dimanche 25 septembre 2011

Les grandes surfaces commerciales et les centres commerciaux

les grandes surfaces commerciales et les centres commerciaux

Par la loi n°2003-78 du 29 décembre 2003, modifiant et complétant le code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, le législateur tunisien a introduit deux nouvelles dispositions ayant pour objet de fixer le régime d’implantation des « grandes surfaces commerciales ». Le choix du lieu d’implantation est soumis à des restrictions d’urbanisme[1]. Il est également requis l’obtention d’une autorisation administrative qui ne se confond par avec le permis de bâtir[2].

Avant que ces textes n’apparaissent, c’est le décret n°99-2253 du 11 octobre 1999, portant approbation du règlement général d’urbanisme qui a pris soin de fixer le régime d’implantation de ces commerces. L’article 5 dudit décret classe les types de constructions pouvant être construits selon leur vocation. Il cite notamment « les établissements commerciaux dont la surface couverte dépasse 3000m² ou dont la surface destinée à la vente des marchandises dépasse 1500m² ». Dans de tels cas, « l’établissement doit être implanté en dehors des zones urbaines à une distance qui sera déterminée en fonction des incidences du projet sur le milieu naturel, économique et social sans que cette distance soit inférieure à cinq kilomètres à partir des limites de ces zones pour les villes dont la population dépasse 50.000 habitations ». Mais il n’y a aucune autorisation administrative à obtenir autre que celle du permis bâtir.

Le règlement général d’urbanisme a été modifié par le décret n°2002-2683 du 14 novembre 2002. La nouveauté est double. D’une part, l’expression « 50.000 habitations » est remplacée par l’expression « 50.000 habitants » et d’autre part, il est prévu la possibilité de déroger à l’exigence d’une distance minimale de cinq kilomètres entre la limite de la zone urbaine et le lieu d’implantation de l’établissement commercial et ce dans des cas exceptionnels quand la distance susvisée ne peut être respectée pour des considérations objectives ayant trait notamment aux exigences d’aménagement du territoire. La dérogation est octroyée par arrêté conjoint du ministre chargé du commerce et du ministre chargé de l’intérieur et du développement local, du ministre chargé du transport et du ministre chargé de l’environnement. L’arrêté d’autorisation fixe alors les conditions d’implantation de l’établissement, la surface couverte, et celle destinée à l’exposition des marchandises, tout en tenant compte de l’impact du projet sur la circulation routière et de sa compatibilité avec les dispositions du schéma directeur d’aménagement s’il en existe un.

Le règlement général d’urbanisme a un domaine d’application spécifique en raison de sa vocation à ne s’appliquer que dans les zones non-couvertes par un plan d’aménagement urbain[3]. Les conditions que prévoit l’article 5 ne s’appliquent que dans la mesure où il s’agit d’implanter un établissement commercial dans des zones non couvertes par un plan d’aménagement urbain. En revanche, l’implantation d’un établissement commercial de grande surface à l’intérieur d’une zone couverte par un plan d’aménagement urbain reste entièrement résolu par les dispositions du plan d’aménagement urbain considéré.

Le règlement général d’urbanisme n’organise aucun contrôle d’ordre économique sur l’implantation des établissements de grande surface commerciale. Le contrôle est toutefois exercé au cas où le promoteur du projet souhaite réduire la distance minimale à respecter entre la limite de la zone urbaine et le lieu d’implantation de l’établissement. Il suffit donc de respecter les conditions objectives de distance d’implantation pour pouvoir créer, en toute liberté, un établissement commercial. Certes, il peut y avoir des difficultés spécifiques d’obtention d’une autorisation de bâtir en raison de cette circonstance que, souvent, le terrain pouvant accueillir l’établissement commercial a une vocation agricole qu’il sera difficile de changer, mais ce n’est pas là un contrôle de nature économique.

La loi en date n°2003-78 du 29 décembre 2003 introduit deux nouveaux articles dans le code d’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Il s’agit des articles 5 (bis) et 11 (bis) du code qui apportent deux innovations par rapport au règlement général d’urbanisme. Le premier texte pose comme règle générale qu’aucune grande surface commerciale ne peut être implantée dans les limites (à l’intérieur) d’une zone couverte par un plan d’aménagement urbain. Le législateur va encore plus loin puisqu’il exige de respecter une certaine distance entre la limite de la zone et le lieu d’implantation de la grande surface. Le deuxième texte institue un régime de contrôle administratif de la création des grandes surfaces commerciales distinct du contrôle pouvant être exercé dans le cadre du permis de bâtir. Les conditions et procédures d’autorisation feront l’objet d’un décret d’application qui n’a jamais été publié.

La loi n°2009-69 du 12 août 2009, relative au commerce de distribution introduit dans notre droit positif un nouveau concept juridique qui semble être distinct de celui connu par le code d’aménagement du territoire et de l’urbanisme. En effet, l’article 10 de la loi soumet à la même autorisation prévue par l’article 11 du code d’aménagement du territoire et de l’urbanisme, toute implantation d’un centre commercial dont la base de construction dépasse 3000m² lors de son édification ou après extension ou dont la surface de base réservée à la vente dépasse 1500m². On reconnaît là les mêmes seuils chiffrés prévus par le code de l’urbanisme et de l’aménagement de territoire pour les grandes surfaces commerciales, mais les deux notions ne se confondent pas. Au sens de la nouvelle loi, « le centre commercial » est « tout espace ou immeuble comprenant un ou plusieurs étages, aménagé et composé de plusieurs locaux indépendants réservés à la commercialisation de divers produits et à la prestation de services ».

L’article 11 de la même loi de 2009 prévoit par ailleurs la création d’une commission nationale d’urbanisme commercial chargée d’émettre un avis sur les demandes d’autorisation administrative prévue par le code de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire ou par la loi de 2009. La composition et les modes de fonctionnement de ladite commission sont fixés par décret en date du 19 juillet 2010[4].

Le présent article se propose de présenter le régime juridique d’implantation des grandes surfaces commerciales et des centres commerciaux.

I)                   L’implantation des grandes surfaces commerciales et des centres commerciaux

L’article 5 (bis) du code de code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme impose comme principe de solution d’implanter les grandes surfaces commerciales en dehors des zones couvertes par le plan d’aménagement urbain. Il n’est pas permis de déroger à cette règle, mais, simplement, de réduire, à titre exceptionnel, la distance limite à respecter entre le lieu d’implantation du projet et la limite de la zone urbaine. La coexistence d’une règle spécifique contenue dans le code d’aménagement du territoire et de l’urbanisme et d’une autre contenue dans le règlement général d’urbanisme risque de créer des problèmes d’articulation entre les deux textes. (A).

A l’opposé des solutions restrictives, le législateur ne semble pas poser des contraintes quant au lieu d’implantation des centres commerciaux, il se limite à les soumettre à la même autorisation que les grandes surfaces commerciales lorsqu’ils atteignent les même seuils de grandeurs (B).

A)    Les grandes surfaces commerciales

L’alinéa 1er de l’art. 5 (bis) du code de code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme énonce que « les grandes surfaces commerciales dont la base de construction, lors de leur édification ou après leur extension, dépasse 3000 mètres carrés ou dont la surface de base réservée à la vente dépasse 1500 mètres carrés, ne peuvent être implantées qu'à l'extérieur des limites des zones couvertes par des plans d'aménagement urbain et à une distance supérieure ou égale à cinq kilomètres à partir des limites de ces zones ». Les grandes surfaces commerciales se définissent par leurs seuils de grandeur (1). Ils ne peuvent être implantés qu’à une certaine distance minimale hors des zones couvertes par des plans d’aménagement urbain (2).

1)      Définition des grandes surfaces commerciales
L’obligation de s’implanter hors des zones couvertes par un plan d’aménagement est réservée aux « grandes surfaces commerciales ». La notion est complexe et elle n’est que partiellement définie. La grandeur d’une surface commerciale fait appel à un critère quantitatif de taille. Elle sous-entend une distinction entre la moyenne et la petite surface commerciale. Pour éviter toute difficulté d’application des textes, le législateur a fixé des seuils chiffrés, alternatifs, à partir desquels une « surface commerciale » est considérée « grande ». Avant d’aborder la définition de ces seuils (1.2), il faudra s’entendre sur le sens et la portée des termes « surfaces commerciales » (1.1).

