samedi 29 juin 2019

Chronique de jurisprudence commerciale Florilège d’arrêts en matière de baux commerciaux


Chronique de jurisprudence commercialeFlorilège d’arrêts en matière de baux commerciaux


L’expression baux commerciaux désigne les baux de locaux à usage commercial. Ils sont régis tout à la fois par le droit commun du contrat de bail, contenu dans le Code des obligations et des contrats, et par un texte spécial (la loi n°77-37 du 25 mai 1977) qui apporte en la matière des règles dérogatoires, considérées comme étant d’ordre public.

Le droit au renouvellement du bail. La destination commerciale du local

Le champ d’application de la législation spéciale est cantonné aux « baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds de commerce est exploité pendant deux années consécutives au moins, que ce fonds appartienne à un commerçant, industriel ou artisan. » Une difficulté récurrente concerne l’artisan qui souhaite renouveler son bail à l’expiration de sa durée. Littéralement, la loi ne vise que l’artisan qui exploite un fonds de commerce. L’exigence semble être saugrenue. Un artisan, de services ou de production, exploite normalement un fonds artisanal, mais c’est insuffisant pour qu’il bénéfice de la protection légale. Par deux arrêts, la Cour de cassation dénie à un réparateur de vélos (Cass., n°57530 du 15 mars 2018) et un coiffeur (Cass., n°55032 du 10 mai 2018) le bénéfice du renouvellement du bail, faute d’exploiter un fonds de commerce. Ces artisans ont prétendu exercer une activité de négoce en effectuant des actes d’achats en vue de la revente de produits en plus de leur activité artisanale. Le réparateur de vélos serait un revendeur de pièces détachées d’occasion et le coiffeur un revendeur de produits de soins corporels. Les juges de fond, dans l’appréciation qu’ils ont fait des éléments de preuve ont rejeté leurs prétentions. Soit que les preuves étaient constituées après le préavis de non-renouvellement, soit que les achats étaient pour la consommation artisanale, soit, enfin, qu’aucune inscription n’était prise au registre du commerce. Exceptionnellement, l’artisan coiffeur pour dames s’est vu reconnaitre un droit au bail (Ch. réunies. 42233 du 13 mars 1995, commentaires Fatma Bouraoui-Dargouth, RTD 1997, p. 85). Un arrêt propose de requalifier l’artisanat en industrie lorsqu’il y a des actes de spéculation sur les équipements ou matières premières (Cass. 51366 du 22 nov. 2011, in Etudes en droit commercial, Latrech, p. 410). Un artisan, dont le contrat indique la destination artisanale du local loué, trouve de la peine à se prévaloir de l’exercice du commerce. On lui objectera avoir commis une faute en changeant unilatéralement la destination du local. Comme il a été justement remarqué « le caractère de la location est déterminé non par l’usage que le locataire a pu faire de la chose louée mais la destination que les parties sont convenues de lui donner au moment du contrat » (Lamy droit commercial 2019, n°1006). En droit comparé français, le législateur reconnaît le droit au renouvellement du bail tant aux commerçants exploitant un fonds de commerce qu’aux artisans exploitant un fonds artisanal.
Un local ayant une vocation commerciale au début du contrat peut la perdre s’il était utilisé à des fins civiles, telles que l’habitation (Cass., 50898 du 29 mars 2018). Indépendamment de la faute qui consiste à changer la destination contractuelle du local, il n’existe plus de fonds de commerce et du coup le droit au renouvellement ne peut être reconnu au preneur.

