dimanche 26 février 2017

L’autorisation d’investir dans le Droit de l’investissement


L’autorisation d’investir dans le Droit de l’investissement


Nous avons fait dans la précédente chronique quelques commentaires sur le principe de liberté d’investissement consacré dans la loi n°2016-71 du 30 septembre 2016, relative au Droit de l’investissement. Les activités requérant exceptionnellement une autorisation administrative seront déterminées par un décret gouvernemental. Afin de limiter l’inertie et l’arbitraire de l’administration dans la réponse à donner à l’investisseur, le législateur a édicté deux règles que nous nous proposons de présenter dans les développements qui suivent. Il s’agit de l’autorisation implicite et de l’obligation de motivation en cas de refus.

I- L’autorisation implicite


Le décret gouvernemental établissant la liste des activités exclues du principe de la liberté de l’investissement doit fixer les délais, les procédures et les conditions d’octroi de l’autorisation administrative. Concernant le délai de décision, le pouvoir réglementaire n’est pas tenu pas de respecter un délai maximum fixé par la loi de 2016. Il n’est pas exclu qu’il arrête des délais différents en fonction de la complexité des activités économiques. 

L’autorité administrative investie du pouvoir d’autorisation peut se décider dans un sens ou dans un autre. Néanmoins quand le délai imparti pour qu’elle rende décision expire, l’investisseur peut se considérer comme implicitement autorisé. C’est ce que prévoit l’alinéa 6 de l’article 2 de la loi.

La règle du silence implicite valant autorisation est à l’opposé d’une solution classique admise en droit administratif. En droit commun, le silence de l’administration vaut décision de rejet. Cette solution, édictée dans une perspective contentieuse, permet d’ouvrir la voie au recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif. L’article 37 de la loi organique du 1er Juin 1972, relative au tribunal administratif prévoit, en effet, que, « les recours pour excès de pouvoir sont introduits dans les deux mois qui suivent la date de la publication ou de la notification des décisions attaquées. » « La personne concernée peut présenter un recours préalable (recours gracieux) à l’administration qui a pris la décision pour lui demander un examen de la demande. Dans ce cas, les délais de recours sont interrompus (et non seulement suspendus). » « Toutefois, le silence observé par l’autorité concernée, durant deux mois à partir de l’introduction du recours administratif préalable, est considéré comme une décision implicite de refus permettant au concerné de saisir le tribunal administratif, dans les deux mois qui suivent le jour de l’expiration du dit délai. Le cas échéant, et concernant les décisions tributaires de délibérations périodiques, le délai précité est prorogé au mois suivant la première session légale de l’assemblée délibérante concernée, tenue après le dépôt du recours administratif préalable. » 

Des textes spéciaux ont consacré une solution inverse où le silence de l’administration vaut acceptation. C’est le cas par exemple en matière de concentration économique. Le silence du ministre chargé du commerce pendant un délai de trois mois à compter de la notification de l’opération ou du projet de concentration vaut acceptation (art. 9 de la loi du 15 septembre 2015). En matière d’étude d’impact, l’article 9 du décret 11 juillet 2005, l’Agence nationale de protection de l’environnement dispose, selon la catégorie de l’unité concernée, d’un délai de vingt et un jours ouvrables ou de trois mois ouvrables pour notifier sa décision d’opposition à la réalisation de l’unité, et à l’expiration de ces délais, l’accord est considéré tacite pour la réalisation de l’unité.

Un décret en date du 3 mai 1993, relatif à la relation entre l’administration et le citoyen, modifié à plusieurs reprise (décret du 21 mai 2007, décret du 11 février 2008 et décret du 26 juillet 2010) énonce que « le silence par les services publics sur les demandes relatives aux prestations administratives vaut acceptation implicite. » Suit une liste de prestations limitativement énumérées concernées par cette solution. Il est indéniable que la politique du législateur ou du pouvoir réglementaire est en la matière éclectique, le principe étant que le silence vaut refus.

L’alinéa 6 de l’article 2 de la loi de 2016 énonce en substance que l’autorisation implicite ne vaut que si la demande remplit toutes les conditions requises. Cela signifie que l’administration est en droit de retirer l’autorisation implicite lorsqu’un examen ultérieur du dossier révèle la présence d’une illégalité. Il est alors légitime pour qu’elle fasse cesser l’illégalité en prenant une décision de retrait de l’autorisation implicite. Mais le retrait doit être exprès (et motivé, voir infra II), il produit un effet rétroactif ce qui est évident. La question se pose néanmoins du délai dans lequel l’administration peut exercer la prérogative de retrait de la décision implicite irrégulière. Est-ce qu’on fera application du même délai qui a présidé à la prise de l’autorisation implicite irrégulière ou est-ce qu’on retiendra le délai de droit commun ? Rappelons que selon une jurisprudence établie du tribunal administratif, « les décisions individuelles illégales ayant fait acquérir des droits ne peuvent être retirées que dans le délai contentieux qui est de deux mois (Yadh Ben Achour, Droit administratif, 3e éd. Centre de publication universitaire 2010, p. 409). » Le prochain décret gouvernemental gagnera en clarté à traiter de cette difficulté particulière. Ça ne fera que renforcer la sécurité juridique de l’investisseur.