1.1)            Les surfaces commerciales

A défaut de précisions légales ou de directives tirées des travaux préparatoires, on est astreint à une exégèse des textes.

Le terme « surface commerciale » est nouveau dans la loi. Il désigne sans nul doute des locaux construits. Mais il doit s’agir de locaux destinés au « commerce ». La notion désigne usuellement le commerce de distribution de produits. Cette précision est à la fois large et étroite.

Elle est large car aucune distinction n’est faite quant au canal de distribution. Le texte étant général, il permet de couvrir le commerce de gros, demi-gros ou détail. De même aucune distinction n’est faite quant à la nature des produits destinés à la revente. Il peut s’agir d’un commerce généraliste, avec une composante alimentaire, ou d’un commerce spécialisé dans un segment de produits.

On ne peut solliciter davantage le texte pour savoir s’il s’étend aux surfaces liées à des activités de production ou de services à caractère artisanal. Dans le doute, le texte doit être interprété d’une manière restrictive car il porte une exception au principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Pourtant, l’examen de la jurisprudence française comparée permet de constater une extension de l’expression « surfaces commerciales ». Le Conseil d’Etat français, saisi de la question de déterminer le sens de magasin de commerce de détail, a estimé qu’« il couvre les boutiques de services indépendants destinés à accueillir, notamment des activités de teinturerie, serrurerie, cordonnerie, ou photographie, même si la gestion des points de vente était confiée à des sociétés différentes. Vont se rajouter, par extension, des activités telles que coiffure, soins esthétiques »[5]. Ces boutiques participent, selon le même arrêt du conseil d’Etat, avec le magasin à grande surface d’un même « ensemble commercial et artisanal ». Sont en revanche exclus, les services à caractère intellectuel ou immatériel : activité bancaire, assurance, agence de voyages, professions libérales. Probablement l’on se dirigera vers une extension aux activités de services à l’instar de ce qui est prévu pour les centres commerciaux[6].

1.2)            Les seuils de grandeur des surfaces commerciales

Les grandes surfaces commerciales ne sont soumises à l’obligation de s’implanter hors des limites des zones couvertes par des plans d’aménagement urbain que si elles atteignent une certaine taille. La loi retient deux critères uniformes, sur tout le pays, sans considération de la densité démographique des villes. Est réputée une grande surface commerciale, tout local dont la base de construction, lors de son édification ou après son extension, dépasse 3000 mètres carrés (a) ou dont la surface de base réservée à la vente dépasse 1500 mètres carrés (b). Il suffit donc qu’il se vérifie l’un ou l’autre des deux critères pour que la loi trouve application.

a)      La superficie de la base du local à la construction ou après extension

Les textes réglementaires qui avaient précédé la réforme de 2003 du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, définissaient le champ d’application de la réglementation applicable au lieu d’implantation des grandes surfaces commerciales par référence à leur « surface couverte » qui dépasserait 3000m². Le projet de loi présenté par le gouvernement a repris le même critère, mais un député a proposé de changer l’expression par la précision qu’il s’agit de la superficie de la base, ce qui a été retenu lors du vote de la loi.

Le terme surface de la base de construction renvoie à la surface de la construction sur le sol, sans tenir compte de l’augmentation éventuelle des surfaces utiles par la construction de niveaux supérieurs ou sous le sol. Mais la base de construction ainsi définie couvre tous les espaces, peu importe qu’ils soient voués ou non à la vente. On tiendra donc compte non seulement des surfaces de vente mais aussi des réserves, bureaux, locaux techniques, salle de stockage de divers matériels...

Les dimensions doivent être calculées hors cotes (surface hors œuvre nette du bâtiment commercial). Les aires de stationnement, et d’une manière générale les surfaces non couvertes, ne sont pas prises en compte dans le calcul.

b)     La surface de base réservée à la vente.

La loi n’a pas défini ce que l’on entend par surface réservée à la vente. En droit français, la notion s’entend « des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l’exposition des marchandises proposées à la vente, à leur paiement, et de ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente »[7]. Des circulaires administratives et des décisions du Conseil d’Etat français ont apporté, d’une manière pragmatique, des précisions complémentaires concernant la prise en compte ou non des zones de caisses, de marquage et d’étiquetage et de publicité, des lieux de stockage, des espaces de vente extérieurs, des ateliers technique d’entretien, de réparation, de fabrication ou de préparation des marchandises, des allées de circulation etc. Il s’agit dans tous les cas de vérifier si la surface est réservée à la vente. Le risque de fraude n’est pas exclu ; un espace non réservé à la vente peut être transformé. Dans un tel cas, il y a lieu d’appliquer la loi.

La lecture exégétique de l’article 5 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme permet de faire deux remarques. D’une part, le texte retient la surface de base réservée à la vente. Cette surface ne représente pas la somme des surfaces de plancher de chaque niveau si l’établissement est construit en étages. D’autre part, les surfaces affectées à des prestations de services, notamment le service artisanal, ne sont pas des surfaces de vente et par voie de conséquence elles ne sont pas prises en compte. L’article 5 (bis) doit en effet être interprété d’une manière restrictive puisqu’il apporte une restriction au principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Une intervention du législateur est toutefois souhaitable pour mettre en harmonie l’article 5 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme avec l’article 10 de la loi de 2009 relativement à la définition des centres commerciaux[8].

2)      Le lieu d’implantation des grandes surfaces commerciales

Selon l’article 5 (bis) du code d’aménagement du territoire et de l’urbanisme, les grandes surfaces commerciales ne peuvent s’implanter qu'à l'extérieur des limites des zones couvertes par des plans d'aménagement urbain (2.1) et ce à une distance supérieure ou égale à cinq kilomètres à partir des limites de ces zones (2.2). Outre les difficultés propres d’interprétation de cet article, il faudra résoudre le problème de son articulation avec les dispositions du règlement général d’urbanisme (2.3). Exceptionnellement, la loi permet de réduire la distance légale de droit commun (2.4).

2.1)            L’interdiction d’implantation des grandes surfaces commerciales dans les zones couvertes par un plan d’aménagement urbain

Sous l’empire des textes antérieurs, aucune règle générale ne régit les conditions d’implantation d’un établissement commercial de grande surface. L’article 5 du règlement général d’urbanisme ne s’applique que dans les zones non couvertes par un plan d’aménagement. Pour les zones couvertes, il appartient à chaque règlement de prévoir des solutions spécifiques à la zone à laquelle il s’applique. Des difficultés pratiques sont apparues car souvent, il est prévu dans un plan d’aménagement urbain que telle zone est destinée à recevoir des constructions à usage commercial sans autre précision, ce qui permettrait l’implantation de tout genre d’espace commercial sous réserve de respecter les coefficients d’utilisation du sol.

L’article 5 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme est venu donner une solution uniforme. Désormais, il n’est pas possible d’implanter une grande surface commerciale à l’intérieur des zones couvertes par un plan d’aménagement urbain. La solution est d’autant plus restrictive que les pouvoirs publics tendent à généraliser l’élaboration des plans d’aménagement urbains.

2.2)            Le respect d’une distance minimale de la limite de la zone d’aménagement urbain

Non seulement il ne peut être implanté une grande surface commerciale à l’intérieur d’une zone couverte par un plan d’aménagement urbain, mais aussi il faut respecter une distance limite entre les frontières de la zone et le lieu d’implantation. Cette distance ne peut être inférieure à cinq kilomètres. Deux questions se posent. Comment mesurer cette distance et est-ce que l’autorité ayant pouvoir de donner une autorisation administrative peut exiger le respect d’une distance supérieure ?

a)      Le calcul de la distance de 5 km

La loi exige que le lieu d’implantation de la grande surface commerciale soit distant de la limite de la zone couverte par un plan d’aménagement urbain de 5 kilomètres ou plus.

