vendredi 4 novembre 2022

L’expertise de gestion

 

L’expertise de gestion

 

L’art. 139 C.S.C a institué un expert de gestion destiné à informer les associés minoritaires d’une société à responsabilité limitée. Ainsi, un ou plusieurs associés détenant au moins le dixième du capital social peuvent demander individuellement ou conjointement au juge des référés la désignation d’un expert de gestion ou même d’un collège d’experts, en vue de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. L’article 15 de la loi n°2007-69 du 27 décembre 2007, relative à l’initiative économique, introduisant un article 290 (bis) au code des sociétés commerciales, a étendu à la société anonyme la même mesure. Il est énoncé qu’un ou plusieurs actionnaires détenant au moins dix pour cent du capital social peuvent, individuellement ou conjointement, demander au juge des référés la désignation d’un expert ou d’un collège d’experts qui aura pour mission de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. 

L’expertise gestion est qualifiée par la doctrine comme un « mode d'information ordinaire des associés destiné à remédier à toute défaillance de l'information dès l'instant où elle est significative du fait de son importance ou de son objet ».

Qualité pour agir. L’expertise de gestion est une action attitrée qui ne peut être exercée que par les associés qualifiés. La demande peut émaner d’un associé détenant individuellement le dixième du capital. Elle peut également être formulée par plusieurs associés détenant ce pourcentage à condition qu’ils agissent conjointement. Deux associés détenant chacun cinq pour cent agissant séparément ne peuvent agir. Le tribunal ne peut pas décider la jonction des instances pour leur conférer qualité pour agir. La jonction d’instances, non spécialement réglementée en Tunisie, n’est pas en effet un mécanisme procédural destiné à sauver une instance de son irrecevabilité. Elle est plutôt un mécanisme de bonne administration de justice en raison d’un lien de connexité. Le juge ne peut donc décider de joindre des instances séparées pour conférer une qualité d’agir en cours d’instance à des associés en défaut de qualité au commencement de l’action. Le nouvel acquéreur de parts sociales peut demander une expertise de gestion sur des opérations de gestion accomplies avant son entrée en société. Le seuil minimum de détention des parts sociales est corrélé à celui posé à l’article 118 du code des sociétés commerciales pour l’exercice de l’action ut singuli contre le gérant. Or, cet article précise, après un ajout introduit par la loi n°2009-16 du 16 mars 2009, que toute modification de la quote-part sus-désignée des associés survenue après l’exercice de l’action en responsabilité (par exemple par suite d’une opération de coup d’accordéon, une augmentation de capital ou cession de parts sociales) ne peut avoir pour effet d’éteindre ladite action. La même solution doit être étendue à l’action en désignation d’un expert de gestion.

L’expertise de gestion peut-être demandée par un indivisaire agissant seul à condition que l’indivision représente le dixième du capital. En effet, chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision. La solution est d’autant plus justifiée que le rapport d’expertise peut servir à une action en responsabilité contre le gérant et de ce fait l’action présente un caractère conservatoire.

 L’expertise de gestion sollicitée par un usufruitier est plus problématique car on le considère comme n’ayant pas la qualité d’associé. Un mouvement doctrinal est favorable à l’action de l’usufruitier à raison de son droit de percevoir des dividendes.

Exigeant la détention de dix pour cent du capital, l’expertise de gestion ne semble pas ouverte à l’apporteur d’industrie. La solution est regrettable non seulement pour ce type d’action mais aussi pour toutes les autres prérogatives légales qui ne peuvent être exercées que par certains associés détenant une fraction du capital. De la sorte, l’apporteur en industrie apparaît un associé de second rang ce qui ne se justifie nullement. Une réécriture de la loi s’impose pour calculer le seuil d’exercice d’une prérogative non fonction de la part dans le capital mais en fonction de la part dans les parts sociales. Dans l’attente, les tribunaux sont appelés à interpréter le texte avec souplesse.

Il va de soi que l’action est dirigée contre la société et non le gérant à titre personnel.

L’objet de l’expertise. Seul un acte de gestion peut faire l’objet d’une demande d’expertise. Cela s’entend des actes accomplis par le gérant à l’exclusion des actes qui relèvent de la compétence de l’assemblée générale ordinaire ou extraordinaire. Il en découle qu’une convention passée entre la société et son gérant, tel qu’un contrat de travail, peut faire l’objet d’une expertise de gestion même si elle est approuvée par l’assemblée générale. La même solution doit être retenue pour les conventions autorisées par l’assemblée. Dans ces deux cas, la convention est bel et bien du ressort du gérant, l’approbation ou l’autorisation donnée par l’assemblée générale ne remet pas en cause ses pouvoirs.

