lundi 7 novembre 2022

Variations sur le quorum dans les organes collégiaux

 

Variations sur 
le quorum dans les organes collégiaux

 

Chaque fois où un texte légal ou réglementaire crée un organe collégial, appelé à prendre des décisions ou donner des avis, il prévoit des règles relatives au conditions de son fonctionnement. Parmi ces règles celles du quorum.

Le quorum se définit en droit des affaires comme étant « le nombre des participants, présents ou représentés, nécessaire pour qu'une assemblée d'une association ou d'une société par exemple puisse délibérer (Lexique des termes juridiques, 2017-2018, Dalloz, p.924) ». Cette définition peut être généralisée à tout organe collégial. Le quorum est calculé par tête et pour les assemblées générales des sociétés commerciales, il est calculé par nombre de parts sociales ou actions détenues dans le capital. Nous exposons ci-après quelques idées générales relatives à l’exigence du quorum (1) et au traitement à réserver quand le quorum n’est pas réuni (2).

1)     L’exigence du quorum

Fondement du quorum. L’exigence du quorum est associée à l’existence d’un organe collégial qui prend des décisions ou donne des avis à la majorité. Son fondement est  que la décision ou l’avis doit émaner des délibérations d’un collège représentatif de l’ensemble des membres le composant. Le quorum exprime de cette représentativité : c’est le nombre minimum de voix présentes.

Caractère d’ordre public du quorum. Les règles relatives au quorum sont d’ordre public et l’on ne peut y déroger. Elles sont destinées à protéger les membres des collèges contre leur propre absentéisme et contre les abus des décisions prises en catimini. Elles sont suffisamment substantielles pour que des sanctions existent : la nullité d’une délibération faite en violation de la règle du quorum.

Les sources formelles du quorum. On considère que les dispositions spéciales déterminant le quorum requis pour qu’un collège siège valablement ont trait à l’exercice par ce collège de la compétence décisoire ou consultative qui lui est dévolue. Les règles de quorum doivent dès lors résulter du texte législatif ou réglementaire fixant la composition et les règles de fonctionnement du collège et ne sauraient être compétemment édictées par lui au titre d’un règlement intérieur. Les règles du quorum ne peuvent être fixées par le règlement intérieur du collège hors habilitation expresse du législateur ou du pouvoir réglementaire. Ces règles conditionnent le fonctionnement de l’organe collégial. Elles contribuent même à l’existence effective du collège. D’ailleurs pour que celui-ci puisse fixer son règlement intérieur, il faut au préalable qu’il puisse se réunir et statuer conformément aux règles de quorum qui lui sont applicables. Celles-ci sont donc extérieures au collège.

Le quorum de droit commun. Généralement, la loi fixe le quorum requis. Mais des fois, les textes omettent de le chiffrer. Quel est donc le quorum de droit commun en cas de silence de la loi ? Une décision du Conseil d’Etat français (CE., ass., 18 avr. 1969, n°72551, Meunié, Lebon, p. 208 ; AJDA 1969, p. 431 chron. J.-L. Dewost et Denoix de Saint Marc) a posé une solution de principe. Il a été estimé que le quorum correspond à la moitié des membres du collège plus un : « Considérant, d’une part qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’ayant fixé un quorum applicable aux délibérations de ladite commission, celle-ci peut valablement délibérer dès lors que plus de la moitié des membres la composant sont présent ». On aurait pu imaginer une solution qui fixe le quorum à la moitié des membres composant le collège.

Calcul du quorum. Seuls sont décomptés les membres physiquement présents. Les membres absents mais représentés par mandat donné à un autre membre, ne peuvent pas faire partie du quorum. Des textes spécifiques peuvent cependant prévoir une exception et tenir compte de la présence par représentation. Tel est le cas d’une assemblée générale d’une société anonyme.

Il arrive qu’un membre du collège soit interdit de vote. Dans ce cas, sa voix n’est pas prise en compte dans le calcul du quorum. L’assiette de calcul du quorum ne tient pas compte de sa présence effective concernant le point de l’ordre du jour pour lequel il est interdit du droit de vote.

Il arrive qu’il y ait un cas de vacance par suite d’une démission, décès, révocation ou un quelconque évènement qui est de nature à faire perdre une personne sa qualité de membre du collège. Cette situation de vacance d’un poste peut être comblée par la désignation d’un autre pour le remplacer. Mais quid si le remplacement n’intervient pas ? Comment calculer dans une telle hypothèse le quorum ? Est-ce qu'on le calcule sur le nombre légal des membres ou sur le nombre des membres qui sont en fonction ? Nous estimons que le calcul du quorum s’effectue par rapport au nombre des membres en exercice, c’est-à-dire effectivement en fonction, qui peut différer de l’effectif légal du collège. En effet, le quorum se calcule en droit sur le nombre des personnes ayant une voix dans le collège délibérant. Or, du moment qu’un membre a perdu sa qualité, la voix dont il dispose n’est plus prise en compte dans le calcul du quorum. C’est donc sur la base du nombre des membres restants en fonction que le quorum doit être calculé.

Vérification du quorum. Le quorum doit être vérifié et atteint à trois moments différents de la réunion du collège. Il l’est tout d’abord en début de la séance. Une réunion ne peut être déclarée ouverte qu’après avoir procédé à l’appel nominal et avoir vérifié le quorum. Il est souvent dressé une feuille de présence. Le quorum est ensuite vérifié lors de la mise en discussion de chaque point de l’ordre du jour. La règle du quorum doit être vérifiée délibération par délibération. Mais les départs des membres, survenus entre la mise en discussion d’une délibération et le vote, demeurent sans effet sur le quorum. Ce choix est non seulement fondé juridiquement mais aussi réaliste car il empêche les manœuvres. Le quorum est, enfin, apprécié à la reprise de la réunion s’il y a eu suspension, qu’il ne faut pas confondre avec l’interruption de fait ou la clôture d’une réunion.

Qu’en est-il si le quorum n’est pas atteint ?

2)     Le défaut du quorum.

Procès-verbal de carence. Le défaut du quorum n’empêche pas les membres présents de continuer la réunion sans toutefois prendre des décisions. Il faut néanmoins ajouter une précision. Le défaut de quorum ne dispense pas d’établir un procès-verbal de carence pour constater le défaut du quorum. C’est très utile en cas de deuxième convocation.