La limite de la zone couverte par le plan d’aménagement urbain est définie par les documents graphiques du plan[9]. Mais la distance qui la sépare du lieu d’implantation de la grande surface commerciale doit-elle être entendue comme étant la distance parcourue par une route y conduisant ou la distance mesurée par un vol d’oiseau ? Faute d’indication des textes, notre faveur va pour le deuxième critère. La limite de cinq kilomètres doit correspondre à la ligne droite qui sépare les deux extrémités les plus proches entre la limite de la zone du plan d’aménagement et la limite d’implantation de la construction.

b)     La distance de 5 km est un minimum légal

La loi exige d’implanter la grande surface commerciale à une distance supérieure ou égale à cinq kilomètres à partir des limites de la zone couverte par un plan d’aménagement. Le texte légal est d’une rédaction sensiblement différente de l’article 5 du décret portant règlement général d’urbanisme, qui prévoit que l’implantation de l’établissement en dehors des zones urbaines sera faite « à une distance qui sera déterminée en fonction des incidences du projet sur le milieu naturel, économique et social sans que cette distance soit inférieure à cinq kilomètres. Implicitement, le texte réglementaire signifie que la distance de cinq kilomètres et un minimum, mais qu’elle n’exclut pas une exigence supérieure pour tenir compte des incidences néfastes du projet sur le milieu naturel.

La conclusion précédente n’est pas, à notre avis, certaine. On a observé au début de cet article que la nouvelle loi subordonne l’implantation d’une grande surface commerciale à la condition d’obtenir une autorisation administrative donnée par le ministre chargé du commerce. L’autorisation est donnée au vue d’une étude d’impact qui mesure les répercussions éventuelles de l’implantation de la surface commerciale sur l’environnement économique, social et économique inclus dans la zone de chalandise du projet[10]. Il n’est à craindre que les répercussions défavorables du projet ne conduisent à exiger du promoteur de reculer la distance du projet à distance supérieure à cinq kilomètres comme condition d’obtention de l’autorisation.

2.3)            Articulation entre l’article 5 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme et l’article 5 du règlement général d’urbanisme

La difficulté d’articulation des textes légal et réglementaire vient du fait que la loi exige que les grandes surfaces commerciales soient implantées en dehors des zones couvertes par un plan d’aménagement urbain et à une certaine distance des limites de ces zones. Or le règlement général d’urbanisme a vocation à s’appliquer dans toutes les zones non couvertes par un plan d’aménagement urbain. La question se pose de savoir s’il faut appliquer les textes d’une manière cumulative. Il suffit pour mesurer l’intérêt de la question de poser l’hypothèse d’une ville dotée d’un plan d’aménagement urbain et une autre ville distante de ses frontières d’une distance égale ou supérieure à cinq kilomètres mais non encore couverte par un plan et dont la population est de 50.000 habitants. Peut-on, dans ce cas, implanter dans cette deuxième ville une grande surface commerciale sans être tenu de s’éloigner encore de la zone urbaine de cinq kilomètres ? Une réponse positive s’autorise de deux arguments. Le premier est que la loi est venue consacrer un cadre légal spécifique à l’implantation des grandes surfaces commerciales. Elle restreint la liberté dans des conditions qu’elle définit. Un décret qui est un texte inférieur dans la hiérarchie des normes ne peut restreindre davantage la liberté d’entreprendre. Les travaux préparatoires du nouveau texte confirme la volonté du législateur de doter l’implantation des grandes surfaces commerciales d’un régime unifié et en substituant le nouveau texte à l’ancien. Un seul critère devant s’appliquer : une implantation en dehors de toute zone dotée d’un plan d’aménagement urbain. C’est à la fois nécessaire et suffisant.

2.4)            Possible réduction de la distance minimale par rapport à la limite de la zone couverte par le plan d’aménagement urbain

L’alinéa deux de l’article 5 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, ajoute qu’à titre exceptionnel, la distance de cinq kilomètres, qui sépare le lieu d’implantation de la grande surface commerciale et les limites de la zone couverte par un plan d’aménagement urbain, peut être réduite de deux kilomètres au maximum, et ce, en cas d'impossibilité de respecter la distance sus-indiquée pour des raisons objectives liées notamment aux exigences de l’espace urbain. Par une loi n°2009-9 du 16 février 2009, le législateur réserve le pouvoir d’autoriser cette mesure exceptionnelle à l’autorité dépositaire du pouvoir réglementaire général. L’exception est accordée par décret pris sur proposition du ministre chargé du commerce et du ministre chargé de l’aménagement du territoire.

Les discussions parlementaires de la loi ont révélé que la dérogation à la solution de principe ne sera donnée qu’à titre très exceptionnel pour des raisons objectives. Le principe de la dérogation a suscité la méfiance des députés. Mais le ministre de l’équipement a assuré que la dérogation doit être motivée par une impossibilité de satisfaire la condition légale de principe. Il a cité l’exemple de la grande surface commerciale de l’Ariana (entendre l’enseigne Géant). L’implantation de cette grande surface commerciale à cinq kilomètres hors des limites de l’Ariana aurait conduit à obliger les clients de ne pouvoir retourner en ville qu’en parcourant vingt kilomètres pour atteindre la première sortie de l’autoroute. C’est pour cette raison que la dérogation a été donnée de se limiter à une distance minimale de trois kilomètres environ.

B)    Les centres commerciaux

La possibilité de contournement des prescriptions du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme est bien réelle. Cela est déjà constaté dans le droit français comparé. Des promoteurs, soumis à des restrictions en raison du système de contrôle administratif mis en place par le code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, peuvent être tentés d’implanter des locaux commerciaux indépendants en-deçà des seuils chiffrés posés par l’article 5 (bis), mais tout en leur donnant l’allure d’une grande surface par les liens pouvant unir ces locaux. Le Conseil d’Etat français a rendu un avis consultatif par lequel il considère que les centres commerciaux ainsi constitués devaient être soumis à la procédure d’autorisation dans la mesure où ils constituent une unité par leur conception générale ou qu’ils mettent à la disposition des magasins des conditions communes d’exploitation[11].

Saisissant l’occasion de la loi n°2009-69 du 12 août 2009, relative au commerce de distribution, le législateur tunisien est intervenu pour soumettre à la même autorisation de l’article 11 du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, les « centres commerciaux dont la base de construction dépasse 3000m² lors de son édification ou après son extension ou dont la surface de base réservée à al vente dépasse 1500m² ». On reconnaît là les mêmes seuils chiffrés des grandes surfaces commerciales visées par l’article 5 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Les notions ne doivent pas être confondues. Car au sens de l’article 10 de la loi de 2009, le centre commercial est « l’espace ou l’immeuble comprenant un ou plusieurs étages et composé de plusieurs locaux indépendants réservés à la commercialisation de divers produits et à la prestation de services ». A la différence des centres commerciaux, les locaux des grandes surfaces commerciales ne sont pas indépendants.

Les centres commerciaux sont soumis à la même autorisation que les grandes surfaces commerciales car d’une part les locaux de commerce et de prestation de services qu’ils comprennent cumulent, ensemble, les mêmes seuils chiffrés et d’autre part, ils sont assurés d’une certaine unité d’ensemble du fait qu’ils sont situés dans le même espace ou immeuble. L’expression d’unité des locaux est certes absente du texte et elle est même apparemment contredite par l’allusion à l’indépendance des locaux, mais elle est suffisamment induite par leur construction sur le même « espace » ou le même « immeuble ». La loi de 2009 n’attache pas d’importance à l’existence d’éventuels liens autres que géographique pouvant donner aux locaux indépendants une certaine unité d’ensemble. Nous pensons particulièrement aux liens de gestion commune.

L’implantation des centres commerciaux s’inscrit, souvent, dans le cadre de lotissements commerciaux. Dans de tels cas, une autorisation administrative est nécessaire si les seuils légaux sont atteints. Le calcul de ces seuils se fait comme en matière de grandes surfaces, mais avec toutefois des précisions complémentaires, implicitement apportées par la loi de 2009. Ainsi lorsqu’il s’agit de dire si le seuil de la « surface de base réservée à la vente » dépasse 1500m², on devra tenir compte des surfaces destinées à des activités de services puisque le centre commercial est défini par l’alinéa 2 de l’article 10 de la loi de 2009 tant par les activités marchandes que par les activités de prestations de services. Les services s’entendent dans un sens général, et pas seulement les services d’artisanat. Ainsi par exemple les locaux réservés aux services d’agence d’agences de voyages, de banques ou d’assurance sont des activités de service et les locaux qui y sont destinés sont compris dans le calcul du seuil légal.

II)                Le contrôle de l’administration sur l’implantation des grandes surfaces commerciales et centres commerciaux

L’article 11 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme soumet à autorisation préalable l’implantation des grandes surfaces commerciales. La même autorisation est récemment étendue au cas d’implantation d’un centre commercial.

