Le décès de l'entrepreneur individuel
S’installer pour son propre compte. Les personnes physiques peuvent, en principe, exercer toutes les professions
indépendantes de leur choix. Leur pleine capacité juridique et la liberté du
commerce et de l'industrie sont les fondements légaux du libre exercice
professionnel. Poussant la règle jusqu'à son ultime conséquence, il n'est pas
interdit de voir la même personne exercer plusieurs professions à la fois ou
même cumuler un exercice professionnel indépendant et un autre salarié. La loi,
au sens formel du terme, peut limiter l'exercice professionnel soit en exigeant
la satisfaction de certaines conditions d’accès, de non-cumul ou d’exclusivité,
soit en exigeant la participation au capital d'une société dotée d'une
personnalité juridique distincte de celle des associés, ayant ou non une forme spécifique.
L'exercice individuel d'une profession n'est pas remis en cause lorsqu'une
personne prend la qualité d'associé dans une société de moyens -ou prendre part
un groupement d'intérêt économique-, qui se limite à procurer aux associés les
moyens matériels et humains nécessaires à leur exercice professionnel
indépendant. La législation tunisienne, restée longtemps rangée derrière une
conception classique de la société qui exige la réunion de deux associés au
moins, a évolué, depuis 2000, pour admettre, timidement, qu'une personne
physique crée une société unipersonnelle à responsabilité limitée. Dans cette
hypothèse, il s’agit en droit d’un exercice social de l'activité économique,
mais les économistes lèvent le voile de la personnalité morale et qualifient la
société d’entreprise individuelle.
L'exercice professionnel indépendant conduit donc à la
mise en place d'une entreprise individuelle, dont la taille est plus ou moins grande.
La plus élémentaire fait de l’entrepreneur un ouvrier car c’est lui-même qui exécute
les prestations de l'entreprise, aidé parfois par les membres de sa famille dans
un travail non rémunéré. L'entrepreneur peut être un employeur avec un nombre
plus ou moins important de salariés placés sous sa direction et son contrôle.
L'entreprise est soit créée ex nihilo, soit acquise auprès d'une autre
personne en pleine propriété ou en jouissance, voire même héritée.
Le décès facteur perturbateur. La pérennité de l'entreprise individuelle est un impératif économique
si l'on considère certains événements perturbateurs, tels qu’un accident entraînant
une incapacité de l’entrepreneur ou, plus dramatiquement, la survenance d’un décès.
Dans cette dernière hypothèse spécialement, on peut se trouver dans l’une des deux
configurations suivantes. Dans la première, le décès est anticipé et la
transmission de l'entreprise est planifiée. L'entrepreneur prépare les
conditions de la transmission de l'entreprise à un repreneur qu'il choisit dans
le libre exercice de son pouvoir de disposition de ses biens. Les motifs du
choix n’est pas relevant en droit, mais les sciences de gestion s’y intéressent.
Selon la modalité de transmission choisie, l’entrepreneur se désengage de
l'entreprise avant le décès ou organise une transmission où l'événement du
décès soit un facteur déclencheur, par exemple par la cession de son vivant de
la nue-propriété de l'entreprise. Dans une modalité plus élaborée,
l’entrepreneur personnifie son entreprise individuelle en l’apportant à une
société qu’il fonde et où il serait le principal associé, mais en conférant le
pouvoir de gestion au successeur désigné. Le processus de personnification peut
cependant être interrompu au cas où le décès intervient prématurément et c’est
déjà la deuxième configuration. Le décès peut en effet survenir précocement,
soit que l'entrepreneur n'avait pas des déterminants personnels de passer à
l'acte de transmettre, soit qu'il avait des difficultés objectives à le faire.
De quelques difficultés juridiques. Dans notre pratique au prétoire, nous avons traité certains problèmes
juridiques en rapport avec la transmission de l’entreprise par décès. Nous les signalerons
brièvement dans cette chronique sans esprit de système.
A)
La dernière maladie
La transmission préparée se traduit par un acte
juridique passé entre l’entrepreneur et le successeur. Le plus souvent il
s’agit d’une donation. Si elle est conclue tardivement pendant la période de
maladie elle risque d’être remise en cause par les héritiers évincés. Souvent,
le litige naît en raison d’une crise familiale.
Le droit tunisien offre aux héritiers évincés le moyen
d’agir en nullité des actes faits à titre gratuit pendant la dernière maladie
(art. 354 et 355 COC). La
jurisprudence dans son rôle d’interprétation des textes définit la notion négativement
et positivement. La dernière maladie n’est pas la vieillesse, ni encore la
maladie chronique ; elle n’est pas non plus une incapacité du malade, ni
un vice de consentement. (Cass. 49760 du 24 fév. 1998, Bulletin 1998, p.
141 ; Cass. 50827 du 19 fév. 1998, Bulletin 1998, p. 138.) C’est plutôt
une malade grave empêchant le malade de vaquer à ses occupations ordinaires et qui
fait craindre la mort et que mort s’en suive (Cass. 4140 du 19 Juin
2001, Bulletin 2001, p. 81).Le
délai séparant entre la date de la maladie et celle du décès a donné lieu des
difficultés d’appréciation. Certains arrêts le fixent à une année au maximum (Cass.