Les solutions légales spéciales. Il arrive souvent que les textes prévoient le traitement à réserver quand la réunion n’atteint pas le quorum requis. La loi peut baisser le quorum en deuxième convocation ou permettre une deuxième convocation où le collège peut délibérer sans s’arrêter à un quorum. Le plus souvent, cet assouplissement est prévu pour éviter une paralysie totale de l’organe. Des fois, la loi tout en baissant le quorum lors d’une deuxième ne permet plus d’aller plus loin quand le quorum n’est pas atteint dans la deuxième réunion. C’est le cas pour les sociétés à responsabilité limitée ou les sociétés anonymes quand il s’agit de modifier les statuts. La décision de modification étant grave, le quorum est infranchissable. D’une manière générale, les textes spéciaux doivent recevoir application. La question est plus délicate quand il y a silence de la loi. Quelle est la règle de droit commun ?

La règle de droit commun. Un arrêt de principe est rendu par le Conseil d’Etat français (CE., 18 mars 1981, n°03799, Union générale des fédérations des fonctionnaires CGT, Lebon, p. 577). Il s’agit en l’espèce, de la réunion du Conseil supérieur de la fonction publique (français) qui a été consulté sur les dispositions du décret du 7 mai 1976. La procédure à suivre exigeait en principe le quorum des 2/3 des membres prévu par l’article 10 du décret du 14 février 1959. Rien n’est dit au cas où ce quorum n’est pas atteint. En l’espèce, le président de l’assemblée générale de ce conseil, après avoir constaté que 15 des 30 membres de l’assemblée générale s’étaient abstenus de déférer le 18 décembre 1975 à la convocation qui leur avait été adressée, a convoqué de nouveau cette assemblée, avec le même ordre du jour, le 23 décembre suivant. En s’abstenant de déférer à cette nouvelle convocation, les 15 représentants des organisations syndicales ont mis le conseil dans l’impossibilité de respecter le quorum. Le Conseil d’Etat a jugé par suite, quels qu’aient été les motifs de cette abstention, le Conseil supérieur a pu régulièrement délibérer le 23 décembre 1975.

Il faut toutefois attirer l’attention que cette solution de droit commun ne peut valablement jouer que si la première convocation était régulière en la forme (CE, 10 juin 2013, n°355791, JurisData n°2013-011914, La semaine juridique Administrations et collectivités territoriales, n°26 ; 24 juin 2013, act. 543).

La reconvocation. Les systèmes de reconvocation à une deuxième réunion peuvent varier. On peut par exemple penser que dans la mesure où la loi ne fixe pas de contraintes en termes de délai de reconvocation, celle-ci pourra avoir lieu le jour même. Il convient néanmoins, dans ce cas, d’en avertir les membres dans la lettre qui vaudra convocation pour les deux réunions. Il arrive aussi de fixer une autre date. En cas de doute relatif à l’atteinte du quorum à la première convocation, l’auteur de la convocation peut informer les membres de la date retenue pour la deuxième convocation. Ce procédé ne dispense cependant pas de renouveler les formalités de convocation quand une deuxième réunion s’avère nécessaire. L’auteur de la convocation doit préciser qu’il s’agit d’une deuxième convocation.

Bien entendu, l’auteur de la convocation peut décider de renouveler la convocation en faisant comme s’il s’agit d’une première convocation auquel cas, il faut revenir aux règles de quorum d’une première réunion.

 

vendredi 4 novembre 2022

transformation d’une société à responsabilité limitée en société anonyme

 

transformation d’une société à responsabilité limitée en société anonyme

 

La transformation de la société à responsabilité limitée en société anonyme qu’elle soit obligatoire ou choisie suppose une délibération spéciale prise en assemblée générale extraordinaire. Il s’agit en effet d’une délibération modificative des statuts. Par exception à la solution de principe, une majorité d’associés représentant au moins la moitié du capital social est suffisante si ce dernier est supérieur à cent mille dinars.

 

La transformation peut être décidée sans besoin d’écoulement d’une certaine durée depuis la constitution mais il faut vérifier la réunion des conditions légales de la société anonyme. Néanmoins, la Cour d’appel de Poitier a admis la validité de la transformation en SA malgré un nombre insuffisant d'actionnaires. « La Cour constate l'absence de disposition expresse prévoyant la nullité d'une telle décision de transformation. La nullité ne résulte pas davantage des dispositions relatives à la SA, lesquelles envisagent comme seule sanction de la violation du minimum légal de sept actionnaires la dissolution de la société » (CA Poitiers, 2e ch. civ., 24 janv. 2012, Dorothée Gallois-Cochet, Dr. Sociétés 2012, comm. , 185).

 

La difficulté juridique naît de l’articulation des articles 435 et 144 du code des sociétés commerciales. En effet, le premier texte, constitutif d’une règle de droit commun applicable à la transformation de toute société, exige que les dirigeants présentent un rapport dans lequel ils exposent les causes, les objectifs et la forme de la société qui en sera issue accompagné, le cas échéant, d’un rapport du commissaire aux comptes. Le texte ne précise pas le contenu de ce rapport mais on s’accorde à admettre qu’il a trait à « la situation de la société ». Or, l’article 144 exige la désignation d’un expert comptable ou d’un comptable avec la double mission de présenter un rapport sur la situation de la société et de vérifier la valeur des biens composant l’actif social. La question se pose de savoir si les deux articles sont d’application cumulative ou alternative.

 

L’application cumulative des deux textes conduit à présenter par deux professionnels deux rapports portant sur la même question : un rapport sur la situation de la société à la veille de la transformation.

 

Une application alternative des textes conduit à n’appliquer l’article 144 que dans l’hypothèse où la société n’est pas dotée d’un commissaire aux comptes. Mais dans ce cas, la mission du commissaire aux comptes est limitée à la seule situation de la société ; il n’est pas amené à présenter un rapport la valeur des actifs de la société ni encore à vérifier les avantages particuliers éventuellement stipulés.