L’indemnité d’éviction. Le délai de forclusion

Le bailleur qui entend refuser le renouvellement du contrat est tenu de donner congé au locataire six mois à l’avance. Le congé signifié par huissier de justice doit indiquer les motifs de non-renouvellement et reprendre les termes de l’article 27 de la loi 1977. Cet article traite de la procédure à suivre par le locataire s’il entend contester les motifs de non-renouvellement ou obtenir une indemnité d’éviction. Le locataire dispose d’un délai de 3 mois (90 jours exactement) pour porter l’action devant le tribunal compétent. Le délai pour agir a une nature particulière que la Cour de cassation a rappelée. Il s’agit d’un délai de forclusion qui ne peut être interrompu ou suspendu à la différence du délai de prescription. Dans un arrêt (Cass., n°40744 du 31 mai 2017), le locataire s’est trompé de tribunal compétent et a dû refaire l’action mais c’était hors délai. Le délai de forclusion, contrairement à la prescription, touche à l’ordre public et peut être soulevé d’office par le tribunal, même pour la première fois devant la Cour de cassation (art. 13 CPCC ; Cass., n° 51867 du 12 avr. 2018).

L’indemnité d’éviction. Sa détermination.


L’article 7 al. 1er de la loi de 1977 énonce que l’indemnité d’éviction due par le bailleur est, sauf exceptions dans certains cas spécifiques, égale « au préjudice causé au commerçant par le défaut de renouvellement du bail. » Mais l’al. 2 du même article donne des critères d’évaluation. « L’indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur. » Dans un arrêt (Cass., n°45027 du 15 nov. 2017, mentionné dans le rapport annuel de la Cour de cassation de 2017, p. 219), la Cour suprême considère, que l’emploi de l’adverbe « notamment » donne aux critères légaux un caractère énonciatif. Elle en tire la conséquence que le dommage réparable peut être une perte subie ou un gain manqué et de là le preneur doit être « dédommagé de la valeur des améliorations qu’il a apportées au local dont il était évincé ». La Cour de cassation censure ainsi la cour d’appel qui a refusé d’intégrer la valeur des améliorations dans le calcul de l’indemnité d’éviction. La solution manque, à notre avis, de rigueur juridique. L’indemnité d’éviction est une réparation du défaut de renouvellement. Généralement, on considère que le fonds de commerce est soit perdu, et le preneur doit recevoir une valeur équivalente pour acquérir un autre fonds auquel s’ajoute les droits d’enregistrement de la mutation (valeur de remplacement), soit simplement déplacé, auquel cas le preneur ne peut prétendre qu’aux frais de déménagement et de réinstallation (valeur de déplacement). En égard au caractère énonciatif des critères légaux, on peut retenir d’autres aspects du préjudice réparable, tels que les indemnités de licenciement du personnel ou les pertes financières résultant de l'arrêt d'activité du locataire. Mais la valeur des améliorations financées par le preneur en cours du bail relève du jeu de l’accession et elle est régie par les clauses du contrat et, à défaut, par l’article 36 du Code des droits réels. 

La révision judiciaire du loyer. La demande de révision

L’article 22 de la loi n°77-37 dispose que le loyer des baux à renouveler ou à réviser doit correspondre à la valeur locative. Le bailleur ou le preneur peut demander la révision du loyer selon une périodicité de trois ans au moins à partir de la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La demande en révision, à la hausse ou à la baisse, est signifiée par une partie à l’autre par huissier de justice. Faut d'accord entre les parties dans le délai de 3 mois de la notification, la demande de révision sera jugée selon une procédure fixée à l’article 28. Le délai de trois mois est donc un délai laissé aux parties de trouver un accord. A défaut, la partie la plus diligente (en principe le demandeur de la révision), peut saisir le tribunal compétent. En pratique et afin échapper aux conséquences de la demande de révision, l’autre partie agit pour en requérir la nullité, généralement pour défaut de respect du délai de trois ans ou pour vice de forme. L’erreur dans l’indication du loyer en cours n’est pas un vice de forme pouvant entraîner la nullité (Cass., 47864 du 24 janv. 2018). L’action en nullité est hors champs d’application de l’art 27 et obéit aux règles de droit commun tant au niveau de la compétence d’attribution qu’au niveau du délai pour agir (Cass., 48980 du 1er fév. 2018).
L’action en révision stricto sensu n’est pas enfermée dans un délai, il en va autrement quand il s’agit d’une offre de renouvellement du bail avec de nouvelles conditions. Selon l’article 27, le locataire qui n’accepte pas les nouvelles conditions financières du renouvellement doit agir dans le délai de trois mois sous peine de forclusion (Cass., 47709 du 16 janv. 2018).
Assigné à une révision du loyer à la hausse, le défendeur ne peut demander une révision à la baisse (Cass., n° 51831 du 12 avr. 2018).