269 du 27 Juin 2005, Bulletin 2005, p. 149). Le délai de prescription de
l’action en nullité est cependant incertain car la loi ne prévoit pas un texte
exprès. Si l’on estime que la nullité sanctionne une incapacité de jouissance
du malade pendant la dernière maladie (art. 6 COC in fine) dans le but
de protéger les héritiers, lesquels peuvent confirmer l’acte, elle est
qualifiée de nullité relative et se prescrit pas une année à partir de la date
de décès (330 COC).
B)
Les prétentions d'un tiers soi-disant associé
La transmission normale de l’entreprise individuelle
se complique au cas où un tiers prétend être associé de l’entrepreneur
prédécédé. Le tiers soutient soit avoir conclu avec le de cujus une société en
participation soit qu’ils étaient comportés comme des associés, ce qui serait
qualifié comme une société créée de fait. Ce qui serait commun à la société en
participation et à la société créée de fait est l’absence d’écrit. La preuve de
la société est ainsi rendue difficile. Méthodologiquement, la seule preuve
fiable de l’existence d’une société est la recherche de l'affection societatis.
Il permet d'objectiviser l'intention des parties au moyen de comportements
juridiquement signifiants. En ce sens, la recherche de l'intention apparaît
comme un moyen de reconstituer une volonté qui, par hypothèse, a été mal formulée,
ou n'a pas été exprimée du tout. L'existence d'une société ne se
devine pas a écrit un auteur (Vincent Cuisiner, L'affectio societatis, Litec 2008, p.
85). Elle se prouve à travers le comportement au
quotidien. Le prétendu associé qui ne prouve pas avoir pris part à la
participation à la gestion de la société, ou du moins à son contrôle ou à ses fruits
pendant sa durée ne peut se contredire au détriment d’autrui (547 COC). On peut
lui opposer qu’il s’était comporté conformément au statut qu’il se représentait
au moment des faits, c’est-à-dire comme un non associé. La Cour de cassation
française (Cass. 25 juillet 1949, Bulletin N. 307 p. 784) exige des juges de fond qu'ils caractérisent l'existence de tous les
éléments constitutifs du contrat de société, et elle exerce un contrôle
rigoureux sur ce point. Par contre dans les rapports avec les créanciers, la preuve
de la société en participation ou la société créée de fait est appréciée d’une
manière globale indépendamment de l'existence apparente de chacun des éléments de la
société." (Cass. civ., 13
novembre 1980, Bulletin des arrêts, N. 293)C) L'entreprise successorale indivise
Avec le décès de l’entrepreneur individuel, les actifs
de son patrimoine tombent dans le patrimoine des héritiers. Trois difficultés
sont à signaler quand l’entreprise successorale opère dans une activité non
réglementée.
Il arrive qu’un incapable mineur ou majeur soit parmi
les héritiers. Il ne peut exercer des actes juridiques que s’il est représenté
par un tuteur. L’article 17 COC précise que « le tuteur ne peut continuer
à exercer le commerce pour le compte de ce dernier, s’il n’y est autorisé par
le juge des tutelles, qui ne devra l’accorder que dans l’intérêt manifeste de
l’incapable. » La disposition légale a vocation à s’appliquer au cas où
l’entreprise successorale a un objet commercial, les activités civiles ne sont
donc pas visées. La complication se produit quand le juge refuse de donner son
autorisation et que les autres héritiers souhaitent continuer l’activité
commerciale. Une solution consiste à ce qu’ils prennent à bail ou lui achètent sa
part indivise dans l’entreprise. L’autorisation du juge est également
nécessaire.
Il y a indivision quand deux ou plusieurs personnes sont propriétaires
d’un même droit réel et que le droit de chacune d’elles porte sur l’ensemble et
non sur une portion déterminée de la chose commune (56 CDR). L’indivision n’est
pas une société dotée de la personnalité morale. Quand il s’agit de conclure
des actes juridiques en rapport avec l’entreprise indivise, il faut désigner
les héritiers un à un par leur nom et il faut qu’ils interviennent dans les
actes à moins qu’ils ne donnent mandat à quelqu’un. Le mandataire agit
es-qualité sinon il sera tenu personnellement par l’acte conclu. Pour cela seul
l’indivision est déjà lourde à fonctionner. Mais ce n’est pas encore fini. Un
indivisaire ne peut agir seul et obliger les autres co-indivisaires à
contribuer avec lui pour leur quote-part que pour les actes de
conservation (64 CDR) ; les actes d’administration peuvent être accomplis
par la majorité des trois-quarts des intérêts qui forment l’indivision (68 CDR).
En revanche pour les actes de disposition, d’innovation ou de contracter des
obligations nouvelles, la majorité ne peut obliger la minorité (69 CDR). Rien
que pour obtenir un crédit bancaire ou pour faire un investissement dans
l’entreprise indivise, il faut obtenir l’accord unanime des copropriétaires. Le
plus grave encore est que l’état d’indivision est précaire destiné à cesser à
tout moment. L’article 71 du code des droits réels édicte à cet égard que
« nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ; chacun
des coindivisaires peut toujours provoquer le partage.
L’état
de précarité de l’indivision est un principe que les copropriétaires peuvent écarter
par écrit pour une durée déterminé. Cette convention semble nécessaire pour
bénéficier d’un avantage fiscal sous forme d’exonération des droits de mutation
successorale. Le bénéfice de l’avantage est en effet subordonné à la
continuation de l’exploitation pendant trois ans à
compter du premier janvier de l’année qui suit l’année du décès (art 52 Code
de l’enregistrement et de timbre).
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