La confiscation des titres de participation
issue du décret-loi n°2011-13 du 14 mars 2011
Introduction
1. Le
cadre juridique des mesures de confiscation. Par décret-loi
n°2011-13 du 14 mars 2011[1],
les pouvoirs publics ont décidé la confiscation au profit de l’Etat de « tous
les biens meubles et immeubles et droits acquis après le 7 novembre 1987 et qui
reviennent à l’ex-président de la République tunisienne Zine El Abidine Ben Haj
Hamda Ben Haj Hassen Ben Ali, son épouse Leila Bent Mohamed Ben Rehouma Trabelsi,
les autres personnes désignées dans la liste annexée au décret-loi[2]
ainsi qu’à toute autre personne dont il est prouvé l’obtention de biens meubles
ou immeubles ou droits par l’effet de ses relations avec lesdites personnes. »[3]
Le même décret-loi a prévu la création d’une ‘’Commission de confiscation’’
chargée de prendre les mesures administratives et légales nécessaires afin de
transférer, au profit de l’Etat, les biens immeubles et meubles et les droits
confisqués. Plus tard, un autre décret-loi n°2011-68 du 14 juillet 2011, a créé
la ‘’Commission nationale de gestion d’avoirs et des fonds objets de
confiscation ou de récupération en faveur de l’Etat’’.
2. La
confiscation est, le plus souvent, une sanction de nature pénale[4]
décidée par jugement[5].
Elle a pour effet[6] de transférer un bien privé vers le régime de la propriété publique, ou plus précisément le domaine privé de l'Etat. Elle se distingue de la nationalisation et de l'expropriation pour cause d'utilité publique par l'absence d'une contrepartie ou d'une indemnité au profit des propriétaires. Dans les circonstances de l'après 14 janvier 2011, et sous le bénéfice de la légitimité révolutionnaire [7] « le
gouvernement de transition a fait le choix de ne pas attendre la justice qui
pourrait prendre beaucoup trop de temps et de réagir rapidement » en décidant
par décret-loi la confiscation des biens « présumés mal acquis ».[8]
3. Les
titres de capital entrent dans le champ de la confiscation. La
confiscation s’étend, selon le décret-loi du 14 mars 2011, aux biens meubles.
Les titres de participation au capital des sociétés appartenant aux personnes
visées par le décret-loi sont des biens meubles par détermination de la loi[9]
et font par conséquent objet de confiscation. Il peut s’agir des parts d’intérêt,
des parts sociales, d’actions ordinaires ou privilégiées, d’actions à dividende
prioritaire sans droit de vote ou de certificats d’investissement.
4. Les
titres de capital concernés par la confiscation sont ceux qui reviennent à des
personnes physiques[10]
figurant dans une liste annexe au décret-loi ; ils sont émis par des
sociétés ayant leurs sièges sociaux en Tunisie[11].
La confiscation ne s’étend pas aux titres détenus dans des sociétés ayant leurs
sièges à l’étranger et aux participations indirectes détenues par les sociétés
émettrices des titres confisqués.
5. Dans
certaines hypothèses, les associés ou actionnaires confisqués peuvent avoir la
qualité de créanciers ou débiteurs dans leurs relations avec les sociétés
émettrices. La confiscation s’étendant aux créances, c’est alors l’Etat qui
devient créancier des sociétés débitrices. En revanche, les créances de ces
sociétés détenues sur les personnes confisquées doivent être déclarées à l’Etat
dans les délais prévus par l’article 6 du décret-loi du 14 mars 2011[12].
6. Incidence
du transfert à l’Etat des titres de participation - Exclusion expresse de la
loi du 1er février 1989, relative aux participations et entreprises
publiques. Dans la mesure où la confiscation a
pour effet de transférer au patrimoine de l’Etat des titres de capital, les
sociétés émettrices ont vocation d’acquérir le statut d’entreprises publiques
et les titres transférés à l’Etat ou détenus en portefeuille par les sociétés
émettrices peuvent être qualifiés des participations publiques. On devra en
toute logique s’attendre à l’application des lois et règlements régissant les
participations et entreprises publiques.
7. C’est
pour exclure une telle conséquence que le décret-loi du 14 juillet 2011 a
expressément prévu à son article 9 que « les sociétés concernées par la
confiscation ou la récupération ainsi que les participations objets de
confiscation ou de récupération ne sont pas soumises à la loi n°89-9 du 1er
février 1989, relative aux participations et entreprises publiques et ses textes
d’application. »[13]
Une telle
exclusion conduit, si elle est poussée jusqu’à son ultime conséquence, aux
résultats suivants :
-
les
participations directement visées par la mesure de confiscation sont régies par
les règles de droit commun des sociétés ;
-
les sociétés
émettrices des titres de participation confisqués, dans la mesure où elles
jouissent d’une personnalité juridique distincte[14]
de celle de l’Etat, associé ou actionnaire, demeurent régies par le droit
commun des sociétés selon leurs formes respectives. Il peut s’agir par exemple
d’une société commerciale régie par le Code des sociétés commerciales, d’une
société civile régie par le Code des obligations et des contrats ou d’une
société de mise en valeur de développement agricole régie par la loi
n°82-67 du 4 août 1982, portant encouragement aux investissements dans le
secteur de l’agriculture et de la pêche etc. ;
-
les portefeuilles
de titres de capital de deuxième, voire même de troisième rang, c’est-à-dire
les titre détenus directement ou indirectement par les sociétés émettrices des
titres sociaux confisquées ne sont pas juridiquement confisqués et sont par
conséquent hors champ d’application du décret-loi du 14 mars 2011.
8. Incidence
du transfert à l’Etat des titres de participation - Le régime spécial issu du
décret-loi n°2011-68 du 14 juillet 2011. En réalité tout en excluant le régime
des participations et entreprises publiques issu de la loi du 1er
février 1989 et ses textes d’application, le décret-loi du 14 juillet 2011 a
mis un régime propre aux participations confisquées. Ce régime donne une place
particulière à la « Commission nationale de gestion d’avoirs et des
fonds objets de confiscation. »[15]
Celle-ci se voit confier, à titre énonciatif[16],
les missions de :
-
prendre toutes les mesures relatives aux droits et obligations liés aux valeurs
mobilières, parts et titres objets de confiscation ou de récupération ;
- la
gestion de portefeuille des valeurs mobilières et droits y rattachés, des parts
et titres ….objet de confiscation ou de récupération ;
-
prendre les mesures nécessaires qui concernent les contrats en cours, notamment
pour garantir la continuité de leur exécution ;
-
prendre les mesures nécessaires pour garantir le maintien du fonctionnement
normal des sociétés dont le capital est concerné par la confiscation ou la
récupération.
Néanmoins, les
décisions de cession et de restructuration prises par la Commission de gestion
seront soumises au premier ministre pour approbation[17].
Le décret-loi de
14 juillet 2011 ajoute que la Commission de gestion « désignera des
représentants de l’Etat dans les assemblées générales des sociétés émettrices
des participations concernées par la confiscation ou la récupération et des
gestionnaires représentant l’Etat dans les structures de gestion et de
direction des sociétés ayant des participations directes ou indirectes
concernées par la confiscation ou la récupération dans la limite des taux des
participations objets de confiscation ou de récupération. » « L’Etat
supportera la responsabilité civile découlant de l’exercice de ses
représentants de leurs fonctions dans les structures de gestion et de direction
de ces dites sociétés. »[18]
9. Plan.
Ces règles spéciales, comme l’on peut constater, s’intéressent au
statut des titres de participation confisqués d’un côté (Première partie) et
au statut de la société émettrice des titres confisqués d’un autre côté (Deuxième
partie). La cession par l’Etat des titres confisqués à deux sociétés
holding[19]
qu’il contrôle est-elle de nature à perturber le fonctionnement des règles
posées par le décret-loi du 14 juillet 2011 ? Cette question pose le
problème général des participations indirectes et des sociétés sous contrôle
indirect. Nous y répondrons au fur et à mesure des développements des deux
parties de l’étude.
Première partie. Le statut des titres de participations confisques
10. La
confiscation transfère à l’Etat la propriété des titres de participations sans
indemnité[20].
Quelles sont les
règles encadrant l’exercice du droit de propriété de l’Etat sur ces
titres ? Nous examinerons successivement les conditions d’exercice des
droits politiques et pécuniaires de l’Etat associé ou actionnaire (§1),
les opérations sociales modifiant le capital social, décidées au niveau des
sociétés émettrices, mais qui risquent d’avoir impact sur le niveau de
participation de l’Etat (§2) et les opérations juridiques ayant pour
objet la gestion, la cession ou la restructuration des titres (§3). Des
difficultés particulières ne manquent pas de se poser lorsque les titres confisqués
font l’objet d’un nantissement ou lorsque leur titulaire initial est lié à
d’autres personnes par des pactes d’actionnaires (§4).
§1 Les droits politiques et pécuniaires de
l’Etat associé
11. L’Etat,
devenu associé (ou actionnaire) en vertu de la mesure de confiscation, exercera
toutes les prérogatives attachées à la propriété des titres. Généralement, il
bénéficiera des droits politiques et des droits pécuniaires.
12. On
entend par droits politiques, notamment le droit de prendre part au vote aux
assemblées générales et de prendre communication des documents sociaux[21].
