Rémunération du président du conseil d'administration
Le problème juridique nous semble être le
suivant : Le président du conseil d’administration d’une société anonyme
de droit tunisien peut-il, en cette seule qualité, recevoir une rémunération
distincte de celle qui pourrait lui être allouée à titre de jeton de présence
en sa qualité d’administrateur ?
Une réponse positive peut être
soutenue grâce à une lecture combinée des articles 208, 211, 205, 204, 206 et
200 du Code des sociétés commerciales. On le démontrera dans les développements
qui suivent.
Le statut
organique du Président-directeur général. L’article 208 du Code des sociétés
commerciales pose le principe de cumul des fonctions de président du conseil
d’administration et de directeur général. Cet organe exécutif est désigné sous
l’appellation de président-directeur général.
L’article 208 détermine le statut
organique du président directeur général. On entend par statut organique les
conditions de nomination, la durée du mandat et la possibilité d’allouer au
titulaire une rémunération.
Le statut
fonctionnel du président-directeur général. Le statut fonctionnel du président
directeur général est fixé quant à lui à l’article 211 du même Code. Il y est énoncé
que « le président du conseil d'administration assure, sous sa
responsabilité, la direction générale de la société. Il représente la société
dans ses rapports avec les tiers. » Le président-directeur général est
ainsi investi d’une fonction de direction interne au sein de l’entreprise sociale
et d’une fonction de représentation de la société dans les rapports avec les
tiers. Le rôle du président-directeur général dans le fonctionnement du conseil
d’administration n’est pas expressément visé dans cet article 211, mais on peut
le dégager indirectement lorsque le Code des sociétés commerciales traite de la
possibilité de dissocier les deux fonctions de président et de directeur
général.
La
possibilité de dissociation entre la fonction de président et de directeur
général. L’article 215 du Code des sociétés commerciales prévoit, en
effet, que les statuts de la société peuvent opter pour la dissociation entre
les fonctions de président du conseil d'administration et celles de directeur
général de la société.
L’apparente
lacune de la loi quant au statut organique du président du conseil
d’administration. Quand le législateur traite de la possibilité
de la dissociation des fonctions de président et de directeur, il s’intéresse à
définir expressément le statut organique du directeur général (art 217 al. 1,
2, et 3) et à la répartition des fonctions entre ce dernier (art 217 al. 4) et
le président du conseil d’administration (art 216). Au vu de la teneur de ces
deux textes, on peut dire, sans risque d’erreur, que l’ensemble comporte une
lacune apparente quand il s’agit de dire quelles sont les règles qui encadrent
le statut organique du président du conseil d’administration. Par comparaison
du président-directeur général on peut se poser la question s’il peut une
personne morale ; s’il doit être choisi parmi les administrateurs et s’il
doit au surplus être actionnaire. On peut prolonger le questionnement pour se
demander si le président peut recevoir une rémunération pour ses fonctions.
Interprétation
de l’article 208 CSC. Toutes ses questions ne reçoivent pas de
réponse explicite dans l’article 208. Un effort d’interprétation est nécessaire.
A
bien réfléchir, le silence du législateur à propos du statut organique du
président du conseil d’administration n’est qu’apparent. En effet, l’article
208 du Code des sociétés commerciales régit tant le cas de cumul des fonctions
de président et de directeur général que le cas de scission. En effet,
l’article 208 précise que le conseil d’administration choisit parmi ses membres
un président. La qualité président-directeur général qui lui est
attribuée dans la suite du texte n’est faite que dans la perspective de la
solution de principe de cumul des fonctions. Si ce cumul est écarté par une
stipulation expresse des statuts, conformément à l’article 211, la personne
nommée sera seulement désigné par le vocable président. Dans cette
compréhension du texte, la désignation du président non cumulard se fait dans les
mêmes règles posées à l’article 208. Ainsi, il doit être membre du conseil
d’administration, personne physique et actionnaire. La durée de son mandat est
déterminée par le conseil d’administration sans qu’elle dépasse la durée de son
mandat d’administrateur ; le président est révocable à tout moment, toute
clause contraire est nulle. Si nous admettons que le statut organique du
président du conseil d’administration trouve assise légale dans l’article 208,
nous devons également admettre que l’allocation d’une rémunération se fait dans
les mêmes conditions.
La
rémunération du président a une cause spécifique. Le droit à
la rémunération du président, en vertu d’une décision du conseil
d’administration, a une cause juridique : la fonction qu’il exerce au sein
du conseil d’administration est bien distincte de celle qu’il exerce en sa
qualité d’administrateur. En convoquant le conseil d’administrateur, en
préparant l’ordre du jour de la réunion et en assurant le suivi des décisions
du conseil d’administration, le président effectue un travail permanent en
dehors des réunions du conseil d’administration ; il ne s’agit pas
simplement d’accomplir des tâches formelles et matérielles. Son travail est de
nature intellectuelle avant et après les réunions du conseil d’administration.
Sa fonction exige de lui qu’il soit en contact rapproché à la fois avec la
direction générale, sans immixtion dans la gestion, et avec les administrateurs
pour leur fournir l’information dont ils auraient besoins. Il est ainsi collecteur
et pourvoyeur d’informations sur la marche de la société. L’information est
donnée aux administrateurs soit sur initiative propre du président, soit à leur
demande.