Révision judiciaire du loyer. La valeur locative

Il est fréquent que le contrat de location prévoie une augmentation du loyer selon un pourcentage et des périodicités convenus. La clause d’augmentation unilatérale, énonce un arrêt, (Cass., n°51831 op. cit) ne doit pas être confondue avec la clause d’échelle mobile, qui fixe le loyer par référence à certains critères en rapport avec l’objet du contrat ou l’activité de l’une des parties. S’il est exact que la clause d’augmentation n’est pas une clause d’échelle mobile, la Cour de cassation fait erreur lorsqu’elle considère qu’une clause d’échelle mobile peut fixer le loyer en fonction de l’activité d’une partie (le locataire). Il s’agit plutôt d’une clause recettes. L’existence d’une clause recettes aboutissant à fixer un loyer variable en fonction de l’évolution du chiffre d’affaires n’est pas soumise à la révision judiciaire.  
La validité de la clause d’augmentation périodique est incertaine car, selon l’article 22 précité, le loyer des baux à renouveler ou à réviser doit correspondre à la valeur locative. Toujours est-il qu’elle reste applicable tant qu’un jugement ne soit pas intervenu pour l’annuler ou tant qu’une révision judiciaire ne soit pas intervenue (Cass., 47869 du 20 sept. 2017, in rapport annuel op. cit., p. 220).
La valeur locative est déterminée selon des critères énonciatifs fixés par l’article 22. En pratique, les tribunaux ordonnent une expertise et retiennent trois critères : la comparaison avec des locaux similaires, le rendement escompté de l’immeuble et le taux d’augmentation des prix (taux d’inflation) (Cass., n°51831 op. cit.). La référence à ces deux derniers critères ne nous semble pas correcte. Le rendement escompté par le bailleur est subjectif et la prise en compte du taux général d’inflation est contraire à l’ordre public et conduit à une inflation exponentielle.