Les modalités d’exercice de ces droits dépendent de la forme de la société
émettrice. Aucune mesure prévue par le décret-loi du 14 juillet 2011 ne donne à
l’Etat un droit de communication particulier[22].
L’Etat exerce ses
prérogatives politiques par le truchement des personnes qu’il investit à cet
effet. Il appartient à la Commission de gestion de désigner les représentants
de l’Etat aux assemblées générales[23].
Elle détermine l’étendue de leurs pouvoirs, la durée de leurs mandats[24]
et, le cas échéant, les conditions de leurs rémunérations[25].
Au cas où l’Etat
détient la majorité des droits de vote, il peut orienter les décisions sociales
et assurer ainsi le contrôle de la société émettrice.
Il va sans dire
que les décisions emportant modification des statuts appartiennent à
l’assemblée générale extraordinaire de la société. Elles sont décidées à la
majorité requise par la loi pour le changement des statuts. Si l’Etat est
minoritaire, ou du moins ne détient pas une minorité de blocage, il ne peut
influencer le sens du vote. A fortiori, l’Etat n’a pas un droit de véto
sur les opérations sociales[26].
13. Les
dividendes mis en distribution accroissent le patrimoine de l’Etat. Ils alimentent
les ressources de la ‘’Caisse des avoirs et biens confisqués et récupérés
par l’Etat’’[27].
En cas de dissolution et liquidation de la société, l’Etat se verra rembourser
le montant des apports et, éventuellement, le boni de la liquidation. Ces
recettes alimentent également les ressources de ladite Caisse. Si la
liquidation fait ressortir un mali de liquidation, il sera supporté par l’Etat.
Au cas où les
actions sont partiellement libérées, la dette d’apport incombe à l’Etat[28].
Le financement de la libération du capital se fait par prélèvement[29]
sur les ressources de la Caisse des avoirs et biens confisqués et récupérés par
l’Etat[30].
14. Les
actions en justice qui peuvent, éventuellement, être exercées par l’Etat, en sa
qualité d’associé en vertu des titres de participation confisqués[31],
sont déclenchées sur décision de la Commission de gestion. Celle-ci est
représentée par les représentants du Chef du contentieux de l’Etat[32]
tant en demande qu’en défense. Les règles de droit commun relatives à la
compétence juridictionnelle ne sont pas modifiées lorsque le litige oppose
l’Etat-associé aux autres associés ou à la société concernée par la
confiscation.
§2 Opérations sociales sur le capital
15. En
cas d’augmentation de capital par des apports nouveaux, il y a une difficulté à
dire si la souscription par l’Etat aux nouveaux titres se fait selon le régime
de ‘’droit commun’’ des engagements financiers de l’Etat[33]
ou le régime d’exception institué par le décret-loi du 14 juillet 2011. Tout
dépend des sources de financement des nouveaux apports. S’ils sont à prélever
sur les ressources de la Caisse des avoirs et biens confisqués et récupérés par
l’Etat, le ministre des finances peut décider la souscription aux actions
nouvelles après avis de la Commission de gestion. En réalité, ce prélèvement
n’est possible que si l’on considère la souscription aux nouvelles actions
comme ‘’une dépense relative aux opérations nécessaires rattachées aux
participations concernées par la confiscation’’[34].
Le souci de l’Etat de préserver les équilibres des finances des ‘’sociétés
confisquées’’ ou le souci d’éviter une dilution de la participation de l’Etat
peut justifier la souscription à l’augmentation de capital et son financement
par les ressources de la Caisse.
16. Les
attributions gratuites d’actions enrichissent le patrimoine de l’Etat et
s’ajoutent aux titres sociaux confisqués.
17. La
suppression du droit préférentiel de souscription décidée par l’assemblée
générale extraordinaire dans les conditions posées par la loi[35]
même si elle risque de faire perdre à l’Etat le contrôle de la société et son
transfert au secteur privé. Mais les décisions individuelles de renonciation au
droit préférentiel de souscription doivent être décidées par la Commission de
gestion et approuvées par le Chef du Gouvernement.
La cession du
droit préférentiel de souscription est autorisée pour les mêmes raisons par la
Commission de gestion et peut s’analyser en une opération de restructuration
soumise à l’approbation du Chef du Gouvernement.
§3 Les opérations sur titres confisqués
18. Le
décret-loi du 14 juillet 2011 a mis en place un régime spécial dérogatoire
de celui qui résulte du décret n°86-92 du 6 avril 1968 réglementant le mode
d’approbation des actes de gestion et d’aliénation des biens, droits et
créances de l’Etat. En droit commun de biens privés de l’Etat ou des
établissements publics dont les budgets sont rattachés au budget général de
l’Etat, l’aliénation ou concession ou jouissance à titre onéreux de biens
mobiliers …ne peut être réalisée qu’après autorisation du Secrétaire d’Etat à
la Présidence sur avis du secrétaire d’Etat au plan et à l’économie nationale
et sur rapport d’une commission nationale[36].
On doit
distinguer les titres de placement à court terme (A), les titres de
participation directe à long terme (B) et les titres de participation
indirecte (C).
A)
Les
titres de placement à court terme
19. Au
cas où la confiscation a porté sur des titres de placement à court terme leur
gestion revient à la Commission de gestion.
L’Etat peut
conclure des contrats de gestion de portefeuille. Le choix du gestionnaire
n’obéit pas au régime des marchés publics[37].
Mais, tout porte à croire que la Commission de gestion fera jouer les règles de
la mise en concurrence. Les contrats de gestion en cours ne sont pas transmis à
l’Etat à moins que la Commission de gestion ait décidé leur continuation.
B)
Les
titres de participation directe
20. La
cession des titres de participations confisqués est autorisée par l’article 10 du décret-loi du 14 juillet
2011. Le principe du parallélisme des compétences impose cette intervention du
législateur pour défaire par « une sorte de privatisation » ce qu’il
avait par fait par la confiscation[38].
Par ailleurs, l’article 5 du décret-loi n°2011-14 du 23 mars 2011, portant
organisation provisoire des pouvoirs publics, prévoit que « sont pris
sous forme de décrets-lois, les textes relatifs : … - au régime de la propriété
… » La cession est rendu nécessaire pour sauvegarder les droits des
créanciers des personnes visées par la confiscation. Les revenus dégagés par la
vente serviront en premier lieu à les désintéresser[39].
Lorsqu’il s’agit
de décider de la cession ou de la restructuration des titres de participation
directe confisqués, les décisions prises par la Commission de gestion doivent être
soumises à l’approbation du Chef du Gouvernement[40].
Le ministre chargé des finances qui représente l’Etat et a le pouvoir de
signature des actes de cession[41].
Il agit sur avis conforme de la Commission de gestion et du Chef du
Gouvernement[42].
On entend par
cession, toute opération de transmission de la propriété à un tiers, fut-elle
une entreprise contrôlée par l’Etat. Il peut s’agir d’une opération de vente ou
d’échange de titres[43].
On entend par
restructuration, les opérations de fusion et de scission de la société
émettrice ainsi que les opérations de dissolution et de transformation. Le
changement de l’objet ou les modifications du capital ne sont pas véritablement
des opérations de restructuration.
21. La
Commission de gestion détermine les procédures de cession par des guides qui
seront publiés[44].
Le manuel des procédures publié par la Commission de gestion soumet la cession
à une évaluation préalable[45]
par des cabinets d’expertise ou des banques d’affaires. Le choix des
évaluateurs se fait sur consultation dans des délais courts et sur la base de
critères de référence arrêtés par une commission technique. Juridiquement, les
marchés conclus avec ces tiers évaluateurs sont considérés comme des marchés
d’études et les règles de passation des marchés publics doivent être respectés[46].
22. Plusieurs
questions doivent être abordées à ce niveau de l’analyse. Pour la clarté de
l’exposé, on distinguera celles qui sont liées à l’application du droit du
marché financier (1) et celles relatives au droit des sociétés (2).
1)
L’application
du droit du marché financier à la cession des valeurs mobilières confisquées
23. Il
s’agit de déterminer et d’évaluer l’incidence du droit du marché financier sur
les opérations de cession de valeurs mobilières confisquées. Dans l’absolu, on
peut imaginer que les actions détenues par l’Etat par suite de la confiscation
soient de deux sortes : celles émises par des sociétés faisant appel
(public) à l’épargne et celles émises par des sociétés ne faisant pas appel
(public) à l’épargne. S’il est normal que des problèmes de droit financier se
posent s’agissant de la cession des premières en est-il autrement pour les
secondes ?
Trois questions
sont au centre de notre discussion. Il s’agit de savoir quelle incidence peut
avoir le recours à la publicité pour la cession des titres (1.1). La
réponse à cette question peut conduire à certaines conséquences quant aux
formalités préalables (1.2), aux modalités de la cession (1.3) et aux obligations
de l’acquéreur (1.4).
1.1. L’incidence
du recours à la publicité sur la qualification de la société émettrice comme
société faisant appel public à l’épargne
24. L’examen
de la pratique jusque-là suivie pour la cession par l’Etat des titres
confisqués permet de constater que les opérations sont faites sur la base de
cahiers des charges et par recours à la publicité dans le but d’assurer une
mise en concurrence efficace entre les candidats à l’achat. Cette procédure
n’est pas sans rappeler celle suivie en matière de privatisation des
entreprises publiques[47].
Ces opérations sont
faites conformément au manuel des procédures publié par la Commission de
gestion. Il prévoit comme préalable
l’évaluation des titres à céder[48].
