dimanche 29 octobre 2017

Le décès de l'entrepreneur individuel

Le décès de l'entrepreneur individuel

S’installer pour son propre compte. Les personnes physiques peuvent, en principe, exercer toutes les professions indépendantes de leur choix. Leur pleine capacité juridique et la liberté du commerce et de l'industrie sont les fondements légaux du libre exercice professionnel. Poussant la règle jusqu'à son ultime conséquence, il n'est pas interdit de voir la même personne exercer plusieurs professions à la fois ou même cumuler un exercice professionnel indépendant et un autre salarié. La loi, au sens formel du terme, peut limiter l'exercice professionnel soit en exigeant la satisfaction de certaines conditions d’accès, de non-cumul ou d’exclusivité, soit en exigeant la participation au capital d'une société dotée d'une personnalité juridique distincte de celle des associés, ayant ou non une forme spécifique. L'exercice individuel d'une profession n'est pas remis en cause lorsqu'une personne prend la qualité d'associé dans une société de moyens -ou prendre part un groupement d'intérêt économique-, qui se limite à procurer aux associés les moyens matériels et humains nécessaires à leur exercice professionnel indépendant. La législation tunisienne, restée longtemps rangée derrière une conception classique de la société qui exige la réunion de deux associés au moins, a évolué, depuis 2000, pour admettre, timidement, qu'une personne physique crée une société unipersonnelle à responsabilité limitée. Dans cette hypothèse, il s’agit en droit d’un exercice social de l'activité économique, mais les économistes lèvent le voile de la personnalité morale et qualifient la société d’entreprise individuelle.
L'exercice professionnel indépendant conduit donc à la mise en place d'une entreprise individuelle, dont la taille est plus ou moins grande. La plus élémentaire fait de l’entrepreneur un ouvrier car c’est lui-même qui exécute les prestations de l'entreprise, aidé parfois par les membres de sa famille dans un travail non rémunéré. L'entrepreneur peut être un employeur avec un nombre plus ou moins important de salariés placés sous sa direction et son contrôle. L'entreprise est soit créée ex nihilo, soit acquise auprès d'une autre personne en pleine propriété ou en jouissance, voire même héritée.
Le décès facteur perturbateur. La pérennité de l'entreprise individuelle est un impératif économique si l'on considère certains événements perturbateurs, tels qu’un accident entraînant une incapacité de l’entrepreneur ou, plus dramatiquement, la survenance d’un décès. Dans cette dernière hypothèse spécialement, on peut se trouver dans l’une des deux configurations suivantes. Dans la première, le décès est anticipé et la transmission de l'entreprise est planifiée. L'entrepreneur prépare les conditions de la transmission de l'entreprise à un repreneur qu'il choisit dans le libre exercice de son pouvoir de disposition de ses biens. Les motifs du choix n’est pas relevant en droit, mais les sciences de gestion s’y intéressent. Selon la modalité de transmission choisie, l’entrepreneur se désengage de l'entreprise avant le décès ou organise une transmission où l'événement du décès soit un facteur déclencheur, par exemple par la cession de son vivant de la nue-propriété de l'entreprise. Dans une modalité plus élaborée, l’entrepreneur personnifie son entreprise individuelle en l’apportant à une société qu’il fonde et où il serait le principal associé, mais en conférant le pouvoir de gestion au successeur désigné. Le processus de personnification peut cependant être interrompu au cas où le décès intervient prématurément et c’est déjà la deuxième configuration. Le décès peut en effet survenir précocement, soit que l'entrepreneur n'avait pas des déterminants personnels de passer à l'acte de transmettre, soit qu'il avait des difficultés objectives à le faire.
De quelques difficultés juridiques. Dans notre pratique au prétoire, nous avons traité certains problèmes juridiques en rapport avec la transmission de l’entreprise par décès. Nous les signalerons brièvement dans cette chronique sans esprit de système.

A)     La dernière maladie

La transmission préparée se traduit par un acte juridique passé entre l’entrepreneur et le successeur. Le plus souvent il s’agit d’une donation. Si elle est conclue tardivement pendant la période de maladie elle risque d’être remise en cause par les héritiers évincés. Souvent, le litige naît en raison d’une crise familiale.
Le droit tunisien offre aux héritiers évincés le moyen d’agir en nullité des actes faits à titre gratuit pendant la dernière maladie (art. 354 et 355 COC). La jurisprudence dans son rôle d’interprétation des textes définit la notion négativement et positivement. La dernière maladie n’est pas la vieillesse, ni encore la maladie chronique ; elle n’est pas non plus une incapacité du malade, ni un vice de consentement. (Cass. 49760 du 24 fév. 1998, Bulletin 1998, p. 141 ; Cass. 50827 du 19 fév. 1998, Bulletin 1998, p. 138.) C’est plutôt une malade grave empêchant le malade de vaquer à ses occupations ordinaires et qui fait craindre la mort et que mort s’en suive (Cass. 4140 du 19 Juin 2001, Bulletin 2001, p. 81).Le délai séparant entre la date de la maladie et celle du décès a donné lieu des difficultés d’appréciation. Certains arrêts le fixent à une année au maximum (Cass. 269 du 27 Juin 2005, Bulletin 2005, p. 149). Le délai de prescription de l’action en nullité est cependant incertain car la loi ne prévoit pas un texte exprès. Si l’on estime que la nullité sanctionne une incapacité de jouissance du malade pendant la dernière maladie (art. 6 COC in fine) dans le but de protéger les héritiers, lesquels peuvent confirmer l’acte, elle est qualifiée de nullité relative et se prescrit pas une année à partir de la date de décès (330 COC).

