n’est pas permis d'utiliser des feuilles mobiles numérotées pour la tenue du registre des procès-verbaux des délibérations des associés. L’alinéa 2 énonce désormais que « toutes les décisions sociales prises par l’associé unique ou le gérant sont signées et consignées dans un registre spécial coté et paraphé …» La précision que les décisions sociales puissent être prises par le gérant, et non plus seulement par l’associé unique, peut ne pas être heureuse, car seul l'associé unique exerce dans la SUARL les pouvoirs dévolus à l'assemblée des associés des SARL pluripersonnelles. Ces pouvoirs concernent toutes les décisions ordinaires ou extraordinaires On peut donner comme exemple la reprise des engagements pris par le fondateur avant la constitution de la société. Une telle reprise ne peut résulter que d’une décision prise par les associés. La Cour de cassation française (Cass. com., 31 mai 2005, no 01-00.720,) précise que, dans le cas où la société ne comporte qu’un seul associé, ce dernier est habile à prendre une telle décision au lieu et place de l’assemblée des associés. Cette décision doit alors être consignée dans un acte exprès répertorié dans le registre prévu à cet effet. En réalité ce que veut dire la nouvelle disposition c’est que bien que prise par l’associé unique, la décision sociale peut être signée et mentionnée par le gérant et non par l’associé unique lui-même.
18. - Du fait que la gestion de la société puisse être confiée à un gérant non associé, il en découle certaines conséquences quant au mode d’élaboration de la volonté sociale. Or dans notre cas, l’article 153 al. 2 CSC énonce que les dispositions de l’article 162 à 132 CSC ne sont pas applicables. Les règles de tenue des assemblées (convocation, vote et majorité) ne sont donc pas applicables. Le droit d’information de l’associé unique devrait s’exercer dans les mêmes conditions comme pour les associés non-gérants dans une société à responsabilité limitée pluripersonnelle, or il se trouve que l’article 153 al. 2 exclut l’application de l’al. 5 de l’article 128 CSC.


mercredi 28 août 2019

Du nouveau en droit des sociétés commerciales LES SARL


LES SARL
1. La loi n°2019-47 du 29 mai 2019, relative à l’amélioration du climat des affaires a modifié et complété certaines dispositions du Code des sociétés commerciales (CSC) applicables aux sociétés à responsabilité limitée pluripersonnelle, aux sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée et aux sociétés anonymes. Nous les traitons successivement dans trois chroniques distinctes. Nous commençons par la SARL.

1-     La constitution de la SARL

2. L’art. 96 (ancien) CSC exigeait que les statuts indiquent l’établissement bancaire habilité à recevoir des fonds. Désormais, cette mention n’est plus nécessaire. Dans le sillage de la réécriture de l’art. 96, il n’est plus besoin, selon l’art. 98 (nouveau) CSC, de déposer les fonds dans un établissement bancaire. Une telle réforme a de quoi surprendre à un moment où les pouvoirs publics essaient de limiter la manipulation des fonds hors circuit bancaire.
3. Le législateur n’a pas saisi les difficultés juridiques posées par la nouvelle règle. D’une part, on ne doit pas perdre de vue que la société à responsabilité limitée exige la libération immédiate des fonds. Or selon l’art. 97 CSC, « la société n’est n'est constituée définitivement que lorsque les statuts mentionnent que toutes les parts représentant des apports en numéraires ou en nature, ont été réparties entre les associés et que leur valeur a été totalement libérée. Les fondateurs doivent mentionner expressément dans les statuts que ces conditions ont été respectées. » Concrètement en application de cet article, les statuts ne peuvent être signés que si les fonds sont déjà libérés. Le législateur traite ces obligations déclaratives d’une manière rigoureuse en prévoyant une peine pénale contre « les associés de la société à responsabilité limitée qui dans l’acte constitutif de la société ou lors d’une augmentation du capital social font sciemment de fausses déclarations. » Etant tenus à une libération des fonds avant la signature des statuts, les associés (ou le fondateur) doivent le faire par un dépôt chez un banquier au nom de la société en formation. La loi a maqué de déclarer les fonds indisponibles pour les faire échapper à la poursuite des créanciers personnels des associés.
4. L’ancien al. 2 de l’art. 98 CSC prévoyait que si la société à responsabilité limitée n’est pas constituée dans le délai de six mois à compter du dépôt des fonds, tout apporteur peut saisir le juge des référés afin d’obtenir l’autorisation de retirer le montant de ses apports. Dans la société anonyme, il est prévu un mécanisme proche : les souscripteurs peuvent, si la société n’est pas constituée dans un délai de six mois, demander au président du tribunal la restitution des fonds qu’il a déposés après soustraction de sa quote-part dans les frais de distribution, par ordonnance sur requête. La question se posant dans les mêmes termes devait recevoir une réponse uniforme. C’est ce qu’a consacré la modification de l’al. 2 de l’art. 98 CSC par la loi nouvelle. Le retrait des fonds se fait désormais sur ordonnance sur requête. Les associés peuvent, par mandat, obtenir retrait des fonds. Nul besoin alors d’obtenir une ordonnance sur requête.

