vendredi 4 novembre 2022

transformation d’une société à responsabilité limitée en société anonyme

 

transformation d’une société à responsabilité limitée en société anonyme

 

La transformation de la société à responsabilité limitée en société anonyme qu’elle soit obligatoire ou choisie suppose une délibération spéciale prise en assemblée générale extraordinaire. Il s’agit en effet d’une délibération modificative des statuts. Par exception à la solution de principe, une majorité d’associés représentant au moins la moitié du capital social est suffisante si ce dernier est supérieur à cent mille dinars.

 

La transformation peut être décidée sans besoin d’écoulement d’une certaine durée depuis la constitution mais il faut vérifier la réunion des conditions légales de la société anonyme. Néanmoins, la Cour d’appel de Poitier a admis la validité de la transformation en SA malgré un nombre insuffisant d'actionnaires. « La Cour constate l'absence de disposition expresse prévoyant la nullité d'une telle décision de transformation. La nullité ne résulte pas davantage des dispositions relatives à la SA, lesquelles envisagent comme seule sanction de la violation du minimum légal de sept actionnaires la dissolution de la société » (CA Poitiers, 2e ch. civ., 24 janv. 2012, Dorothée Gallois-Cochet, Dr. Sociétés 2012, comm. , 185).

 

La difficulté juridique naît de l’articulation des articles 435 et 144 du code des sociétés commerciales. En effet, le premier texte, constitutif d’une règle de droit commun applicable à la transformation de toute société, exige que les dirigeants présentent un rapport dans lequel ils exposent les causes, les objectifs et la forme de la société qui en sera issue accompagné, le cas échéant, d’un rapport du commissaire aux comptes. Le texte ne précise pas le contenu de ce rapport mais on s’accorde à admettre qu’il a trait à « la situation de la société ». Or, l’article 144 exige la désignation d’un expert comptable ou d’un comptable avec la double mission de présenter un rapport sur la situation de la société et de vérifier la valeur des biens composant l’actif social. La question se pose de savoir si les deux articles sont d’application cumulative ou alternative.

 

L’application cumulative des deux textes conduit à présenter par deux professionnels deux rapports portant sur la même question : un rapport sur la situation de la société à la veille de la transformation.

 

Une application alternative des textes conduit à n’appliquer l’article 144 que dans l’hypothèse où la société n’est pas dotée d’un commissaire aux comptes. Mais dans ce cas, la mission du commissaire aux comptes est limitée à la seule situation de la société ; il n’est pas amené à présenter un rapport la valeur des actifs de la société ni encore à vérifier les avantages particuliers éventuellement stipulés.

 



Le droit français, source matérielle de nos articles 144 et 435 du code des sociétés commerciales, connaît le même dédoublement des textes (art. L.223-43 et 244.3 du code de commerce) avec cette différence qu’il en assure l’articulation. L’art. L.224-3 a connu une évolution dans sa rédaction. Actuellement, le texte est rédigé en ces termes : « Lorsqu'une société de quelque forme que ce soit qui n'a pas de commissaire aux comptes se transforme en société par actions, un ou plusieurs commissaires à la transformation, chargés d'apprécier sous leur responsabilité la valeur des biens composant l'actif social et les avantages particuliers, sont désignés, sauf accord unanime des associés par décision de justice à la demande des dirigeants sociaux ou de l'un d'eux ». Les commissaires à la transformation peuvent être chargés de l'établissement du rapport sur la situation de la société mentionné au troisième alinéa de l'article L. 223-43. Dans ce cas, il n'est rédigé qu'un seul rapport. Ces commissaires sont soumis aux incompatibilités prévues à l'article L. 822-11-3. Le rapport est tenu à la disposition des associés… ». On peut lire dans le Lamy sociétés commerciales (Lamy, Sociétés commerciales 2019 n°3168, p.1586) l’observation suivante : « S’appuyant sur l’indication de l’article L.243-3 que le commissaire aux comptes pouvait être nommé commissaire à la transformation, le Comité de coordination du Registre du commerce et des sociétés (CCRDS, avis n°2012-038 25 oct. 2012) considérait que la dispense de désignation d’un commissaire à la transformation dans une société dotée de commissaire aux comptes ne signifiait pas pour autant dispense de l’établissement du rapport prévu par l’article L.224-3.. ». Et d’ajouter « Pour lever toute incertitude sur la dispense le législateur français est intervenu par loi n°2016 en supprimant cette indication. Par conséquent, le commissaire aux comptes d’une SARL qui se transforme en société par actions n’a pas à établir le rapport prévu par l’article L.244-3 ».

En droit tunisien, on hésite entre une interprétation littérale et téléologique des articles 144 et 435.

