jeudi 3 novembre 2022

Chronique de jurisprudence commerciale



Chronique de jurisprudence commerciale

I- L’extension de la faillite d’une société à ses dirigeants

La Cour de cassation a rendu un arrêt intéressant en matière d’extension de la faillite d’une société à ses dirigeants (Cass. n°2021.32217 du 2 nov. 2021, inédit). Une société ayant cessé ses paiements a présenté une demande de règlement judiciaire. Le tribunal de première instance de Bizerte estimant, sur rapport de l’administrateur judiciaire, qu’aucune mesure de sauvetage n’était possible, l’avait déclaré en faillite et avait étendu d’office la mesure aux deux gérants sur le fondement de l’article 596 du CC - en vigueur à la date du jugement - aux termes duquel « en cas de faillite d'une société, la faillite peut être déclarée commune à toute personne qui, sous le couvert de cette société, masquant ses agissements, a fait, dans son intérêt personnel, des actes de commerce et disposé en fait des biens sociaux comme de ses biens propres ». Les dirigeants victimes de la mesure soutenant qu’ils n’étaient présents à l’instance, avait formé, devant le même tribunal, une tierce opposition contre le jugement. L’article 168 du CPCC permet, en effet, à « toute personne qui n'a pas été appelée dans une instance [de] former tierce opposition au jugement qui porte préjudice à ses droits ».

Le tribunal de première instance de Bizerte a rejeté la tierce opposition en la forme. Nous ne savons pas davantage sur les motifs de ce jugement.

Sur appel, la Cour d’appel de Bizerte déclare la tierce opposition recevable en la forme et annule la mesure d’extension de la faillite. C’est cet arrêt qui a été soumis à l’examen de la Cour de cassation à l’occasion d’un pourvoi formé par d’un des créanciers inscrits. Il lui reproche, dans un mauvais ordre de présentation, la violation d’une règle de fond et une autre de procédure. C’est ce dernier aspect du problème qui retient notre attention dans cette chronique.

Le pourvoyant estime que les dirigeants ne devaient pas être considérés comme des tiers au sens de l’article 168 du CPCC dans la mesure où ils avaient connaissance personnelle de la procédure de règlement judiciaire ouverte contre la société débitrice, ils avaient pris connaissance du rapport de l’administrateur judiciaire et avaient présenté leur commentaire à son propos. Le pourvoyant estime non nécessaire leur assignation à titre personnel. Comme il était attendu le pourvoi est rejeté.

Les demandeurs à l’action. Après avoir rappelé les termes de l’alinéa premier de l’article 168 du CPCC, la Cour de cassation affirme « que la procédure de faillite ne s’applique pas à la procédure d’extension de la faillite ; les deux procédures sont indépendantes tant en la forme qu’au fond ; plus précisément, l’extension de la faillite au ou aux gérants, quand s’ils sont nombreux, est présentée par le syndic de la faillite sous la forme d’une action distincte subséquente à la déclaration de faillite ; elle est également présentée par les créanciers qui souhaitent poursuivre les biens du dirigeant qui a nui à la société à leurs intérêts ; elle peut être engagée par le ministère public à l’occasion de l’examen de l’action en faillite ; elle peut également être initiée par les créanciers en cours de procédure de faillite sauf à exiger d’eux qu’ils présente une demande formelle en ce sens afin que le dirigeant puisse se défendre et apporter la preuve qu’il n’a pas été à l’origine de la faillite directement ou indirectement et démontrer que les conditions requises par l’article 590 du CC ne sont pas réunies ; il en découle, dit l’arrêt de cassation, que le tribunal ne peut la prononcer d’office ».