Ensuite, « il sera procédé à une publicité dans deux journaux
quotidiens dont l’un est en langue arabe. La publicité est également assurée
sur le site Internet du ministère des
finances, celui du Gouvernement et autres selon le cas. La publicité doit être
faite pour une durée de trois semaines au moins sauf cas exceptionnels
nécessitant des délais plus courts où la publication doit être faite sur tout
support écrit pendant une période minimale de dix jours, avec trois parutions
au moins par semaine. La durée de la publicité peut être prorogée. » Le
manuel des procédures ajoute que « la cession est décidée par mise en
concurrence, en respectant égalité des chances et la transparence ; elle
est réalisée par appel d’offres ; les conditions de la cession doivent
être précises quant à la chose objet de cession et les obligations des parties.
Le cahier des charges précise obligatoirement les critères de classification
des offres. »
25. La
vente des valeurs mobilières par recours à la publicité conduit a priori
à considérer qu’il s’agit d’une offre publique de vente de valeurs mobilières
par appel public à l’épargne au sens de l’article 1er de la loi
n°94-114 du 14 novembre 1994, relative à la réorganisation du marché financier.
En effet selon ce texte, « sont réputés sociétés ou organismes faisant
appel public à l'épargne les sociétés et les organismes autres que les organismes
de placement collectif en valeurs mobilières qui, pour le placement de leurs
titres, recourent soit à des intermédiaires, soit à des procédés de
publicité quelconques, soit au démarchage. »[49]
La notion de
‘’placement de titres’’ s’entend largement pour désigner l’émission de nouveaux
titres ou la cession de titres existants[50].
Dans ce dernier cas, peu importe si la publicité est faite pour céder des
titres émis par des sociétés faisant appel public à l’épargne ou des sociétés
ne faisant pas appel public à l’épargne. Un actionnaire qui recourt à la
publicité pour vendre des actions qu’il détient dans une société ne faisant pas
appel public à l’épargne confère à cette dernière la qualité de société faisant
appel public à l’épargne.
La publicité
visée par l’article 1er englobe tout moyen, qu’il soit écrit, parlé
ou visuel. Elle peut consister en annonces dans la presse, en affiches dans des
lieux publics, en communiqués diffusés par la radio, la télévision, le cinéma
ou l’Internet. On considère qu’il y a de la publicité chaque fois que le
message est adressé à un cercle de personnes n’ayant pas de liens personnels
entre elles ou avec l’émetteur.
1.2. Les
formalités préalables à l’appel à l’épargne : la déclaration de
recevabilité de l’offre publique de vente
26. L’article
2 de la loi du 14 novembre 1994 tire une conséquence de l’emploi de la
publicité pour le placement des titres : l’opération est qualifiée d’une
offre publique de vente. Or, « ….les personnes concernées par les
offres publiques conformément aux conditions prévues au règlement général de la
bourse, doivent préparer et publier des prospectus d'admission ou des
prospectus d'offre conformément aux conditions prévues par les alinéas
ci-dessus du présent article ».
27. L’offre
publique de vente est régie par les articles 177 à 185 du règlement général de
la bourse. Parmi les règles énoncées dans ce texte, on trouve celle de
l’article 178 qui exige que le projet de l’offre publique de vente de titres
fasse l'objet d'une demande présentée au Conseil du marché financier par la
personne détentrice des titres à céder. Une telle demande, accompagnée d’un
dossier[51],
prépare à une déclaration de recevabilité[52].
28. Toute
la question est de savoir l’applicabilité de cette formalité à la cession par
l’Etat de titres confisqués. Une réponse négative nous est donnée par l’alinéa
dernier de l’article 2 de la loi du 14 novembre 1994. Il est en effet prévu que
« l'Etat et les collectivités publiques locales ne sont pas soumis aux
formalités prévues [par l’article 2]». L’Etat qui procède ainsi à la vente
de ses actions (qu’elles soient d’ailleurs confisquées ou non) par recours à la
publicité n’est pas tenu de suivre les formalités prévues pour l’appel public à
l’épargne[53],
il n’est pas tenu d’obtenir une décision de recevabilité du Conseil du marché
financier.
1.3. Les
modalités de cession : la négociation obligatoire sur le marché de la
bourse
29. La
pratique jusque-là suivie par la Commission de gestion consiste à céder des
actions cotées ou non par publicité et en dehors du marché boursier. Les
transactions passées ont été cependant soumises aux formalités d’enregistrement
à la bourse. Il s’agit de vérifier la conformité d’une telle pratique par
rapport à la loi du 14 novembre 1994, portant réorganisation du marché
financier. Pour conforter nos conclusions sur ce point, nous ferons un
rapprochement avec les opérations de privatisation initiées en application de
la loi du 1er février 1989, relative aux participations et
entreprises publiques.
30. Les
développements qui précèdent[54]
nous ont permis de conclure que la vente de valeurs mobilières par recours à la
publicité confère à la société émettrice la qualité de société faisant appel
public à l’épargne[55].
Or, l’article 70 de loi du 14 novembre 1994 dispose que « les transactions portant sur des valeurs mobilières et
des droits s'y rapportant émis par les sociétés et les organismes faisant appel
public à l'épargne…doivent être effectuées sur un marché de négociation dans
les conditions fixées par le règlement général de la bourse ».
On entend par transaction l’opération de vente de valeurs mobilières. Quand
l’offre publique de vente concerne des titres cotés sur un marché de la bourse,
la transaction doit se faire sur ce marché ; quand elle concerne des
titres non cotés, la transaction est négociée sur le marché de l’hors-cote.
C’est ce que nous le rappellent les articles 74 et 177 du règlement général de
la bourse.
On voit à la
lumière de cette analyse, que la pratique antérieure suivie pour la cession des
titres confisqués n’est pas respectueuse de la législation et la réglementation
du marché financier. Il faut expliquer l’origine de l’erreur.
31. Il
faut tout d’abord exclure toute référence à l’article 18 du décret-loi du 14
juillet 2011 pour justifier la pratique actuelle. Cet article prévoit que
« les participations de l’Etat découlant de l’opération de confiscation
dans les sociétés faisant appel public à l’épargne ne sont pas soumises aux
dispositions des articles 6 et 7 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994,
relative à la réorganisation du marché financier et seront enregistrées suivant
les règles du dernier paragraphe de l’article 70 de la loi sus-indiquée ».
Cette disposition a un champ d’application limité aux titres de participation
émis par des sociétés faisant appel public à l’épargne et acquis par l’Etat en
vertu de la confiscation ordonnée par le décret-loi du 14 mars 2011. L’intérêt
de cet article est double : Il est venu tout d’abord dispenser l’Etat de
l’obligation de faire une offre publique de vente par suite de l’acquisition du
contrôle de la société faisant appel public à l’épargne et de soumettre la
confiscation à la formalité d’enregistrement à la bourse au lieu de la
négociation obligatoire sur le marché. S’il y a un intérêt à l’intervention du
législateur sur le premier aspect, son intervention nous semble inutile quant
au second. La négociation obligatoire
sur le marché boursier n’est en effet obligatoire que lorsqu’il s’agit d’une
transaction au sens de l’article 70. La transaction est une vente[56],
or la confiscation est étrangère à toute idée de vente. On peut même aller
jusqu’à soutenir que le transfert de la propriété ne peut être soumis à la
formalité d’enregistrement puisqu’il intervient en application de la loi et non
d’une convention.
32. Il
semble que la Commission de gestion s’est inspirée dans la conduite des
opérations de cession des participations confisquées de la pratique des
privatisations des entreprises publiques faites en dehors du marché boursier
sur la base d’un cahier des charges après une mise en concurrence annoncée par
publicité. Or, une telle technique de privatisation n’a été rendue possible que
par suite d’une intervention législative. En effet, une loi n° 94-102 du 1er août 1994, a modifié et complété la
loi n° 89-9 du 1er février 1989, relative aux participations et entreprises
publiques. Elle a notamment ajouté un article 33-4 selon lequel « il
peut être procédé à la vente de blocs d'actions par appel d'offres sur cahier
des charges à une personne physique ou morale ou à un groupe de personnes
physiques ou morales. » Cette intervention législative était
nécessaire pour excepter le jeu normal des règles régissant le marché
financier. Elle a aussi ajouté l’article 33-5 énonçant que « les ventes
de blocs d'actions telles que définies à l'article 33-4 de la présente loi sont
réalisées à la bourse des valeurs mobilières sans négociation, nonobstant toute
disposition contraire »[57].
33. La difficulté
provient, dans notre cas, du fait que le décret-loi du 14 juillet 2011 a
effectué une exclusion totale de l’application de toute la loi du 1er
février 1989, relative aux participations et entreprises publiques. Il aurait
été plus judicieux de faire une exclusion sélective ou une reprise dans le
décret-loi des dispositions de la loi de 1989 fixant le régime juridique des
opérations de privatisations. Les pouvoirs jadis donnés à la CARREP peuvent
être confiés, sans difficulté, à la Commission de gestion et au Chef du
Gouvernement.