 



Le droit français, source matérielle de nos articles 144 et 435 du code des sociétés commerciales, connaît le même dédoublement des textes (art. L.223-43 et 244.3 du code de commerce) avec cette différence qu’il en assure l’articulation. L’art. L.224-3 a connu une évolution dans sa rédaction. Actuellement, le texte est rédigé en ces termes : « Lorsqu'une société de quelque forme que ce soit qui n'a pas de commissaire aux comptes se transforme en société par actions, un ou plusieurs commissaires à la transformation, chargés d'apprécier sous leur responsabilité la valeur des biens composant l'actif social et les avantages particuliers, sont désignés, sauf accord unanime des associés par décision de justice à la demande des dirigeants sociaux ou de l'un d'eux ». Les commissaires à la transformation peuvent être chargés de l'établissement du rapport sur la situation de la société mentionné au troisième alinéa de l'article L. 223-43. Dans ce cas, il n'est rédigé qu'un seul rapport. Ces commissaires sont soumis aux incompatibilités prévues à l'article L. 822-11-3. Le rapport est tenu à la disposition des associés… ». On peut lire dans le Lamy sociétés commerciales (Lamy, Sociétés commerciales 2019 n°3168, p.1586) l’observation suivante : « S’appuyant sur l’indication de l’article L.243-3 que le commissaire aux comptes pouvait être nommé commissaire à la transformation, le Comité de coordination du Registre du commerce et des sociétés (CCRDS, avis n°2012-038 25 oct. 2012) considérait que la dispense de désignation d’un commissaire à la transformation dans une société dotée de commissaire aux comptes ne signifiait pas pour autant dispense de l’établissement du rapport prévu par l’article L.224-3.. ». Et d’ajouter « Pour lever toute incertitude sur la dispense le législateur français est intervenu par loi n°2016 en supprimant cette indication. Par conséquent, le commissaire aux comptes d’une SARL qui se transforme en société par actions n’a pas à établir le rapport prévu par l’article L.244-3 ».

En droit tunisien, on hésite entre une interprétation littérale et téléologique des articles 144 et 435.

 

Une interprétation littérale conduit une application cumulative des deux textes mais, dans ce cas, on peut admettre que le commissaire aux comptes et l’expert comptable ou le comptable puissent présenter un rapport commun sur la situation de la société. Pour le reste, il appartient à l’expert comptable ou au comptable de présenter un rapport d’évaluation des actifs non-liquides de la société comme en matière de commissariat aux apports ; il vérifie également l’absence d’éléments juridiques susceptibles de grever leur valeur[1]. A notre sens et contrairement à  ce qui a pu être soutenu par certains auteurs (Christine Labastide Dahdouh et Habib Dahdouh, Droit commercial, Vol. 2, Entreprises sociétaires & Groupements privés, T. 2, règles particulières, 1ere éd. IHE Editions 2007, p.197), ce sont tous les actifs non-liquides qui sont soumis à évaluation et non seulement ceux qui ont été apportés à la société. L’expert comptable ou le comptable vérifie également la teneur des avantages particuliers stipulés dans les statuts de la future société anonyme.

 

L’interprétation téléologique soutient que si la société à responsabilité est soumise à un contrôle du commissaire il n’est nullement besoin de vérifier l’exactitude de l’évaluation des biens de la société. Une solution contraire reviendrait à ruiner la confiance qu’on a en la personne des commissaires aux comptes. Nous inclinons à cette solution, mais un décret d’application des articles 144 et 435 du code des sociétés commerciales est souhaitable pour évacuer toute incertitude et assurer les opérations de transformation.

 

Nous observons cependant que l’article 144 du code des sociétés commerciales n’exige pas expressément que l’assemblée générale approuve l’évaluation de l’actif social mais cela nous semble une suite logique du rapport de l’expert comptable ou du comptable. En effet, l’article 173 in fine C.S.C. énonce que « le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive doit mentionner expressément l’approbation des apports en nature, à défaut la société ne peut se constituer légalement ». En ce cas, l’approbation expresse de l’évaluation des actifs doit être distincte de la résolution décidant la transformation.

 

L’expert comptable ou le comptable engage sa responsabilité civile délictuelle à l’égard des tiers en cas de surévaluation des actifs. Sa responsabilité est exclusive de celle des associés (Christine Labastide Dahdouh et Habib Dahdouh, op. cit., p. 197). Faute d’une disposition spéciale dans le code des sociétés commerciales, le délai de prescription est celui de droit commun (Art. 115 C.O.C).

 

L’assemblée générale extraordinaire se prononce également sur l’attribution des avantages particuliers qu’elle ne peut réduire qu’à l’unanimité.

 

L’article 144 du code des sociétés commerciales ne précise pas les conditions de désignation de l’expert comptable ou du comptable à la transformation. Mais en vertu de l’article 173 du code des sociétés commerciales, la désignation se fait par le juge des requêtes à la demande du gérant. A notre avis, du moment où la mission se rapproche à celle d’un commissaire aux apports, la désignation directe de l’expert comptable ou du comptable par les associés peut également être faite par décision unanime des associés.

 

L’expert comptable ou le comptable désigné est soumis aux conditions d’incompatibilité du commissaire aux apports d’une société anonyme (art 174 C.S.C).

 

Aucune règle du code des sociétés commerciales n’impose d’adresser aux associés avant la tenue de l’assemblée générale extraordinaire le rapport du commissaire aux comptes ou celui de l’expert comptable ou du comptable. Il n’est pas également requis leur dépôt au registre national des entreprises. En effet, la loi relative au registre national des entreprises requiert le dépôt du seul rapport d’évaluation des apports en nature fait à la constitution de la société ou l’augmentation de son capital.

 

L’aliéna dernier de l’article 144 du code des sociétés commerciales sanctionne par la nullité la décision de transformation prise en violation des règles relatives à la compétence de l’assemblée générale extraordinaire et à la désignation d’un expert comptable ou du comptable à la transformation. Une fois prononcée, la société est ramenée à sa forme initiale. La société ne sera pas pour autant irrégulière et ne perd pas sa personnalité morale Stéphanie Darmon, Frédérique Desprez et Ey Law, La transformation en société par actions sous turbulences législatives, Rev. Sociétés 2005, p. 119).

 

Les parts sociales représentatives d’un apport en industrie doivent être supprimées si elles existent. L’échange parts sociales contre des actions pose un problème, puisque les statuts d’une société à responsabilité fixent librement la valeur des parts sociales alors que pour une société anonyme la valeur nominale ne peut être inférieure à un dinar (Art. 161 in fine C.S.C).

 

L’assemblée générale statuant dans les conditions de quorum et de majorité d’une assemblée générale ordinaire doit désigner les premiers administrateurs. Si la société n’est pas déjà dotée d’un commissaire aux comptes, elle en doit désigner un.



[1] En droit français, le commissaire à la transformation établit un rapport où il atteste que le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social (art. R. 224-3, al. 2 C. com.). Ce montant doit être apprécié à la date du dernier bilan arrêté avant la transformation. En pratique, il est souvent établi une situation intermédiaire. Dans l’hypothèse où les capitaux propres seraient inférieurs au capital social, les associés doivent d’abord réduire le capital, avant de procéder à la transformation  (Isabelle Riassetto, Joly Sociétés, n°074, date d’actualisation 7 mars 2018).

