dimanche 2 juin 2019

La clôture du compte courant Le salutaire revirement de jurisprudence


La clôture du compte courant

Le salutaire revirement de jurisprudence


Un arrêt de la Cour de cassation (Cass. civ., n°38306 du 1er mars 2017, in rapport annuel de la Cour de cassation 2017, p. 227 et s.) traite de la détermination du solde définitif du compte courant au cas où il est demeuré inactif (gelé), plus ou moins longtemps, n’enregistrant que des écritures au débit représentatives des frais de tenue de compte et agios débiteurs capitalisés.
Le titulaire du compte, condamné en l’espèce au paiement de l’entier solde débiteur à la clôture prononcé par le banquier, se pourvoit en cassation en soutenant que le compte courant du moment qu’il n’enregistre plus des remises réciproques perd sa nature juridique ou du moins est considéré comme clôturé implicitement. Il ajoute que les règles prudentielles posées par la Banque centrale de Tunisie, en matière de suivi des actifs, devaient conduire la banque, teneur du compte, à considérer qu’il est clôturé dès la cessation des remises au crédit.
L’intérêt d’une requalification du contrat de compte courant est de considérer que le débit en compte ne peut produire un intérêt débiteur de plein droit. Il faudra une stipulation expresse conformément à l’article 1097 COC. Par ailleurs, les intérêts débiteurs ne peuvent être capitalisés, avec la somme principale pour produire eux-mêmes des intérêts, que dans les conditions de droit commun, c’est-à-dire qu’en présence d’une clause expresse et le respect d’un intervalle d’une année.
Un résultat équivalent est obtenu si l’on considère que le compte courant est implicitement clôturé dès le moment où le titulaire ne fait plus des remises au crédit. En effet, l’article 737 CC dispose que « les remises produisent intérêt au taux fixé par les correspondants pour le fonctionnement du compte, ou à défaut de convention par l’usage. » Il ajoute que « sauf convention contraire et jusqu’à la clôture du compte, ces intérêts produisent eux-mêmes intérêts, à compter du jour où ils font l’objet d’une remise en compte, à condition que cette remise soit effectuée en respectant un délai de temps fixé par l’usage. » La même règle est inutilement -et maladroitement- reprise in fine de l’article 1099 COC. Ainsi à la date de clôture implicite du  compte courant, à défaut d'accord écrit entre les parties pour maintenir le taux conventionnel (ou pour prévoir un nouveau taux), le solde ne peut produire que les intérêts légaux et la capitalisation doit respecter les conditions de droit commun.
La Cour de cassation répond au pourvoi, dans ses deux branches, pour le rejeter, à juste titre, à notre sens.