34. En conclusion
de ce qui précède, il nous semble qu’en l’état actuel du droit une intervention
du législateur est plus que nécessaire pour donner à la pratique poursuivie par
la Commission de gestion dans la cession des participations confisquées de
l’Etat au secteur privé un cadre juridique lui assurant toute la régularité par
rapport à la législation sur le marché financier. On ne peut surtout tirer
argument de la régularité du renvoi fait par le décret-loi du 14 juillet 2011
au manuel des procédures élaboré par la Commission de gestion. D’une part, il
ne s’agit que d’un manuel des procédures qui ne préjudicie en rien
l’application cumulative d’autres lois et règlements et d’autre part, il s’agit
d’un texte inférieur qui ne saurait violer un texte (la loi du 14 novembre
1994) occupant une place supérieure dans la hiérarchie des normes.
1.4.
L’effet
de l’acquisition du contrôle d’une société faisant appel public à
l’épargne : l’offre publique d’achat visant le reste du capital
35. Selon
l’article 18 du décret-loi du 14 juillet 2011, « les participations de
l’Etat découlant de l’opération de confiscation dans les sociétés faisant appel
public à l’épargne ne sont pas soumises aux dispositions des articles 6 et 7 de
la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994, relative à la réorganisation du marché
financier… ». Comme l’on peut constater une intervention législative
était nécessaire pour dispenser l’Etat du lancement d’une offre d’achat visant
le reste du capital d’une société faisant appel public à l’épargne prévue à
l’article 6 de la loi de la 1994.[58]
Il est vrai que l’alinéa dernier de cet article permet au Conseil du marché
financier de dispenser le demandeur de procéder à une offre d’achat[59]
mais l’intérêt de l’article 18 est
de faire l’économie de cette procédure.
36. Mais
quand il s’agit pour l’Etat de céder les titres dont il est devenu propriétaire
par suite de la confiscation, on revient à l’application des règles de droit
commun régissant le marché financier. L’acquéreur éventuel d’un bloc de
contrôle d’une société faisant appel public est de plein droit soumis à
l’obligation de faire une offre d’achat visant le reste du capital soit sous
forme d’une offre publique d’achat soit sous forme d’une procédure de maintien
de cours à prix fixe. Il peut obtenir une dispense du Conseil du marché
financier dans les conditions posées à l’article 6 de la loi du 14 novembre 1994[60].
2)
L’application
du droit des sociétés
Sont en cause, le jeu des clauses d’agrément en cas de cession d’actions
ou de parts sociales un tiers étranger à la société (2.1) et la cession
des parts sociales dans les sociétés à responsabilité limitée (2.2).
2.1. Le
jeu des procédures d’agrément en cas de cession à un étranger à la société
37. Les
participations confisquées peuvent être émises soit par des sociétés à
responsabilité limitée, soit par des sociétés anonymes. La cession par l’Etat
desdites participations à des tiers étrangers à la société risque de heurter
les procédures d’agrément préalable résultant de la loi pour les sociétés à
responsabilité limitée[61]
ou des statuts pour les sociétés anonymes[62].
38. Concernant
la cession des parts sociales, le décret-loi du 14 juillet 2011 ne prévoit
guère de dérogation au jeu normal de l’article 109 du Code des sociétés
commerciales soumettant à autorisation des associés réunis en assemblée
générale la cession des parts sociales à des tiers étrangers à la société.
39. De
même, le décret-loi du 14 juillet 2011 ne prévoit pas des dispositions
spéciales écartant le jeu des clauses d’agrément éventuellement stipulées dans
les statuts d’une société anonyme. Rappelons pour mémoire que la loi du 1er
février 1989 a expressément prévu que « toutes clauses d'agrément et de
préemption insérées dans les statuts des entreprises objet de l'article 33-1 de
la présente loi sont réputées non-écrites à l'égard des participants publics et
des entreprises publiques concernés. » Cette intervention législative
est rendue nécessaire car, le jeu de la clause d’agrément n’est écarté, en
vertu du règlement général de la bourse, dans le cas d’une offre publique de
vente, que dans la mesure où la transaction est négociée sur le marché
hors-cote[63].
2.2.La
cession des parts sociales émises par des sociétés à responsabilité limitée par
recours aux procédés de la publicité et démarchage
40. Le
Code des sociétés commerciales « interdit aux sociétés à responsabilité
limitée d'émettre ou de garantir des valeurs mobilières. Toute décision
contraire est considérée nulle. »[64] En
outre, « les parts sociales ne peuvent être représentées par des titres
négociables. Toute décision contraire est nulle. »[65]
Enfin, « sont punis d’un emprisonnement de seize jours à six mois ou
d’une amende de 1.000 à 3.000 dinars ou de l’une de ces deux peines seulement,
les gérants qui directement ou par personnes interposées, ont ouvert une
souscription publique à des valeurs mobilières qu’elle qu’en soit la catégorie
pour le compte de la société. »[66]
On considère que l’ensemble de ses règles conduit à interdire l’émission des parts sociales d'une société à responsabilité limitée par voie
d'offre au public. Une solution contraire conduit à tourner les interdictions
posées par le Code des sociétés commerciales d’émettre ou de garantir des
valeurs mobilières. L’ensemble de ses restrictions traduisent l'importance
attachée, dans la SARL, à l'intuitu
personae.
41. A la lumière de ces règles, on se demande s’il est légalement
possible de céder des parts de sociétés à responsabilité limitée par recours
aux procédés de la publicité et démarchage[67]. L’interdiction s’étend tout aussi bien aux participations
directes qu’indirectes. Un changement de la forme de la société en société
anonyme est donc nécessaire avant de procéder à la cession par appel public.
C)
Les
titres de participation indirecte
42. Les
participations indirectes détenues dans des sociétés concernées par la
confiscation[68]
ne font juridiquement pas l’objet d’une mesure de confiscation. La personnalité
morale des sociétés propriétaires fait écran avec la personnalité des personnes
physiques confisquées. La confiscation des titres de capital appartenant aux
personnes physiques visées au décret-loi du 14 mars 2011 ne produit aucun effet
sur la personnalité morale des sociétés émettrices et encore moins sur les
sociétés soumises à son contrôle ou dans lesquelles elles détiennent des
participations minoritaires.
43. On
peut distinguer deux sortes de participations indirectes : celles propres
aux sociétés concernées par la confiscation (1) et celles qui résultent
d’un reclassement où l’Etat a décidé de transférer la propriété de certains
titres confisqués à deux sociétés holding soumise à son contrôle direct ou
indirect (2).
1)
Les
titres de participation propres aux sociétés concernées par la confiscation
44. Les
sociétés concernées par la confiscation sont des personnes morales dotées des
patrimoines distincts de celui de l’Etat. Elles peuvent avoir dans leurs actifs
des titres de participation dans des sociétés établies en Tunisie ou à
l’étranger. Ces titres de participations peuvent être sa propriété avant ou
après la promulgation du décret-loi du 14 mars 2011.
Quel est le
régime juridique à suivre lorsqu’il s’agit des participations appartenant en
propres aux sociétés concernées par la confiscation ? La Commission de gestion
est-elle compétente pour en assurer la gestion et la cession, voire même la
restructuration comme c’est le cas des titres de participation
directe confisqués ? Les cessions à effectuer échappent-elles aux règles
régissant le marché financier ? Nous essayons de répondre à ces
interrogations dans les développements qui suivent.
1.1. L’absence
de pouvoir de la Commission de gestion à l’égard des titres de participation
indirecte
45. L’article
2 du décret-loi du 14 juillet 2011 ne reconnaît aucune compétence à la
Commission de gestion en matière de gestion et cession des participations
détenues par les sociétés concernées par la confiscation. Ainsi il est dit au
premier et deuxième tiret que la Commission a la charge des « droits et
obligations liés aux valeurs mobilières et parts et titres objets de
confiscation ». Le troisième tiret est éloquent quand il vise « les
sociétés dont le capital est concerné par la confiscation ». Le
quatrième tiret, rédigé en apparence en termes généraux quand il s’agit de
donner au premier ministre le pouvoir d’approuver les mesures « de cession
et de restructuration » prises par la Commission de gestion, doit recevoir
une interprétation stricte, en fonction du contexte d’énonciation lequel ne
vise que les cessions participations directes. Il ne peut être autrement dans
la mesure où la Commission de confiscation, instituée par le décret-loi du 14
mars 2011, ne transmet à la Commission de gestion qu’un relevé d’avoirs et de
biens objet de confiscation ou de récupération[69].
Le produit de cession des participations indirectes est encaissé par les
sociétés propriétaire et n’a pas vocation à être viré à la ‘’Caisse des avoirs
et biens confisqués et récupérés par l’Etat’’. Ce produit entre dans la
détermination du résultat de la société propriétaire et la Caisse des avoirs
confisqués ne peut prétendre qu’aux dividendes éventuellement distribués sur
décision de l’assemblée générale de cette société.
1.2. L’étendue
de la compétence de la Commission de gestion en matière d’opération de
restructuration
46. On
entend par opération de restructuration une fusion ou une scission de sociétés.
La compétence de la Commission de gestion en la matière dépend d’une
distinction entre deux cas :
-
Si l’opération
met en cause au moins une société dans laquelle l’Etat détient une
participation directe, la Commission de gestion et le Chef de Gouvernement
exercent leurs attributions pour l’autoriser.
- Si l’opération ne
met pas en cause aucune société dans laquelle l’Etat détient une participation
directe, la Commission de gestion et le Chef de Gouvernement sont incompétents
pour intervenir.