L’expertise de gestion

 

L’expertise de gestion

 

L’art. 139 C.S.C a institué un expert de gestion destiné à informer les associés minoritaires d’une société à responsabilité limitée. Ainsi, un ou plusieurs associés détenant au moins le dixième du capital social peuvent demander individuellement ou conjointement au juge des référés la désignation d’un expert de gestion ou même d’un collège d’experts, en vue de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. L’article 15 de la loi n°2007-69 du 27 décembre 2007, relative à l’initiative économique, introduisant un article 290 (bis) au code des sociétés commerciales, a étendu à la société anonyme la même mesure. Il est énoncé qu’un ou plusieurs actionnaires détenant au moins dix pour cent du capital social peuvent, individuellement ou conjointement, demander au juge des référés la désignation d’un expert ou d’un collège d’experts qui aura pour mission de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. 

L’expertise gestion est qualifiée par la doctrine comme un « mode d'information ordinaire des associés destiné à remédier à toute défaillance de l'information dès l'instant où elle est significative du fait de son importance ou de son objet ».

Qualité pour agir. L’expertise de gestion est une action attitrée qui ne peut être exercée que par les associés qualifiés. La demande peut émaner d’un associé détenant individuellement le dixième du capital. Elle peut également être formulée par plusieurs associés détenant ce pourcentage à condition qu’ils agissent conjointement. Deux associés détenant chacun cinq pour cent agissant séparément ne peuvent agir. Le tribunal ne peut pas décider la jonction des instances pour leur conférer qualité pour agir. La jonction d’instances, non spécialement réglementée en Tunisie, n’est pas en effet un mécanisme procédural destiné à sauver une instance de son irrecevabilité. Elle est plutôt un mécanisme de bonne administration de justice en raison d’un lien de connexité. Le juge ne peut donc décider de joindre des instances séparées pour conférer une qualité d’agir en cours d’instance à des associés en défaut de qualité au commencement de l’action. Le nouvel acquéreur de parts sociales peut demander une expertise de gestion sur des opérations de gestion accomplies avant son entrée en société. Le seuil minimum de détention des parts sociales est corrélé à celui posé à l’article 118 du code des sociétés commerciales pour l’exercice de l’action ut singuli contre le gérant. Or, cet article précise, après un ajout introduit par la loi n°2009-16 du 16 mars 2009, que toute modification de la quote-part sus-désignée des associés survenue après l’exercice de l’action en responsabilité (par exemple par suite d’une opération de coup d’accordéon, une augmentation de capital ou cession de parts sociales) ne peut avoir pour effet d’éteindre ladite action. La même solution doit être étendue à l’action en désignation d’un expert de gestion.

L’expertise de gestion peut-être demandée par un indivisaire agissant seul à condition que l’indivision représente le dixième du capital. En effet, chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision. La solution est d’autant plus justifiée que le rapport d’expertise peut servir à une action en responsabilité contre le gérant et de ce fait l’action présente un caractère conservatoire.

 L’expertise de gestion sollicitée par un usufruitier est plus problématique car on le considère comme n’ayant pas la qualité d’associé. Un mouvement doctrinal est favorable à l’action de l’usufruitier à raison de son droit de percevoir des dividendes.

Exigeant la détention de dix pour cent du capital, l’expertise de gestion ne semble pas ouverte à l’apporteur d’industrie. La solution est regrettable non seulement pour ce type d’action mais aussi pour toutes les autres prérogatives légales qui ne peuvent être exercées que par certains associés détenant une fraction du capital. De la sorte, l’apporteur en industrie apparaît un associé de second rang ce qui ne se justifie nullement. Une réécriture de la loi s’impose pour calculer le seuil d’exercice d’une prérogative non fonction de la part dans le capital mais en fonction de la part dans les parts sociales. Dans l’attente, les tribunaux sont appelés à interpréter le texte avec souplesse.

Il va de soi que l’action est dirigée contre la société et non le gérant à titre personnel.

L’objet de l’expertise. Seul un acte de gestion peut faire l’objet d’une demande d’expertise. Cela s’entend des actes accomplis par le gérant à l’exclusion des actes qui relèvent de la compétence de l’assemblée générale ordinaire ou extraordinaire. Il en découle qu’une convention passée entre la société et son gérant, tel qu’un contrat de travail, peut faire l’objet d’une expertise de gestion même si elle est approuvée par l’assemblée générale. La même solution doit être retenue pour les conventions autorisées par l’assemblée. Dans ces deux cas, la convention est bel et bien du ressort du gérant, l’approbation ou l’autorisation donnée par l’assemblée générale ne remet pas en cause ses pouvoirs.

Le demandeur doit préciser l’opération ou les opérations de gestion qu’il souhaite expertiser. La demande ne peut pas viser tous les actes de gestion d’un ou plusieurs exercices. Mais le demandeur est autorisé à viser une pluralité d’opérations précisément identifiées.

Distinction avec l’audit des comptes. L’expertise de gestion n’est pas un audit comptable. Elle n’est pas un substitut à l’absence d’un commissaire aux comptes pour les sociétés qui en sont dépourvues. Mais en pratique, les tribunaux font un glissement et soumettent la société à une opération de vérification. Ainsi, dans un arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass. 2015.25466 du 15 janvier 2016, consultable sur Internet de la Cour de cassation http://www.cassation.tn) la Cour d’appel de Médenine missionne l’expert à afin d’établir entre autres la liste du personnel employé durant les trois derniers exercices, la liste du matériels et des équipements, déterminer les conditions d’utilisation des produits pétroliers et préciser si le personnel bénéficie d’avantages en nature non déclarés, inventorier tout le matériel et équipements et vérifier s’ils sont utilisés pour les besoins de l’activité sociale. Dresser un inventaire et vérifier si des avantages en nature non déclarés sont attribués sont des missions qui relèvent du contrôle de la régularité des comptes et sortent manifestement du domaine de l’expertise de gestion.

Conditions. L’expertise de gestion n’a pas un caractère subsidiaire et n’est pas subordonnée à l’épuisement des autres moyens d’information reconnus par la loi aux associés, tels que le droit de poser des questions écrites à l’occasion de l’assemblée générale annuelle ou à l’occasion d’un acte ou fait de nature à menacer la continuité de l’exploitation. Deux limites sont cependant fixées par les tribunaux : l’opération visée par la demande d’expertise de gestion doit présenter de simples indices d’irrégularité, le rapport du commissaire aux comptes pourrait d’ailleurs servir mais il n’est pas nécessaire. Le juge des référés saisi d’une demande d’expertise de gestion dans une SARL, le juge est tenu de l’ordonner dès lors qu’il relève des présomptions d’irrégularités sur une ou plusieurs opérations de gestion déterminées, indépendamment de leur montant. Mais la procédure ne doit pas être utilisée à des fins de harcèlement du gérant. 