Chronique publiée in le Manager, Juin 2019, n°253, pp. 20-21

dimanche 2 juin 2019

La clôture du compte courant Le salutaire revirement de jurisprudence


La clôture du compte courant

Le salutaire revirement de jurisprudence


Un arrêt de la Cour de cassation (Cass. civ., n°38306 du 1er mars 2017, in rapport annuel de la Cour de cassation 2017, p. 227 et s.) traite de la détermination du solde définitif du compte courant au cas où il est demeuré inactif (gelé), plus ou moins longtemps, n’enregistrant que des écritures au débit représentatives des frais de tenue de compte et agios débiteurs capitalisés.
Le titulaire du compte, condamné en l’espèce au paiement de l’entier solde débiteur à la clôture prononcé par le banquier, se pourvoit en cassation en soutenant que le compte courant du moment qu’il n’enregistre plus des remises réciproques perd sa nature juridique ou du moins est considéré comme clôturé implicitement. Il ajoute que les règles prudentielles posées par la Banque centrale de Tunisie, en matière de suivi des actifs, devaient conduire la banque, teneur du compte, à considérer qu’il est clôturé dès la cessation des remises au crédit.
L’intérêt d’une requalification du contrat de compte courant est de considérer que le débit en compte ne peut produire un intérêt débiteur de plein droit. Il faudra une stipulation expresse conformément à l’article 1097 COC. Par ailleurs, les intérêts débiteurs ne peuvent être capitalisés, avec la somme principale pour produire eux-mêmes des intérêts, que dans les conditions de droit commun, c’est-à-dire qu’en présence d’une clause expresse et le respect d’un intervalle d’une année.
Un résultat équivalent est obtenu si l’on considère que le compte courant est implicitement clôturé dès le moment où le titulaire ne fait plus des remises au crédit. En effet, l’article 737 CC dispose que « les remises produisent intérêt au taux fixé par les correspondants pour le fonctionnement du compte, ou à défaut de convention par l’usage. » Il ajoute que « sauf convention contraire et jusqu’à la clôture du compte, ces intérêts produisent eux-mêmes intérêts, à compter du jour où ils font l’objet d’une remise en compte, à condition que cette remise soit effectuée en respectant un délai de temps fixé par l’usage. » La même règle est inutilement -et maladroitement- reprise in fine de l’article 1099 COC. Ainsi à la date de clôture implicite du  compte courant, à défaut d'accord écrit entre les parties pour maintenir le taux conventionnel (ou pour prévoir un nouveau taux), le solde ne peut produire que les intérêts légaux et la capitalisation doit respecter les conditions de droit commun.
La Cour de cassation répond au pourvoi, dans ses deux branches, pour le rejeter, à juste titre, à notre sens.

