mardi 26 mars 2019

Panorama de jurisprudence commerciale



Panorama de jurisprudence commerciale




I- Sociétés commerciales.


Dans l’arrêt commenté (Cass. civ., 50759.2017 du 7 nov. 2018 inédit), la Cour de cassation a eu à répondre à deux questions inédites dans la jurisprudence tunisienne. 

A- L’ajournement de l’assemblée générale d’actionnaires.


L’assemblée générale ordinaire annuelle peut-elle continuer ses délibérations après que le président-directeur général qui la présidait ait déclaré, suite à un conflit survenu entre les actionnaires lors de l’examen d’une question à l’ordre du jour, la clôture de la séance et quitté les lieux ? On comprend par là que l’intéressé a agi en nullité des décisions prises par cette assemblée générale continuée. 

La Cour d’appel de Tunis (CA Tunis, n°76617 du 18 déc. 2015) a rejeté la demande de nullité en se référant à l’article 281 du Code des sociétés commerciales qui, dans sa version arabe qui fait foi, énonce que « l’assemblée générale est présidée par la personne désignée aux statuts. En cas d’empêchement, la présidence est confiée au président du conseil d’administration ou au président du directoire et, le cas échéant, à l’actionnaire choisi par les actionnaires. » Dans le cas d’espèce, les statuts désignent le président du conseil d’administration à la fonction de président de l’assemblée générale. La cour d’appel a estimé que le départ prématuré du président constitue un cas d’empêchement, justifiant la désignation par l’assemblée générale d’un nouveau président de séance et par suite la continuation des délibérations. 

La Cour de cassation tout en estimant que la notion d’empêchement doit être retenue dans le sens le plus général, tel qu’un départ prématuré du président, constate néanmoins, en la circonstance, que le président a déclaré avant qu’il ne quitte le lieux, la clôture de la séance de sorte que l’assemblée ne pouvait continuer ses travaux. 

Au plan conceptuel, on distingue deux notions: la suspension et l’ajournement de l’assemblée générale. 

La suspension est un arrêt momentané de la tenue de l’assemblée. « Les motifs d’une telle mesure sont soit d’ordre juridique, soit d’ordre politique pour permettre aux actionnaires de se concerter en vue d’une solution ou pour apaiser une tension. L’assemblée reprend ses délibérations après le temps de suspension. Le procès-verbal de l’assemblée doit faire mention de l’incident et de ses conséquences. » (Jean Paul Valuet, Le bureau de l’assemblée générale d’actionnaires, Revue des sociétés 2012, p. 543) 

L’ajournement entraîne la clôture de la séance. Il suppose que l’assemblée n’a pas fini de délibérer sur les questions inscrites à l’ordre du jour. L’ajournement peut intervenir avant la tenue même de l’assemblée ou en cours. L’assemblée qui sera convoquée ultérieurement, en respect avec le formalisme attaché à la procédure de convocation, est nouvelle, c’est-à-dire qu’elle ne peut être considérée comme une deuxième assemblée qui peut se tenir, lorsqu’elle est ordinaire, sans s’arrêter sans qu’aucun quorum ne soit réuni. 

La Cour de cassation sans utiliser la notion d’ajournement, l’admet implicitement du moment qu’elle constate que le président a déclaré, tel que mentionné dans le procès-verbal, la clôture de la séance. Elle en tire la conséquence qu’il faut procéder à une nouvelle convocation et que l’assemblée générale ne pouvait pas continuer. 

B- Le bureau de l’assemblée.


Dans sa réplique en défense, la société n’a pas invoqué l’irrégularité de la décision du président de clôturer la séance. En effet, on peut se demander s’il peut décider seul l’ajournement de l’assemblée générale. Ne faut-il pas que la décision soit prise par le bureau ou du moins après consultation des membres du bureau ? En effet, selon l’article 281 al. 2 du Code des sociétés commerciales, « le président de l’assemblée est assisté de deux scrutateurs, et d'un secrétaire, désignés par les actionnaires présents. Ils forment le bureau de l'assemblée. » Selon une doctrine autorisée (Lamy Sociétés commerciales 2018, n°3812), « le président ne peut, sans consulter ses assesseurs, lever la séance avant d'avoir épuisé l'ordre du jour et fait voter sur les résolutions. Dans le cas contraire, l'assemblée aurait le droit de continuer ses délibérations après avoir reconstitué son bureau. » 

On peut s’étonner que la Cour de cassation n’ait pas soulevé d’office cette règle ou du moins qu’elle n’ait pas remarqué une sorte d’incohérence dans la motivation de l’arrêt lorsqu’elle a répondu au deuxième moyen du pourvoi qui critique la composition du bureau de l’assemblée générale continuée où une seule personne avait occupé la fonction de président de la séance et de scrutateur. La Cour de cassation énonce que « la désignation du bureau de l’assemblée a pour but d’assurer le bon déroulement de la séance, et ses membres ont pour fonction de vérifier la feuille de présence, la réunion du quorum et l’établissement d’un procès-verbal résumant les débats et le résultat du vote. Une personne ne peut cumuler la qualité de scrutateur et de président. Ces deux fonctions ne peuvent être cumulées sauf si la répartition des participations l’impose. » L’arrêt d’appel est censuré en ce qu’il n’a pas vérifié si le bureau ne pouvait être autrement composé. 