L’autorisation est donnée par le ministre chargé du commerce. Le processus de prise de décision pose un problème après la promulgation de la loi de 2009 (B). Mais au préalable le demandeur doit présenter une étude d’impact (A).

A)    L’étude d’impact

L’article 11 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme exige du requérant qu’il présente « une étude d’impact destinée à mesurer l’impact de l’implantation de la grande surface commerciale sur le milieu naturel ainsi que ses effets éventuels sur l’environnement économique et social dans la zone de chalandise ». Comme l’on peut constater, l’étude d’impact a un double objet environnemental d’une part, (1) et économique et social d’autre part (2). Ce dédoublement de l’objet de l’étude d’impact n’est pas sans poser des problèmes juridiques. Car si l’étude d’impact environnemental semble avoir un cadre juridique approprié et ressortir du contrôle du ministre chargé de l’environnement ou celui de l’agence nationale de protection de l’environnement, il n’en sera pas de même pour les deux aspects économique et social. En fait, la solution consiste à unifier le régime de cette étude, car il est requis du pétitionnaire qu’il présente un seul document d’étude d’impact, constituant un tout indivisible.

1)      L’impact sur le milieu naturel

L’article 11 (bis) du code l’aménagement du territoire et de l’urbanisme renvoie à l’article 11 du même code relatif à l’étude d’impact sur le milieu naturel. Ce dernier texte prévoit que l’étude d’impact devra être approuvée par le ministre chargé de l’environnement et qu’elle sera réalisée dans les conditions prévues par un décret, en l’occurrence le décret n°2005-1991 du 11 juillet 2005, qui remplace et abroge le décret n°91-326 du 13 mars 1991.

Le décret de 2005 comporte deux annexes et, ce faisant, il distingue entre deux catégories de projets :

- Les projets de l’annexe 1 soumis à une étude d’impact à réaliser pas un bureau d’études ou par un ou plusieurs experts spécialisés. L’étude d’impact est présentée à l’agence de protection de l’environnement pour approbation[12]. L’approbation peut être implicite. Elle peut résulter du silence gardé (non opposition) par l’agence pendant un certain temps. Pour les besoins d’application de cette règle d’approbation implicite, l’annexe 1 classe les projets en deux catégories : les projets de la catégorie A qui nécessitent un délai de 21 jours à compter du dépôt de l’étude et les projets de la catégorie B qui nécessitent un délai de trois mois. Toutefois, le délai de 21 jours est prolongé à trois mois pour les projets ayant un impact sur les zones bénéficiant d’une protection juridique.
- Les unités de l’annexe 2 soumises à un cahier des charges approuvé par arrêté du ministre chargé de l’environnement et qui fixent les mesures environnementales[13].

Les 2 annexes au décret de 2005 ne comportent pas mention des projets relatifs à l’implantation d’une grande surface commerciale ou d’un centre commercial. La lacune du décret 2005 n’est certes pas difficile à combler car la soumission des grandes surfaces à l’étude d’impact ne trouve pas son fondement dans ce décret, mais dans la loi, en l’occurrence l’article 11 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.

Mais il y a tout de même des difficultés à définir le régime juridique de l’étude d’impact appliquée aux grandes surfaces commerciales et centres commerciaux. L’on ne sait pas par exemple si l’étude est soumise au contrôle de l’agence nationale et protection de l’environnement (et à ses termes de références sectoriels) ou au contrôle du ministre de l’environnement comme le requiert l’article 11 du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. L’on ne sait pas quels sont les délais donnés à l’autorité compétente pour se prononcer sur l’étude d’impact.

A notre avis, l’étude d’impact appliquée aux grandes surfaces et centre commerciaux garde son autonomie par rapport aux règles de droit commun et ce en raison du lien qu’elle entretient avec l’étude d’impact économique et social. L’étude devra être présentée au ministre chargé du pouvoir d’autoriser l’implantation de la grande surface commerciale, en l’occurrence le ministre du commerce lequel la transmettra à la commission nationale de l’urbanisme commercial pour avis.

La teneur de l’étude d’impact doit être précisée par deux remarques :

- Si l’on considère que le décret de 2005 exprime une règle de raison concernant la teneur d’une étude d’impact environnementale, l’étude d’impact appliquée aux grandes surfaces et centres commerciaux doit comporter les éléments suivants :
1.      description détaillée de l’unité (entendre ici la grande surface commerciale ou de locaux indépendants s’il s’agit d’un centre commercial) ;
2.      analyse de l’état initial du site et son environnement, portant notamment sur les éléments et les ressources naturelles susceptibles d’être affectées par la réalisation de l’unité ;
3.      une analyse des conséquences prévisibles directes et indirectes, de l’unité sur l’environnement et en particulier les ressources naturelles, les différentes espèces de la faune et de la flore et les zones bénéficiant d’une protection juridique, notamment les forêts, les paysages naturels ou historiques, les zones sensibles, les espaces protégés, les parcs nationaux et les parcs urbains ;
4.      les mesures envisagées par le maître de l’ouvrage ou le pétitionnaire pour éliminer ou réduire et si possible compenser les conséquences dommageables de l’unité sur l’environnement et l’estimation des coûts correspondants ;
5.      un plan détaillé de gestion environnementale de la grande surface ou du centre commercial.

- L’étude d’impact environnemental doit préciser l’impact sur le trafic routier, car c’est à la lumière de cette étude que l’autorité administrative précisera dans l’autorisation d’implantation si elle soumettra le promoteur à l’obligation d’effectuer, à ses frais, des travaux d’aménagement afin que les voies menant aux surfaces commerciales répondent aux exigences de la circulation routière générées par le projet. L’étude doit donc décrire l’emplacement du projet considéré par rapport aux pôles commerciaux de la zone. L’influence qu’il exerce sur les axes routiers, l’indication du temps de trajet, les moyens de transport…

2)      L’impact économique et social

C’est la première fois qu’il est exigé en droit tunisien qu’une étude d’impact précise les incidences d’un projet économique sur les plans économique et social. La teneur de cette partie de l’étude n’est nullement précisée par des textes d’application. L’on ne peut que faire des conjectures en nous inspirant des expériences étrangères, notamment françaises.

L’étude doit préciser la zone de chalandise concernée par la grande surface. Il n’est pas exclu de faire de découpage de la zone afin de mieux cerner les impacts. La mesure des incidences économique consiste à évaluer le marché de la zone de chalandise avec indication des taux d’emprise prévus sur le marché de chaque sous-zone composant la zone de chalandise ; l’étude doit en outre recenser les différents commerces dans la zone, en indiquant les surfaces et éventuellement les enseignes.

L’effet social doit être entendu dans le sens de l’effet sur l’emploi. La question peut être appréciée sous deux angles :
- L’auteur de la demande doit planifier les effectifs par type de qualification et de statuts. Il doit pour les créations retracer l’évolution possible de l’emploi.
- L’auteur de la demande doit préciser à une estimation de l’impact sur l’équilibre de l’agglomération, et, le cas échéant, sur les activités existantes, notamment l’impact sur les parts de marché des catégories de commerce concurrents. Une telle étude permettra d’estimer, en conséquence, le nombre d’emplois salariés et non salariés susceptibles d’être remis en cause. Le solde des emplois créés et supprimés pourra être établi.

B)    L’autorisation administrative

Selon l’article 11 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, l’implantation d’une grande surface commerciale est soumise à une autorisation du ministre chargé du commerce. Cette même autorisation est étendue à l’implantation des centres commerciaux (1). Bien évidemment, l’autorisation d’implantation ne se confond pas avec le permis de bâtir. L’article 11 du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme prévoit que l’autorisation est délivrée selon une procédure et des conditions à préciser par décret. Aucun décret d’application n’a été publié ce qui est une source de complication (2).

1)      Le processus d’autorisation

L’article 11 de la loi de 2009 a compliqué le système d’autorisation institué par l’article 11 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Ce dernier texte, rappelons-le,  prévoit que le ministre chargé du commerce se prononce après consultation du ministre chargé de l’intérieur, du ministre chargé de l’aménagement du territoire et du ministre chargé des affaires sociales. Or l’article 11 de la loi de 2009, relative au commerce de distribution, a créé une commission consultative dénommée la commission nationale d’urbanisme commercial chargée de donner son avis sur les demandes d’autorisation. Le décret d’application en date du 19 juillet 2010 a fixé la composition de cette commission et les modalités de son fonctionnement. La question est de savoir si l’autorité investie du pouvoir de donner l’autorisation est amenée à requérir deux avis : celui des ministres visés par l’article 11 du code de l’aménagement de territoire et de l’urbanisme et celui de la commission nationale de l’urbanisme commercial prévue par la loi de 2009.