Compétence. La loi désigne maladroitement le juge des référés comme juge compétent pour connaître de la demande d’expertise de gestion. Or, la procédure est indépendante de l’urgence qui caractérise traditionnellement la compétence du juge des référés. Profitant de cette maladresse dans le choix du juge compétent, les sociétés actionnées ne manquent souvent pas de soulever l’absence de l’urgence ou l’existence d’une contestation au fond, ce que les tribunaux refusent d’accepter en soulignant que la loi est indifférente aux conditions classiques de la justice présidentielle. Le législateur aurait mieux fait de garder à la procédure d’urgence sa pureté originelle et attribuer le contentieux de l’expertise de gestion au juge du fond statuant en la forme des référés. C’est d’ailleurs la solution en droit français.

Déroulement de l’expertise. La loi ne se prononce pas sur le caractère contradictoire de l’expertise de gestion. Un arrêt de la Cour de cassation française (Cass. com., 26 novembre 1996, Rev. sociétés, 1997, p.97) est nuancé. Il juge que « si l'expertise doit avoir un caractère contradictoire, l'expert […] peut procéder seul à certaines constatations dans la comptabilité et les documents remis en consultation par la société, sans qu'au cours de l'expertise ceux-ci soient communiqués aux demandeurs » 

Communication du rapport d’expertise. Dans la SARL, le rapport d’expertise est communiqué au demandeur, au gérant et, le cas échéant, au commissaire aux comptes. De même, il est annexé au rapport à présenter à l’assemblée générale ordinaire et communiqué à tous les associés avec les autres documents sociaux. Dans la SA, le rapport d’expertise est communiqué au demandeur, au ministère public et au conseil du marché financier si la société fait appel public à l’épargne. Il est également communiqué aux organes de gestion et de contrôle. Il est mis à la disposition des actionnaires en vue de la prochaine assemblée générale ordinaire.

 

jeudi 3 novembre 2022

Chronique de jurisprudence commerciale



Chronique de jurisprudence commerciale

I- L’extension de la faillite d’une société à ses dirigeants

La Cour de cassation a rendu un arrêt intéressant en matière d’extension de la faillite d’une société à ses dirigeants (Cass. n°2021.32217 du 2 nov. 2021, inédit). Une société ayant cessé ses paiements a présenté une demande de règlement judiciaire. Le tribunal de première instance de Bizerte estimant, sur rapport de l’administrateur judiciaire, qu’aucune mesure de sauvetage n’était possible, l’avait déclaré en faillite et avait étendu d’office la mesure aux deux gérants sur le fondement de l’article 596 du CC - en vigueur à la date du jugement - aux termes duquel « en cas de faillite d'une société, la faillite peut être déclarée commune à toute personne qui, sous le couvert de cette société, masquant ses agissements, a fait, dans son intérêt personnel, des actes de commerce et disposé en fait des biens sociaux comme de ses biens propres ». Les dirigeants victimes de la mesure soutenant qu’ils n’étaient présents à l’instance, avait formé, devant le même tribunal, une tierce opposition contre le jugement. L’article 168 du CPCC permet, en effet, à « toute personne qui n'a pas été appelée dans une instance [de] former tierce opposition au jugement qui porte préjudice à ses droits ».

Le tribunal de première instance de Bizerte a rejeté la tierce opposition en la forme. Nous ne savons pas davantage sur les motifs de ce jugement.

Sur appel, la Cour d’appel de Bizerte déclare la tierce opposition recevable en la forme et annule la mesure d’extension de la faillite. C’est cet arrêt qui a été soumis à l’examen de la Cour de cassation à l’occasion d’un pourvoi formé par d’un des créanciers inscrits. Il lui reproche, dans un mauvais ordre de présentation, la violation d’une règle de fond et une autre de procédure. C’est ce dernier aspect du problème qui retient notre attention dans cette chronique.

Le pourvoyant estime que les dirigeants ne devaient pas être considérés comme des tiers au sens de l’article 168 du CPCC dans la mesure où ils avaient connaissance personnelle de la procédure de règlement judiciaire ouverte contre la société débitrice, ils avaient pris connaissance du rapport de l’administrateur judiciaire et avaient présenté leur commentaire à son propos. Le pourvoyant estime non nécessaire leur assignation à titre personnel. Comme il était attendu le pourvoi est rejeté.

Les demandeurs à l’action. Après avoir rappelé les termes de l’alinéa premier de l’article 168 du CPCC, la Cour de cassation affirme « que la procédure de faillite ne s’applique pas à la procédure d’extension de la faillite ; les deux procédures sont indépendantes tant en la forme qu’au fond ; plus précisément, l’extension de la faillite au ou aux gérants, quand s’ils sont nombreux, est présentée par le syndic de la faillite sous la forme d’une action distincte subséquente à la déclaration de faillite ; elle est également présentée par les créanciers qui souhaitent poursuivre les biens du dirigeant qui a nui à la société à leurs intérêts ; elle peut être engagée par le ministère public à l’occasion de l’examen de l’action en faillite ; elle peut également être initiée par les créanciers en cours de procédure de faillite sauf à exiger d’eux qu’ils présente une demande formelle en ce sens afin que le dirigeant puisse se défendre et apporter la preuve qu’il n’a pas été à l’origine de la faillite directement ou indirectement et démontrer que les conditions requises par l’article 590 du CC ne sont pas réunies ; il en découle, dit l’arrêt de cassation, que le tribunal ne peut la prononcer d’office ».