       1)     La vaine requalification du contrat de compte courant

Le pourvoi semble se référer à des précédents arrêts de la Cour de cassation où il a été jugé que du moment où il n’y a pas de remises réciproques effectives, le compte courant perd sa nature juridique et la capitalisation trimestrielle des intérêts débiteurs ne peut plus se produire. (Cass. civ., n°2008-31745 du 15 fév. 2010, Le compte courant gelé produit-il des intérêts ? obs. Hédi Bougarras, infos-juridiques, n°108/109, mars 2019, p. 8 ; add., Cass. civ., n°37346 du 3 juin 2010 ; n°55521 du 27 nov. 2011 ; n°6332 du 24 avr. 2013 ; n°6681 du 4 déc. 2014 ; n°31464 du 5 avr. 2016, inédits).
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation juge, à juste titre, dans un sens contraire. C’est un cas de revirement de jurisprudence. Sa mention dans le rapport annuel de 2017 est signe de son intérêt.
Le compte courant, rappelle la Cour suprême, est défini à l’article 728 CC. C’est la convention par laquelle « deux personnes, dites correspondants, conviennent de faire entrer dans un compte, par voie de remises réciproques et enchevêtrées, les créances résultant des opérations qu’elles feront entre elles et de substituer ainsi des règlement particuliers et successifs de ces opérations un règlement unique, devant porter sur le seul solde du compte lors de sa clôture. » Dans une formule ramassée, la doctrine définit le compte courant comme une « convention par laquelle deux personnes affectent toutes leurs créances réciproques à un mécanisme de règlement instantané par fusion en un solde immédiatement disponible. »
La convention de compte courant peut-être conclue entre des correspondants qui sont dans une relation d’affaires : un commettant et un commissionnaire, un fournisseur et un distributeur, un intermédiaire en bourse et son client etc. Mais le plus souvent, le contrat est conclu entre une banque ou un établissement de factoring et son client.
Après avoir rappelé la définition légale du compte courant, la Cour de cassation relève, à juste titre, que la qualification du contrat est dépendante de la volonté des parties au départ de travailler en compte. Selon la Cour suprême, l’expression « remises réciproques et enchevêtrées », ne signifie rien d’autre que la vocation du compte à enregistrer des remises réciproques. Peu importe si ces remises ne se sont pas réalisées ou si elles se sont réalisées à des intervalles espacées ou même si un correspondant (le client de la banque) a cessé de faire des remises en compte.
En réalité, la solution consacrée par la Cour de cassation, dans l’arrêt objet de ces commentaires, est unanimement admise. Le principe d’affectation générale, exprimée à l’article 729 CC, « n'oblige pas les parties à se rendre créancières l'une de l'autre mais seulement à porter en compte les créances qui naissent entre elles. Elle n'impose pas davantage à un client de ne traiter en compte courant qu'avec un seul banquier pas plus qu'elle ne fait obstacle à l'existence entre deux partenaires de plusieurs comptes courants. Elle traduit seulement une vocation de principe qui doit composer avec la nature des créances et surtout la volonté commune des parties. » (Lamy Droit du financement 2018, n°2695.) Ainsi pour la qualification du compte, il faut se placer au moment de l’accord des parties (et non en cours de son exécution, la force obligatoire du contrat oblige) pour chercher si elles ont entendu (l’élément intentionnel est fondamental selon Gavalda et Stoufflet) substituer aux règlements particuliers et successifs de leurs opérations un règlement unique, devant porter sur le seul solde du compte lors de sa clôture.
2)     Le rejet de la thèse de clôture implicite du compte courant
La thèse de la clôture implicite du compte courant emprunte deux voies différentes. La Cour de cassation les rejette successivement.
a)     Le « gel », une volonté implicite titulaire du compte de clôturer le compte ?
Le compte courant est un contrat à exécution successive. Il peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. Le plus souvent, le contrat est conclu pour une durée indéterminée. Dans ce cas, l’article 732 al. 2 CC dispose que « le compte courant ouvert sans détermination de durée est clos à tout moment par la volonté de l’un correspondant, sous réserve des préavis convenus ou, à défaut, des délais prévus par l’usage. » La faculté de clôturer le compte à tout moment est la conséquence de la liberté contractuelle et du principe général d’interdiction des engagements perpétuels. La clôture n’a pas à être motivée et est reconnue à l’un ou l’autre des correspondants, indépendamment de la nature civile ou commerciale du compte. Elle est toutefois subordonnée au respect d’un délai de préavis fixé par la convention ou l’usage. Comme on peut constater, le législateur n’exige pas un délai raisonnable mais un délai conforme aux usages. La difficulté est de prouver cet usage (la preuve incombe à celui qui s’en prévaut art. 544 COC) et de dire si le délai est uniformément posé pour le banquier et le client. Le non-respect du délai de préavis est sanctionné par des dommages-intérêts en cas de dommage.
En pratique, les banques donnent en moyenne un délai de 15 jours mais il faut bien noter que lorsque le compte est utilisé pour consentir un découvert bancaire à durée indéterminée, la banque doit donner un préavis distinct (art 705 al. 2 CC). Il faut donc une application cumulative des deux règles.
La clôture unilatérale du compte courant résulte incontestablement d’un acte de volonté exprimé par l’une des parties et communiqué à l’autre. La théorie de la clôture implicite contredit le principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation (art 29 COC). Un arrêt de la Cour de cassation française (Cass. com. C., du 23 mars  1993) a censuré une cour d’appel « qui pour condamner le titulaire d’un compte courant au paiement du solde débiteur de ce compte à une date donnée, se borne à retenir que le dernier mouvement avait eu lieu à cette date, sans rechercher si l’intéressé avait voulu mettre fin à la convention de compte. » L’exigence d’une volonté expresse de clôturer le compte joue dans les deux sens. Dans l’arrêt précité, la banque ne pouvait agir en paiement du solde du compte débiteur résiduel en prétextant que le client a retiré l’ensemble de ses avoirs et cessé toutes ses opérations. Un tel agissement du client n’est pas éloquent et n’exprime pas une volonté de clôturer le compte courant (Patrice Bouteiller, Le compte courant, JurisClasseur Banque - Crédit - Bourse, fasc. 210, n°34).
Il faut enfin observer que le banquier (ou le client) doit, selon l’article 732 al. 2 CC, donner un préavis avant de procéder à la clôture du compte. Il en découle nécessairement une expression de volonté notifiée à l’autre partie et l’impossibilité logique de déduire du simple silence une volonté de cesser la relation de compte.
b)     La clôture du compte courant « gelé » : une obligation du banquier ?
Les banques sont tenues, en vertu des règles prudentielles posées par la BCT, en application de l’article 66 de la loi du 11 juillet 2016, relative aux banques et aux établissements financiers, d’assurer un suivi de leurs actifs sur leurs clients. Une attention particulière est faite aux actifs bancaires sous forme de découverts en compte courant. La circulaire de la BCT n°24 du 17 décembre 1991 régit tout à la fois les conditions d’octroi d’un financement par découvert et l’appréciation du risque qui en résulte. « Les montants non-justifiés par les besoins doivent être réclamés aux bénéficiaires en vue de leur règlement immédiat ». « A défaut de pouvoir le réaliser, la banque doit établir, une seule fois, un échéancier de remboursement en principal et intérêts. » Au surplus, le découvert bancaire doit faire d’un suivi. « Lorsqu'il est écoulé un délai de 90 jours après l'arrêté des intérêts sans que le compte n'enregistre des mouvements de recettes susceptibles de compenser le montant intégral des intérêts débiteurs et autres charges, le découvert (ou le compte débiteur) est considéré généralement gelé et doit faire partie de la classe 2. Lorsque ce délai dépasse 180 jours sans excéder 360 jours, le découvert doit faire partie de la classe 3. Aude-là d’un délai de 360 jours, le découvert doit faire partie de la classe 4. »
La Cour de cassation estime, dans l’arrêt commenté, que ces règles prudentielles n’ont aucun rapport avec la clôture du compte. Il n’appartenait pas à la banque de clôturer le compte en raison des risques de non-recouvrement du débit en compte.
En réalité, les entreprises qui connaissent des difficultés retardent la clôture du compte débiteur pour éviter de rendre le solde exigible. Ainsi, le gel du compte est un acte délibéré du titulaire n’exprimant nullement l’intention de clôturer le compte. Bien au contraire.

