dimanche 4 mars 2018

L’interdiction de gérer une société commerciale




L’interdiction de gérer une société commerciale 


La loi n°2016-36 du 29 avril 2016 relative aux procédures collectives a introduit des nouvelles dispositions dans le Code de commerce (CC) et dans le Code des sociétés commerciales (CSC) permettant au tribunal de prononcer une sanction civile à l’encontre de certaines personnes consistant en une interdiction de gérer des sociétés. La réforme de 2016 tout en comprenant des dispositions pénales, telles que la banqueroute, ne prévoit pas l’interdiction de gérer une société comme peine pénale complémentaire. C’est une lacune grave à notre sens. 

I- L’article 589 (nouveau) CC 


L’art. 589 (nouveau) CC énonce que « le tribunal qui se prononce sur la mise en faillite d’un commerçant personne physique ou sur l’extension de faillite à un dirigeant de droit ou de fait d’une société commerciale ou un associé n’ayant pas compensé le déficit enregistré sur les actifs de la société dont il est responsable, peut interdire à la personne condamnée de gérer et d’administrer des sociétés pendant une période déterminée par le jugement sans qu’elle dépasse cinq ans. » 


L’interdiction de gérer et d’administrer prévue par ce texte est facultative pour le tribunal. Il jouit d’un pouvoir discrétionnaire tant pour décider du principe de l’interdiction que pour fixer sa durée dans la limite du plafond légal. Le pouvoir d’appréciation ne dispense pas de l’obligation de motivation. 


Les cas d’interdiction de gérer prévus à l’article 589 sont au nombre de trois. 

1- Le failli personne physique. 


L’interdiction de gérer une société peut frapper le commerçant personne physique déclarée en faillite. Ainsi paradoxalement, il ne peut pas gérer une SUARL mais il peut gérer une entreprise individuelle commerciale. C’est que le failli n’est dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens (art. 486 du CC) que pendant la procédure de faillite mais une fois qu’elle est clôturée, dans les conditions de l’article 548 (nouveau) et suivant, il n’est plus soumis à une quelconque restriction commerciale. Le législateur conserve sur ce point la solution antérieure où, selon l’art. 556 (ancien) CC, le failli peut reprendre ses activités commerciales ; il n’est déchu que de l’exercice de ses droits civiques. Il n’est ni électeur ni éligible aux assemblées politiques et professionnelles et ne peut occuper une fonction ni charge publiques. Ces déchéances sont abrogées par la loi de 2016. Seule donc possible l’interdiction de gérer décidée souverainement par le tribunal. 


2. Les dirigeants soumis à une procédure d’extension de faillite. 


L’interdiction de gérer une société peut être prononcée contre les dirigeants de droit ou de fait d’une société auxquels est étendue la faillite de celle-ci. Le législateur tire une conséquence logique du premier cas d’interdiction de gérer. Le dirigeant personne physique déclaré en faillite doit recevoir le même traitement qu’un commerçant personne physique déclaré en faillite. 


L’extension de la faillite d’une société à ses dirigeants est une situation dérogatoire car en principe la société jouit d’une personnalité morale distincte de celle de ses dirigeants ou associés. Sur le plan technique, l’extension de la faillite d’une société à ses dirigeants a pour effet de soumettre la société et le dirigeant à la même procédure de faillite. Ils subissent le même dessaisissement et leurs passifs et actifs constituent une seule masse. 


L’extension de la faillite d’une société aux dirigeants est consacrée par le législateur dans deux textes distincts que nous rappelons brièvement. 

L’art. 590 (nouveau) CC, énonce « qu’en cas de faillite d'une société, la faillite peut être déclarée commune à toute personne qui, sous le couvert de cette société, masquant ses agissements, a fait, dans son intérêt personnel, des actes de commerce et disposé en fait des biens sociaux comme de ses biens propres » C’est la situation de confusion de patrimoine qui justifie la solution. 


Le CSC permet à son tour d’étendre la faillite d’une société appartenant à un groupe de sociétés aux dirigeants d’une autre société du même groupe. L’al. 2 de l’art. 478 prévoit en effet que « la faillite d’une société peut être étendue à tout dirigeant de droit ou de fait des autres sociétés appartenant au groupe de sociétés s’il est établi que la faillite est due à leur fait ». La disposition ne concerne pas les dirigeants de la société déclarée en faillite. Ceux-ci demeurent soumis au droit commun. Ils peuvent être condamnés au comblement du passif (art. 121 et 214 CSC), ou être soumis à l’interdiction de gérer (voir infra II). Ainsi paradoxalement, leur sort est meilleur que celui des dirigeants des autres sociétés appartenant au groupe des sociétés qui peuvent souffrir d’un jugement d’extension de la faillite. L’al. 2 de l’article 478 CSC est rédigé en termes généraux sur un triple niveau. D’abord, sont visés par l’extension de la faillite aussi bien les dirigeants de droit que les dirigeants de fait. Ensuite, le texte ne distingue pas entre les dirigeants personnes physiques et les dirigeants personnes morales. Enfin, sont visés les dirigeants des autres sociétés du groupe. Le plus souvent, ce sont les dirigeants de la société mère qui sont touchés par la mesure d’extension. Les juges disposent ainsi d’une grande marge d’appréciation pour étendre la faillite à tout dirigeant d’une société d’un groupe qui a été la cause de la faillite d’une autre société du groupe. 