En faveur d’une réponse positive à ce cumul d’avis, nous avons la lettre de l’article 10 de la loi de 2009 qui exige l’obtention « d’une autorisation préalable délivrée conformément à l’article 11 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme ». Il s’agit d’un renvoi au processus décisionnel et non seulement à l’autorité investie du pouvoir décisionnel. Une interprétation téléologique de l’article 11 de la nouvelle loi de 2009 peut, néanmoins, conduire à une solution différente. L’on peut soutenir qu’une nouvelle autorité consultative est spécialement créée par la loi de 2009 ; elle se substitue aux anciennes autorités ayant une mission consultative. Il y une sorte d’abrogation implicite des textes, car il est surabondant de prévoir deux mécanismes consultatifs d’autant plus que les ministres visés par l’article 11 du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme sont représentés dans la commission nationale d’urbanisme commercial. La création de la commission nationale d’urbanisme commercial a l’avantage de privilégier un processus délibératif, puisqu’elle est appelée à prendre son avis en réunion et sur vote, et d’élargir le processus consultatif à d’autres administrations intéressées.

Enfin, on doit préciser que si le pétitionnaire promoteur d’une grande surface commerciale souhaite avoir une dérogation à la distance minimale à partir des limites de la zone couverte par un plan d’aménagement, il devra à la fois obtenir la dérogation par voie de décret et l’autorisation d’implantation par voie d’arrêté ministériel.

2)      La procédure et conditions d’autorisation

L’article 11 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme prévoit que l’autorisation du ministre chargé du commerce n’est délivrée que selon une procédure et des conditions à préciser par décret. Le décret d’application devra, en particulier, fixer les conditions relatives à « la construction des parkings dépendant des surfaces commerciales » ainsi que « les travaux d’aménagement que le promoteur doit effectuer à ses frais afin que les voies menant à ces surfaces commerciales répondent aux exigences de la circulation routière générée par le projet ». Aucun décret d’application n’a été publié[14]. La loi de 2009 n’a ni comblé le vide ni remis en cause les dispositions du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Or il est de jurisprudence constante que si une loi, une fois promulguée, devient exécutoire à partir du moment où sa promulgation est connue, son entrée en vigueur se trouve différée lorsque la loi contient des dispositions subordonnant expressément ou nécessairement son exécution à une condition déterminée.

Comme conséquence directe de la conclusion précédente, il faut considérer qu’en l’état actuel du droit positif tunisien seules les dispositions du décret n°99-2253 du 11 octobre 1999 portant approbation du règlement général d’urbanisme, tel que modifié par le décret n°2002-2683 du 14 novembre 2002 sont applicables. L'administration a l’obligation de prendre les mesures réglementaires indispensables à l'exécution des lois.


[1] Art. 5 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
[2] Art. 11 (bis) du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
[3] Art. 27 du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
[4] Décret n°2010-1765 du 19 juillet 2010, portant fixation de la composition et des modalités de fonctionnement de la commission nationale d’urbanisme commercial.
[5] C.E. 30 sept. 1987, S.A. Sacex Interrégion parisienne, Rec. Lebon., p. 298.
[6] Voir infra
[7] Dominique Moreno, Urbanisme et équipement commercial, éd. Economica, 1999, p. 46.
[8] Voir infra.
[9] Art. 3-a de l’arrêté du ministre de l’équipement et l’habitat du 3 octobre 1995 portant définition des pièces constitutives du plan d’aménagement.
[10] Voir infra.
[11] La loi Doubin de 1990 est intervenue pour fixer les critères légaux de la notion d « ensemble commercial ».
[12] La compétence pour approuver l’étude est dévolue à l’ANPE alors que l’article 11 prévoit la compétence du ministre. Il s’agit en réalité d’une délégation administrative.
[13] Arrêté du ministre de l’environnement et du développement durable du 2 mars 2006, portant approbation des cahiers des charges relatifs aux procédures environnementales que le maître de l’ouvrage ou le pétitionnaire doit respecter pour les catégories d’unités soumises aux cahiers des charges.
[14] Voir les arrêtés du ministre du commerce et de l’artisanat fixant les prestations administratives rendues par les services relevant du ministère du commerce et des établissements sous tutelle (arrêté du 15 juin 2005, tel que modifié et complété par l’arrêté du 9 décembre 2005, l’arrêté du 14 décembre 2006 et l’arrêté du 24 octobre 2007).

dimanche 18 septembre 2011

LA DELIMITATION DES FONCTIONS DE PRODUCTION ET DE DISTRIBUTION


LA DÉLIMITATION DES FONCTIONS

DE PRODUCTION ET DE DISTRIBUTION


La loi n°2009-69 du 12 août 2009, relative au commerce de distribution, n’a pas remis en cause l’apport de la loi n°44-91 du 1er juillet 1991, qui a nettement distingué les rôles des producteurs et celui des distributeurs. Le trait caractéristique de ces textes est la consécration d’un circuit long, où chaque phase de processus de distribution est assurée par une entreprise indépendante au plan juridique. On rencontre dans ce processus trois types d’opérateurs correspondant aux trois fonctions de distribution[1] : les producteurs, les grossistes et les détaillants. Plus explicitement, la loi ne permet pas, en principe, aux producteurs industriels d’exercer le commerce de distribution. La vente directe de leurs produits aux consommateurs est restreinte (1). De leur côté, les distributeurs ne peuvent pas cumuler les fonctions de gros et de détail que sous certaines conditions (2).

1.- LA DIFFUSION PAR LES PRODUCTEURS INDUSTRIELS


Les alinéas 1er et 2 de l’article 7 de la loi du 1er juillet 1991 interdisaient en principe aux producteurs, autres que les agriculteurs et les artisans, au niveau de leur entreprise de production d’exercer le commerce de distribution en gros ou en détail (1.1). De même les  producteurs ne peuvent vendre directement leurs produits aux consommateurs qu’exceptionnellement sous certaines conditions (1.2). Les mêmes dispositions ont été littéralement reproduites, sous la même numérotation, par la loi de 12 août 2009. Le but évident de ces restrictions à l’activité commerciale des producteurs est d’éviter qu’ils entrent en concurrence avec les distributeurs.

1.1.- Le principe de l’interdiction du commerce de distribution aux producteurs

L’article 7 de la loi du 12 août 2009 dispose que « le producteur industriel ne peut, au niveau de son entreprise de production, exercer le commerce de distribution en gros ou en détail. La conséquence de ce texte est d’interdire aux producteurs d’acheter des produits qu’ils revendent en l’état ». D’une manière plus simple, il est interdit au producteur d’acheter un produit en vu de le vendre en l’état. Sa fonction est de faire des opération de transformation.

La règle posée par l’article 4 est mal comprise par les parlementaires. Lors de la discussion du projet de la loi de 1991, les commissions parlementaires se sont interrogées s’il est logique de traiter du commerce des industriels dans une loi consacrée aux distributeurs. Il a été également observé qu’il est aberrant de vouloir interdire aux producteurs de commercialiser leurs produits sur le marché. En outre, certains députés ont souligné d’une part, l’inopportunité de la disposition qui empêche le consommateur de se procurer directement auprès des industriels de produits à prix bas[2] et d’autre part, la contradiction du projet de loi qui permet aux grossistes, contrairement aux producteurs, de vendre directement aux consommateurs[3].

En réponse à ces critiques, le Ministre de l’Economie Nationale a précisé que le texte se limite simplement à préciser le rôle du producteur dans les circuits de distribution. Il justifie la mesure par le double objectif de pousser les producteurs à maîtriser leur production, pour l’améliorer qualitativement et quantitativement[4], et d’assurer les conditions d’une concurrence loyale entre les secteurs[5].

Cette dernière justification est importante car il arrive que les relations soient tendues entre le distributeur et le fabricant. Celui-ci considère parfois l’utilisateur comme son propre client et le distributeur comme un simple intermédiaire. Les difficultés peuvent surgir quand il s’agit de déterminer les lignes de produits à confier aux distributeurs. Certaines entreprises distribuent elles-mêmes leurs produits aux clients les plus rentables. D’autres se réservent l’exclusivité des lignes de produits qui génèrent les profits les plus élevés. Il peut même arriver qu’un fabricant distribue un produit directement même si des distributeurs sont chargés de cette tâche. Les prix que le fabricant demande aux clients peuvent être sensiblement les mêmes que qu’il impose au distributeur, une relation de concurrence s’établit alors entre eux.