Comme nous pouvons le constater, la Cour de cassation déborde la question soulevée par le pourvoi. Elle traite en premier lieu des demandeurs à l’action en extension de la faillite. Il faut surtout retenir cette dernière que le tribunal ne peut prononcer l’extension de la faillite d’office. La solution n’est pas nouvelle. Elle a été retenue dans un ancien arrêt (Cass. n°60808 du 17 janv. 2012) qui ne reconnaît pas au tribunal de la faillite le pouvoir de s’autosaisir en matière de faillite commune. L’action n’est possible que si elle est exercée par le syndic, les créanciers ou le ministère public (Voir notre chronique Revue de la Cour de cassation n°2022, 2)

Les défendeurs à l’action. Une fois cette précision faite, la Cour de cassation rappelle une règle essentielle et élémentaire dans toute procédure civile. Dans la mesure où l’action en extension de la faillite tend à rendre quelqu’un redevable et le soumet aux conséquences de la faillite, il faut qu’il soit assigné et entendu. Ne l’ayant pas été dans le cas d’espèce, les dirigeants victime d’une procédure engagée et jugée en leur absence, peuvent former une tierce opposition. En réalité, le pourvoi est fondé sur une confusion entre le statut procédural du dirigeant d’une société ; il est son organe et agit en son nom et pour son compte et il n’agit pas à titre personnel. La liaison du contentieux contre la personne physique du dirigeant ne peut se faire que par un acte d’assignation, empreint d’ailleurs de formalisme.

II- La preuve de la société en participation

Principe de la liberté de preuve. La société en participation n’a pas besoin d’un écrit pour être établie. L’art. 3 al. 1er du CSC édicte en effet que, « à l’exception de la société en participation, le contrat de société doit être rédigé par acte sous seing privé ou acte authentique ». La conséquence qui en découle est que « le contrat de société en participation ainsi que les conventions qui s’y rapportent peuvent être prouvées par tous les moyens de preuve admis en matière commerciale ». C’était la même solution sous l’empire du code de commerce. La disposition légale n’ajoute rien aux sociétés en participation à objet commercial. Elle est par contre utile s’agissant d’une société en participation à objet civil. A un pourvoyant qui a cherché à limiter la liberté de preuve aux livres de commerces et aux correspondances, la Cour de cassation (Cass. n°24585 du 23 septembre 1992, Bulletin 1992, 1, p. 271) a répondu que la preuve est libre et autorise la preuve testimoniale.

Il arrive que les pourvois élevés contre des arrêts d’appel, ayant reconnu l’existence d’une société en participation, soient maladroitement ou confusément formulés devant la Cour de cassation. Les juges du fond sont critiqués pour avoir admis l’existence d’une société en participation alors que, selon les pourvois, le commerçant agit seul dans les rapports avec les tiers et il n’a pas été établi un écrit. Un pourvoi présenté de la sorte est voué à l’échec car justement la société en participation n’a pas besoin d’être établie par écrit et suppose une activité individuelle du gérant dans les rapports avec les tiers.

L’objet de la preuve. Au lieu de débattre de l’admissibilité d’un moyen de preuve, les plaideurs devraient plutôt discuter de l’objet de la preuve : qu’est-ce qu’il faut prouver ? La réponse varie selon qu’on est en présence d’un litige entre associés ou d’un litige entre les tiers et les associés faut distinguer selon

L’objet de la preuve entre associés. Dans le contexte d’un conflit entre associés sur l’existence ou l’inexistence d’une société en participation, un moyen de preuve doit porter sur les trois éléments constitutifs de la société. Et ces éléments sont cumulatifs et distincts, c’est-à-dire la preuve d’un élément n’emporte pas celle des autres. Il arrive souvent que les juges du fond ne respectent pas cette règle essentielle. Ils concluent facilement à l’existence d’une société en participation du seul fait de la preuve d’un élément financier. Ainsi dans l’arrêt n°12754 du 22 déc. 1986 (Bulletin, Vol. 2, 1986, p. 176), le demandeur prétend avoir convenu avec son adversaire l’ouverture d’un commerce de vêtements prêt-à-porter. Il lui reproche de ne pas lui rendre compte du résultat de l’exploitation. Le défendeur a nié l’existence de la société en soutenant qu’il est l’unique locataire du local dans lequel est exploité le fonds de commerce. En cassation, il reproche aux juges du fond d’avoir reconnu l’existence d’une société en participation sans que ces éléments soient prouvés et d’avoir rejeté sa demande de déférer serment décisoire au demandeur. Or, la Cour de cassation approuve les juges du fond qui ont estimé établie la société sur la foi de la déclaration écrite du bailleur qui affirme avoir donné à bail le local loué aux parties au litige et touché une certaine somme du demandeur représentant le loyer de quelques mois de l’année 1976. La Cour de cassation conclut à partir de ce paiement que le demandeur a participé pour une part dans le fonds de commerce. Elle approuve les juges du fond qui ont jugé inutile que le défendeur défère serment décisoire à son adversaire. Comme nous pouvons le constater, les juges du fond et la Cour de cassation font un raccourci : la preuve d’un paiement fait par le demandeur au profit du bailleur du local dans lequel le fonds de commerce est exploité, prouve non seulement les apports mais aussi l’intention de se comporter comme associé et l’accord sur le partage des bénéfices et la contribution aux pertes. La déclaration que peut faire un tiers à propos de la nature de la relation entre les parties au litige n’est pas pertinente car elle reflète la seule apparence du point de vue des tiers qui a traité avec eux et ces tiers sont admis à apporter la preuve de la société en participation d’une manière globale.

Il arrive également que la Cour de cassation ne saisisse pas la portée juridique d’un grief alors qu’il est correctement formulé. Ainsi dans l’arrêt du 16 avr. 1997 (Bulletin 1997, 1, p. 165), le pourvoyant commence par rapporter la teneur de l’arrêt d’appel « qui a énoncé que le litige concerne une société commerciale non établie par contrat, c’est-à-dire une société en participation » puis recadre le litige en précisant « qu’il porte plutôt sur les conditions essentielles d’une société contractuelle, à savoir l’accord des parties sur les conditions de la société, sauf si la loi impose qu’elle soit conclue d’une manière déterminée, outre la détermination des apports et leur libération effective et l’intention de participer aux bénéfices et de contribuer aux pertes ». Une fois ce recadrage opéré, le pourvoi conclut que « ces conditions sont déficientes sinon absentes dans la mesure où l’apport de chaque associé et les conditions de fonctionnement de la société ne sont pas précisés ». Dans ce grief, le pourvoi n’invoque nullement l’écrit comme moyen de preuve de la société en participation. Il insiste plutôt sur la nécessité pour les juges du fond de caractériser les éléments essentiels de la société en participation, considérée comme une société contractuelle. Or, la réponse donnée par la Cour de cassation est totalement hors ce débat : « les articles 1249, 1254, 1255 du COC prétendument violés, énonce l’arrêt, concernent une société dont la loi n’exige pas qu’elle soit établie par un écrit ; la société visée par le litige est une espèce différente se caractérisant par l’absence d’écrit entre associés et par son caractère occulte à l’égard des tiers ». Il s’agit incontestablement d’une erreur de compréhension de la part de la Juridiction Suprême. Les articles invoqués au soutien du pourvoi sont au cœur de la qualification de la société en participation et les faits qui s’y rapportent doivent être prouvés.