       1)     La vaine requalification du contrat de compte courant

Le pourvoi semble se référer à des précédents arrêts de la Cour de cassation où il a été jugé que du moment où il n’y a pas de remises réciproques effectives, le compte courant perd sa nature juridique et la capitalisation trimestrielle des intérêts débiteurs ne peut plus se produire. (Cass. civ., n°2008-31745 du 15 fév. 2010, Le compte courant gelé produit-il des intérêts ? obs. Hédi Bougarras, infos-juridiques, n°108/109, mars 2019, p. 8 ; add., Cass. civ., n°37346 du 3 juin 2010 ; n°55521 du 27 nov. 2011 ; n°6332 du 24 avr. 2013 ; n°6681 du 4 déc. 2014 ; n°31464 du 5 avr. 2016, inédits).
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation juge, à juste titre, dans un sens contraire. C’est un cas de revirement de jurisprudence. Sa mention dans le rapport annuel de 2017 est signe de son intérêt.
Le compte courant, rappelle la Cour suprême, est défini à l’article 728 CC. C’est la convention par laquelle « deux personnes, dites correspondants, conviennent de faire entrer dans un compte, par voie de remises réciproques et enchevêtrées, les créances résultant des opérations qu’elles feront entre elles et de substituer ainsi des règlement particuliers et successifs de ces opérations un règlement unique, devant porter sur le seul solde du compte lors de sa clôture. » Dans une formule ramassée, la doctrine définit le compte courant comme une « convention par laquelle deux personnes affectent toutes leurs créances réciproques à un mécanisme de règlement instantané par fusion en un solde immédiatement disponible. »
La convention de compte courant peut-être conclue entre des correspondants qui sont dans une relation d’affaires : un commettant et un commissionnaire, un fournisseur et un distributeur, un intermédiaire en bourse et son client etc. Mais le plus souvent, le contrat est conclu entre une banque ou un établissement de factoring et son client.
Après avoir rappelé la définition légale du compte courant, la Cour de cassation relève, à juste titre, que la qualification du contrat est dépendante de la volonté des parties au départ de travailler en compte. Selon la Cour suprême, l’expression « remises réciproques et enchevêtrées », ne signifie rien d’autre que la vocation du compte à enregistrer des remises réciproques. Peu importe si ces remises ne se sont pas réalisées ou si elles se sont réalisées à des intervalles espacées ou même si un correspondant (le client de la banque) a cessé de faire des remises en compte.
En réalité, la solution consacrée par la Cour de cassation, dans l’arrêt objet de ces commentaires, est unanimement admise. Le principe d’affectation générale, exprimée à l’article 729 CC, « n'oblige pas les parties à se rendre créancières l'une de l'autre mais seulement à porter en compte les créances qui naissent entre elles. Elle n'impose pas davantage à un client de ne traiter en compte courant qu'avec un seul banquier pas plus qu'elle ne fait obstacle à l'existence entre deux partenaires de plusieurs comptes courants. Elle traduit seulement une vocation de principe qui doit composer avec la nature des créances et surtout la volonté commune des parties. » (Lamy Droit du financement 2018, n°2695.) Ainsi pour la qualification du compte, il faut se placer au moment de l’accord des parties (et non en cours de son exécution, la force obligatoire du contrat oblige) pour chercher si elles ont entendu (l’élément intentionnel est fondamental selon Gavalda et Stoufflet) substituer aux règlements particuliers et successifs de leurs opérations un règlement unique, devant porter sur le seul solde du compte lors de sa clôture.
2)     Le rejet de la thèse de clôture implicite du compte courant
La thèse de la clôture implicite du compte courant emprunte deux voies différentes. La Cour de cassation les rejette successivement.
a)     Le « gel », une volonté implicite titulaire du compte de clôturer le compte ?
Le compte courant est un contrat à exécution successive. Il peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. Le plus souvent, le contrat est conclu pour une durée indéterminée. Dans ce cas, l’article 732 al. 2 CC dispose que « le compte courant ouvert sans détermination de durée est clos à tout moment par la volonté de l’un correspondant, sous réserve des préavis convenus ou, à défaut, des délais prévus par l’usage. » La faculté de clôturer le compte à tout moment est la conséquence de la liberté contractuelle et du principe général d’interdiction des engagements perpétuels. La clôture n’a pas à être motivée et est reconnue à l’un ou l’autre des correspondants, indépendamment de la nature civile ou commerciale du compte. Elle est toutefois subordonnée au respect d’un délai de préavis fixé par la convention ou l’usage. Comme on peut constater, le législateur n’exige pas un délai raisonnable mais un délai conforme aux usages. La difficulté est de prouver cet usage (la preuve incombe à celui qui s’en prévaut art. 544 COC) et de dire si le délai est uniformément posé pour le banquier et le client. Le non-respect du délai de préavis est sanctionné par des dommages-intérêts en cas de dommage.