La rédaction de l’alinéa 1er de l’article 7 peut, à certains égards, paraître problématique. En effet, quel sens peut-on donner à la phrase selon laquelle le producteur ne peut pas « au niveau de son entreprise de production et en sa qualité de producteur exercer l’activité du commerce de distribution ? L’entreprise de production est-elle l’usine de production, en tant que local aménagé en vu de l’accomplissement de l’activité industrielle, ou plutôt la personne ou l’être juridique qui s’adonne à cette activité ? Le choix d’un sens au lieu d’un autre conduit à des conséquences différentes. Ainsi dans le premier cas, le producteur-distributeur devra ouvrir un local distinct de son usine, local spécialement aménagé pour l’exercice du commerce de distribution, alors que dans le deuxième cas, il devra confier l’activité de distribution à une personne juridique distincte mais soumise à son contrôle de droit ou de fait.

Les travaux préparatoires reflètent cette ambivalence du concept « entreprise ». Ainsi à une demande de clarification du projet de l’article 7, le Ministre de l’Economie Nationale a répondu que « le commerçant ne peut exercer le commerce de distribution dans les locaux de production ». Cependant il a ajouté que « si le producteur choisit de s’adonner au commerce de distribution, il devra le faire dans le cadre d’une entreprise commerciale indépendante juridiquement de son entreprise de production »[6]. « Il agira alors dans le cadre d’une entreprise dotée de la personnalité morale constituée même avec un capital réduit [7]». Cette deuxième interprétation est plus conforme à l’intention du législateur. On considérera que c’est la même solution qui est reconduite par la loi de 2009.

1.2.- La restriction de la vente directe par les producteurs aux consommateurs

La vente directe par les producteurs de leurs produits aux consommateurs est autorisée à titre exceptionnel[8] selon deux régimes, l’un est permanent (b), l’autre est conjoncturel (c). Mais avant de commenter ces deux régimes nous devons définir le concept de consommateur (a).
a)      Définition du consommateur

Ni la loi de 1991, ni celle de 2009 ne donnent une définition du consommateur. La loi n°92-117 du 7 décembre 1992, relative à la protection du consommateur, ne fait pas mieux en le définissant comme « celui qui achète un produit dans le but de le consommer ». Le mérite d’une définition plus significative est revenu aux lois n° 98-38 du 2 juin 1998, relative aux facilités de paiement et n° 98-38 du 2 juin 1998, relative aux techniques de vente et de publicité commerciale. Selon ces deux lois, « est consommateur celui qui achète un produit en vue de le consommer ou un service pour en bénéficier à des fins autres que professionnelles ». Cette définition met l’accent sur l’usage personnel et non professionnel que l’acheteur destine aux biens acquis[9].

La définition que nous avons donnée du consommateur ne résout pas toute la difficulté d’interprétation de l’article 7 de la loi de 1991. La question est de savoir si un producteur peut effectuer directement une vente au détail à un autre professionnel, voire même à une administration ou établissement public. Une telle question suppose implicitement une interdiction absolue faite dans l’alinéa 1er de l’article 7 aux producteurs de vendre leurs produits au détail aussi bien à des consommateurs pour leur usage domestique que pour les professionnels pour leurs activités professionnelles[10]. Comprise dans ce sens, l’exception de vente directe aux consommateurs dans les conditions définies par un décret apparaît comme la seule concession faite aux producteurs. Elle pourrait être justifiée par la volonté de protéger la vocation des grossistes qui achètent aux producteurs par grandes quantités pour les revendre en plus petites quantités à des utilisateurs professionnels (détaillants, industriels, artisans, prestataires de services à caractère commercial) et à des collectivités.

b)     Le régime permanent de la vente directe par les producteurs industriels aux consommateurs

L’alinéa 3 de l’article 7 prévoit que le producteur peut vendre directement au consommateur selon des conditions déterminées par décret. Le Ministre de l’Economie Nationale a donné lors de la discussion du projet de loi quelques indications sur les conditions d’application de l’alinéa 3. Il a, notamment, cité les cas des produits nouveaux pour lesquels les circuits de distribution ne sont pas encore développés. Mais il a précisé que le principe de l’interdiction du commerce de distribution retrouve application si les conditions économiques changent.

A l’heure actuelle, le décret n°2010-828 du 20 avril 2010 encadre la vente directe par le producteur au consommateur. Ce décret abroge et remplace le décret n°92-351 du 17 février 1992[11]. A bien regarder, on trouve que le nouveau décret est une reproduction de l’ancien. Rien n’explique donc cette abrogation.
La vente directe au consommateur peut être perçue comme contribuant à une réduction des coûts. C’est d’ailleurs la justification habituelle qu’on apporte au soutien des circuits courts de distribution. « Mais la littérature économique nous a appris qu’une institution peut trouver intérêt à conserver le contrôle d’opérations de distribution au lieu de les déléguer au canal, et ceci afin de maximiser son profit. Ce choix conduit à un raccourcissement du canal, puisque le nombre des intermédiaires est plus faible. Mais la firme qui conserve le contrôle des opérations de distribution pourra tirer parti de sa situation pour accroître ses profits, éventuellement au détriment du coût du fonctionnement du canal que subira l’acheteur final.

Les règles issues du décret de 2010 prévoient les cas suivants où le producteur peut vendre directement aux consommateurs :

1) La vente dans les magasins implantés dans l’enceinte même du lieu de production sous réserve que ces magasins répondent aux conditions suivantes :
- être aménagés et ouverts au public selon les usages professionnels
- avoir une comptabilité distincte

Il s’agit, dans ce cas, des ventes dans des magasins d’usine. Le consommateur doit avoir de la peine à visiter le magasin ; il n’est pas toujours facile à faire le déplacement car souvent l’usine est située dans une zone industrielle, loin des zones d’habitation. Le consommateur se trouve donc obligé d’engager des dépenses spécifiques qu’il ne peut rentabiliser que s’il fait des achats de grande importance ou s’il trouve le prix intéressant par rapport au commerce traditionnel[12]. Le magasin d’usine doit être aménagé dans les mêmes conditions qu’un commerce de détail ordinaire selon les usages professionnels.

2) La vente effectué pour le compte de l’entreprise par des commerçants et ou agents commerciaux. Ces cas visent l’hypothèse où le producteur recourt à des commissionnaires pour vendre ses produits. C’est un procédé courant de distribution. Le distributeur n’est pas tenu de distribuer sa production à travers des commerçants qui achètent pour leur propre compte en vu de la revente. On précisera au passage que le contrat de commission établit un mandat sans représentation. Il en va autrement lorsque le producteur confie la distribution de ses produits à un agent commercial.

3) La vente par correspondance ou à domicile à condition qu’elles constituent une activité permanente et continue de l’entreprise[13].

4) La vente à un autre producteur lorsque le produit est utilisé par ce dernier comme matière première, produit semi-fini, matière consommable ou accessoire nécessaire à sa production. La notion de vente à un producteur doit être comprise dans un sens large : il peut s’agir d’un industriel, d’un artisan ou d’un agriculteur.

5) La vente réalisée ou opérée à la suite d’un marché négocié pour satisfaire les propres besoins de l’acheteur.

6) La vente exclusivement réservée au personnel de l’entreprise. Pour éviter que le personnel ne soit utilisé pour détourner l’interdiction de la vente directe au consommateur, le décret exige que les quantités vendues ne dépassent pas les besoins normaux d’un consommateur ordinaire.

c)      Le régime exceptionnel de la vente directe au consommateur

L’alinéa 4 de l’article 7 de la loi de 2009 prévoit que le ministre chargé du commerce peut pour des considérations d’intérêt national ou de contraintes spéciales ou conjoncturelles concernant un secteur déterminé ou à l’occasion de manifestations à caractère économique (foires par exemple), sociale ou culturel autoriser à titre exceptionnel les producteurs à vendre directement aux consommateurs.

 

La vente directe au consommateur destinée à assurer un approvisionnement normal de certaines régions dont le niveau de développement du réseau de distribution est insuffisant, semble relever aussi du régime exceptionnel de vente au consommateur prévu à l’alinéa 4 de l’article 7 de la loi de 2009.

