De quelques aspects des assemblées générales des sociétés anonymes
1) La convocation des AG par le commissaire aux comptes
L’article 277 du CSC dispose que « l’assemblée générale est convoquée par le conseil d’administration ou par le directoire. En cas de nécessité, elle peut être convoquée par :
1) Le ou les commissaires aux comptes.
2) … 3) … 4)…
En vertu de ce texte, l’assemblée générale est en principe convoquée par le conseil d’administration ou par le directoire. A titre exceptionnel, elle peut être convoquée par le commissaire aux comptes ou par le juge à la demande des actionnaires si certaines conditions sont satisfaites. L’article 227 du CSC permet donc de distinguer le pouvoir du commissaire aux comptes de convoquer directement l’assemblée générale et celui des actionnaires limité et conditionné par le filtre du juge.
Concernant la convocation par le commissaire aux comptes, la question se pose s’il est légitime de s’arrêter à la lettre de l’article 277-1 du CSC. Ne doit-on pas admettre que le commissaire aux comptes ne peut convoquer l’assemblée générale qu’en vertu d’un texte exprès dans un cas déterminé ? En d’autres termes ne vaudrait-il pas privilégier une interprétation restrictive qui se recommande du principe de l’interdiction faite commissaire aux comptes de s’immiscer dans la gestion sociale ?
Une interprétation restrictive de la loi peut trouver appui dans l’article 195 (nouveau) du même code qui prévoit qu’en cas de vacance d’un poste d’administrateur sans que le conseil d’administration ait procédé à la cooptation ou sans qu’il convoque l’assemblée générale lorsque le nombre des administrateurs est réduit à moins du minimum légal, le commissaire aux comptes peut demander au juge des référés la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de convoquer l’assemblée générale. Ainsi, le commissaire aux comptes n’a pas le pouvoir convoquer directement l’assemblée générale. Toujours dans la logique d’une interprétation restrictive de l’article 277-1, le commissaire aux comptes n’est tenu de convoquer l’assemblée générale qu’en cas d’urgence lorsqu’il survient un fait menaçant l’activité de la société et que les dirigeants ne répondent pas ou ne donnent pas une réponse suffisante à son interpellation du commissaire sur les mesures à prendre pour redresser la société (art 420 du CC).
En droit, l’interprétation restrictive de l’article 277-1 heurte le principe général de rationalité du législateur qui recommande de donner effet utile à tout texte qui, dans notre cas, autorise littéralement le commissaire à convoquer une assemblée générale, peu importe qu’elle soit ordinaire, extraordinaire ou spéciale.
L’article 277-1 du CSC est repris de l’article L.225-103 du CC français pour lequel il existe un texte d’application (article R225-162 du CC) qui prévoit que « le commissaire aux comptes ne peut convoquer l'assemblée des actionnaires qu'après avoir vainement requis sa convocation du conseil d'administration ou du directoire, selon le cas, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Lorsqu'il procède à cette convocation, il fixe l'ordre du jour et peut, pour des motifs déterminants, choisir un lieu de réunion autre que celui éventuellement prévu par les statuts, mais situé dans le même département. Il expose les motifs de la convocation dans un rapport lu à l'assemblée ». Une norme professionnelle, la NCC 6-703, ne permet la convocation de l’assemblée générale qu’en cas de carence de l’organe compétent. Or en droit tunisien, l’autorité réglementaire n’est pas intervenue pour fixer les conditions de mises en œuvre de l’article 277-1 du CSC et de son côté l’OECT n’a pas pris de position sur l’interprétation de la règle et n’a pas fixé une ligne de conduite qui s’impose aux commissaires aux comptes.
Un arrêt de la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 19 Janv. 2006, Bulletin Joly Sociétés, 1 juin 2006, n°6, p. 705, note Jean-François Barbièri.) a estimé que la simple constatation d’un conflit d’actionnaires ne saurait justifier que le commissaire aux comptes soit substitué indûment aux organes de gestion qui fonctionnent normalement. Pour cela la responsabilité du commissaire aux comptes pour une convocation irrégulière est engagée. L’annotateur précise que le commissaire aux comptes doit respecter son devoir d’indépendance et d’impartialité. Il ne peut apprécier les attitudes des parties à la place du juge.
Un auteur a pu néanmoins écrire que le commissaire aux comptes « doit réunir l'assemblée lorsqu'il s'agit d'éviter de mettre la société en situation irrégulière, notamment du fait du défaut d'approbation des comptes dans le délai légal ou de non-respect d'une disposition légale imposant la tenue d'une assemblée ordinaire ou extraordinaire dans un certain délai » (Yves Guyon, Assemblées d’actionnaires, convocation, Répertoire des sociétés, Dalloz, n°24, Septembre 2002, actualisation Juin 2020).
Le Mémento Francis Lefebvre (assemblées générales 2018-2019 n°1030 et s.) citant une jurisprudence ancienne relève que les tribunaux ont admis que les commissaires aux comptes avaient agi régulièrement en convoquant les actionnaires en assemblée générale dans les cas suivants :
- lorsque les pouvoirs du conseil étaient expirés et qu'aucune assemblée n'avait été tenue depuis six ans ;
- en cas de mésentente entre administrateurs ;
- en cas d'existence de deux conseils d'administration prétendant gérer la société ou encore d'inexistence de tout conseil ;
- dissentiments existant entre les dirigeants sociaux.