En pratique, les banques donnent en moyenne un délai de 15 jours mais il faut bien noter que lorsque le compte est utilisé pour consentir un découvert bancaire à durée indéterminée, la banque doit donner un préavis distinct (art 705 al. 2 CC). Il faut donc une application cumulative des deux règles.
La clôture unilatérale du compte courant résulte incontestablement d’un acte de volonté exprimé par l’une des parties et communiqué à l’autre. La théorie de la clôture implicite contredit le principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation (art 29 COC). Un arrêt de la Cour de cassation française (Cass. com. C., du 23 mars  1993) a censuré une cour d’appel « qui pour condamner le titulaire d’un compte courant au paiement du solde débiteur de ce compte à une date donnée, se borne à retenir que le dernier mouvement avait eu lieu à cette date, sans rechercher si l’intéressé avait voulu mettre fin à la convention de compte. » L’exigence d’une volonté expresse de clôturer le compte joue dans les deux sens. Dans l’arrêt précité, la banque ne pouvait agir en paiement du solde du compte débiteur résiduel en prétextant que le client a retiré l’ensemble de ses avoirs et cessé toutes ses opérations. Un tel agissement du client n’est pas éloquent et n’exprime pas une volonté de clôturer le compte courant (Patrice Bouteiller, Le compte courant, JurisClasseur Banque - Crédit - Bourse, fasc. 210, n°34).
Il faut enfin observer que le banquier (ou le client) doit, selon l’article 732 al. 2 CC, donner un préavis avant de procéder à la clôture du compte. Il en découle nécessairement une expression de volonté notifiée à l’autre partie et l’impossibilité logique de déduire du simple silence une volonté de cesser la relation de compte.
b)     La clôture du compte courant « gelé » : une obligation du banquier ?
Les banques sont tenues, en vertu des règles prudentielles posées par la BCT, en application de l’article 66 de la loi du 11 juillet 2016, relative aux banques et aux établissements financiers, d’assurer un suivi de leurs actifs sur leurs clients. Une attention particulière est faite aux actifs bancaires sous forme de découverts en compte courant. La circulaire de la BCT n°24 du 17 décembre 1991 régit tout à la fois les conditions d’octroi d’un financement par découvert et l’appréciation du risque qui en résulte. « Les montants non-justifiés par les besoins doivent être réclamés aux bénéficiaires en vue de leur règlement immédiat ». « A défaut de pouvoir le réaliser, la banque doit établir, une seule fois, un échéancier de remboursement en principal et intérêts. » Au surplus, le découvert bancaire doit faire d’un suivi. « Lorsqu'il est écoulé un délai de 90 jours après l'arrêté des intérêts sans que le compte n'enregistre des mouvements de recettes susceptibles de compenser le montant intégral des intérêts débiteurs et autres charges, le découvert (ou le compte débiteur) est considéré généralement gelé et doit faire partie de la classe 2. Lorsque ce délai dépasse 180 jours sans excéder 360 jours, le découvert doit faire partie de la classe 3. Aude-là d’un délai de 360 jours, le découvert doit faire partie de la classe 4. »
La Cour de cassation estime, dans l’arrêt commenté, que ces règles prudentielles n’ont aucun rapport avec la clôture du compte. Il n’appartenait pas à la banque de clôturer le compte en raison des risques de non-recouvrement du débit en compte.
En réalité, les entreprises qui connaissent des difficultés retardent la clôture du compte débiteur pour éviter de rendre le solde exigible. Ainsi, le gel du compte est un acte délibéré du titulaire n’exprimant nullement l’intention de clôturer le compte. Bien au contraire.

3 commentaires:

  1. très très intéressant
    Merci pour l'apport .

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  2. Bonjour
    Je vous exprime mes vifs remerciements pour l éclaircissement de cet article. Je voudrais avoir un avis juridique pour la situation suivante : un compte bancaire pour association a été ouvert , les signataires habilités à faire fonctionner le compte ont récupéré le RIB. Après quelques jours le service de contrôle des ouvertures des comptes n'ont pas validé le compte pour le motif suivant : selon notre politique d acceptation client,notre banque n accepted plus l entree en relation avec les associations. Entre-temps le compte en question a été crédité par un virement local. Le signataire et le trésorier de l association refuse la clôture de compte après la mise à disposition de cet argent reçu. Une lettre de préavis de clôture de compte par voie de courrier lui a été adressée. Merci de nous éclaircir sur les solutions à suivre.

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