1.3. La
cession des participations indirectes au regard des règles du marché financier
47. Nous
avons précédemment vu que la cession par l’Etat de ses titres de participation
directe dans des sociétés concernées par la confiscation ne bénéficie pas d’un
régime dérogatoire aux règles du marché financier. Il en ira de même pour la
cession des participations indirectes. Une société sous contrôle de l’Etat qui
décide de céder un bloc de contrôle qu’elle détient dans une société filiale,
ne peut envisager de faire l’opération sur simple cahier des charges, en
recourant à la publicité ou aux services d’intermédiaires en bourse
démarcheurs, et sans obtenir au préalable une décision de recevabilité du
Conseil du marché financier et sans négociation sur le marché de la
bourse.
48. En
droit et à supposer que l’Etat bénéficie d’un régime dérogatoire, il faut
admettre que les lois d’exception sont d’interprétation stricte[70].
Ainsi quand l’alinéa dernier de l’article 2 de la loi du 14 novembre 1994,
relative à la réorganisation du marché financier dispense l’Etat et les
collectivités publiques locales des formalités prévues à cet article, on ne
peut étendre son champ d’application aux opérations initiées par les sociétés
sous contrôle de droit ou de fait de l’Etat. Un retour au droit commun
s’impose.
2) Participations
indirectes provenant d’une cession de participations confisquées par l’Etat
49. Par
acte sous-seing privé en date du 13 décembre 2013, l’Etat tunisien et la
Société Al Karama Holding sont convenus d’un accord cadre fixant les conditions
dans lesquelles l’Etat tunisien cède à la société holding « un nombre
de valeurs mobilières, parts et titres concernés par la confiscation ou la
récupération en vue de leur gestion, administration et cession, conformément à
la législation en vigueur et les conditions de l’accord cadre. »[71]
La cession se fera par des accords d’exécution établis selon un modèle en
annexe à la convention cadre[72].
Le prix de cession est fixé à la valeur nominale des titres et pour les titres
acquis depuis moins de cinq ans, le prix est fixé à la valeur d’acquisition[73].
Le prix est payable dans un délai n’excédant pas trois mois à compter de la
date de cession. Mais en cas de revente par la holding des titres à une valeur
supérieure au prix de vente stipulé, l’Etat se verra attribuer 90% de la
plus-value réalisée après déduction tous impôts et frais dus supportés par la
holding. La société holding doit élaborer un programme de cession desdites
participations sur une période de 10 ans à partir de la date de cession et si
la cession s’avère irréalisable, la holding peut augmenter son capital pour la
valeur de ces participations conformément aux articles 292 et 300 du Code des
sociétés commerciales.
Il s’est opéré en
exécution du contrat cadre de véritables cessions des titres de participation
de l’Etat à la société Al Karama holding. Leur intérêt est double :
permettre à l’Etat de réaliser immédiatement des recettes sans attendre le
transfert au secteur privé ; décharger la Commission de gestion des taches
qui lui sont normalement dévolues en vertu de l’article 2 du décret-loi du 14
juillet 2011. Désormais, il appartient à la société holding de gérer ces actifs
et d’en disposer par voie de cession. L’intérêt financier de l’Etat est
sauvegardé par la clause de supplément de prix en cas de revente des titres par
la holding, mais la validité de la clause est douteuse en droit tunisien.
Le contrat cadre impose
à la Société Al Karama de mettre en place un programme de cession sur une durée
de dix ans. Aucune clause expresse du contrat ne donne à l’Etat, représenté
éventuellement par la Commission de gestion, un droit de regard sur ledit
programme. On peut comprendre les raisons d’une telle omission : elle est
liée au fait que la holding est totalement sous contrôle de la Commission de
gestion qui exerce un contrôle sur les organes sociaux. Les représentants de
l’Etat au conseil d’administration de la holding négocient, dans les faits, le
programme de cession avec la Commission de gestion.
50. Une
autre opération de reclassement des titres confisqués a été opérée par la
cession au profit de la société ‘’CDC développement’’. C’est une société
filiale à la Caisse des dépôts et consignation la Caisse des dépôts et consignation constituée en la
forme d’une société
anonyme ayant pour objectif de développer les entreprises confisquées ayant un fort potentiel de développement et ne pouvant être vendues actuellement par l'Etat »[74]
Le statut juridique de la société CDC développement est différent de celui d'Al Karama Holding et même paradoxal comparé à celui de la société mère. En effet, CDC développement est une société anonyme détenue quasi-totalement par la Caisse des dépôts et de consignation qui est un établissement public créé
en 2011 par le décret-loi n°85-2011 du 13 septembre 2011. Si selon l’article
12 dudit décret-loi, la CDC se trouve exclue de l’application de la loi n°89-9
du 1er février 1989, relative aux participations, entreprises et établissements
publics, sa filiale CDC développement reste paradoxalement soumise à ce texte en
vertu du troisième tiret de l’article 8 de la loi 89-9. Ce texte définit comme entreprise
publique les sociétés dont le capital est détenu par l’Etat, les collectivités
locales, les établissements publics et les sociétés dont le capital est détenu
entièrement par l’Etat à plus de 50 % chacun individuellement ou conjointement. Les participations dans les sociétés initialement confisquées et acquises par la société CDC développement sont désormais des participations publiques. Ces sociétés ayant perdu le
caractère de sociétés confisquées ne seront plus soumises aux dispositions du décret-loi n°2011-68 du 14 juillet 2011. La société CDC développement doit en principe être régie par la loi n°89-9 et ses textes d’application [75] contrairement à la société Al Karama ayant
le caractère de société confisquée et qui reste régie par le décret-loi n°2011-68.
51. Sur
le plan strictement juridique, la cession opérée au profit d'Al Karama ou CDC Développement réalise un transfert réel de propriété des titres ; ils perdent entre ses
mains, leur nature juridique initiale de biens confisqués. Ils sont désormais
des titres acquis, des biens propres et leur cession au secteur privé sera
menée selon les mêmes règles précédemment exposées.
§4
Difficultés particulières tenant à l’existence d’une convention antérieure
ayant pour objet les titres confisqués
52. Les
titres de participation confisqués peuvent être grevés de nantissement consenti
par leur titulaire initial avant la promulgation du décret-loi du 14 mars 2011.
Comment assurer l’articulation entre les droits du créancier gagiste et ceux de
l’Etat confisquant ?[76]
(A) On peut également envisager la situation où le titulaire visé par la
confiscation soit lié à certains autres associés par des pactes d’actionnaires
ayant pour objet de régir la géographie du capital de la société émettrice ou
l’exercice du droit de vote. Dans quelle mesure ces pactes d’actionnaires sont
transmis à l’Etat par suite des mesures de confiscation ? (B) Nous
examinons successivement ces deux difficultés particulières.
A)
La
confiscation des titres de participation nantis
53. Les
titres confisqués étaient disponibles entre les mains de leurs titulaires avant
que n’intervienne la mesure de confiscation. Il peut arriver que des titres
soient grevés de nantissement en garantie d’une obligation. L’existence de
nantissement doit être articulée avec la mesure de confiscation. Dans l’absolu,
trois solutions sont possibles. Soit que l’on estime que le nantissement est de
nature à empêcher le transfert à l’Etat des titres confisqués ; soit
que l’on dise que les titres sont transférés à l’Etat grevés de charges ;
soit enfin que l’on admette que les titres sont transférés à l’Etat libres de
toute charge réelle. Laquelle de ces trois solutions doit-on retenir ?
54. En droit
commun, le transfert de la propriété des actions nanties à une personne autre
que le créancier nanti heurte des obstacles d’ordre juridique. En effet, le
teneur de compte engage sa responsabilité si elle exécute un ordre de mouvement
à partir du compte spécial[77]
sans avoir obtenu mainlevée en provenance du créancier. La société est donc
fondée à refuser de passer toute écriture en l'absence de preuve établissant
l'extinction du nantissement. Si la société passe quand même une telle
écriture, l'acquéreur de bonne foi des actions n'est pas protégé, dans la
mesure où l'article 53 du code des droits réels ne concerne que les meubles
corporels. Il est donc exposé à se voir vendre les actions et à ne disposer que
d'une action en responsabilité contre son cédant. Au surplus, l’article 230 du
code des droits réels dispose que « celui qui a constitué un
nantissement ne perd point le droit d’aliéner la chose qui en est l’objet, mais
toute aliénation consentie par le débiteur ou par le tiers bailleur du gage est
subordonnée à la condition que la dette soit payée en principal et accessoires
à moins que le créancier ne consente à ratifier l’aliénation ». En
application de ce texte, la cession des valeurs mobilières ou des parts
sociales nanties est toujours faite sous condition.
55. Il ne semble
pas pourtant que l’efficacité de la confiscation d’un titre de participation
soit subordonnée à sa ratification par le créancier nanti. En effet, on estime d'une manière générale que les biens inaliénables demeurent atteints par la confiscation. L'Etat intervient en effet comme propriétaire et non comme créancier. D'autre part, l'intérêt privé, qui a motivé l'inaliénabilité, doit s'effacer devant l'intérêt public»[78] On peut par analogie estimer que la confiscation produit ses effets même pour des actions nanties. Cette solution est d'ailleurs implicitement admise par l'article 1er al. 2 du décret-loi du 14 mars 2011. Il énonce que « la confiscation décidée en vertu du
présent décret-loi n’affecte pas le droit des créanciers de demander le
paiement de leurs créances nées avant le 14 janvier 2011, à condition de se
conformer aux procédures fixées par les dispositions du présent décret-loi ». Ce texte admet que l’Etat devienne
propriétaire des biens confisqués sans que les créanciers chirographaires ou
privilégiés perdent leurs droits au paiement de leurs créances et leur droit de
priorité. Ils doivent cependant se conformer aux procédures instituées par le
décret-loi portant confiscation et faire connaître leur qualité de créancier dans
les délais impartis[79].