Panorama de jurisprudence commerciale




Panorama de jurisprudence commerciale

Révocation du DG. Respect du principe du contradictoire et du droit de la défense.


La Cour de cassation a enfin son site Internet (www.cassation.tn). Elle a mis beaucoup de temps à entrer dans l’aire du numérique. Certains arrêts commencent à y être publiés, avec, en sus, le premier rapport annuel[1] élaboré en application de l’article 115 de la Constitution. 

Jadis, la publication des arrêts de la cour suprême se faisait dans un bulletin annuel mais ce dernier avait cessé de paraître depuis 2009. Les juristes, qu’ils soient universitaires ou praticiens, étaient réduits pendant une décennie à enseigner ou pratiquer le Droit sans avoir une réelle connaissance de l’état de la jurisprudence. Outre son intérêt scientifique ou pratique, la publication des décisions de justice a une allure éminemment politique car elle permet au corps social d’exercer un contrôle sur l’action des tribunaux. La publication de la jurisprudence participe du même registre que la publication de la loi et est source de sécurité et de prévisibilité de toute activité sociale. 

Dans l’arrêt sous étude (Cass. civ., n°57563 du 11 juin 2018[2]), il s’agit d’une affaire classique où le directeur général d’une société anonyme, nommé à des mandats successifs, depuis 2002, a été révoqué par le conseil d’administration en 2012. L’intéressé estime que la mesure qui le frappe est intempestive et porte atteinte à sa réputation ; il demande réparation des préjudices matériel et moral subis. 