 

Une interprétation littérale conduit une application cumulative des deux textes mais, dans ce cas, on peut admettre que le commissaire aux comptes et l’expert comptable ou le comptable puissent présenter un rapport commun sur la situation de la société. Pour le reste, il appartient à l’expert comptable ou au comptable de présenter un rapport d’évaluation des actifs non-liquides de la société comme en matière de commissariat aux apports ; il vérifie également l’absence d’éléments juridiques susceptibles de grever leur valeur[1]. A notre sens et contrairement à  ce qui a pu être soutenu par certains auteurs (Christine Labastide Dahdouh et Habib Dahdouh, Droit commercial, Vol. 2, Entreprises sociétaires & Groupements privés, T. 2, règles particulières, 1ere éd. IHE Editions 2007, p.197), ce sont tous les actifs non-liquides qui sont soumis à évaluation et non seulement ceux qui ont été apportés à la société. L’expert comptable ou le comptable vérifie également la teneur des avantages particuliers stipulés dans les statuts de la future société anonyme.

 

L’interprétation téléologique soutient que si la société à responsabilité est soumise à un contrôle du commissaire il n’est nullement besoin de vérifier l’exactitude de l’évaluation des biens de la société. Une solution contraire reviendrait à ruiner la confiance qu’on a en la personne des commissaires aux comptes. Nous inclinons à cette solution, mais un décret d’application des articles 144 et 435 du code des sociétés commerciales est souhaitable pour évacuer toute incertitude et assurer les opérations de transformation.

 

Nous observons cependant que l’article 144 du code des sociétés commerciales n’exige pas expressément que l’assemblée générale approuve l’évaluation de l’actif social mais cela nous semble une suite logique du rapport de l’expert comptable ou du comptable. En effet, l’article 173 in fine C.S.C. énonce que « le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive doit mentionner expressément l’approbation des apports en nature, à défaut la société ne peut se constituer légalement ». En ce cas, l’approbation expresse de l’évaluation des actifs doit être distincte de la résolution décidant la transformation.

 

L’expert comptable ou le comptable engage sa responsabilité civile délictuelle à l’égard des tiers en cas de surévaluation des actifs. Sa responsabilité est exclusive de celle des associés (Christine Labastide Dahdouh et Habib Dahdouh, op. cit., p. 197). Faute d’une disposition spéciale dans le code des sociétés commerciales, le délai de prescription est celui de droit commun (Art. 115 C.O.C).

 

L’assemblée générale extraordinaire se prononce également sur l’attribution des avantages particuliers qu’elle ne peut réduire qu’à l’unanimité.

 

L’article 144 du code des sociétés commerciales ne précise pas les conditions de désignation de l’expert comptable ou du comptable à la transformation. Mais en vertu de l’article 173 du code des sociétés commerciales, la désignation se fait par le juge des requêtes à la demande du gérant. A notre avis, du moment où la mission se rapproche à celle d’un commissaire aux apports, la désignation directe de l’expert comptable ou du comptable par les associés peut également être faite par décision unanime des associés.

 

L’expert comptable ou le comptable désigné est soumis aux conditions d’incompatibilité du commissaire aux apports d’une société anonyme (art 174 C.S.C).

 

Aucune règle du code des sociétés commerciales n’impose d’adresser aux associés avant la tenue de l’assemblée générale extraordinaire le rapport du commissaire aux comptes ou celui de l’expert comptable ou du comptable. Il n’est pas également requis leur dépôt au registre national des entreprises. En effet, la loi relative au registre national des entreprises requiert le dépôt du seul rapport d’évaluation des apports en nature fait à la constitution de la société ou l’augmentation de son capital.

 

L’aliéna dernier de l’article 144 du code des sociétés commerciales sanctionne par la nullité la décision de transformation prise en violation des règles relatives à la compétence de l’assemblée générale extraordinaire et à la désignation d’un expert comptable ou du comptable à la transformation. Une fois prononcée, la société est ramenée à sa forme initiale. La société ne sera pas pour autant irrégulière et ne perd pas sa personnalité morale Stéphanie Darmon, Frédérique Desprez et Ey Law, La transformation en société par actions sous turbulences législatives, Rev. Sociétés 2005, p. 119).

 

Les parts sociales représentatives d’un apport en industrie doivent être supprimées si elles existent. L’échange parts sociales contre des actions pose un problème, puisque les statuts d’une société à responsabilité fixent librement la valeur des parts sociales alors que pour une société anonyme la valeur nominale ne peut être inférieure à un dinar (Art. 161 in fine C.S.C).

 

L’assemblée générale statuant dans les conditions de quorum et de majorité d’une assemblée générale ordinaire doit désigner les premiers administrateurs. Si la société n’est pas déjà dotée d’un commissaire aux comptes, elle en doit désigner un.



[1] En droit français, le commissaire à la transformation établit un rapport où il atteste que le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social (art. R. 224-3, al. 2 C. com.). Ce montant doit être apprécié à la date du dernier bilan arrêté avant la transformation. En pratique, il est souvent établi une situation intermédiaire. Dans l’hypothèse où les capitaux propres seraient inférieurs au capital social, les associés doivent d’abord réduire le capital, avant de procéder à la transformation  (Isabelle Riassetto, Joly Sociétés, n°074, date d’actualisation 7 mars 2018).

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