Libres propos sur le projet de loi relatif aux procédures collectives (II).Nouveautés dans l’élaboration du plan de règlement judiciaire
La procédure de règlement
judiciaire s’ouvre sur une période d’observation au cours de laquelle il est
préparé un « plan de redressement » ayant pour objectif « le
sauvetage de l’entreprise ». Ledit plan peut être, selon l’article 453, un
« plan de continuation », un « plan de location », y
compris location- gérance ou location assortie d’une option d’achat, ou un
« plan de cession ». Toutes les options sont donc ouvertes au
tribunal pour déterminer le sort de la demande de règlement judiciaire, mais le
plan de continuation semble être privilégié. On s’attache dans cette chronique
à relever les nouveaux aspects du projet de loi liés à l’élaboration du plan.
Le rôle respectif du débiteur et de l’administrateur judiciaire.
Le texte actuellement en vigueur
donne à l’administrateur judiciaire la mission d’élaborer un plan de
redressement qu’il soumet à l’homologation du tribunal. Mais la jurisprudence
admet que le débiteur puisse présenter un plan.
Le nouveau texte inverse les
rôles puisqu’il est prévu à l’article 452 que « l’administrateur
judiciaire étudie le plan présenté par le débiteur et le modifie en cas de
besoin. » Littéralement, le pouvoir de modification revenant à
l’administrateur judiciaire n’emporte pas pouvoir de substitution d’un nouveau
plan ; la modification ne peut par définition porter que sur certains
aspects du plan proposé par le débiteur. En réalité, il s’agit d’une nuance
sémantique sans grande portée pratique, car à supposer que l’administrateur
judiciaire prenne une position critique envers le plan proposé par le débiteur,
il sera nécessairement amené à proposer un autre plan. Il fallait peut être écrire
que « l’administrateur élabore un plan de redressement avec la
collaboration du débiteur. »
Pour raccourcir les délais de
procédure, la consultation de la Commission de suivi des entreprises
économiques est devenue simplement facultative (art. 452 al. 2). Néanmoins, il
est prévu que l’administrateur judiciaire demande l’avis des représentants des
créanciers. Sur le rôle des créanciers, le projet de texte mérite quelques
commentaires.
Le rôle des créanciers.
Les créanciers dont on parle sont
ceux titulaires de créances antérieures (Sur l’application de cette notion aux
établissements de crédit, voir notre article http://samifrikha.blogspot.com/2013/10/les-creances-anterieures-des.html.)
Comme c’est le cas dans la loi en
vigueur, le nouveau texte prévoit que les créanciers « doivent
s’assurer de l’inscription de leurs créances » (art. 445). Cette règle
est source d’insécurité juridique, car le créancier ne sait pas s’il est ou non
inscrit surtout que le débiteur est tenu de donner dans sa demande d’ouverture
de la procédure une liste de ses créanciers. Pour enlever tout doute quant aux
diligences requises des créanciers, Il a fallu plus simplement leur imposer,
sauf peut-être pour les salariés, qu’ils produisent leurs créances comme en
matière de faillite (art. 530).
Les créanciers antérieurs peuvent,
selon l’article 444, « se regrouper en comités en fonction de leurs
intérêts et chaque comité des créanciers désigne un représentant qui soumet
leurs observations au juge-commissaire. » Cette règle est laxiste : le
regroupement des créanciers en comités paraît facultatif ; de la sorte sa
mise en œuvre risque de donner lieu à des difficultés de formalisation. Il eut
été préférable de prévoir la constitution obligatoire de deux comités au
moins : celui des fournisseurs de biens et services et celui des fournisseurs
de crédit. L’Etat, l’organisme de sécurité sociale et les salariés doivent être
mis hors de ces comités. L’exposé des motifs qui autorise la constitution d’un comité
réunissant les créanciers munis d’une sûreté réelle conventionnelle et un autre
réunissant les créanciers chirographaires nous paraît impertinent.
La portée pratique de la
constitution des comités des créanciers n’est pas aussi importante qu’on le
croit. On s’en convainc en examinant le rôle de la volonté des créanciers dans
la détermination du contenu du plan de redressement.
Les créanciers antérieurs peuvent avoir, en
cours de la période d’observation, une expression individuelle ou collective de
volonté en relation avec le contenu du plan de redressement.