Les juges de fond lui donnent raison en premier et dernier ressort et condamnent la société à la réparation du seul dommage moral. Dans son pourvoi en cassation, la société soulève la violation par la Cour d’appel des articles 208 et 217 du Code des sociétés commerciales. Selon elle, le conseil d’administration peut, à tout moment, révoquer le directeur général, (révocation ad nutum), sans être tenu à motiver sa décision quant à la forme ou au fond. La société remarque en la circonstance que le conseil d’administration s’est réuni immédiatement après que l’assemblée générale ait désigné une nouvelle équipe. Il a fallu selon elle choisir un nouveau directeur général disposé à mieux collaborer avec le conseil d’administration surtout que le dirigeant révoqué était en conflit avec le plus gros actionnaire. La société reproche en outre à l’arrêt d’appel de s’être fondé sur l’article 103 du Code des obligations et des contrats, relatif à l’abus de droit en matière délictuelle, et de ne pas avoir caractérisé l’atteinte à la réputation du demandeur. 

En réponse, le défendeur au pourvoi recadre le débat en remarquant que ce qui est en cause ce ne sont ni les motifs de la révocation ni le pouvoir du conseil d’administration à la décider mais les circonstances qui les a entourée. 

La Cour de cassation estime que la responsabilité de la société trouve sa source dans la théorie de l’abus de droit, qui a valeur d’un principe général de droit dépassant la cadre étroit de l’article 103 du Code des obligations et des contrats. Elle rejette le pourvoi en considérant que les juges de fond ont vérifié que la révocation a été décidée en violation du principe du contradictoire et du droit de la défense, qualifiés par le Cour comme étant des droits essentiels. 

On peut s’étonner que la Cour de cassation introduise en droit des sociétés des notions empruntées au droit processuel et disciplinaire. La révocation n’est pas nécessairement la sanction d’une faute de gestion. Si la Cour de cassation a jugé comme elle l’a fait, c’est parce qu’une révocation implique nécessairement une évaluation de l’action du directeur général d’où qu’il est nécessaire de lui donner l’occasion de s’expliquer. 

L’arrêt commenté s’est prononcé à propos d’une espèce où le directeur général n’avait pas le statut d’administrateur et n’avait pas été convoqué à la réunion du conseil d’administration. Or nous savons que l’article 217 du Code des sociétés commerciales prévoit que lorsque le directeur général n’est pas administrateur, il assiste aux réunions du conseil d’administration sans avoir un droit de vote. D’où qu’il s’ensuit qu’il doive être convoqué aux réunions du conseil d’administration. Le défaut de convocation du directeur général à une réunion du conseil d’administration constitue une irrégularité pouvant entraîner la nullité des délibérations, mais par réalisme (Daniel Cohen, note sous Cass. com., 26 avril 1994, Rev. sociétés 1994 p.725), les directeurs généraux victimes d’une révocation intempestive préfèrent agir en responsabilité. 

L’arrêt commenté a une portée plus générale. A supposer que le directeur général avait la qualité d’administrateur et qu’il était convoqué, sa révocation pouvait être jugée abusive s’il était advenu qu’il s’était absenté et la question de sa révocation n’était pas inscrite à l’ordre du jour. La même solution doit s’appliquer, à plus forte raison, à la société anonyme à directoire et conseil de surveillance où l’assemblée générale ordinaire, qui a le pouvoir de décider de la révocation des membres du directoire, est appelée à motiver la mesure par un juste motif. Là, les membres du directoire visés doivent être en invités à s’expliquer sur les motifs invoqués. 

On peut sans hésitation affirmer que la solution rendue par la Cour de cassation a vocation à s’appliquer à la révocation de tout dirigeant d’une société indépendamment de sa forme.

Faillite. Extension de la faillite aux dirigeants sociaux. La piqûre de rappel de la Cour de cassation


Les juges de fond ont déclaré la faillite d’une société à responsabilité limitée et ont étendu la mesure, au visa de l’article 117 du Code des sociétés commerciales, à ses quatre gérants successifs. L’extension de la faillite est justifiée, selon les juges, par la passivité des gérants, la non-tenue d’une comptabilité et le défaut de désignation d’un commissaire aux comptes. 