Il est certain qu’un équilibre doit être observé entre deux impératifs légaux : ne pas s’immiscer dans la gestion et ne pas être inerte dans l’accomplissement de la mission. Le commissaire aux comptes averti doit adresser une mise en demeure du conseil d’administration avant de convoquer l’assemblée générale.
La difficulté de mise en œuvre de l’article 277-1 du CSC est sérieuse en cas de co-commissariat et absence d’accord entre les professionnels sur l’opportunité de la convocation. Dans ce cas, l’intervention du juge des référés est nécessaire pour autoriser l’un d’eux à convoquer l’assemblée générale.
Une convocation irrégulière peut donner lieu à la nullité de l’assemblée générale ; elle peut également engager la responsabilité du commissaire aux comptes.
2) Le scrutin secret
« Aucune règle légale n'impose de mode de scrutin dans une société anonyme. Si les statuts n'ont rien prévu, c'est le bureau ou l’assemblée générale qui décide, compte tenu des usages et du nombre des participants, si le vote se fait par écrit, par utilisation d'un procédé de vote électronique « in situ » ou à main levée, etc. Si le vote est susceptible d'avoir des suites contentieuses, certaines sociétés procèdent à un vote par appel nominal afin de conserver trace dans le procès-verbal du sens dans lequel chaque actionnaire a voté. Sinon le scrutin secret peut être utilisé, car il suffit de savoir si la majorité a été atteinte et non quelle est la composition de cette majorité ». (Yves Guyon, Assemblées générales – Tenue, Répertoire Sociétés, Dalloz, n°195, Septembre 2002, actualisation Juin 2020.) Il n’est pas interdit que le vote soit fait par bulletin pour certaines résolutions et à mainlevées pour d’autres. Pour certaines décisions comme celles qui concernent les personnes (agrément, nomination ou révocation, etc.), le vote secret peut être utile afin d'éviter les tensions et de ménager les susceptibilités (Mémento Francis Lefebvre, Les assemblées générales 2019, n°60240).
La question se pose si le secret du scrutin peut être levé une fois que l’assemblée générale est terminée. Un actionnaire peut-il demander avoir accès au rapport de dépouillement du vote révélant l’identité des votants ? Une réponse négative s’impose. L’article 284 du CSC limite le droit d’accès aux documents sociaux : rapport du conseil d’administration, la liste des engagements hors bilan, les rapports des commissaires aux comptes relatifs aux trois derniers exercices, les copies des procès-verbaux et les feuilles de présence des assemblées tenues au cours des trois derniers exercices. Nulle mention n’est faite aux bulletins de vote.
La besoin d’accéder au résultat nominatif du vote se ressent à l’occasion de litiges pour abus de majorité. L’action en responsabilité pour abus de majorité, prévue à l’article 280 du CSC, doit être dirigée contre les actionnaires ayant personnellement commis l’abus. Il est évident qu’elle ne peut prospérer que lorsqu’il est prouvé le sens du vote de chacun des actionnaires mis en cause. En l’absence d’une preuve écrite sur le sens du vote de chaque actionnaire, résultant d’une mention dans le procès-verbal, un auteur a pu écrire « qu’il est difficile de prouver le sens du vote de chaque associé lorsque ce vote intervient à mains levées, et est-il même impossible de le connaître lorsqu'il est effectué au scrutin secret ». (Yves Chartier, Sanctions de l'affectation systématique, à la demande des associés majoritaires, des bénéfices d'une société aux réserves, affectation ne répondant ni à l'objet ni aux intérêts de celle-ci, note sous Cass. Com 6 juin 1990, Revue des sociétés, 1990, p. 606). On comprend de cette dernière remarque, que le juge saisi d’une action en responsabilité pour abus de majorité ne peut lever le secret du vote. La règle statutaire ou la décision de l’assemblée générale prévoyant un scrutin secret s’impose à lui.
En réalité, la seule marge de manœuvre dont dispose à l’actionnaire requérant est de mettre en cause la validité de la délibération de l’assemblée générale. Les statuts ou l’assemblée générale ayant prévu de réaliser un scrutin secret, le bureau de l’assemblée est tenu d’assurer par tout moyen le respect de cette condition. Pour veiller au respect de celui-ci, il arrive qu'un huissier de justice soit chargé d'assister à l'assemblée.
Le juge saisi par une action en nullité pour non-respect du secret du vote, peut vérifier si les dispositions nécessaires ont été prévues pour faire respecter, dans la mesure du possible, le secret du vote.
Un arrêt français, cité par les auteurs, retient que le secret du vote n’est pas tant violé parce que le nom des votants a figuré sur les bulletins de vote mais parce que le bureau de l’assemblée générale n’a pas mis une procédure destiné à assurer le secret du vote (CA Douai 15-7-1948, 2e ch., Delcourt-Allard c/ Cie générale des industries textiles : JCP 1949 II n° 5057). Si certains membres du conseil d'administration ou certains actionnaires ont pu avoir connaissance des votes qui ont été recueillis et dépouillés, le secret du vote n’est pas respecté. La solution serait différente si un huissier était requis par le bureau de l'assemblée, lequel a ensuite placé les bulletins sous pli cacheté et les a conservés dans son étude.
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