La durée du bail commercial
Il m’arrive souvent de rencontrer
des personnes qui louent des locaux à usage commercial et qui après avoir reçu
congé de leurs bailleurs, me demandent si elles ont droit au fonds de commerce.
La question ‘’ai-je droit au fonds de commerce’’ est pour un juriste maladroite.
Ce que veut dire mes consultants est de savoir s’ils disposent à l’encontre de leurs
bailleurs d’un droit au renouvellement de leurs baux commerciaux dont ils ne peuvent
être privés que moyennant paiement d’une indemnité d’éviction.
La réponse à la question ne peut
être donnée indépendamment de l’analyse de la durée de l’exploitation
du fonds de commerce dans le local loué. Je me limite dans les lignes qui
suivent à quelques aspects de la question.
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L’une des clauses âprement
négociée entre un bailleur et un locataire d’un local à usage commercial est la
durée de la location.
En droit, la loi n'impose aucune
durée maximale ou minimale ; la liberté des parties est donc entière.
En réalité, les parties tiennent
compte des prescriptions de la loi n° 77-37 du 25 mai 1977, réglant les
rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des
baux d'immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal, qui
subordonnent le bénéfice du droit au renouvellement du bail commercial à la
justification par le locataire d'une durée de deux d'exploitation de son fonds
de commerce dans le local loué (art 1 et 3).
La majorité des locataires qui
souhaitent s'assurer une stabilité dans l'exploitation de leurs fonds de
commerce attachent, en pratique, une importance particulière à ce que le
contrat soit conclu pour une durée au moins égale à deux ans.
À l'opposé, les bailleurs qui craignent
être tenus soit de renouveler le bail soit de payer une indemnité d'éviction
équivalente à la valeur marchande du fonds de commerce, augmentée, le cas
échéant, des frais divers (art 7), exigent, en pratique, de stipuler une durée
inférieure à deux ans, par exemple une durée de vingt-trois mois.
Deux précautions doivent être
signalées pour les et les autres.
Le locataire qui se satisfait de
stipuler une durée de deux ans doit faire attention au fait que le droit au
renouvellement du bail nécessite de justifier une durée de deux ans
d'exploitation du fonds de commerce et non une simple durée de deux ans de
jouissance des locaux. La nuance est importante, car il arrive que le locataire
(commerçant) n'entre pas en exploitation immédiatement après la prise d’effet
du bail commercial. Il lui faudra des fois un temps pour aménager le local et
l'ouvrir au public. Il faut savoir que cette période de pré-ouverture n'est pas
prise en compte dans le décompte de la durée minimale de deux ans. Cela
s'explique aisément. Le fonds existe dès qu’il existe une clientèle (art 189 du
Code de commerce). A la question de savoir quel est le nombre des clients
nécessaires pour qu’existe une clientèle en tant qu’élément d’un fonds de
commerce, les tribunaux répondent qu’aucun texte ni aucun principe ne fixent un
nombre minimal et que si la clientèle est le plus souvent constituée d’un
nombre illimité et variable de personnes, elle peut aussi être très limitée et
constante. La seule exigence est que la clientèle doit réelle et non
potentielle. Il a été jugé en jurisprudence française qu’il ne peut être conclu
une location de fonds de commerce dès l’ouverture au public car la clientèle ne
préexistant pas au commencement de l’exploitation, le fonds n’existe pas encore
au moment de son ouverture (Cass. Com 27 avril 1976). Par contre, les tribunaux
ont estimé que si la clientèle préexiste, le fonds sera considéré comme
constitué dès le premier jour de son ouverture (Cass. Com. 1er
février 1984 pour le cas d’un débit de boissons ouvert à un endroit où passaient
de nombreux touristes). La comptabilité du commerçant, tenue régulièrement,
peut servir de preuve pour dater d'une manière exacte le jour de création du
fonds de commerce.
Si donc le locataire sait qu'il
ne peut entrer en exploitation que tardivement après la date d'entrée en
vigueur du bail commercial, il doit convenir avec le bailleur une durée
supérieure à deux ans. Cela suppose une estimation exacte de la durée de
période de pré-ouverture. La difficulté est sérieuse car il peut être enregistré,
pour des raisons diverses endogènes et/ou exogènes, un retard dans l'exécution
des travaux d'aménagement. Lorsque le locataire est amené à externaliser les
travaux d'aménagement du local, il doit prendre des assurances rigoureuses de
ses contractants pour qu'ils finissent les travaux dans les délais impartis
sous peine de réparer le préjudice entier, y compris la perte du droit au
renouvellement du bail commercial.
Le bailleur qui arrive à stipuler
une durée de location inférieure à deux ans, doit faire attention au risque de
renouvellement tacite du contrat. Il y a renouvellement tacite lorsque les
parties continuent à exécuter le contrat malgré l'arrivée du terme (art 793 du
Code des obligations et des contrats). Pour éviter un tel renouvellement, le bailleur
doit adresser un écrit signifiant sa volonté sérieuse de ne pas renouveler le
contrat (art 794 du Code des obligations et des contrats). Un contrat d’une
durée initiale inférieure à deux ans peut, par le jeu de renouvellement tacite,
donner lieu à une durée d’exploitation de fonds commerce dans le local loué
supérieure à deux ans, et donner ainsi au locataire un droit au renouvellement
du bail commercial.
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Si donc le contrat de bail
commercial est conclu pour une durée initiale suffisante pour donner naissance
au droit au renouvellement, dans les conditions prévues par la loi de 1977, comment
peut-il s’exercer ?
On doit savoir qu'il existe deux procédés
pour obtenir le renouvellement du bail commercial. L'un suite à une demande
expresse, l'autre sans demande. Expliquons-cela.
Le locataire peut obtenir le
renouvellement de son bail par une demande expresse faite au bailleur
(art 5 de la loi de 1977). La demande doit être faite soit dans les six mois
qui précèdent l'expiration du bail, soit le cas échéant, à tout moment, au
cours de sa reconduction. La demande en renouvellement doit être signifiée au
bailleur par exploit d'huissier notaire et doit contenir des énonciations
obligatoires. Elle est donc formaliste. Dans les trois mois de la signification
de la demande en renouvellement, le bailleur doit, dans les mêmes formes, faire
connaître au demandeur le refus ou l'acceptation pure et simple du
renouvellement, ou son acceptation sous de nouvelles conditions en précisant
les motifs du refus ou les nouvelles conditions exigées. A défaut d'avoir fait
connaître ses intentions dans ce délai le, bailleur est réputé avoir accepté le
renouvellement du bail aux mêmes conditions et pour la même durée.
Le locataire peut ne pas adresser
une demande de renouvellement au bailleur. Le renouvellement est dans ce cas
tacite. C’est qu’en vertu de l’art 4 de la loi de 1997, le bail d’un local
commercial dont on justifie de deux ans d’exploitation d’un fonds de commerce,
ne cesse que par l'effet d'un congé donné dans le délai prévu six mois à
l'avance. A défaut de congé, le bail se poursuit par tacite reconduction au-delà
du terme fixé par le contrat sans durée déterminée.
Article publié au Magazine Le Manager Mai 2015, n°208, p. 78
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