Les créanciers donnent leur consentement
individuel quand le plan proposé préconise, comme mesure possible de redressement,
un abandon du principal des créances (art. 452 al 2). La portée de cette règle
doit être précisée. Elle postule implicitement que le consentement individuel des
créanciers n’est pas requis pour l’abandon des intérêts du retard. Mais faut-il
aller plus loin et l’exclure aussi quand
il s’agit de l’abandon des intérêts rémunératoires d’un prêt ? Ces intérêts
sont-ils considérés comme faisant partie du principal de la créance ? Littéralement
interprété, le principal d’une créance de prêt ne comprend que le capital prêté. Si cette interprétation était admise, les
établissements de leasing ou les banques islamiques ne risqueront pas de subir
une réduction de leurs créances contre leur gré, car la créance de loyer dans
un contrat de leasing ou la créance de prix vente dans une mourabaha constitue
un tout indivisible, un principal. Mais qu’il s’agisse de l’abandon des
intérêts rémunératoires ou des intérêts de retard un problème de
constitutionnalité ne manque pas de se poser. N’y-a-t-il pas atteinte au droit de
propriété pour des considérations d’intérêt privé ? On peut aussi se demander si les pénalités de
retard fiscales ou celles dues à l’organisme de sécurité sociale suivent le
même régime de l’abandon des intérêts.
Il faut regretter que le projet de loi ne détermine pas les modalités de
l’expression du consentement individuel du créancier, de la possibilité pour
lui de le révoquer ou de le soumettre à des conditions.
En matière des délais de paiement, le doute est permis sur le sens à
donner à l’alinéa 3 de l’article 456 qui tout en rappelant que le plan de
redressement par continuation de l’activité ne peut prévoir une réduction du
principal de la créance qu’avec le consentement du créancier ajoute que « le
plan de continuation ne peut prévoir un échelonnement des créances que dans la
limite de sept ans sauf accord contraire du débiteur ou des
créanciers. » A lumière de cette rédaction, on peut se demander si
l’accord du débiteur sur l’échelonnement des dettes de l’entreprise sur une
durée supérieure à sept ans est exclusif de l’accord des créanciers. Si l’on
estime que le consentement des créanciers à un échelonnement sur une durée
supérieure à sept ans était nécessaire, le serait-il sur la base d’une
consultation individuelle ou collective ? A bien réfléchir, nous croyons
que l’alinéa 3 de l’article 456 est maladroitement écrit : son sens
profond entend soumettre l’échelonnement des dettes de l’entreprise pour une
durée supérieure à sept ans à l’accord conjoint du débiteur et du créancier. Il
suffit de remplacer la conjonction ‘’ou’’ par la conjonction ‘’et’’
pour que texte ait un sens raisonnable.
Les créanciers expriment aussi leur volonté collective. Le tribunal ne
peut, en effet, homologuer un plan de continuation que si les créanciers représentant
la moitié des créances inscrites l’approuvent (art. 456 al. 1er). La
mesure est strictement nouvelle. Elle s’inspire de l’ancien concordat
préventif. En pratique, le Trésor, l’organisme de sécurité sociale et les
établissements de crédit auront un droit de vie ou de mort sur la continuité de
l’activité de l’entreprise. On peut discuter de l’opportunité de la solution car
ces gros créanciers, forts de leurs privilèges légaux ou conventionnels, n’hésitent
pas à faire valoir leurs intérêts immédiats au détriment de l’intérêt de
l’entreprise et ceux des autres créanciers. Un vote négatif de leur part conduit
inéluctablement à l’adoption d’un plan de cession. Par ailleurs, et sur le plan
pratique, des difficultés ne manquent pas de surgir. On peut se demander si
pour le calcul de la majorité on tient compte des créances douteuses inscrites
à titre provisionnel. Le texte ne dit rien, mais une réponse négative n’est pas
à écarter.
La consultation collective des créanciers n’est
pas elle aussi encadrée par le projet de loi. Il est évident qu’elle doit intervenir
suffisamment à l’avance, avant que le dossier de l’affaire ne soit transmis au
tribunal dans sa formation collégiale. Mais la question est de savoir si l’administrateur
judiciaire doit directement consulter les créanciers ou s’il consulte leurs représentants
à charge pour ces derniers de faire une consultation interne ? C’est cette
dernière solution qui est suggérée par l’article 452 al. 2. Il prévoit que
l’administrateur judiciaire prend l’avis des représentants des créanciers. Mais
en l’état actuel de la rédaction des textes et du fait du caractère facultatif
et inorganisé des comités des créanciers, il est probable que la consultation
se fasse directement.
Un décret d’application ne sera pas superflu
pour résoudre toutes les difficultés pratiques de l’intervention des créanciers
dans l’élaboration du plan. D’une manière générale qu’il s’agisse du
consentement individuel ou collectif des créanciers, il est important de
prévoir un mécanisme de vote favorable quand un créancier s’abstient de s’exprimer.
Son silence vaudra alors consentement.
On finit par noter que lorsqu’il s’agit des créances
de l’Etat, des collectivités
publiques locales ou des entreprises publiques, le monopole de l’expression
individuelle ou collective du consentement du créancier public est l’apanage du
ministre des finances (art. 474). Cette solution est excessive. Il faut, à
notre avis, s’en tenir à l’actuel système où le ministre des finances
n’intervient qu’en matière d’abandon des créances publiques.
Sami Frikha
frikhasami2@gmail.com
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