La dérogation peut être à caractère général ou particulier ; elle est nécessairement limitée dans le temps.

2-. LA DIFFUSION PAR LES DISTRIBUTEURS

Partant du principe de la liberté du commerce, l’article 4 de la loi de 91 avait reconnu, dans sa rédaction initiale, la possibilité pour les distributeurs de cumuler les deux activités de distribution en gros et au détail. La seule condition qu’il posait est l’ouverture de locaux différents et l’enregistrement comptable distinct des opérations d’achat et de vente.

La faculté de cumul des stades de distribution reconnue par l’article 4 de la loi de 1991 était dans l’esprit du législateur une manifestation du principe de liberté du commerce proclamé par la même loi[14]. Bien plus, le régime du cloisonnement physique qu’il avait organisé, était considéré comme une solution provisoire dans l’attente de la libération des prix[15].

Le choix pour un opérateur de s’adonner à une activité de gros ou de détail n’est pas neutre sur le plan juridique[16] et sur le plan fiscal[17].

L’article 4 de la loi de 1991 avait subi une modification par la loi n°94-38 du 24 février 1994[18] où il avait organisé deux formes de cloisonnement des circuits de distribution :

-          un cloisonnement juridique ou accentué, où l’exercice du commerce de distribution au stade du  gros et de détail pour un type de produit doit être fait par des personnes juridiques différentes ;
-          un cloisonnement physique ou atténué, qui exige simplement l’ouverture de locaux différents et la mise en place d’une comptabilité distincte pour chaque activité.

La nouvelle rédaction de l’article 4 de la loi de 1991 constituait donc un revirement inattendu. Ledit article prévoit désormais la possibilité de supprimer la faculté de cumul des stades de distribution par l’exigence d’une séparation juridique. Une personne ne peut distribuer un même produit à la fois au stade du gros et au stade du détail. Il appartient à l’administration le pouvoir de déterminer les secteurs concernés par cette interdiction de cumul.

Aucune indication n’est donnée par l’article 4 (nouveau) sur les conditions de fond de son application. Cependant dans l’exposé des motifs du projet de la loi de 1994, il a été précisé que le non-cumul des commerces de gros et de détail est justifié par la structure du marché et la distinction qu’il recèle, en fait, entre les deux types de circuits. Pour les secteurs où la distinction n’est pas solidement assise, les opérateurs ne sont tenus qu’à une séparation atténuée ou physique de leurs activités.

Au vu de cette justification, l’interdiction du cumul est appelée à n’être qu’une consécration juridique d’une séparation déjà opérante dans les faits. C’est pour cette raison que la commission parlementaire chargée de l’examen du projet de réforme de la loi de 1991, a, légitimement, posé la question des indices qui permettent à l’administration la reconnaissance de l’existence d’une distinction entre les structures de commerce de gros et de commerce de détail et de là l’interdiction de leur cumul. La commission parlementaire a même demandé que lui soient fournis quelques exemples d’illustration.

La réponse de l’administration n’était pas précise. Elle s’est contentée de remarquer que ces indices sont tirés des usages de commerce et de la réalité du marché. L’administration cite comme exemple de secteurs où la différenciation des activités de commerce de gros et de détail est suffisamment établie, le commerce des produits alimentaires, la papeterie et les boissons. En revanche, certains secteurs ne connaissent qu’un seul stade de distribution, celui du détail. Tels est le cas par exemple le commerce des produits électriques.

Mais quoiqu’il en soit, la réalité du marché est insuffisante à justifier la réforme proposée. Le passage d’une situation de non-cumul spontané à une situation de non-cumul obligatoire est de nature à restreindre le principe de la liberté de commerce proclamé par l’article 1er de la loi de 1991. L’administration avait justifié cette entorse au principe par le non-respect du régime initial de séparation des locaux et de la comptabilité ce qui est de nature à porter atteinte à la loyauté dans la concurrence[19] et à la transparence des prix[20] de sorte que la séparation juridique des activités apparaît comme le meilleur remède[21].

De tels propos nous autorisent à dire que les pouvoirs publics ont résolu les dysfonctionnements des structures de contrôle économique et la timidité de la répression[22] par une mesure radicale d’interdiction.

Un arrêté du Ministre de l’Economie Nationale en date du 15 juillet 1994 a fixé la liste des secteurs d’activités commerciales devant comprendre obligatoirement deux circuits de distribution[23]. Il s’agit des secteurs des fruits et légumes, poissons, mollusques et crustacés, produits alimentaire et agro-alimentaires, produits avicoles, boissons à emporter, chaussures, textiles et prêt à porter, articles de maroquinerie, articles de librairies, articles de quincaillerie et de droguerie, articles de lainage et d’électroménager, article de mercerie, matériel électrique, matériels et équipements informatiques, pièces de rechange, pneumatique et matériaux de construction et bois.

En cas d’importation de produits et marchandises en vue de la revente en l’état, la distinction des deux stades de distribution est également obligatoire, à l’exception des magasins à rayon multiples.

La loi de 2009 a modifié sensiblement les règles posées par la loi de 1991. Elle énonce que « sans préjudice à la législation spécifique, l’activité de commerce de distribution est exercée au stade du gros ou au stade du détail. En cas de cumul entre les deux stades, la séparation entre les locaux de vente en gros et les locaux de vente de détail est obligatoire ainsi que la tenue d’une comptabilité distincte pour chaque stade ». Le nouveau texte n’impose plus un cloisonnement juridique des activités de gros et de détail. Une telle séparation ne peut résulter que d’une législation spéciale. Il faudra donc qu’une loi soit à l’origine de la séparation et non un acte réglementaire comme c’était le cas sous l’empire de l’ancienne loi. Le commerçant distributeur est donc libre, en droit commun, d’opter pour le système de cumul des stades de distribution. Mais dans un tel cas, il lui faudra opérer une séparation physique et comptable des activités. Le législateur revient donc aux règles initialement établies par la loi de 1991.

Le non-respect de l’interdiction du cumul des deux formes de distribution pour un même produit est sanctionné selon l’article 33 de la loi de 2009 par une amende allant de 300 à 3.000 DT.

Le commerçant grossiste qui cumule les fonctions de détail d’une manière irrégulière risque également d’engager sa responsabilité civile envers ses clients détaillants qui peuvent lui reprocher la désorganisation de leurs activités.