La motivation de la Cour de cassation relative au rôle, en quelque sorte collégial du bureau de l’assemblée générale, aurait dû la conduire à un examen plus serré des conditions dans lesquelles le président de l’assemblée a décidé l’ajournement de l’assemblée générale et la clôture de la séance. Peut-être qu’elle n’avait pas pensé le faire du moment que le moyen n’avait pas été soulevé par la défenderesse. En tout cas, il est important de souligner que si l’assemblée générale souhaite continuer ses délibérations, elle doit procéder à la reconstitution de son bureau (T. com. Seine, 30 juill. 1948, Gaz. Pal. 1948, II, p. 117). Une personne ne peut cumuler la fonction de président et de scrutateur qu’exceptionnellement. 

II- Règlement judiciaire


Les deux arrêts de la Cour de cassation n°67865 et 67866 du 17 mai 2018 bien que rendus à propos des faits jugés sous l’empire l’ancienne loi du 17 avril 1995, relative au redressement des entreprises en difficultés économiques, gardent leur actualité sous la nouvelle loi n°2016-36 du 29 avril 2016, relative aux procédures collectives. Les arrêts commentés traitent de l’incidence de l’éviction des dirigeants sociaux sur l’exercice des voies de recours dans la procédure de règlement judiciaire. 

A- L’éviction des dirigeants


Quand une entreprise fait l’objet d’une décision d’ouverture d’une procédure de règlement judiciaire, le président du tribunal peut, de manière exceptionnelle en vertu d’une décision motivée, charger l’administrateur judiciaire -chargé en principe de préparer un plan de redressement- de prendre la direction totale ou partielle de l'entreprise, avec ou sans le concours du débiteur (art 443 nouveau du Code de commerce). 

En la circonstance, deux sociétés appartenant au même groupe étaient soumises à une procédure de règlement judiciaire où le tribunal, lors de l’adoption du plan de continuation, avait décidé l’éviction des dirigeants et la désignation d’un administrateur judiciaire pour diriger les entreprises pendant la période d’exécution du plan. 

Au plan des principes, l’éviction du dirigeant d’une société soumise à une procédure de règlement judiciaire n’est prévue par la loi que pour une durée limitée correspondant à la période d’observation où un administrateur judiciaire est nommé pour faire le diagnostic des difficultés de l’entreprise et chercher les moyens de son redressement. Si le tribunal homologue un plan de continuation de l’activité aucun texte ne lui donne pouvoir de décider l’éviction du dirigeant. 

En droit français comparé, il était possible au tribunal d’homologuer un plan de continuation sous condition de remplacement des dirigeants. C’est donc en vertu d’une disposition légale que le tribunal se décidait avec cette précision que la mesure conduisait au remplacement des dirigeants et qu’il ne pouvait être décidé par le juge mais par les associés. On comprend bien le fondement de la solution. En effet, pendant le plan de continuation, la société doit fonctionner normalement pour pouvoir inspirer confiance à ses créanciers. Or seuls les dirigeants sont en mesure de le faire et, au besoin, ils seront amenés à négocier des garanties personnelles avec ces créanciers. Un administrateur judiciaire n’a pas un motif personnel à une implication d’une telle ampleur et les dirigeants évincés pareillement. Le droit français a évolué en écartant la possibilité pour les tribunaux de décider d’un plan de continuation sous réserve de changement des dirigeants. 


B- L’exercice des voies de recours par les dirigeants évincés


Dans les deux espèces soumises à l’examen de la Cour de cassation, l’administrateur judiciaire a échoué dans sa mission d’exécuter les préconisations du plan et la situation des deux entreprises qu’il a dirigées a bien empiré. Il a présenté une demande de résolution du plan et le tribunal a homologué un plan de cession de l’entreprise à un tiers. Les jugements ainsi rendus ont fait l’objet d’appel formé par les dirigeants évincés. La Cour d’appel de Tunis a rejeté les appels en la forme en estimant que les dirigeants évincés n’ont pas pouvoir de représenter les sociétés en justice. Ces jugements sont censurés par la Cour de cassation avec une longue motivation qu’on ne peut qu’approuver. Elle précise que l’éviction des dirigeants n’emporte pas leur révocation et encore moins leur dessaisissement. Elle est au surplus limitée dans son étendue et sa finalité et ne se prolonge pas après la résolution du plan. Elle ne porte pas en tout cas atteinte aux « droits propres » de la société d’exercer les recours dans le cadre de la procédure collective. Les recours exercés par eux ne préjudicient en rien à la bonne exécution du plan et sont dans le prolongement du droit de propriété qui ne subit de limitation qu’en vertu d’une disposition légale. L’éviction des dirigeants étant exceptionnelle elle est d’interprétation stricte. Un très récent arrêt de la Cour de cassation (Cass civ., 68256.2018 du 4 fév. 2019, inédit) s’inscrit dans la même lignée mais sa motivation est de portée moindre car il se présente comme un cas d’espèce.

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