Comme nous pouvons le constater, la Cour de cassation déborde la question soulevée par le pourvoi. Elle traite en premier lieu des demandeurs à l’action en extension de la faillite. Il faut surtout retenir cette dernière que le tribunal ne peut prononcer l’extension de la faillite d’office. La solution n’est pas nouvelle. Elle a été retenue dans un ancien arrêt (Cass. n°60808 du 17 janv. 2012) qui ne reconnaît pas au tribunal de la faillite le pouvoir de s’autosaisir en matière de faillite commune. L’action n’est possible que si elle est exercée par le syndic, les créanciers ou le ministère public (Voir notre chronique Revue de la Cour de cassation n°2022, 2)

Les défendeurs à l’action. Une fois cette précision faite, la Cour de cassation rappelle une règle essentielle et élémentaire dans toute procédure civile. Dans la mesure où l’action en extension de la faillite tend à rendre quelqu’un redevable et le soumet aux conséquences de la faillite, il faut qu’il soit assigné et entendu. Ne l’ayant pas été dans le cas d’espèce, les dirigeants victime d’une procédure engagée et jugée en leur absence, peuvent former une tierce opposition. En réalité, le pourvoi est fondé sur une confusion entre le statut procédural du dirigeant d’une société ; il est son organe et agit en son nom et pour son compte et il n’agit pas à titre personnel. La liaison du contentieux contre la personne physique du dirigeant ne peut se faire que par un acte d’assignation, empreint d’ailleurs de formalisme.

II- La preuve de la société en participation

Principe de la liberté de preuve. La société en participation n’a pas besoin d’un écrit pour être établie. L’art. 3 al. 1er du CSC édicte en effet que, « à l’exception de la société en participation, le contrat de société doit être rédigé par acte sous seing privé ou acte authentique ». La conséquence qui en découle est que « le contrat de société en participation ainsi que les conventions qui s’y rapportent peuvent être prouvées par tous les moyens de preuve admis en matière commerciale ». C’était la même solution sous l’empire du code de commerce. La disposition légale n’ajoute rien aux sociétés en participation à objet commercial. Elle est par contre utile s’agissant d’une société en participation à objet civil. A un pourvoyant qui a cherché à limiter la liberté de preuve aux livres de commerces et aux correspondances, la Cour de cassation (Cass. n°24585 du 23 septembre 1992, Bulletin 1992, 1, p. 271) a répondu que la preuve est libre et autorise la preuve testimoniale.

Il arrive que les pourvois élevés contre des arrêts d’appel, ayant reconnu l’existence d’une société en participation, soient maladroitement ou confusément formulés devant la Cour de cassation. Les juges du fond sont critiqués pour avoir admis l’existence d’une société en participation alors que, selon les pourvois, le commerçant agit seul dans les rapports avec les tiers et il n’a pas été établi un écrit. Un pourvoi présenté de la sorte est voué à l’échec car justement la société en participation n’a pas besoin d’être établie par écrit et suppose une activité individuelle du gérant dans les rapports avec les tiers.

L’objet de la preuve. Au lieu de débattre de l’admissibilité d’un moyen de preuve, les plaideurs devraient plutôt discuter de l’objet de la preuve : qu’est-ce qu’il faut prouver ? La réponse varie selon qu’on est en présence d’un litige entre associés ou d’un litige entre les tiers et les associés faut distinguer selon

L’objet de la preuve entre associés. Dans le contexte d’un conflit entre associés sur l’existence ou l’inexistence d’une société en participation, un moyen de preuve doit porter sur les trois éléments constitutifs de la société. Et ces éléments sont cumulatifs et distincts, c’est-à-dire la preuve d’un élément n’emporte pas celle des autres. Il arrive souvent que les juges du fond ne respectent pas cette règle essentielle. Ils concluent facilement à l’existence d’une société en participation du seul fait de la preuve d’un élément financier. Ainsi dans l’arrêt n°12754 du 22 déc. 1986 (Bulletin, Vol. 2, 1986, p. 176), le demandeur prétend avoir convenu avec son adversaire l’ouverture d’un commerce de vêtements prêt-à-porter. Il lui reproche de ne pas lui rendre compte du résultat de l’exploitation. Le défendeur a nié l’existence de la société en soutenant qu’il est l’unique locataire du local dans lequel est exploité le fonds de commerce. En cassation, il reproche aux juges du fond d’avoir reconnu l’existence d’une société en participation sans que ces éléments soient prouvés et d’avoir rejeté sa demande de déférer serment décisoire au demandeur. Or, la Cour de cassation approuve les juges du fond qui ont estimé établie la société sur la foi de la déclaration écrite du bailleur qui affirme avoir donné à bail le local loué aux parties au litige et touché une certaine somme du demandeur représentant le loyer de quelques mois de l’année 1976. La Cour de cassation conclut à partir de ce paiement que le demandeur a participé pour une part dans le fonds de commerce. Elle approuve les juges du fond qui ont jugé inutile que le défendeur défère serment décisoire à son adversaire. Comme nous pouvons le constater, les juges du fond et la Cour de cassation font un raccourci : la preuve d’un paiement fait par le demandeur au profit du bailleur du local dans lequel le fonds de commerce est exploité, prouve non seulement les apports mais aussi l’intention de se comporter comme associé et l’accord sur le partage des bénéfices et la contribution aux pertes. La déclaration que peut faire un tiers à propos de la nature de la relation entre les parties au litige n’est pas pertinente car elle reflète la seule apparence du point de vue des tiers qui a traité avec eux et ces tiers sont admis à apporter la preuve de la société en participation d’une manière globale.