L’article 10 du décret-loi du 14 mars 2011 ajoute que « le ministère
chargé des finances procède, conformément aux procédures en vigueur et
dans la limite du produit des avoirs confisqués, au paiement des dettes rendues
certaines à l’égard des personnes visées à l’article premier du présent
décret-loi, par des décisions judiciaires définitives. » L’expression
‘’procédure en vigueur’’ suggère cette idée que la chose confisquée dévolue à
l'État demeure grevée, à concurrence de sa valeur, des droits réels licitement
constitués au profit de tiers. La procédure de distribution de derniers sera
éventuellement suivie[80].
Il sera donc tenu compte de la préférence donnée au créancier en vertu du
nantissement[81].
B)
Le
problème de la transmissibilité à l’Etat des pactes d’actionnaires conclus
antérieurement par les personnes confisquées
56. Il
peut arriver que certaines personnes visées par la mesure de confiscation
soient détentrices de certaines participations pour lesquelles elles ont conclu
avec certains autres associés (ou des tiers) des pactes d’actionnaires extra-statutaires.
57. Les
pactes d’actionnaires extra-statutaires sont des contrats innommés à contenu
invariable. Ils sont régis par le principe de la liberté contractuelle, et ne
sont limité quant à leur validité que les dispositions impératives du droit des
sociétés commerciales, l’ordre public et les bonnes mœurs et les stipulations
des statuts.
58. Schématiquement,
on peut distinguer dans ces pactes deux catégories de clauses. Certaines ont
une incidence sur la géographie du capital d’une société ; certaines
autres ont une incidence sur l’exercice du droit de vote. On se limite dans les
développements qui suivent à examiner quelle influence peuvent exercer ces
clauses sur les mesures de confiscation portant sur les titres sociaux,
notamment leur circulation au moment de la confiscation et après.
59. Comme
exemple des premières clauses régissant la circulation des titres sociaux, on
peut citer le cas simple des clauses de promesse d’achat de titres sociaux. La
personne intéressée par la confiscation peut être un sujet passif de la
promesse, elle s’est s’obligée à acheter, selon un programme convenu, des
actions souscrites à sa demande par un banquier ou une société d’investissement[82].
Cette promesse d’achat qui s’étale sur une durée plus ou moins longue peut
avoir reçu un début d’exécution avant le prononcé de la confiscation. Il est
certain que, dans ce dernier cas, l’Etat devient propriétaire des actions déjà
achetées, mais est-il tenu pour l’avenir d’acheter ? On peut imaginer une
situation inverse où il existe une promesse de vente des titres à la charge des
personnes visées par le décret-loi portant confiscation. L’Etat est-il tenu de
l’exécuter et de vendre les titres au bénéficiaire de la promesse et au
prix convenu dans la promesse de vente ?
60. On
peut également rencontrer des clauses restreignant la cession des titres, telles que les conventions
d’inaliénabilité ou les clauses limitant la cession par l’obligation d’obtenir
un agrément préalable. On a précédemment vu[83]
que la confiscation n’est pas contrariée par les clauses d’inaliénabilité ou
d’agrément préalable figurant dans les pactes d’actionnaires, mais lorsqu’il
s’agit pour l’Etat de céder les titres confisqués est-il tenu de les
respecter ? Peut-il librement décider la vente des titres avant que
n’expire le délai d’inaliénabilité ou sans solliciter l’agrément du
cessionnaire ? On peut encore imaginer que le pacte organise un droit de
priorité ou de préemption au profit d’un contractant de la personne visée par
la mesure de confiscation. L’Etat est-il tenu d’offrir la vente des titres
confisqués en priorité au bénéficiaire du droit de priorité ?
61. On peut encore
trouver des stipulations obligeant à céder des titres de participation dans des
circonstances particulières, telles qu’un pacte garantissant une cession
collective avec les autres actionnaires (clause de sortie conjointe) ou pactes
garantissant la cession en cas d’introduction en bourse.
62. La
difficulté est accrue d’autant plus que dans un pacte d’actionnaires, les
clauses paraissent cumulatives. Ainsi, on peut prévoir à la fois, une promesse
synallagmatique d’achat et de vente, des clauses organisant une inaliénabilité
temporaire, un droit de préemption et une clause de sortie conjointe prioritaire
ou proportionnelle. Les clauses peuvent même viser les perspectives futures de
l’évolution du capital social suite à des décisions de l’assemblée générales
extraordinaire portant augmentation du capital de la société.
63. La
question de la transmission des pactes d’actionnaires consécutivement à la
cession des actions s’est posée en droit commun des contrats. Il s’agit de
savoir si un cessionnaire d’actions peut se voir opposer (ou peut se prévaloir)
d’un pacte d’actionnaires conclu par le cédant avant la cession.
64. Une
réponse positive peut trouver son fondement dans cette idée que le pacte
d’actionnaires est un accessoire des actions. Certains juges de fond ont pensé
ainsi néanmoins la Cour de cassation française les a censurés. Par un arrêt en
date du 24 mai 2011[84]
elle estimé que le
cessionnaire, tiers au pacte d'actionnaires conclu par la société cédante, ne
pouvait pas, en cette qualité, se prévaloir de celui‐ci et que la cession
forcée des actions ne pouvait être la sanction de la violation du pacte.[85]
La cour d'appel de Versailles, saisie sur renvoi, a confirmé le 22 mai 2012[86]
la position de la Cour de cassation : un pacte d'actionnaires n'est pas un
accessoire aux actions et ne peut donc pas être automatiquement transféré au
cessionnaire. C’est le principe de l’effet relatif des contrats qui joue.
« La qualité de partie au contrat de société
devant être distinguée de la qualité de partie à tout autre contrat. »
Pour qu’il soit autrement, il faudra soit qu’il existe une transmission de
plein de droit des contrats, qui serait éventuellement consacrée par le
décret-loi du 14 mars 2011, soit une adhésion de l’Etat au pacte d’actionnaires
dans la mesure où une telle faculté est contractuellement prévue.
65. La
lecture du décret-loi du 14 mars 2011 ne permet pas de penser qu’il organise
une cession légale des contrats ayant pour objet les biens confisqués. Il ne
prévoit qu’un mécanisme de déclaration des créances au profit des créanciers
pour qu’ils soient payés par le produit de vente des biens. En conséquence, le
jeu de la cession légale des contrats ne peut fonctionner que dans les
conditions de droit commun[87].
66. Cette
solution tirée des dispositions du décret-loi du 14 mars 2011 n’est pas remise
en cause par l’article 2 du décret-loi du 14 juillet 2011 qui confie à la
Commission de gestion la mission « de prendre les mesures nécessaires qui concernent les
contrats en cours notamment pour garantir la continuité de leur exécution. » A notre, sens loin d’avoir prévu ou organisé
une transmission légale des contrats, cet article se limite à donner à la
Commission de gestion la mission de veiller à la continuité des contrats qui se
seraient transmis par l’effet des dispositions de droit commun[88].
La Commission peut, en dehors de ce cas, décider volontairement d’adhérer à une
convention en cours (par un exemple un pacte d’actionnaires) dans la mesure où
il y a intérêt à sa poursuite.
67. Il découle des
développements qui précèdent que l’Etat ne peut être tenu aux « obligations de
faire » contractées par la personne touchée par la confiscation. Mais il doit
supporter les dommages-intérêts motivés par leur inexécution.
Deuxième partie. Le statut des sociétés émettrices des
titres sociaux confisquées
68. Après
avoir examiné les conséquences de l’éventuelle réunion de toutes les parts ou
actions en la seule main de l’Etat (§1), nous examinerons le
fonctionnement des sociétés dont le capital est intéressé par la confiscation.
Leur fonctionnement doit en premier lieu être normalisé par la mise en place
des nouveaux organes sociaux mettant ainsi fin à l’administration judiciaire (§2).
La nature et les pouvoirs des organes sociaux diffèrent selon qu’il s’agit
d’une société anonyme (§3) ou d’une société à responsabilité limitée (§4). Nous
terminerons l’exposé par l’étude du fonctionnement des sociétés sous contrôle
des sociétés confisquées (§5). Dans ces différentes étapes de notre
étude, nous verrons en quoi le transfert des actions au patrimoine de l’Etat va
modifier les conditions de fonctionnement des sociétés. Plus particulièrement,
notre attention sera portée aux pouvoirs de la Commission de gestion
d’interférer dans ce fonctionnement.
69. En
toile de fond de notre analyse, nous rappelons schématiquement deux
questions : celle relative au régime de l’entreprise publique pour voir s’il
a totalement ou partiellement inspiré les auteurs du décret-loi du 14 juillet
2011 et celle relative à l’impact de la confiscation sur la continuité de la
personnalité morale des sociétés.
