dimanche 29 novembre 2015

Libres propos sur le projet de loi relatif aux procédures collectives (II). Nouveautés dans l’élaboration du plan de règlement

Libres propos sur le projet de loi relatif aux procédures collectives (II).Nouveautés dans l’élaboration du plan de règlement judiciaire


La procédure de règlement judiciaire s’ouvre sur une période d’observation au cours de laquelle il est préparé un « plan de redressement » ayant pour objectif « le sauvetage de l’entreprise ». Ledit plan peut être, selon l’article 453, un « plan de continuation », un « plan de location », y compris location- gérance ou location assortie d’une option d’achat, ou un « plan de cession ». Toutes les options sont donc ouvertes au tribunal pour déterminer le sort de la demande de règlement judiciaire, mais le plan de continuation semble être privilégié. On s’attache dans cette chronique à relever les nouveaux aspects du projet de loi liés à l’élaboration du plan.

Le rôle respectif du débiteur et de l’administrateur judiciaire.


Le texte actuellement en vigueur donne à l’administrateur judiciaire la mission d’élaborer un plan de redressement qu’il soumet à l’homologation du tribunal. Mais la jurisprudence admet que le débiteur puisse présenter un plan.

Le nouveau texte inverse les rôles puisqu’il est prévu à l’article 452 que « l’administrateur judiciaire étudie le plan présenté par le débiteur et le modifie en cas de besoin. » Littéralement, le pouvoir de modification revenant à l’administrateur judiciaire n’emporte pas pouvoir de substitution d’un nouveau plan ; la modification ne peut par définition porter que sur certains aspects du plan proposé par le débiteur. En réalité, il s’agit d’une nuance sémantique sans grande portée pratique, car à supposer que l’administrateur judiciaire prenne une position critique envers le plan proposé par le débiteur, il sera nécessairement amené à proposer un autre plan. Il fallait peut être écrire que « l’administrateur élabore un plan de redressement avec la collaboration du débiteur. »

Pour raccourcir les délais de procédure, la consultation de la Commission de suivi des entreprises économiques est devenue simplement facultative (art. 452 al. 2). Néanmoins, il est prévu que l’administrateur judiciaire demande l’avis des représentants des créanciers. Sur le rôle des créanciers, le projet de texte mérite quelques commentaires.

Le rôle des créanciers.


Les créanciers dont on parle sont ceux titulaires de créances antérieures (Sur l’application de cette notion aux établissements de crédit, voir notre article http://samifrikha.blogspot.com/2013/10/les-creances-anterieures-des.html.)  

Comme c’est le cas dans la loi en vigueur, le nouveau texte prévoit que les créanciers « doivent s’assurer de l’inscription de leurs créances » (art. 445). Cette règle est source d’insécurité juridique, car le créancier ne sait pas s’il est ou non inscrit surtout que le débiteur est tenu de donner dans sa demande d’ouverture de la procédure une liste de ses créanciers. Pour enlever tout doute quant aux diligences requises des créanciers, Il a fallu plus simplement leur imposer, sauf peut-être pour les salariés, qu’ils produisent leurs créances comme en matière de faillite (art. 530).

Les créanciers antérieurs peuvent, selon l’article 444, « se regrouper en comités en fonction de leurs intérêts et chaque comité des créanciers désigne un représentant qui soumet leurs observations au juge-commissaire. » Cette règle est laxiste : le regroupement des créanciers en comités paraît facultatif ; de la sorte sa mise en œuvre risque de donner lieu à des difficultés de formalisation. Il eut été préférable de prévoir la constitution obligatoire de deux comités au moins : celui des fournisseurs de biens et services et celui des fournisseurs de crédit. L’Etat, l’organisme de sécurité sociale et les salariés doivent être mis hors de ces comités. L’exposé des motifs qui autorise la constitution d’un comité réunissant les créanciers munis d’une sûreté réelle conventionnelle et un autre réunissant les créanciers chirographaires nous paraît impertinent.

La portée pratique de la constitution des comités des créanciers n’est pas aussi importante qu’on le croit. On s’en convainc en examinant le rôle de la volonté des créanciers dans la détermination du contenu du plan de redressement.

Les créanciers antérieurs peuvent avoir, en cours de la période d’observation, une expression individuelle ou collective de volonté en relation avec le contenu du plan de redressement.