Il arrive également que la Cour de cassation ne saisisse pas la portée juridique d’un grief alors qu’il est correctement formulé. Ainsi dans l’arrêt du 16 avr. 1997 (Bulletin 1997, 1, p. 165), le pourvoyant commence par rapporter la teneur de l’arrêt d’appel « qui a énoncé que le litige concerne une société commerciale non établie par contrat, c’est-à-dire une société en participation » puis recadre le litige en précisant « qu’il porte plutôt sur les conditions essentielles d’une société contractuelle, à savoir l’accord des parties sur les conditions de la société, sauf si la loi impose qu’elle soit conclue d’une manière déterminée, outre la détermination des apports et leur libération effective et l’intention de participer aux bénéfices et de contribuer aux pertes ». Une fois ce recadrage opéré, le pourvoi conclut que « ces conditions sont déficientes sinon absentes dans la mesure où l’apport de chaque associé et les conditions de fonctionnement de la société ne sont pas précisés ». Dans ce grief, le pourvoi n’invoque nullement l’écrit comme moyen de preuve de la société en participation. Il insiste plutôt sur la nécessité pour les juges du fond de caractériser les éléments essentiels de la société en participation, considérée comme une société contractuelle. Or, la réponse donnée par la Cour de cassation est totalement hors ce débat : « les articles 1249, 1254, 1255 du COC prétendument violés, énonce l’arrêt, concernent une société dont la loi n’exige pas qu’elle soit établie par un écrit ; la société visée par le litige est une espèce différente se caractérisant par l’absence d’écrit entre associés et par son caractère occulte à l’égard des tiers ». Il s’agit incontestablement d’une erreur de compréhension de la part de la Juridiction Suprême. Les articles invoqués au soutien du pourvoi sont au cœur de la qualification de la société en participation et les faits qui s’y rapportent doivent être prouvés.

L’objet de la preuve dans les rapports avec les tiers. La Cour de cassation française a une attitude rigoureuse. Elle invite à distinguer le régime de la preuve entre associés et celui dans les rapports avec les tiers. Entre associés, la preuve doit être analytiquement apportée pour chaque élément constitutif d’une société. Ainsi dans un arrêt de principe en du 25 juil. 1949 la Cour de cassation commence par rappeler les conditions essentielles à la formation d’un contrat de société, puis passe en revue les constatation de l'arrêt attaqué avant de conclure qu’en statuant ainsi, sans relever de circonstances de fait d'où résulte l'intention qu'auraient eue les parties de mettre en commun tous les produits de leur activité et de participer aux bénéfices et aux pertes provenant du fonds social ainsi constitué, et alors que la seule cohabitation, même prolongée de personnes non mariées qui ont vécu en époux et se sont fait passer pour tels au regard du public, ne saurait donner naissance entre elles à une société, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale à sa décision ». Plusieurs autres arrêts sont rendus dans le même sens.

En revanche, lorsqu’il s’agit d’un conflit entre les tiers et un prétendu associé, la preuve de la société peut être faite d’une manière globale, sur la base de la seule apparence.

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