La dernière phrase de l’alinéa 6 de l’article 2 de la loi de 2016 est d’interprétation malaisée. Elle prévoit que, « Dans ce cas [d’autorisation implicite], l’instance accorde l’autorisation après vérification du respect de ces conditions et délais en cas de silence après l'expiration des délais. » Cette phrase semble venue résoudre la difficulté de preuve de l’autorisation implicite. En effet, l’investisseur peut avoir besoin de justifier auprès des tiers ou auprès d’autres administrations publiques qu’il a obtenu implicitement l’autorisation nécessaire à l’exercice de son activité. Pour cela, il a besoin de la faire reconnaître par l’administration détentrice du pouvoir de décision. Celle-ci risque de ne pas y faire droit. C’est pour cela que l’alinéa 6 prévoit que l’Instance tunisienne de l’investissement intervient pour attester de l’existence de l’autorisation implicite, mais elle ne peut le faire qu’une fois qu’elle a vérifié que les conditions légales sont satisfaites. Cette précaution prise par le législateur demeure insuffisante car la règle du silence valant acceptation ne peut correctement fonctionner que si la demande d’autorisation et la date de son dépôt sont établies d’une manière certaine. Pour atteindre cet objectif, il faut faire appel à l’article 7 du décret du 3 mai 1993 précité. En effet, selon ce texte l’administration est tenue de délivrer un récépissé à toute personne ayant sollicité une prestation. 

On peut se demander si l’instance peut jouer un rôle quand il lui semble que la décision implicite d’autorisation ne remplit pas ses conditions de validité. Il nous semble qu’elle est incompétente à opérer son retrait. Cette prérogative appartient à l’autorité investie du pouvoir d’autoriser. Le seul rôle de l’Instance est d’attirer l’attention sur l’irrégularité commise et doit attendre l’expiration du délai de retrait pour reconnaître l’existence de la décision implicite.

Quand l’administration oppose à l’investisseur un refus, elle doit le motiver.


II- La motivation du refus


Le refus d’une autorisation doit être motivée et notifiée au demandeur dans les délais légaux par écrit ou par tout moyen laissant une trace écrite. C’est ce qu’énonce l’alinéa 5 de l’article 2 de la loi de 2016. Les motifs du refus peuvent être de nature juridique ou factuel ou les deux à la fois. 

La règle de la motivation obligatoire posée par la loi de 2016 est une exception à la solution de droit commun. Le juge administratif a retenu depuis longtemps le principe de la motivation non obligatoire des décisions administratives (Mootez Gargouri, La motivation des décisions administratives, in La diversité dans le droit, Mélanges offerts à la Doyenne Kalthoum Meziou-Dourai, Centre de publication universitaire 2013, p. 360). Il faudra donc un texte spécial légal ou réglementaire (par exemple le décret du 3 mai 1993 précité) pour y déroger. Mais des fois, le juge administratif impose la motivation de l’acte administratif en l’absence d’un texte en raison de l’objet de la décision (une sanction par exemple) ou des modalités de son édiction (émanant d’un organe collégial). 

La motivation obligatoire du refus d’autorisation est une règle de forme sanctionnée par la nullité. L’investisseur doit connaître dans le corps même de la décision les motifs du refus. Cela lui permettrait de régulariser sa situation et présenter une nouvelle demande d’autorisation ou de contester les motifs devant le juge administratif.

L’alinéa 5 de l’article 2 de la loi de 2016 se contente d’imposer la motivation du refus, mais le juge administratif exige que cette motivation soit effective et suffisante (Mootez Gargouri. op. cit. p. 384). La loi de 2016 n’a pas cru utile de rappeler ces deux qualités, mais il est tout à fait certain que le tribunal administratif continuera à adopter la même politique jurisprudentielle. On terminera nos commentaires par remarquer que les garanties données par le législateur à l’investisseur risquent d’être vaines si elles ne sont pas prolongées par les mesures nécessaires à modernisation et au renforcement du tribunal administratif (voir sur ce point http://www.esteri.it/mae/doc/twl_tu10enpapjh23_fiche_final.pdf), car les délais contentieux sont actuellement excessifs.



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