70. ‘’L’entreprise
publique’’ est un terme générique couvrant des entreprises sous formes
diverses. Il peut s’agir d’un établissement public industriel et commercial,
d’une société nationale ou d’une société d’économie mixte. Au-delà de cette
diversité, la loi du 1er février 1989 soumet l’entreprise publique à
un régime où l’Etat exerce un contrôle sur les organes et un contrôle sur les
actes et moyens. Le contrôle sur les organes est exercé à travers le pouvoir de
nommer, de révoquer et de rémunérer les dirigeants, alors que le contrôle sur
les actes s’exerce par un pouvoir d’approbation des décisions prises par ces
derniers. L’entreprise publique est sous tutelle de l’Etat en amont et en aval.
71. Le
décret-loi de 14 juillet 2011 s’éloigne quelque peu de ce modèle. Il institue
la Commission nationale de gestion d’avoirs et des fonds objets de
confiscation dont le rôle est seulement limité au contrôle des
dirigeants. L’article 11 du décret-loi énonce que la Commission de gestion
« désignera des représentants de l’Etat dans les assemblés générales
des sociétés comportant participation concernées par la confiscation ou la
récupération et des gestionnaires représentant l’Etat dans les structures de
gestion et de direction des sociétés ayant des participations directes ou
indirectes concernées par la confiscation ou la récupération dans la limite des
taux de participation objet de confiscation ou de récupération. L’Etat
supportera la responsabilité civile découlant de l’exercice de ses
représentants de leurs fonctions dans les structures de gestion et de direction
de ces dites sociétés. »
72. La
confiscation n’emporte pas une modification de la personnalité morale des
sociétés émettrices des titres de capital. Néanmoins, certaines conséquences
juridiques risquent de se produire en raison du changement de contrôle[89].
En effet, certains contrats en cours conclus par les sociétés dont le capital
est concerné par la confiscation comportent des clauses d’intuitu personae,
prévoyant notamment un risque de résiliation anticipée en cas de changement de
contrôle. La Commission de confiscation devra, à cet égard, être attentive à
l’impact de la mise en œuvre de la clause de résiliation anticipée sur le
devenir de la société.
§1 La
réunion de toutes les parts et actions en la seule main de l’Etat
73. La
confiscation opère un transfert de la propriété des titres sociaux au
patrimoine de l’Etat. Il peut arriver des cas où la société émettrice dont le
capital est concerné par la confiscation soit constituée exclusivement par des
personnes comprises dans le périmètre des personnes confisquées[90].
L’Etat détiendra par cette circonstance en une seule main toutes les parts ou
actions émises.
74. Par
définition, et à l’exception de la société unipersonnelle à responsabilité
limitée, la société suppose la réunion de plusieurs associés. L’article 23 du
Code des sociétés commerciales en tire la conséquence selon laquelle en cas de
réunion de toutes les parts sociales entre les mains d’un seul associé et en
vue d’éviter la dissolution, la société se transforme en société unipersonnelle
à responsabilité limitée. Cette règle édictée par l’article 23 pour les
sociétés de personnes et pour la société à responsabilité limitée s’applique
aux sociétés par actions en vertu de l’article 387. Cette solution ne peut pas
s’appliquer à la ‘’société confisquée’’ dans la mesure où une société
unipersonnelle à responsabilité limitée ne peut avoir pour associé unique une
personne morale. L’Etat doit donc régulariser la situation en cédant à des
tiers les parts ou actions nécessaires pour avoir le nombre d’associé requis
pour la forme sociale considérée[91].
§2 La
normalisation du fonctionnement des sociétés dont le capital est intéressé par
la confiscation
75. Le lendemain des événements du 14 janvier
2011, plusieurs banques de la place ont agi en référé pour demander la
nomination d’administrateurs judiciaires sur les sociétés dans lesquelles les
membres de la famille et des alliés de l’ancien Président de la République
avaient eu des participations directes ou indirectes. La liste de ces sociétés
est préparée par le Banque centrale de Tunisie et une répartition de l’initiative
des actions en référé est faite, après concertation, entre les banquiers selon
l’importance respective de leurs créances. Le banquier ayant la plus importante
créance s’est vu attribuer la qualité de chef de file pour agir en justice.
76. Le choix des administrateurs judiciaires
n’était pas aisé, surtout en raison de l’insuffisance du nombre des personnes
inscrites auprès de la Cour d’appel de Tunis, siège principal des sociétés
concernées par la confiscation, de la technicité de l’activité de certaines
sociétés et du refus de certains administrateurs nommés des missions qui leur
sont confiées ou de leur démission après la survenance des remous sociaux et
des difficultés de financement des activités[92].
77. La désignation d’un administrateur judiciaire
est de nature à entraîner un dessaisissement des organes d’administration et de
direction des sociétés concernées[93].
Ce dessaisissement peut avoir un effet négatif dans certains cas. C’est pour
cette raison pour des sociétés de grande importance capitalistique, les
demandeurs se sont limités à requérir soit la nomination de contrôleurs de
gestion[94]
soit la confirmation des dirigeants en place dans leur rôle habituel mais en
leur donnant la qualité d’administrateur judiciaire.
78. Ce système d’administration judiciaire sur les
personnes morales s’est dédoublé d’un système de séquestre sur les biens
meubles et immeubles, s’étendant par conséquent sur les titres sociaux. Il en
découle qu’il n’est pas rare qu’une même société soit sous l’influence
cumulative de deux auxiliaires de justice ayant chacun des intérêts et des
motivations différentes. Le financement des sociétés sous administration
judiciaire était des fois tributaire d’avances en compte courant d’associés que
les séquestres mis en place hésitent de consentir de leur propre initiative. Et
même si l’on fait abstraction de ce dédoublement fonctionnel, des difficultés
sont apparues au niveau de certaines sociétés organisées en groupe. Les
nominations des administrateurs judiciaires ne tiennent toujours pas compte de
cette circonstance et il est arrivé que l’unité du centre de décision soit mise
à l’épreuve.
79. Il
appartient à la Commission de confiscation de recenser les titres sociaux
confisqués, de formaliser le transfert de propriété à l’Etat par la remise à la Commission de gestion d’un relevé muni des
dossiers et des documents les concernant[95].
Elle doit, en tant que de besoin, effectuer la publicité légale inhérente au
transfert de propriété des titres sociaux.
80. La
normalisation du fonctionnement des sociétés dont les titres de capital est
touché par la mesure de confiscation consiste positivement à mettre en place
les nouveaux organes d’administration et/ou de direction (de gérance) et
négativement à relever des leurs fonction les administrateurs judiciaires et
séquestres.
81. La mise en
place des nouveaux organes sociaux pour chaque société nécessite la tenue d’une
assemblée générale ordinaire.
Les modalités de convocation d’une telle assemblée générale dépendent de la
forme de chaque société.
82. S’agissant
d’une société à responsabilité limitée, la Commission de gestion, représentée
par le Chef du contentieux de l’Etat en sa qualité de représentant de l’Etat
associé, peut agir devant le juge des référés aux fins de nomination d’un mandataire
de justice chargé de convoquer l’assemblée générale ordinaire. L’ordre du jour
est la nomination d’un nouveau gérant[96].
Si le gérant en exercice est statutaire, il faudra convoquer une assemblée
générale extraordinaire ayant pour objet de modifier les statuts par la
révocation du gérant statutaire. Il ne semble pas adéquat que le nouveau gérant
soit statutaire. Le même mandataire judiciaire se voit également confier la
mission de convoquer une assemblée générale ordinaire pour la nomination d’un
nouveau gérant.
83. S’agissant
d’une société anonyme, on peut être tenté de faire l’économie de la procédure
des référés en application des dispositions de l’article 277 in fine du
Code des sociétés commerciales qui prévoient que l’assemblée générale peut être
convoquée par « les actionnaires
détenant la majorité du capital social ou des droits de vote après cession d'un
bloc de contrôle. » Interprétée littéralement, la confiscation même si
elle porte sur la majorité du capital ou des droits de vote, n’est pas une cession
de contrôle par défaut du caractère volontaire. Nous
sommes d’avis que seule l’intervention du juge des référés peut satisfaire aux
besoins de la convocation de l’assemblée générale ayant pour objet la
recomposition du conseil d’administration.
84. Sur
le plan procédural, l’action en référé de la Commission de gestion n’est pas
exclusive de l’action de tout autre actionnaire diligent, à charge pour lui
d’assigner la Commission de gestion représentée par le Chef du contentieux de
l’Etat. De même doit être appelée à la procédure la société représentée par
l’administrateur judiciaire et le séquestre des biens s’il n’est pas encore
relevé de ses fonctions.
85. La
question peut se poser si l’administrateur judiciaire peut directement
convoquer l’assemblée générale, peu important sa forme[97].
A notre avis sauf restriction particulière de la décision portant nomination de
l’administrateur judiciaire, une telle solution est possible. En effet, la
décision de nomination opère un dessaisissement et
une substitution, dans les pouvoirs, des dirigeants par le mandataire de
justice. La conséquence est que l’administrateur judiciaire dispose des mêmes
pouvoirs que les dirigeants : « l’administrateur provisoire d’une société,
désigné par l’autorité judiciaire, est investi des pouvoirs conférés par la loi
à un dirigeant social. »[98]
86. Les sociétés
sous contrôle de second ou de troisième rang avaient été elles-mêmes soumises à
l’administration judiciaire. La normalisation de leur fonctionnement doit obéir
à la même logique précédente. La difficulté sur le plan procédural de savoir,
si la Commission de gestion peut être présente dans la procédure devant le juge
des référés. Il ne nous semble pas qu’elle puisse être partie, même si elle
doit donner son consentement à la nomination des dirigeants sociaux en
application de l’article 11 du décret-loi du 14 juillet 2011.[99]
§3 La
société concernée par la confiscation est une société anonyme
87. On
appréciera l’incidence de la confiscation sur les organes d’administration (A),
de direction générale (B) et de délibérations (C).
