1) Interdiction aux étrangers d’être propriétaire d’une terre à vocation agricole
Un étranger ne peut devenir propriétaire d’une terre agricole ni directement (a) ni indirectement (b).
La règle réservant la propriété des terres agricoles à des personnes physiques de nationalité tunisienne a des explications historiques. Elle se veut une rupture avec un passé colonial (Sébastien Manciaux, Les règles du droit des investissements internationaux s’opposent-elles aux politiques de sécurité alimentaire, Revue internationale de droit économique, 2012/4, p. 54). Elle se justifie encore aujourd’hui par le souci de préserver la sécurité alimentaire du pays.
b) Interdiction de l’appropriation indirecte
L’interdiction
faite à une société propriétaire d’une terre agricole d’avoir parmi ses
associés une personne morale est destinée à fermer aux étrangers un accès
indirect à la propriété des terres agricoles. La violation de l’interdiction
est sanctionnée par la nullité absolue. On peut imaginer trois situations :
- Une personne morale propriétaire d’une terre agricole fait apport de cette propriété à une société dans laquelle elle participe. Dans ce cas, la nullité frappe cet apport en nature. Du coup la société bénéficiaire de l’apport ne peut accéder à la propriété agricole.
- Il
arrive qu’une augmentation de capital se réalise en partie par un apport en
pleine propriété d’une terre agricole et par une autre partie par un apport en
numéraire. Dans ce cas, la nullité frappe toute l’augmentation de capital en
raison de son indivisibilité.
- Une personne morale fait son entrée en société déjà propriétaire d’une terre agricole. Elle peut par exemple acquérir des actions appartenant à un actionnaire ou participer à une augmentation de capital en numéraire. Dans ce cas, la nullité frappe l’opération de cession ou d’augmentation de capital, mais la société conserve sa propriété agricole.
L’interdiction
étant une disposition restrictive, elle doit être entendue d’une manière
stricte. Elle s’applique en principe à l’acquisition de pleine propriété et non
à l’acquisition d’un démembrement. Il est certain qu’elle ne s’applique pas
l’acquisition de l’usufruit mais la question est problématique quand elle a
pour objet la nue-propriété.
La suspicion
à l’égard de la participation des personnes morales au capital des sociétés
propriétaires de terres agricoles freine le développement capitalistique de ces
sociétés. Une société d’investissement ou un fonds arabe destiné au financement
du développement agricole ne peut faire son entrée au capital des sociétés
propriétaires de terres agricoles.
2) L’ouverture aux étrangers de la
jouissance des terres agricoles
Les
étrangers peuvent être des exploitants agricoles dans le cadre d’une société au
capital de laquelle des tunisiens doivent avoir une participation minimale (a).
La loi prévoit que la société exploite la terre agricole en vertu d’un contrat
de location mais la solution n’est pas, à notre sens, exclusive de la
possibilité d’un transfert de la jouissance par apport en nature (b).
a) La
société d’exploitation agricole peut-être sous contrôle majoritaire étranger
L’alinéa 1er
de l’article 2 (nouveau)
de la loi n° 69-56 du 22 septembre 1969
relative à la réforme des structures tel que modifié par la loi n°97-33 du 26
mai 1997, dispose que « l'exploitation
des terres agricoles se fait par : ... 5)
les sociétés à responsabilité
limitée de nationalité tunisienne ; 6) les
sociétés anonymes de nationalité tunisienne autorisées à exploiter
les terres agricoles conformément à la
législation en vigueur. Ainsi selon ce texte, une société commerciale ne peut
exploiter une terre agricole que si elle a la nationalité tunisienne.
Pour les besoins de l’application l’article
2 précité, il est prévu un critère spécial d’attribution de la nationalité
tunisienne. « Est de nationalité tunisienne, toute société constituée
conformément aux lois en vigueur, ayant son siège principal en Tunisie, ayant
plus du tiers de son capital constitué de titres nominatifs détenus par des
personnes physiques ou morales tunisiennes et ayant son conseil
d'administration, de gérance, ou de surveillance, constitué par des
représentants des personnes physiques ou morales tunisiennes à concurrence
de leur participation au capital de la société ». Le critère d’attribution
de la nationalité tunisienne aux sociétés agricoles est plus souple que celui
de droit commun (Décret-loi n°61-14 du 30 août 1961, relatif à l’exercice de
certaines activités commerciales). Le but évident du législateur est de
permettre aux étrangers d’avoir le contrôle d’une société exploitant une terre
agricole. Deux précautions sont néanmoins prises par la loi. La société
d’exploitation doit avoir parmi ses associés des tunisiens détenant plus du
tiers du capital. C’est une minorité de blocage. Par ailleurs, les associés
tunisiens doivent être présents dans les organes d’administration, de gérance
ou de surveillance en proportion de leur participation.