L’objet de la preuve dans les rapports avec les tiers. La Cour de cassation française a une attitude rigoureuse. Elle invite à distinguer le régime de la preuve entre associés et celui dans les rapports avec les tiers. Entre associés, la preuve doit être analytiquement apportée pour chaque élément constitutif d’une société. Ainsi dans un arrêt de principe en du 25 juil. 1949 la Cour de cassation commence par rappeler les conditions essentielles à la formation d’un contrat de société, puis passe en revue les constatation de l'arrêt attaqué avant de conclure qu’en statuant ainsi, sans relever de circonstances de fait d'où résulte l'intention qu'auraient eue les parties de mettre en commun tous les produits de leur activité et de participer aux bénéfices et aux pertes provenant du fonds social ainsi constitué, et alors que la seule cohabitation, même prolongée de personnes non mariées qui ont vécu en époux et se sont fait passer pour tels au regard du public, ne saurait donner naissance entre elles à une société, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale à sa décision ». Plusieurs autres arrêts sont rendus dans le même sens.

En revanche, lorsqu’il s’agit d’un conflit entre les tiers et un prétendu associé, la preuve de la société peut être faite d’une manière globale, sur la base de la seule apparence.

L’investissement direct étranger dans les activités de production agricole

 



L’investissement direct étranger dans les activités de production agricole

L’investissement dans des activités de production agricole passe par un accès à la terre. Cet accès est possible en vertu de la qualité de propriétaire de la terre agricole ou en vertu d’un contrat transférant la jouissance du bien. Le droit tunisien pose une interdiction aux étrangers de s’approprier une terre agricole (1). Seule la jouissance du bien leur est ouverte avec toutefois certaines restrictions (2).

1)    Interdiction aux étrangers d’être propriétaire d’une terre à vocation agricole

Un étranger ne peut devenir propriétaire d’une terre agricole ni directement (a) ni indirectement (b).

a) Interdiction de l’appropriation directe

Le droit tunisien interdit aux étrangers d’acquérir la propriété des terres agricoles. La règle est consacrée par la loi n°64-5 du 12 mai 1964, relative à la propriété des terres agricoles en Tunisie. Son article 1er prévoit qu’« à compter de la promulgation de la présente loi, la propriété des terres à vocation agricole ne peut appartenir qu’à des personnes physiques de nationalité tunisienne…. ». L’article premier (nouveau) la loi n° 69-56 du 22 septembre 1969, relative à la réforme des structures agricoles, tel que modifié par la loi n°97-33 du 26 mai 1997, consacre la même règle. « le droit de propriété des terres agricoles ne peut appartenir qu'aux personnes physiques de nationalité tunisienne, aux coopératives, aux personnes morales à caractère public, aux sociétés civiles et à responsabilité limitée dont tous les participants sont des personnes physiques de nationalité tunisienne et aux sociétés anonymes créées conformément aux dispositions de la loi n° 89-43 du 8 mars 1989, relative aux conditions d'exercice des activités agricoles par les sociétés anonymes ». Cette dernière loi édicte que les sociétés anonymes ne peuvent accéder à la propriété des terres agricoles que si elles ont la nationalité tunisienne et avoir leur capital représenté en totalité par des titres nominatifs détenues par des personnes physiques de nationalité tunisienneLa loi n°2016-71 du 30 septembre 2016, portant loi sur l’investissement n’a pas remis en cause cette solution. La liberté des étrangers d’acquérir des biens immobiliers à usage professionnel ne s’étend pas aux biens immeubles à vocation agricole.

La règle réservant la propriété des terres agricoles à des personnes physiques de nationalité tunisienne a des explications historiques. Elle se veut une rupture avec un passé colonial (Sébastien Manciaux, Les règles du droit des investissements internationaux s’opposent-elles aux politiques de sécurité alimentaire, Revue internationale de droit économique, 2012/4, p. 54). Elle se justifie encore aujourd’hui par le souci de préserver la sécurité alimentaire du pays.        

b)  Interdiction de l’appropriation indirecte

L’interdiction faite à une société propriétaire d’une terre agricole d’avoir parmi ses associés une personne morale est destinée à fermer aux étrangers un accès indirect à la propriété des terres agricoles. La violation de l’interdiction est sanctionnée par la nullité absolue. On peut imaginer trois situations :

-        Une personne morale propriétaire d’une terre agricole fait apport de cette propriété à une société dans laquelle elle participe. Dans ce cas, la nullité frappe cet apport en nature. Du coup la société bénéficiaire de l’apport ne peut accéder à la propriété agricole.

-     Il arrive qu’une augmentation de capital se réalise en partie par un apport en pleine propriété d’une terre agricole et par une autre partie par un apport en numéraire. Dans ce cas, la nullité frappe toute l’augmentation de capital en raison de son indivisibilité.

-      Une personne morale fait son entrée en société déjà propriétaire d’une terre agricole. Elle peut par exemple acquérir des actions appartenant à un actionnaire ou participer à une augmentation de capital en numéraire. Dans ce cas, la nullité frappe l’opération de cession ou d’augmentation de capital, mais la société conserve sa propriété agricole.

L’interdiction étant une disposition restrictive, elle doit être entendue d’une manière stricte. Elle s’applique en principe à l’acquisition de pleine propriété et non à l’acquisition d’un démembrement. Il est certain qu’elle ne s’applique pas l’acquisition de l’usufruit mais la question est problématique quand elle a pour objet la nue-propriété.

La suspicion à l’égard de la participation des personnes morales au capital des sociétés propriétaires de terres agricoles freine le développement capitalistique de ces sociétés. Une société d’investissement ou un fonds arabe destiné au financement du développement agricole ne peut faire son entrée au capital des sociétés propriétaires de terres agricoles.

       2)    L’ouverture aux étrangers de la jouissance des terres agricoles

Les étrangers peuvent être des exploitants agricoles dans le cadre d’une société au capital de laquelle des tunisiens doivent avoir une participation minimale (a). La loi prévoit que la société exploite la terre agricole en vertu d’un contrat de location mais la solution n’est pas, à notre sens, exclusive de la possibilité d’un transfert de la jouissance par apport en nature (b)

        a) La société d’exploitation agricole peut-être sous contrôle majoritaire étranger

L’alinéa 1er de l’article 2 (nouveau) de la loi n° 69-56 du 22 septembre 1969 relative à la réforme des structures tel que modifié par la loi n°97-33 du 26 mai 1997, dispose que « l'exploitation des terres agricoles se fait par : ... 5) les sociétés à responsabilité limitée de nationalité tunisienne ; 6) les sociétés anonymes de nationalité tunisienne autorisées à exploiter les terres agricoles conformément à la législation en vigueur. Ainsi selon ce texte, une société commerciale ne peut exploiter une terre agricole que si elle a la nationalité tunisienne.