2-     Les assemblées générales

a-      La convocation des assemblées générales
5. La convocation de l’assemblée générale est une prérogative du gérant. Quand ils sont plusieurs, et sauf clause expresse, chacun peut convoquer l’assemblée générale. Pour éviter que le gérant n’ait une maîtrise absolue sur le fonctionnement des assemblées délibératives, le législateur permet que l’initiative de convocation soit ouverte aux associés. Sous l’empire des textes antérieurs, il était prévu deux cas de convocation en quelque forcée de l’AG. Que les statuts ne peuvent y faire échec :
-          Les associés détenant le quart du capital peuvent une fois par an demander au gérant qu’il convoque l’assemblée générale. Le gérant a une compétence liée. Le refus de convocation constitue de sa part une faute.
-          Les associés quel que soit le taux de détention du capital peuvent demander au juge des référés qu’il requiert du gérant, du commissaire aux comptes, s’il en existe un d’un administrateur ad hoc qu’il convoque l’assemblée générale. Le juge contrôle la légitimité de la demande.
6. La loi de 2019 a ajouté un troisième cas de convocation en dehors de la volonté du gérant. Les associés détenant la moitié du capital ou les associés détenant le 10% du capital si le nombre des associés au sein de la société ne dépasse pas 10 peuvent directement convoquer l’assemblée générale. Ainsi, les associés ne passent ni par le gérant ni par le juge des référés. La nouvelle mesure répond, en pratique, au besoin des associés majoritaires qui se trouvent confrontés à un gérant minoritaire mais statutaire quasiment irrévocable car il détient une minorité de blocage.
b-      La proposition de nouvelles résolutions à l’ordre du jour
7. Un ou plusieurs associés représentant au moins cinq pour cent du capital social peuvent demander l’inscription de projets supplémentaires de résolutions à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle. Les associés ne détenant pas le nombre de parts sociales requis peuvent se réunir pour déposer un projet de résolutions commun. Les projets de résolutions sont adressés à la société par lettre recommandée avec accusé de réception avant la tenue de la première réunion.
8. La loi ne fixe pas un délai buttoir pour le dépôt des propositions de nouvelles résolutions. Logiquement, le délai doit être antérieur à l’envoi de la lettre de convocation aux associés.
9. Le projet de résolution déposé n’a pas à coïncider avec l’ordre du jour de l’assemblée, mais il doit prendre la forme d’une décision et relever de la compétence de l’assemblée générale considérée.
10. Le refus de déférer à une demande d’ajout d’un projet de résolution peut-être sanctionné de la nullité (art. 128 CSC).
c-      Contrôle des conventions réglementées
11. Jusqu’à la veille de la réforme de 2019, l’assemblée générale annuelle n’exerce qu’un contrôle sur les opérations passées par la société avec certaines personnes qui lui sont liées. C’est un contrôle a posteriori fondé sur un motif de suspicion.
12. S’inspirant du système des conventions réglementées des sociétés anonymes, la loi étend le contrôle des associés à certaines autres opérations déterminées en raison de leur objet, estimé en quelque sorte important. Il s’agit des opérations de : 

