samedi 26 novembre 2016

Les chèques falsifiés. Le point sur la responsabilité bancaire

Les chèques falsifiés. Le point sur la responsabilité bancaire


Un ami m'a rendu visite la dernière semaine pour m'exposer son cas. Il a émis un chèque d'une faible valeur (trente dinars) pour payer un prestataire de services venu lui réparer son ordinateur. Ce dernier a transmis le chèque par tradition à un tiers lequel l'a présenté à l'encaissement après avoir ajouté trois zéros en chiffre et le terme mille intercalé en trente et dinars. Le chèque émis initialement pour la somme de trente dinars est présenté à l'encaissement à travers la chambre de compensation pour la somme de trente mille dinars. En l'espèce, le banquier présentateur et le banquier du tireur n'ont pas décelé le faux et le paiement a effectivement lieu. Par malchance, le présentateur avait retiré la somme de trente mille dinars en espèce le même jour où son compte fut crédité. 

Ce cas traite de la responsabilité bancaire dans les services d'encaissement de chèque falsifié. Le banquier tiré et présentateur sont tous les deux concernés. Trois précautions sont à prendre en matière de vérification des chèques.

1) Double responsabilité du banquier présentateur et tiré. 


Quand quelqu'un reçoit un chèque tiré sur une autre banque que la tienne, il peut l'encaisser directement au guichet de la banque tirée ou indirectement par le truchement de sa propre banque, agissant en sa qualité de mandataire dans l'encaissement.

Pour faciliter et accélérer les délais des paiements des titres de paiement, les banques de la place et la Banque Centrale de Tunisie ont mis en place un système de télé-compensation interbancaire dont l'exploitation est confiée à la SIBTEL. Ce système est basé sur le plan opérationnel sur la suppression des échanges physiques des valeurs, le dénouement des opérations de compensation en 24 heures et l'archivage électronique assuré par SIBTEL. 

La suppression des échanges physiques du chèque fait que seule une image-chèque est transférée au banquier tiré. En cas de litige lié à un défaut de vérification, ce dernier invoque, pour s'exonérer de la responsabilité, que la banque présentatrice est seule à même contrôler la régularité apparente du chèque. Les tribunaux rejettent un tel motif car la réglementation bancaire, de source inférieure, ne peut jamais enfreindre aux règles légales de responsabilité. Par ailleurs, la convention interbancaire faisant supporter la responsabilité à la banque présentatrice est inopposable aux tiers. Le banquier tiré a donc une obligation de vérification dont il assume les conséquences. Certains auteurs vont jusqu'à donner au banquier présentateur la qualité de mandataire du banquier tiré. Il serait donc un sous-mandataire au sens de l'article 1127 du Code des obligations et des contrats. L'article 1130 du même code en conclut que le substitué est directement tenu envers le mandant, dans les mêmes conditions que le mandataire…


2) La falsification de la signature. 


Il faut tout d'abord vérifier la signature du tiré. Il incombe au banquier de déceler l'imitation de la signature du titulaire du compte. Dans un arrêt de la Cour d'appel de Tunis n°18965 du 22 mars 2005, inédit, l'action engagée contre une banque par une femme titulaire du compte n'a pas abouti au motif que la signature apposée sur le chèque ressemble à sa propre signature. Une telle solution est à proche d'une jurisprudence française constante qui n'exige pas du banquier qu'il ait la compétence d'un expert en graphologie. Mais contre toute attente, la Cour d'appel de Tunis au lieu de prononcer un jugement de débout a simplement rejeté l'action. La titulaire du compte a pu donc réintroduire une autre action sans que la banque puisse se prévaloir de l'autorité de la chose jugée. La demanderesse a obtenu gain de cause mais sur un nouveau fondement. C'est que l'époux auteur de la falsification, d'ailleurs, condamné pénalement, s'est fait délivrer les formules de chèques au nom du titulaire du compte sur la base d'un mandat dont la signature n'est pas authentifiée. Ce faisant selon la même Cour d'appel, le banquier avait agi par imprudence (Cour d'appel de Tunis n°40424 du 22 mai 2007, inédit). Toujours est-il qu'on estime que la responsabilité du banquier est engagée lorsque la signature est grossièrement imitée, ne correspondant pas à la signature déposée lors de l'ouverture du compte.


3) Altération et surcharge. 


Il faut ensuite vérifier l'absence d'une altération ou surcharge. La faute du banquier consiste à ne pas rejeter le paiement en présence d'une altération ou surcharge apparente, telle que l'adjonction d'un autre bénéficiaire ou d'un autre montant. C'est le cas de mon ami qui s'est vu retirer indûment la somme de trente mille dinars au lieu de trente dinars. Le juge éventuellement saisi d'une action en responsabilité devra par un examen de l'apparence du titre s'il y a une surcharge. En principe, le banquier ne devra payer que si le tiré refait une autre signature pour confirmer la surcharge en ajoutant, éventuellement, la mention "je dis bien". 


4) Anomalie intellectuelle. 


A supposer que la surcharge n'était apparente et que la falsification était habile, le banquier peut assumer une responsabilité sur la base des textes régissant le blanchiment d'argent. En effet, l'article 107 de la loi organique n°2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et l'interdiction du blanchiment d'argent, impose aux établissements bancaires de prendre des mesures de précaution pour lutter contre les opérations de blanchiment. C'est une exception au principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client. Le banquier est tenu selon le 3e de l'article 107 de déceler l'anomalie intellectuelle quand l'opération accomplie par le client ne semble pas avoir une justification économique ou quand le titulaire du compte accomplit une opération occasionnelle dont le montant est égal ou supérieur à un montant fixé par arrêté du ministre des finances. Actuellement et en attendant la parution d'un nouvel arrêté en application de l'article 107 précité, c'est un ancien arrêté du ministre des finances en date du 2 décembre 2009 qui s'applique. Les banques et établissements financiers doivent prendre les  mesures de vigilance requises lors de l'exécution des transactions financières occasionnelles dont la valeur est égale ou supérieure à dix mille dinars. Dans le cas d'espèce, la somme représentée dans le chèque était largement supérieure. Il reste à savoir si le compte bancaire du client présentateur du chèque enregistre habituellement une somme similaire auquel cas le banquier est dispensé de l'obligation de vigilance.

Article publié sur les colonnes du magazine le Manager Novembre 2016