La Cour de cassation (Cass. civ., n°61977/63748/2018 du 5 Juillet 2018, inédit), sur deux pourvois présentés par deux gérants concernés, a dû rappeler les conditions de l’extension de la faillite telles que prévues à l’article 596 (ancien) du Code du commerce. En vertu de ce texte, « en cas de faillite d’une société, la faillite peut déclarée commune à toute personne qui, sous le couvert de cette société, masquant ses agissements, a fait, dans son intérêt personnel, des actes de commerce et disposé des biens sociaux comme de ses biens propres ». La disposition est aujourd’hui reprise à l’article 590 (nouveau) du même code. La doctrine désigne par là une situation de confusion des patrimoines. Elle peut exister entre deux personnes physiques, une personne physique et une personne morale ou entre deux personnes morales. Il y a confusion des patrimoines lorsqu’il est constaté entre les personnes, soit une imbrication généralisée des comptabilités, soit des flux financiers anormaux ou des relations financières anormales (Note sous Cass. com., 26 mai 2010, Nicolas Morelli, Rev. sociétés 2011 p. 119). Quand elle est avérée, elle permet d'étendre la faillite[3] ouverte à l'encontre d'un débiteur. Elle consiste à soumettre à une seule procédure les patrimoines confondus de toutes les personnes intéressées, activement et passivement. 

La Cour d’appel qui a fondé l’extension de la faillite sur l’article 117 du Code des sociétés commerciales a commis une erreur de droit car il s’agit dans cette disposition de la responsabilité du gérant envers la société ou les tiers soit des infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Une action en responsabilité conduit à la réparation du préjudice et nullement à une extension de la procédure collective. La Cour de cassation ne pouvait sauver l’arrêt d’appel de la censure par une simple substitution de motif car la confusion des patrimoines des gérants et de la société n’a pas été substantiellement caractérisée. Certes, la société débitrice ne tenait pas une comptabilité mais il fallait en tirer une conséquence quant à la confusion des patrimoines. 

On doit au surplus noter que quand une société est en état de cessation de paiement et soumise à une procédure de règlement judiciaire, voire même déclarée en faillite, l’action en responsabilité de droit commun, prévue à l’article 117, n’est d’aucune utilité pour les créanciers. D’une part, une faute de gestion leur profite et préjudicie à la société et d’autre part, le patrimoine de la société s’interpose à leur action contre les dirigeants. En droit commun, l’article 117 ne le dit pas suffisamment, les dirigeants ne sont responsables personnellement à l’égard des tiers qu’en cas de faute détachable (faute intentionnelle ou commission d’une infraction pénale). C’est plutôt l’article 121 du même code qui protège les tiers. Les gérants de droit ou de fait d’une société à risque limitée (SARL et SA), soumise à une procédure collective, peuvent être condamnés au comblement de l’insuffisance de l’actif de la société. Mais le tribunal ne peut s’auto-saisir. L’action appartient au syndic, à l’administrateur judiciaire ou aux créanciers. Il leur suffit de prouver que l’actif social est inférieur au passif. « L'actif correspond à la valeur vénale du patrimoine social en cas [de plan de règlement judiciaire] ou au produit résultant de sa réalisation [en cas faillite]. Il ne saurait être tenu compte du seul prix de cession en cas de plan de cession [dans un plan de règlement], celui-ci pouvant être déterminé par des considérations totalement étrangères à la valeur réelle de l'entreprise » (Eva Mouial Bassilana, Entreprise en difficulté : responsabilités et sanctions, Répertoire de droit commercial, n°74). En principe, l’insuffisance d’actif peut être constatée à tout moment sans attendre la fin de la procédure. Il suffit qu’elle soit certaine. Un jugement récent a cependant décidé que l’action du créancier en comblement du passif contre les administrateurs d’une société anonyme est prématurée (Monastir com., n°149 du 11 mai 2018, inédit) dès lors que la société soumise au règlement judiciaire a relevé appel.