La
rémunération du président est spécifique par rapport à celle d’un directeur
général. Mais dans la mesure où, dans l’hypothèse retenue, le président
n’assure pas la direction générale de la société, une évaluation spécifique de
la rémunération due devra être faite sur des bases différentes de celles
habituellement retenues pour un président-directeur général.
La rémunération du président n’est pas une rémunération pour mission exceptionnelle. Les dispositions de l’article 205 du Code des sociétés commerciales ne sont pas applicables à la rémunération du président du conseil d’administration. Nous rappelons que ce texte régit les missions exceptionnelles pouvant être dévolues à l’un des administrateurs et pour lesquelles il peut être rémunéré. En exigeant que la rémunération soit exceptionnelle, le législateur se montre réservé à l’égard des rémunérations dues aux administrateurs. Il y a, en effet, un risque d’abus préjudiciable à l’intérêt des actionnaires. Le caractère exceptionnel de la rémunération présente deux significations : Le mandat confié à l’administrateur doit être ponctuel, précis et distinct de la fonction d’administrateur ; la rémunération qui en est la contrepartie doit être raisonnable[1], ce qui exclut la possibilité de fixer une rémunération variable en fonction du chiffre d’affaires.
A comparer à ces missions exceptionnelles, nous pouvons affirmer que la mission confiée au président du conseil d’administration n’a rien d’exceptionnel ou de ponctuel. C’est même le contraire qu’il s’agisse. C’est une mission permanente, car elle suit le rythme des activités de la société. Il faut toutefois noter qu’il n’est pas interdit pour le conseil d’administration de confier à son président une mission ponctuelle distincte de la mission de président.
La possibilité pour le président de cumuler des jetons de
présence. La rémunération due au président du conseil d’administration sur
décision préalable du conseil d’administration ne doit pas être confondue avec
les jetons de présence dont le montant est fixé par l’assemblée générale. Etant
membre du conseil d’administration, la doctrine admet même que le président
puisse recevoir à titre de jeton de présence une part supérieure aux autres
administrateurs.
Réfutations
des obstacles à l’octroi de la rémunération au président du conseil. Pour que
notre analyse soit complète, nous devons chercher s’il existe des textes en
sens contraire interdisant au président du conseil d’administration de recevoir
une rémunération.
Réfutation
de l’argument de l’article 206 CSC. Tout d’abord, nous devons écarter
l’obstacle de l’article 206 du Code des sociétés commerciales déterminant d’une
manière rigoureuse les rémunérations pouvons être servies aux administrateurs.
Cet article ne peut, sans contestation aucune, faire échec à la rémunération du
président du conseil d’administration. Le texte a un sens clair car il vise les
membres du conseil d’administration qui ne sont ni chargés de mission
exceptionnelle ni de fonction permanente de présidence.
Réfutation
de l’argument de l’article 200 CSC. D’aucuns peuvent tirer argument du
silence observé par l’article 200-II-5 du Code des sociétés commerciales à
propos du président du conseil d’administration pour exclure son droit à la
rémunération. L’objectif de ce texte est d’encadrer les rémunérations octroyées
aux organes d’administration et de direction. Le législateur transpose le
régime des conventions réglementées aux rémunérations des dirigeants. Ce régime
concerne toutes « les obligations et engagements pris par la société
elle-même ou par une société qu’elle contrôle au sens de l’article 461 du
présent code, au profit de son président-directeur général, directeur général,
administrateur délégué, l’un de ses directeurs généraux adjoints, ou de l’un de
ses administrateurs, concernant les éléments de leur rémunération … Ces
rémunérations sont du ressort du conseil d’administration et le dirigeant l’intéressé
ne peut prendre part au vote. L’assemblée exerce un contrôle a posteriori
sur rapport spécial du commissaire aux comptes. Comme nous pouvons le constater
aucune référence n’est faite dans cette disposition au président du conseil
d’administration qui pourrait se voir allouer une rémunération. Ce silence peut
être interprété par un raisonnement a contrario comme signifiant
l’interdiction de toute rémunération.
Il ne faut pas, à notre avis, exagérer
la portée de cette omission. Elle n’est qu’une maladresse de rédaction. Nous en
avons pour preuve les dispositions précédentes du même article 200 quand elles
traitent des obligations déclaratives mises à la charge des personnes ayant
conclues des opérations réglementées avec la société. Ainsi selon l’article
200-II-3, chacune des personnes indiquées à l’alinéa 1 ci-dessus doit informer le
président-directeur général, le directeur général ou l’administrateur délégué
de toute convention soumise aux dispositions du même alinéa, dès qu’il en prend
connaissance. Ainsi comme dans l’alinéa 5 nulle mention n’est faite de
l’information que peut recevoir le président du conseil d’administration quand
c’est le directeur général qui contracte avec la société. Interprété
littéralement on sera amené à dispenser le directeur général d’informer son
président d’une convention qu’il a conclu avec la société. Nul ne peut
contester qu’une telle interprétation soit illogique et trahit la volonté du
législateur.
Conclusion.
En
définitive, sans distordre les notions de jetons de présence, de rémunération
exceptionnelle, il est possible d’allouer au président du conseil
d’administration une rémunération pour les missions de présidence dont il est
chargé, en tenant compte qu’il n’est pas en situation de cumul avec la fonction
de direction générale.