Le choix de la forme de société anonyme
peut, d’un certain point de vue, être préférable aux investisseurs étrangers
car aucune contrainte n’est posée quant à la nationalité de la personne investie
de la direction générale.
L’article 5
(nouveau) de la loi n°69-56 du 22 septembre 1969, relative à la réforme des
structures agricoles, tel que modifié par la loi n°97-33 du 26 mai 1997, prévoit
que, « l'exploitation des terres agricoles par une société au capital de
laquelle des étrangers participent ne peut se faire que par voie de location et
sans que la terre fasse l'objet d'apport dans le capital de la société ».
Dans
l’application de ce texte, il faut distinguer selon que l’objet d’exploitation est
une terre agricole domaniale ou une terre agricole privée.
Les terres
domaniales, qui proviennent essentiellement de la nationalisation des terres de
la colonisation et de la récupération des habous publics et de la partie
publique des habous mixtes (Mohamed Elloumi, Les terres domaniales en
Tunisie, Etudes rurales, n°192, 2013, p. 3) peuvent être données en location à
des sociétés de mise en valeur et de développement agricole (SMVDA) au capital
desquelles des étrangers peuvent participer. La création des SMVDA et les
opérations touchant à la structure de leur capital (augmentation, réduction,
fusion et cession d’actions) sont soumises à autorisation du ministre de
l’agriculture (Décret
n° 88-1172 du 18 juin 1988). La durée
de la location ne peut excéder 40 ans (art. 12 al. 1er de la loi
88-18 du 2 avril 1988, portant promulgation du code des investissements
agricoles et de la pêche).
S’agissant
de l’exploitation d’une terre agricole privée, le texte de la loi peut-être
interprété selon une méthode littérale ou téléologique.
La méthode
littérale consiste à s’attacher à la lettre du texte. Dans la mesure où la loi
n’envisage l’exploitation d’une terre agricole que dans le cadre d’un contrat
de location, c’est-à-dire dans les conditions fixées par la loi n°87-30 du 12
juin 1987, relative aux baux ruraux, la société exploitante doit convenir avec
le propriétaire d’un contrat de location. Elle paiera un loyer en contrepartie
de la jouissance de la terre. La loi sur les baux ruraux fixe une durée minimale
de location mais ne fixe pas une durée maximale. Les parties jouissent donc
d’une liberté totale dans la détermination de la durée du contrat sauf à
respecter l’interdiction des locations perpétuelles.
La méthode
d’interprétation téléologique autorise d’aller au-delà de la lettre du texte
pour s’attacher à son esprit. Le but du législateur est de conserver la
propriété de la terre agricole dans le patrimoine de son propriétaire tunisien
mais l’exploitation est libéralisée. Le contrat de location est l’archétype des
contrats conférant la jouissance des biens mais il n’est pas le seul. On peut
surtout envisager que le propriétaire concède la jouissance (dit apport en
jouissance) de la terre agricole à la société en contrepartie de l’attribution
de titres de capital. L’apport en société est un contrat à titre onéreux au
même titre que le contrat de location. Par ailleurs, le législateur a calqué
les obligations de l’apporteur de la jouissance d’un bien sur celle d’un
locataire. L’article 6 du CSC énonce en effet que « si l’apport est en
jouissance, l’apporteur est garant envers la société dans les mêmes conditions
que le bailleur ». Une interprétation téléologique de la loi a l’avantage
de permettre à un tunisien propriétaire d’une terre agricole de participer dans
une société avec des partenaires, éventuellement étrangers, qui disposent de
capitaux permettant de financer l’exploitation agricole.
Quand l’apport
en nature est un apport en jouissance, le bien est mis à la disposition de la
société en vue de son usage pendant un temps déterminé. Dans ce cas,
l’apporteur met la société en mesure d’user librement de la chose, mais sans
pouvoir en disposer. L’apporteur garde son droit de propriété et transmet à la
société le droit d’usage. L’apport en jouissance étant un simple apport
d’usage, il en découle que la société est tenue d’une obligation de restitution
puisque cet apport a un caractère temporaire. Lors de la dissolution, le bien
est soustrait à l’action des créanciers et n’est pas compris dans le partage.
La réduction
du capital de la société à zéro pour absorber les pertes n’est pas de nature à
entraîner la perte du droit jouir de la terre agricole pendant la durée
convenue de l’apport.
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