Les créanciers donnent leur consentement individuel quand le plan proposé préconise, comme mesure possible de redressement, un abandon du principal des créances (art. 452 al 2). La portée de cette règle doit être précisée. Elle postule implicitement que le consentement individuel des créanciers n’est pas requis pour l’abandon des intérêts du retard. Mais faut-il aller plus loin et l’exclure aussi quand il s’agit de l’abandon des intérêts rémunératoires d’un prêt ? Ces intérêts sont-ils considérés comme faisant partie du principal de la créance ? Littéralement interprété, le principal d’une créance de prêt ne comprend que le capital prêté. Si cette interprétation était admise, les établissements de leasing ou les banques islamiques ne risqueront pas de subir une réduction de leurs créances contre leur gré, car la créance de loyer dans un contrat de leasing ou la créance de prix vente dans une mourabaha constitue un tout indivisible, un principal. Mais qu’il s’agisse de l’abandon des intérêts rémunératoires ou des intérêts de retard un problème de constitutionnalité ne manque pas de se poser. N’y-a-t-il pas atteinte au droit de propriété pour des considérations d’intérêt privé ? On peut aussi se demander si les pénalités de retard fiscales ou celles dues à l’organisme de sécurité sociale suivent le même régime de l’abandon des intérêts.

Il faut regretter que le projet de loi ne détermine pas les modalités de l’expression du consentement individuel du créancier, de la possibilité pour lui de le révoquer ou de le soumettre à des conditions.

En matière des délais de paiement, le doute est permis sur le sens à donner à l’alinéa 3 de l’article 456 qui tout en rappelant que le plan de redressement par continuation de l’activité ne peut prévoir une réduction du principal de la créance qu’avec le consentement du créancier ajoute que « le plan de continuation ne peut prévoir un échelonnement des créances que dans la limite de sept ans sauf accord contraire du débiteur ou des créanciers. » A lumière de cette rédaction, on peut se demander si l’accord du débiteur sur l’échelonnement des dettes de l’entreprise sur une durée supérieure à sept ans est exclusif de l’accord des créanciers. Si l’on estime que le consentement des créanciers à un échelonnement sur une durée supérieure à sept ans était nécessaire, le serait-il sur la base d’une consultation individuelle ou collective ? A bien réfléchir, nous croyons que l’alinéa 3 de l’article 456 est maladroitement écrit : son sens profond entend soumettre l’échelonnement des dettes de l’entreprise pour une durée supérieure à sept ans à l’accord conjoint du débiteur et du créancier. Il suffit de remplacer la conjonction ‘’ou’’ par la conjonction ‘’et’’ pour que texte ait un sens raisonnable.

Les créanciers expriment aussi leur volonté collective. Le tribunal ne peut, en effet, homologuer un plan de continuation que si les créanciers représentant la moitié des créances inscrites l’approuvent (art. 456 al. 1er). La mesure est strictement nouvelle. Elle s’inspire de l’ancien concordat préventif. En pratique, le Trésor, l’organisme de sécurité sociale et les établissements de crédit auront un droit de vie ou de mort sur la continuité de l’activité de l’entreprise. On peut discuter de l’opportunité de la solution car ces gros créanciers, forts de leurs privilèges légaux ou conventionnels, n’hésitent pas à faire valoir leurs intérêts immédiats au détriment de l’intérêt de l’entreprise et ceux des autres créanciers. Un vote négatif de leur part conduit inéluctablement à l’adoption d’un plan de cession. Par ailleurs, et sur le plan pratique, des difficultés ne manquent pas de surgir. On peut se demander si pour le calcul de la majorité on tient compte des créances douteuses inscrites à titre provisionnel. Le texte ne dit rien, mais une réponse négative n’est pas à écarter.

La consultation collective des créanciers n’est pas elle aussi encadrée par le projet de loi. Il est évident qu’elle doit intervenir suffisamment à l’avance, avant que le dossier de l’affaire ne soit transmis au tribunal dans sa formation collégiale. Mais la question est de savoir si l’administrateur judiciaire doit directement consulter les créanciers ou s’il consulte leurs représentants à charge pour ces derniers de faire une consultation interne ? C’est cette dernière solution qui est suggérée par l’article 452 al. 2. Il prévoit que l’administrateur judiciaire prend l’avis des représentants des créanciers. Mais en l’état actuel de la rédaction des textes et du fait du caractère facultatif et inorganisé des comités des créanciers, il est probable que la consultation se fasse directement.

Un décret d’application ne sera pas superflu pour résoudre toutes les difficultés pratiques de l’intervention des créanciers dans l’élaboration du plan. D’une manière générale qu’il s’agisse du consentement individuel ou collectif des créanciers, il est important de prévoir un mécanisme de vote favorable quand un créancier s’abstient de s’exprimer. Son silence vaudra alors consentement.

On finit par noter que lorsqu’il s’agit des créances de l’Etat, des collectivités publiques locales ou des entreprises publiques, le monopole de l’expression individuelle ou collective du consentement du créancier public est l’apanage du ministre des finances (art. 474). Cette solution est excessive. Il faut, à notre avis, s’en tenir à l’actuel système où le ministre des finances n’intervient qu’en matière d’abandon des créances publiques.

Sami Frikha
frikhasami2@gmail.com

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