Le demandeur doit préciser l’opération ou les opérations de gestion qu’il souhaite expertiser. La demande ne peut pas viser tous les actes de gestion d’un ou plusieurs exercices. Mais le demandeur est autorisé à viser une pluralité d’opérations précisément identifiées.

Distinction avec l’audit des comptes. L’expertise de gestion n’est pas un audit comptable. Elle n’est pas un substitut à l’absence d’un commissaire aux comptes pour les sociétés qui en sont dépourvues. Mais en pratique, les tribunaux font un glissement et soumettent la société à une opération de vérification. Ainsi, dans un arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass. 2015.25466 du 15 janvier 2016, consultable sur Internet de la Cour de cassation http://www.cassation.tn) la Cour d’appel de Médenine missionne l’expert à afin d’établir entre autres la liste du personnel employé durant les trois derniers exercices, la liste du matériels et des équipements, déterminer les conditions d’utilisation des produits pétroliers et préciser si le personnel bénéficie d’avantages en nature non déclarés, inventorier tout le matériel et équipements et vérifier s’ils sont utilisés pour les besoins de l’activité sociale. Dresser un inventaire et vérifier si des avantages en nature non déclarés sont attribués sont des missions qui relèvent du contrôle de la régularité des comptes et sortent manifestement du domaine de l’expertise de gestion.

Conditions. L’expertise de gestion n’a pas un caractère subsidiaire et n’est pas subordonnée à l’épuisement des autres moyens d’information reconnus par la loi aux associés, tels que le droit de poser des questions écrites à l’occasion de l’assemblée générale annuelle ou à l’occasion d’un acte ou fait de nature à menacer la continuité de l’exploitation. Deux limites sont cependant fixées par les tribunaux : l’opération visée par la demande d’expertise de gestion doit présenter de simples indices d’irrégularité, le rapport du commissaire aux comptes pourrait d’ailleurs servir mais il n’est pas nécessaire. Le juge des référés saisi d’une demande d’expertise de gestion dans une SARL, le juge est tenu de l’ordonner dès lors qu’il relève des présomptions d’irrégularités sur une ou plusieurs opérations de gestion déterminées, indépendamment de leur montant. Mais la procédure ne doit pas être utilisée à des fins de harcèlement du gérant. 

Compétence. La loi désigne maladroitement le juge des référés comme juge compétent pour connaître de la demande d’expertise de gestion. Or, la procédure est indépendante de l’urgence qui caractérise traditionnellement la compétence du juge des référés. Profitant de cette maladresse dans le choix du juge compétent, les sociétés actionnées ne manquent souvent pas de soulever l’absence de l’urgence ou l’existence d’une contestation au fond, ce que les tribunaux refusent d’accepter en soulignant que la loi est indifférente aux conditions classiques de la justice présidentielle. Le législateur aurait mieux fait de garder à la procédure d’urgence sa pureté originelle et attribuer le contentieux de l’expertise de gestion au juge du fond statuant en la forme des référés. C’est d’ailleurs la solution en droit français.

Déroulement de l’expertise. La loi ne se prononce pas sur le caractère contradictoire de l’expertise de gestion. Un arrêt de la Cour de cassation française (Cass. com., 26 novembre 1996, Rev. sociétés, 1997, p.97) est nuancé. Il juge que « si l'expertise doit avoir un caractère contradictoire, l'expert […] peut procéder seul à certaines constatations dans la comptabilité et les documents remis en consultation par la société, sans qu'au cours de l'expertise ceux-ci soient communiqués aux demandeurs » 

Communication du rapport d’expertise. Dans la SARL, le rapport d’expertise est communiqué au demandeur, au gérant et, le cas échéant, au commissaire aux comptes. De même, il est annexé au rapport à présenter à l’assemblée générale ordinaire et communiqué à tous les associés avec les autres documents sociaux. Dans la SA, le rapport d’expertise est communiqué au demandeur, au ministère public et au conseil du marché financier si la société fait appel public à l’épargne. Il est également communiqué aux organes de gestion et de contrôle. Il est mis à la disposition des actionnaires en vue de la prochaine assemblée générale ordinaire.

 

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