-          vente du fonds de commerce ou d’un élément constituant le fonds de commerce, sa location à un tiers sauf s’il s’agit de l’activité principale de la société en tant marchand de biens ;
-          cession de plus de la moitié de la valeur brute comptable de l’actif immobilisé;
-          emprunt important dont les statuts déterminent le seuil ;
-          vente des immeubles quand les statuts le prévoient.
-          garantie des dettes d’autrui sauf si les statuts dispensent l’approbation dans la limite d’un certain montant fixé.
i-                    Opérations sur certains éléments d’actif
13. Est soumise à approbation la cession des fonds de commerce ou de l’un des éléments qui les composent ainsi que les opérations de location des fonds de commerce.  Lorsque le fonds de commerce constitue l’activité principale exercée par la société, il faudra obtenir une autorisation de l’assemblée générale extraordinaire. Lorsque l’objet de la société est l’achat en vue de la revente ou la location de fonds de commerce, (marchand de biens) aucune approbation n’est requise. En visant « la cession d’un des éléments composant le fonds de commerce », la règle pêche par excès. Il faut entendre l’élément important du fonds de commerce.
14. A la différence des opérations sur le fonds de commerce, le régime de contrôle de cession des immeubles n’est mis en œuvre qu’en vertu d’une stipulation des statuts. Cette différence de traitement est inexpliquée lorsque l’objet social est lié à l’exploitation d’un bien immeuble.
15. La cession de plus de la moitié de la valeur brute comptable des actifs immobilisé est enfin soumise à approbation.
ii-                  Les emprunts importants
16. Les emprunts importants dont le montant est déterminé par les statuts sont également soumis à approbation de l’assemblée générale. La question est cependant délicate à trancher lorsque les statuts omettent de poser un chiffre précis.
iii-                Garantie des engagements des tiers
17. Lorsqu’elle n’est pas interdite et par conséquent nulle, en vertu de l’art. 116 CSC, en raison de la qualité du débiteur principal, la garantie par la société à responsabilité limitée des engagements des tiers est possible et n’est pas soumise à autorisation préalable. La société ne peut contester la validité du cautionnement au prétexte que le gérant a agi en dehors de l’objet social ou que la garantie est contraire à l’intérêt social. Néanmoins dans l’ordre interne, une telle garantie est soumise à l’approbation de l’assemblée générale.
18. Le terme ‘’garantie’’ comprend les sûretés personnelles. Peu importe qu’elles soient accessoires (cautionnement, ducroire) ou indépendantes (garantie à première demande, aval). Le terme désigne aussi les cautionnements réels.
19. Les statuts peuvent dispenser de l’approbation lorsque la garantie est faite dans la limite d’un certain montant précisé dans les statuts.
iv-                Remarques finales
20. Le contrôle a posteriori institué par l’art. 115, sur la cession de certains éléments d’actifs ou les emprunts importants, tient compte de la solution de droit commun qui fait que ces opérations peuvent se faire sans que les associés ne soient consultés pour donner leur autorisation. Ils relèvent de la compétence de la gérance. 
21. En pratique, toutefois on peut rencontrer deux hypothèses qui sont de nature à dispenser de la procédure d’approbation. Le plus souvent, un gérant loyal et avisé obtient l’autorisation des associés de procéder à l’opération de cession ou d’emprunt important « quand bien même la loi ne le lui imposerait pas. » Il arrive par ailleurs que les statuts limitent les pouvoirs du gérant en lui imposant particulièrement l’obtention d’une autorisation de céder ou d’emprunter. Dans les deux hypothèses précédentes, il n’est plus nécessaire de soumettre à l’approbation de l’assemblée générale des opérations de cession d’actifs ou d’emprunt qu’elle a autorisées.

3-     Le commissariat aux comptes

22. Un ou plusieurs associés détenant des parts sociales représentant 5% du capital social peuvent demander d’inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle la question de la désignation d’un ou plusieurs commissaires aux comptes quand bien même la société ne remplit pas les critères prévus à l’art. 13 CSC. L’assemblée délibère, dans ce cas, conformément à la procédure prévue à l’alinéa précédent. Le nouveau texte réduit le seuil de participation requis pour présenter une demande de nomination d’un commissaire aux comptes à l’ordre du jour. Il était fixé par l’ancien texte à 10%. La réécriture du texte est rendue nécessaire après que le législateur ait permis aux associés d’ajouter un projet de résolutions à l’ordre du jour.
23. Le juge ne peut exercer un contrôle sur le refus des associés majoritaires de la proposition de nomination.

4-     Paiement du dividende

24. Le paiement des dividendes doit intervenir, selon le nouveau texte (art 140 CSC), au plus tard trois mois à compter de la date de l’assemblée générale ayant décidé la mise en distribution. Un délai supérieur est possible à la condition d’une décision unanime des associés. La même règle a été d’ailleurs ajoutée à l’art. 288 CSC pour les sociétés anonymes.
24. Le point de départ du délai de mise en paiement est la décision de l’assemblée générale de distribuer un dividende. En droit comparé français, il est prévu un délai de neuf mois à compter de la date de clôture de l’exercice. Il est en outre permis de demander au président du tribunal de commerce, statuant sur requête de la société, de proroger le délai de mise en paiement. La question est de savoir si malgré le silence du législateur le juge tunisien peut intervenir pour ordonner la prorogation du délai. 
25. Le retard de paiement entraîne le versement d’intérêt de retard calculé au taux légal en matière commerciale. Les statuts peuvent prévoir un taux conventionnel.

Article publié in le Manager, Juillet 2019