3. Le non-paiement par les dirigeants du passif mis à leur charge. 


L’interdiction de gérer frappe selon l’art. 589 CC, « l’associé qui n’a pas comblé l’insuffisance d’actif de la société dont il est responsable. » Le texte est mal rédigé car il faut viser non l’associé mais le dirigeant social. La règle de l’article 589 ne peut être comprise que si elle est reliée avec les art. 121 et 214 CSC qui permettent au tribunal de condamner les dirigeants au comblement du passif en cas d’ouverture d’une procédure de règlement judiciaire ou de faillite. La mesure est facultative pour le tribunal et elle est basée sur une présomption simple de faute de gestion. 

Ce troisième cas d’interdiction de gérer pose un problème d’articulation avec les art. 121 et 214 CSC. 

Ces textes, rappelons-le, permettent tout à la fois au tribunal de condamner les dirigeants de droit ou de fait à combler l’insuffisance d’actif et de prononcer une interdiction de gérer à leur encontre pour une durée fixée par le jugement. Le tribunal ne peut pas fixer une interdiction de gérer perpétuelle. Mais une interdiction de longue durée de dix ans, de quinze ans voire même de vingt ans est valable. 

Il n’y a pas de difficulté lorsqu’en application de l’art. 121 ou 214, le tribunal condamne le dirigeant au comblement du passif sans le frapper d’une interdiction de gérer. L’art. 589 CC produit ses effets ; le tribunal peut sur sa base imposer une interdiction de gérer dans la limite de cinq ans justifiée par le de défaut de paiement du passif. 

La difficulté est sérieuse en présence d’une interdiction de gérer prononcée par le tribunal concomitamment avec la condamnation au comblement du passif. A notre avis, il est tout à fait possible qu’une deuxième interdiction de gérer intervienne contre un dirigeant pour une durée maximale de cinq ans alors même qu’il est sous l’effet d’une interdiction de gérer antérieure en cours. Le cumul des interdictions de gérer est possible car le fait générateur est distinct. 

II- L’interdiction de gérer du P-DG, du président et directeur général d’une société anonyme 


La suppression de l’ancienne déchéance attachée par la loi à la faillite (voir supra I-1) a entraîné une réécriture des art. 213, 216 et 217 CSC régissant un aspect du statut du président-directeur général, du président du conseil d’administration et du directeur général. Désormais, ces dirigeant es-qualité font systématiquement l’objet d’une interdiction de gérer des sociétés. On exposera la teneur de la réforme puis on fera quelques petites comparaisons entre les autres textes organisant la même sanction professionnelle. 

1. La teneur de la réforme. 


Continuant une ancienne règle du CC, le CSC attribue au président-directeur général (art. 213) et au directeur général (art. 217) la qualité de commerçant. La commercialité est qualifiée imparfaite par la doctrine car ses effets sont limités au seul cas de prononcé de la faillite de la société. Celle-ci entraîne à l’encontre du dirigeant les déchéances attachées par la loi à la faillite. Le tribunal peut toutefois l’affranchir de la déchéance s’il est établi que la faillite n’est pas imputable à des fautes graves commises dans la gestion de la société. Comme la sanction par la déchéance a été supprimée, la nouvelle loi de 2016 l’a remplacée par l’interdiction de gérer une société. Désormais selon l’art. 213, « dans le cas d'un jugement de faillite à l’encontre d’une société anonyme, il sera interdit au président directeur général l’exercice de fonctions de gestion de sociétés et ce durant cinq ans de la date du prononcé du jugement. » La même règle est consacrée par l’article 217 pour ce qui concerne le directeur général, avec toutefois une malencontreuse erreur de rédaction. Il est en effet prévu que « l’interdiction est prononcée s’il est établi que le directeur général s'est immiscé dans la gestion de la société. » Cette dernière condition est mal venue car un directeur général est par définition le seul habilité à diriger la société et on ne peut parler à son propos d’une immixtion dans la gestion. Si immixtion existe, elle est l’œuvre du président du conseil d’administration auquel cas, selon l’article 216 in fine CSC, il peut être frappé d’une interdiction de gérer. 

2. Petites comparaisons entre les textes. 


On terminera ces commentaires par deux précisions comparatives entre les textes organisant une interdiction de gérer. 

Une première comparaison est à faire entre les art. 213, 216, et 217 CSC d’une part et l’art. 589 CC d’autre part. Dans la première série d’articles, l’interdiction de gérer est plus rigoureuse. Elle est à la fois automatique, ne donnant au tribunal aucun pouvoir d’appréciation, et ferme, pour une durée de cinq ans. Or en vertu de l’article 589 l’interdiction de gérer est à la fois facultative et modulable sur une période maximale de cinq ans. 

Une deuxième comparaison est à faire entre les mêmes art. 213, 216, et 217 d’une part et l’art. 214 du même code d’autre part. Dans la première série de dispositions, l’interdiction de gérer est liée au prononcé d’un jugement de faillite contre la société alors que dans l’article 214 elle est liée à l’apparition d’une insuffisance d’actif dans une procédure collective. Dans ce dernier cas, le tribunal a un pouvoir souverain d’appréciation et peut moduler la durée de l’interdiction sans être astreint à un plafond. Le cumul d’interdiction, on l’a vu, est possible.

Publié in le Manager, Février 2018.