B)      Les prétentions d'un tiers soi-disant associé

La transmission normale de l’entreprise individuelle se complique au cas où un tiers prétend être associé de l’entrepreneur prédécédé. Le tiers soutient soit avoir conclu avec le de cujus une société en participation soit qu’ils étaient comportés comme des associés, ce qui serait qualifié comme une société créée de fait. Ce qui serait commun à la société en participation et à la société créée de fait est l’absence d’écrit. La preuve de la société est ainsi rendue difficile. Méthodologiquement, la seule preuve fiable de l’existence d’une société est la recherche de l'affection societatis. Il permet d'objectiviser l'intention des parties au moyen de comportements juridiquement signifiants. En ce sens, la recherche de l'intention apparaît comme un moyen de reconstituer une volonté qui, par hypothèse, a été mal formulée, ou n'a pas été exprimée du tout. L'existence d'une société ne se devine pas a écrit un auteur (Vincent Cuisiner, L'affectio societatis, Litec 2008, p. 85). Elle se prouve à travers le comportement au quotidien. Le prétendu associé qui ne prouve pas avoir pris part à la participation à la gestion de la société, ou du moins à son contrôle ou à ses fruits pendant sa durée ne peut se contredire au détriment d’autrui (547 COC). On peut lui opposer qu’il s’était comporté conformément au statut qu’il se représentait au moment des faits, c’est-à-dire comme un non associé. La Cour de cassation française (Cass. 25 juillet 1949, Bulletin N. 307 p. 784) exige des juges de fond qu'ils caractérisent l'existence de tous les éléments constitutifs du contrat de société, et elle exerce un contrôle rigoureux sur ce point. Par contre dans les rapports avec les créanciers, la preuve de la société en participation ou la société créée de fait est appréciée d’une manière globale indépendamment de l'existence apparente de chacun des éléments de la société." (Cass. civ., 13 
novembre 1980, Bulletin des arrêts, N. 293)

C)      L'entreprise successorale indivise

Avec le décès de l’entrepreneur individuel, les actifs de son patrimoine tombent dans le patrimoine des héritiers. Trois difficultés sont à signaler quand l’entreprise successorale opère dans une activité non réglementée.
Il arrive qu’un incapable mineur ou majeur soit parmi les héritiers. Il ne peut exercer des actes juridiques que s’il est représenté par un tuteur. L’article 17 COC précise que « le tuteur ne peut continuer à exercer le commerce pour le compte de ce dernier, s’il n’y est autorisé par le juge des tutelles, qui ne devra l’accorder que dans l’intérêt manifeste de l’incapable. » La disposition légale a vocation à s’appliquer au cas où l’entreprise successorale a un objet commercial, les activités civiles ne sont donc pas visées. La complication se produit quand le juge refuse de donner son autorisation et que les autres héritiers souhaitent continuer l’activité commerciale. Une solution consiste à ce qu’ils prennent à bail ou lui achètent sa part indivise dans l’entreprise. L’autorisation du juge est également nécessaire.
Il y a indivision quand deux ou plusieurs personnes sont propriétaires d’un même droit réel et que le droit de chacune d’elles porte sur l’ensemble et non sur une portion déterminée de la chose commune (56 CDR). L’indivision n’est pas une société dotée de la personnalité morale. Quand il s’agit de conclure des actes juridiques en rapport avec l’entreprise indivise, il faut désigner les héritiers un à un par leur nom et il faut qu’ils interviennent dans les actes à moins qu’ils ne donnent mandat à quelqu’un. Le mandataire agit es-qualité sinon il sera tenu personnellement par l’acte conclu. Pour cela seul l’indivision est déjà lourde à fonctionner. Mais ce n’est pas encore fini. Un indivisaire ne peut agir seul et obliger les autres co-indivisaires à contribuer avec lui pour leur quote-part que pour les actes de conservation (64 CDR) ; les actes d’administration peuvent être accomplis par la majorité des trois-quarts des intérêts qui forment l’indivision (68 CDR). En revanche pour les actes de disposition, d’innovation ou de contracter des obligations nouvelles, la majorité ne peut obliger la minorité (69 CDR). Rien que pour obtenir un crédit bancaire ou pour faire un investissement dans l’entreprise indivise, il faut obtenir l’accord unanime des copropriétaires. Le plus grave encore est que l’état d’indivision est précaire destiné à cesser à tout moment. L’article 71 du code des droits réels édicte à cet égard que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ; chacun des coindivisaires peut toujours provoquer le partage.
L’état de précarité de l’indivision est un principe que les copropriétaires peuvent écarter par écrit pour une durée déterminé. Cette convention semble nécessaire pour bénéficier d’un avantage fiscal sous forme d’exonération des droits de mutation successorale. Le bénéfice de l’avantage est en effet subordonné à la continuation de l’exploitation pendant trois ans à compter du premier janvier de l’année qui suit l’année du décès (art 52 Code de l’enregistrement et de timbre).


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