[1] La loi de 1991 ne traitait pas du rôle des consommateurs en matière de distribution. La lacune est comblée par la loi de 2009 ou elle reconnait expressément les centrales d’achat.
[2] Délibérations de la Chambre des Députés, page  2045.
[3] Sur la possibilité de cumuler le commerce de gros et de détail, voir infra deuxième partie.
[4] Délibérations de la Chambre des Députés, page  2038.
[5] Le Ministre de l’Economie Nationale précise également que dans certains secteurs, la production industrielle est non-concurrentielle de sorte qu’en ouvrant la porte à la commercialisation directe au consommateur il y a un risque de consolidation des positions dominantes.
[6] Délibérations de la Chambre des Députés, page 2043.
[7] Délibérations de la Chambre des Députés, page 2054.
[8] En droit français, les ventes directes d’usines étaient régies par l’article 39 de la loi n°73-1193 du 27 décembre 1973 et le décret n°74-429 du 15 mai 1974. Elles étaient soumises à autorisation du maire sauf les exceptions ci-après : les ventes dans les magasins de l’entreprise lorsque ceux-ci sont spécialement aménagés à cet effet et ouvert au public selon les usages locaux, les ventes par correspondance ou à domicile quand elles constituent une activité permanente de l’entreprise, des ventes exclusivement réservées au personnel de l’entreprise, des ventes effectuées pour le compte de l’entreprise par des commerçants ou des agents commerciaux régulièrement immatriculés des et des ventes effectuées par les entreprises inscrites au répertoire des métiers. Ce système a été abrogé par la loi n°96-603 du 5 juillet 1996. Les ventes directes aux consommateurs ne sont désormais soumises à autorisation que si elles constituent des ventes au déballage.
[9] Gérard Cornu définit le consommateur comme « 1. Tout acquéreur non professionnel de biens de consommation destinés à son usage personnel ; 2. Tout bénéficiaire non professionnel de services fournis par des professionnels ». Vocabulaire juridique, p. 193, 5 éd., PUF – Delta 1996.
[10] Cette interprétation extensive de l’interdiction est d’ailleurs suggéré par une réponse donné par le Ministre de l’Economie Nationale aux députés : « le producteur doit vendre ses produits aux personnes que la présente loi autorise s’adonner au commerce de distribution ». Débats parlementaires, p. 2055.
[11] Les anciens textes, pris en application de la loi de 70, ne reconnaissent au producteur la possibilité de pratiquer la vente directe que sous des conditions strictes. Le producteur doit solliciter l’agrément pour la vente au détail de sa propre production. L’autorisation lui est donnée s’il ressort du dossier qu’une telle vente est de nature :
-          soit à faciliter l’écoulement de certaines productions ;
-          soit de permettre un approvisionnement normal de certaines régions ;
-          soit à réduire le coût de la distribution ».
[12] La possibilité de vendre directement aux consommateurs vise, parfois, l’écoulement de certaines productions constituant de ses surplus, des articles déclassés et des produits de second choix. Etant précisé que la loi n° 98-40 du 2 juin 1998, relative aux techniques de vente et de publicité commerciale soumet la vente des produits sous la forme de soldes périodiques ou saisonnières à une déclaration préalable au ministère du commerce. Voir notre article sur le lien suivant : http://samifrikha.blogspot.com/2011/09/les-soldes-saisonniers-et-les.html En France, le « magasin d’usine » ne peut être utilisé qu’à condition que les exposants soient des fabricants ou des intermédiaires mandatés par ceux-ci et vendant exclusivement pour leur compte les produits exposés. « Il s’agit par là d’éviter que des commerçants agissent sous un prête-nom et trompent le consommateur sur l’origine des biens qu’ils vendent ». Cette distinction montre bien la distinction qui doit être faite entre le fabricant qui écoule ses propres produits de second choix et le soldeur professionnel dont l’activité habituelle est d’acheter à des commerçants de gros ou de détail ou à des fabricants des marchandises neuves dépareillées, défraîchies, démodées ou de deuxième choix en vue de les revendre dans un local où il exerce son commerce. Par ailleurs, la crainte a été exprimée de voir certains producteurs tentés de fabriquer de deuxième choix soit pour des sous-marques, soit pour des gammes de produits génériques. N’y a-t-il pas un risque de dérive vers une production de productions déclassées spécialement destinées aux magasins d’usines ?
[13] La vente par correspondance et le démarche sont régies par les articles 25 à 34 de la loi n°98-40 du 2 juin 1998, relative aux techniques de ventes et à la publicité commerciale. Ce sont des ventes hors locaux de l’entreprise et des ventes à distance.
[14] Voir les délibérations de la Chambre des Députés p. 2032 année 1991.
[15] Ibid, p. 2032.
[16] Le choix du statut de grossiste risque de poser une difficulté lorsque la revente du produit est faite aux consommateurs dits « grands comptes » (banques, grands industriels, administrations publiques…). Le grossiste n’empiète-t-il pas sur le détaillant ? Pour résoudre la difficulté, il faut se référer à la définition du commerçant grossiste donnée par l’article 2 al. 3 de la loi de 2009 : « Est réputé commerçant distributeur grossiste, tout commerçant, selon l’usage professionnel, procède à des achats de produits ou de marchandises en gros auprès de producteurs locaux ou à l’importation, afin de leur revente en gros ». Ainsi, le commerçant n’est pas défini par la clientèle à laquelle il vend (par exemple les revendeurs) mais par les quantités vendues, déterminées selon les usages. Cette interprétation est confirmée implicitement par la définition du détaillant donnée par l’article 2 de la loi de 2009. C’est celui qui « met à la disposition du public des produits ou marchandises.. ». Selon le tribunal administratif, « la vente au détail est celle qui s’effectue au prix de détail avec une quantité raisonnable qui répond aux besoins personnels du consommateur. » TA 30 décembre 1980 Habib / Ministre de l’Economie Nationale, p. 452, Recueil des arrêts 1980.
[17] Les reventes en l’état effectuées par les commerçants grossistes exerçant dans d’autres secteurs et qui approvisionnent d’autres commerçants revendeurs (à l’exception des grossistes en alimentation générale) sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. Les ventes des produits en l’état par des commerçants détaillants qui réalisent un chiffre d’affaires annuel global égal ou supérieur à 100.000 DT, sont également soumises à ladite taxe.
[18] Nous notons au passage que la loi de 1994 a également apporté  une modification à l’article 3 de la loi de 1991 de nature à  permettre  la réglementation de certains secteurs - dont la liste sera arrêtée par décret - par voie de cahier de charges approuvé par le ministre chargé du commerce. Sur le contenu des futurs cahiers des charges, voir Mohamed Ben Fredj, mise à niveau du secteur de la distribution, p. 17, Conjoncture n° 191, juillet-août 1996.
[19] La concurrence est souvent l’œuvre du grossiste qui cumule les ventes au détail. J-M Mousserons et autres : « Il est mauvais pour un grossiste de concurrencer directement ses propres clients en bénéficiant de la contraction des marges. », droit de la distribution, p. 200, Librairies techniques 1975. 
[20] La transparence des prix est explicitement réglementée sous l’angle du commerce du détail et du commerce de gros. L’article 22 al. 1er de la loi n°91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix telle que modifiée par la loi n°95-42 du 24 avril 1995 dispose que « le détaillant doit ... informer le consommateur sur les prix et les conditions particulières de vente ». L’al. 2 du même article poursuit « dans les établissements de vente de détail, les prix de marchandises et denrées doivent être indiqués de façon lisible ». De sa part, le chapitre 2 de la même loi traite des obligations à l’égard des professionnels : l’article 27 dispose que « tout grossiste ou importateur est tenu de communiquer à tout revendeur qui en fait la demande, son barème des prix et ses conditions de vente qui comprennent le cas échéant les conditions de règlement et le cas échéant, les rabais et ristourne ». Enfin, l’article 36 de la loi considère comme une pratique des prix illicites « les ventes, par des grossistes, à des prix de détail, de quantité de quantité de marchandises correspondant habituellement à des ventes en gros ».
[21] Nous pouvons douter de l’efficacité de la séparation ainsi faite si les mécanismes de contrôle ne sont pas renforcés.
[22] Le non-respect de l’obligation de séparation physique des commerces de gros et de détail était sanctionné par une amende allant de 200 à 1000 DT.
[23] Lors de la discussion du projet de la loi portant modification de l’article 4 de la loi de 1991, le Ministre de l’Economie Nationale a tenu d’atténuer l’apparent pouvoir discrétionnaire de l’administration dans la détermination des secteurs compris dans la liste d’interdiction du cumul. Il fait observer que l’administration consultera au préalable les membres de la profession et le Conseil National du Commerce institué par la loi de 1991. Cependant, à la lecture de l’arrêté du 15 juillet 1994, nous constatons qu’il ne comporte pas dans son visa une référence à l’avis du Conseil National du Commerce. On serait tenté de conclure à son irrégularité Le Tribunal Administratif considère, en effet selon une jurisprudence constante, que la non-consultation d’un organe consultatif constitue une violation d’une formalité substantielle susceptible de justifier une nullité. T.A n°184 du 18 mai 1979 Mohamed Trad / Ministre de l’intérieur, p. 138, Recueil des arrêts 1977; T.A. n°189 du 8 décembre 1978 Mohamed Fehri Sahli / Ministre de la Santé, p. 221, Recueil des arrêts 1978. En réalité, l’article 4 (nouveau) a donné une compétence réglementaire au Ministre chargé du commerce sans exiger, expressément, une consultation  préalable du Conseil National du Commerce. L’article 10 de la loi de 1991 portant création du Conseil National du Commerce prévoit que ce dernier donne son avis sur les questions qui lui sont soumises ». Au vu de ce texte, le Conseil n’est donc compétent que pour examiner les questions que veulent bien lui soumettre les pouvoirs publics. Il n’a de compétence que celle que lui est reconnue par l’administration. Henry Roussillon, Administration consultative et représentation des intérêts professionnels, p. 39 et s. In la représentation des intérêts professionnels en Tunisie, sous la direction de Hafedh Ben Salah et Henry Roussillon, Publication de la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis 1995. Sur le faible niveau de participation du Conseil à l’élaboration des textes, voir M. Ben Fredj, le commerce de distribution : situation et perspectives, p. 25, Conjoncture n°200.