Pour les besoins de l’application l’article 2 précité, il est prévu un critère spécial d’attribution de la nationalité tunisienne. « Est de nationalité tunisienne, toute société constituée conformément aux lois en vigueur, ayant son siège principal en Tunisie, ayant plus du tiers de son capital constitué de titres nominatifs détenus par des personnes physiques ou morales tunisiennes et ayant son conseil d'administration, de gérance, ou de surveillance, constitué par des représentants des personnes physiques ou morales tunisiennes à concurrence de leur participation au capital de la société ». Le critère d’attribution de la nationalité tunisienne aux sociétés agricoles est plus souple que celui de droit commun (Décret-loi n°61-14 du 30 août 1961, relatif à l’exercice de certaines activités commerciales). Le but évident du législateur est de permettre aux étrangers d’avoir le contrôle d’une société exploitant une terre agricole. Deux précautions sont néanmoins prises par la loi. La société d’exploitation doit avoir parmi ses associés des tunisiens détenant plus du tiers du capital. C’est une minorité de blocage. Par ailleurs, les associés tunisiens doivent être présents dans les organes d’administration, de gérance ou de surveillance en proportion de leur participation.

Le choix de la forme de société anonyme peut, d’un certain point de vue, être préférable aux investisseurs étrangers car aucune contrainte n’est posée quant à la nationalité de la personne investie de la direction générale.

 Il n’est pas exclu de voir se pratiquer des stratégies de contournement par la conclusion, à la constitution de la société, d’un contrat de prête-nom ou d’une cession à blanc consentie par l’associé tunisien et remise à l’investisseur étranger. S’agissant d’un contrat de prête-nom, c’est la société qui est nulle. L’article 67 du COC dispose, en effet, que « l'obligation …. fondée sur une cause illicite, est non avenue. La cause est illicite quand elle est contraire aux bonnes mœurs, à l'ordre public ou à la loi ». S’agissant d’une cession à blanc, sa nullité est moins évidente car elle n’est pas nécessairement inspirée par une intention frauduleuse.

b)    Le titre de la jouissance de la terre agricole

L’article 5 (nouveau) de la loi n°69-56 du 22 septembre 1969, relative à la réforme des structures agricoles, tel que modifié par la loi n°97-33 du 26 mai 1997, prévoit que, « l'exploitation des terres agricoles par une société au capital de laquelle des étrangers participent ne peut se faire que par voie de location et sans que la terre fasse l'objet d'apport dans le capital de la société ».

Dans l’application de ce texte, il faut distinguer selon que l’objet d’exploitation est une terre agricole domaniale ou une terre agricole privée.

Les terres domaniales, qui proviennent essentiellement de la nationalisation des terres de la colonisation et de la récupération des habous publics et de la partie publique des habous mixtes (Mohamed Elloumi, Les terres domaniales en Tunisie, Etudes rurales, n°192, 2013, p. 3) peuvent être données en location à des sociétés de mise en valeur et de développement agricole (SMVDA) au capital desquelles des étrangers peuvent participer. La création des SMVDA et les opérations touchant à la structure de leur capital (augmentation, réduction, fusion et cession d’actions) sont soumises à autorisation du ministre de l’agriculture (Décret n° 88-1172 du 18 juin 1988). La durée de la location ne peut excéder 40 ans (art. 12 al. 1er de la loi 88-18 du 2 avril 1988, portant promulgation du code des investissements agricoles et de la pêche).

S’agissant de l’exploitation d’une terre agricole privée, le texte de la loi peut-être interprété selon une méthode littérale ou téléologique.

La méthode littérale consiste à s’attacher à la lettre du texte. Dans la mesure où la loi n’envisage l’exploitation d’une terre agricole que dans le cadre d’un contrat de location, c’est-à-dire dans les conditions fixées par la loi n°87-30 du 12 juin 1987, relative aux baux ruraux, la société exploitante doit convenir avec le propriétaire d’un contrat de location. Elle paiera un loyer en contrepartie de la jouissance de la terre. La loi sur les baux ruraux fixe une durée minimale de location mais ne fixe pas une durée maximale. Les parties jouissent donc d’une liberté totale dans la détermination de la durée du contrat sauf à respecter l’interdiction des locations perpétuelles.

La méthode d’interprétation téléologique autorise d’aller au-delà de la lettre du texte pour s’attacher à son esprit. Le but du législateur est de conserver la propriété de la terre agricole dans le patrimoine de son propriétaire tunisien mais l’exploitation est libéralisée. Le contrat de location est l’archétype des contrats conférant la jouissance des biens mais il n’est pas le seul. On peut surtout envisager que le propriétaire concède la jouissance (dit apport en jouissance) de la terre agricole à la société en contrepartie de l’attribution de titres de capital. L’apport en société est un contrat à titre onéreux au même titre que le contrat de location. Par ailleurs, le législateur a calqué les obligations de l’apporteur de la jouissance d’un bien sur celle d’un locataire. L’article 6 du CSC énonce en effet que « si l’apport est en jouissance, l’apporteur est garant envers la société dans les mêmes conditions que le bailleur ». Une interprétation téléologique de la loi a l’avantage de permettre à un tunisien propriétaire d’une terre agricole de participer dans une société avec des partenaires, éventuellement étrangers, qui disposent de capitaux permettant de financer l’exploitation agricole.

Quand l’apport en nature est un apport en jouissance, le bien est mis à la disposition de la société en vue de son usage pendant un temps déterminé. Dans ce cas, l’apporteur met la société en mesure d’user librement de la chose, mais sans pouvoir en disposer. L’apporteur garde son droit de propriété et transmet à la société le droit d’usage. L’apport en jouissance étant un simple apport d’usage, il en découle que la société est tenue d’une obligation de restitution puisque cet apport a un caractère temporaire. Lors de la dissolution, le bien est soustrait à l’action des créanciers et n’est pas compris dans le partage.

La réduction du capital de la société à zéro pour absorber les pertes n’est pas de nature à entraîner la perte du droit jouir de la terre agricole pendant la durée convenue de l’apport.