A)
Le
conseil d’administration
88. On
suppose pour les besoins de la discussion que les sociétés anonymes concernées
par la confiscation sont administrées selon la forme classique par un conseil
d’administration. On examinera la composition de cet organe (1), le
statut des représentants permanents de l’Etat en son sein (2) et
les conditions dans lesquelles il délibère (3).
1. Composition du
conseil d’administration : L’Etat administrateur
89. En
droit commun, l’assemblée générale ordinaire[100]
désigne, selon les conditions de quorum et majorité prévues à l’article 278 du
Code des sociétés commerciales, les administrateurs de la société anonyme.
L’assemblée générale fixe à la fois le nombre des sièges à pourvoir et les
personnes ayant à les occuper. Nul n’est assuré d’être nommé administrateur
s’il n’a la maîtrise de droit ou de fait de la majorité des droits de vote.
90. Dans
les entreprises publiques régies par la loi du 1er février 1989, la
règle est sensiblement différente. Il est en effet obligatoirement réservé à
l’Etat des postes d’administrateur proportionnels à la part de capital qu’il
détient dans la société. Une règle équivalente est consacrée dans le décret-loi
du 14 juillet 2011. L’article 11 de ce dernier texte énonce, en effet, que la
Commission de gestion « désignera…les gestionnaires représentant l’Etat
dans les structures de gestion des sociétés ayant des participations
directes…concernées par la confiscation….dans la limite des taux de
participation[101]
objet de confiscation ou de récupération ». L’Etat même
actionnaire minoritaire peut prétendre avoir des postes d’administrateur
proportionnellement à sa part dans le capital. Il est donc un administrateur
de droit pour un nombre proportionnel de sa part dans le capital. Il arrive
que l’Etat cumule plusieurs sièges à la fois. C’est une exception au jeu normal
des règles de droit commun où un administrateur n’a qu’une seule voix au
conseil d’administration. Par le cumul des sièges au sein du conseil
d’administration, l’Etat dispose de plusieurs voix et cette situation n’est pas
sans conséquence sur le contrôle des décisions du conseil d’administration.
91. L’article
11 du décret-loi du 14 juillet 2011 conduit indirectement à une limitation des
pouvoirs de l’assemblée générale. Celle-ci est seulement compétente pour
déterminer le nombre de sièges à pourvoir et de désigner les administrateurs du
secteur privé ayant à les occuper dans une limite proportionnelle pour
permettre à l’Etat d’avoir un nombre de sièges proportionnel à sa part dans le
capital[102].
92. L’Etat
étant une personne morale, il doit désigner ses représentants permanents dans
le conseil d’administration[103].
Le pouvoir de nomination de ces représentants appartient à la Commission de
gestion. Il est évident que les représentants permanents ne sont pas des
administrateurs en leurs noms propres, mais au nom et pour le compte de l’Etat.
Le procès-verbal de l’assemblée générale portant nomination des administrateurs
doit être rédigé de manière à traduire cette réalité juridique. Ainsi la résolution
adoptée par l’assemblée générale doit indiquer la réservation de nombre de
siège(s) d’administrateur(s) à l’Etat. La désignation des représentants
permanents doit résulter d’un acte subséquent émanant de la Commission de
gestion et non d’un vote de l’assemblée générale. Et même s’il arrive que l’on
fasse figurer le nom du représentant permanent dans le procès-verbal, parce que
communiqué d’avance à la société à l’occasion de la tenue de l’assemblée
générale, son nom ne doit être mentionné qu’en tant représentant permanent et
sous réserve qu’il ne soit pas ultérieurement remplacé par quelqu’un d’autre en
cours du mandat[104].
2. Le statut du représentant permanent de l’Etat administrateur
93. Trois
précisions supplémentaires doivent être faites concernant le statut des
représentants permanents de l’Etat. Elles concernent la liberté de choix de la
Commission de gestion de la personne du représentant permanent et du
consentement de ce dernier (2.1), de sa responsabilité (2.2) et
de sa rémunération (2.3).
2.1.
Le choix du représentant permanent
94. En
droit commun des sociétés, le représentant permanent d’une personne morale est
soumis aux mêmes conditions de nomination que s'il était administrateur en son
nom propre[105].
La Commission de gestion doit donc respecter les règles de droit commun des
sociétés, concernant les motifs d’incapacité, d’incompatibilité et
d’interdiction[106].
Par exemple, si l’intéressé est fonctionnaire au service de l’administration,
il doit recevoir une autorisation de son supérieur[107].
La seule décision de la Commission de gestion est insuffisante. Au-delà de ces
limites, la Commission de gestion désigne librement les représentants
permanents. Les règles régissant les représentants de l’Etat dans les entreprises publiques ne
sont pas applicables[108].
Le consentement
du représentant de sa mission permanent résulte de son acceptation expresse ou
tacite.
2.2.
Les responsabilités du représentant permanent
95. En
droit commun, « le représentant permanent encourt les mêmes
responsabilités civile et pénale que s'il était administrateur en son nom
propre sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale
qu'il représente. »[109]
L’article 11 du décret-loi du 14 juillet 2011 tempère cette règle en énonçant
que « l’Etat supportera la responsabilité civile découlant de
l’exercice de ses représentants de leurs fonctions dans les structures de
gestion et de direction de ces dites sociétés. » Le représentant permanent demeure par conséquent responsable sur le plan pénal comme s’il est
administrateur en son nom propre.
1.2.
Les jetons de présence
96. Les
administrateurs peuvent recevoir en droit commun, en vertu d’une décision de
l’assemblée générale, des jetons de présence fixés annuellement[110].
La question, dans notre cas, est de savoir si ces jetons de présence sont dus à
l’Etat en sa qualité d’administrateur ou à son représentant permanent.
97. En
droit, dans les relations avec la société qui paie, les jetons de présence sont
alloués aux administrateurs, peu importe qu’ils soient des personnes physiques
ou des personnes morales. Le représentant permanent n’a pas la qualité
d’administrateur en son nom propre même s’il doit justifier des mêmes conditions de nomination que s’il était administrateur en nom propre.
L’assimilation faite par l’article 193 du Code des sociétés commerciales entre
l’administrateur personne morale et son représentant permanent est strictement
limitée aux conditions de nomination de ce dernier et aux obligations et
responsabilités qui en découlent. L’assimilation ne s’étend pas aux avantages liés
à l’exercice de la fonction. Le représentant permanent doit donc faire son
affaire personnelle pour ‘’convenir’’ avec la personne morale qui le nomme des
conditions dans lesquelles il accepte de remplir son mandat.
98. Cette
conclusion générale valable pour toute personne morale administrateur est
confirmée pour les entreprises soumises au contrôle de l’Etat. La loi n°59-84
du 21 juillet 1959, portant création d’un compte spécial du Trésor intitulé
‘’Compte d’emploi des frais de contrôle financier, des jetons de présence et
tantièmes revenant à l’Etat’’, modifiée par la loi n°67-35 du 5 août 1967,
édicte dans son article 2 (nouveau) que « les sociétés dans lesquelles
l’Etat détient une participation au capital ainsi que leurs filiales sont
tenues de verser au compte spécial visé à l’article premier de la présente loi,
c’est-à-dire le ‘’Compte d’emploi des frais de contrôle financier, des jetons
de présence et tantièmes revenant à l’Etat’’, les jetons de présence et les
tantièmes revenant à l’Etat. » Ce texte s’applique aux jetons de
présence servis à l’Etat par les sociétés anonymes concernées par la
confiscation. D’une part, l’exclusion faite par l’article 9 du décret-loi du 14
juillet 2011 de l’application de la loi du 1er février 1989,
relative aux participations et entreprises publiques, est d’interprétation
stricte ; elle ne saurait être étendue aux autres lois non expressément
citées et en particulier celle du 21 juillet 1959. D’autre part, l’article 2 de
celle-ci est rédigé en termes généraux désignant ‘les sociétés dans
lesquelles l’Etat détient une participation au capital » ; cette
condition est satisfaite par l’Etat actionnaire dans une société concernée par
la confiscation et ayant la qualité d’administrateur. La Cour de discipline
financière a confirmé cette interprétation des textes dans une décision n°184
du 25 mai 2001. Elle avait jugé que « la rémunération des chefs
d’entreprises publiques ne tolère aucunement l’adjonction d’avantages non
prévus, tels que les jetons de présence, les primes de résultats et de
rendement et le treizième mois, fussent-ils servis par des entreprises privés
au capital desquelles participe l’entreprise publique. »[111]
99. Sur
le plan strictement financier et du point de vue de la comptabilité publique,
il y a hésitation à dire si les sommes allouées par les sociétés concernées par
la confiscation à l’Etat administrateur, au titre de jetons de présence,
doivent alimenter le compte spécial créé par la loi du 21 juillet 1959 ou le
compte spécial dénommé ‘’Caisse des avoirs et biens confisqués et récupérés par
l’Etat’’, créé par l’article 12 du décret-loi du 14 juillet 2011. Nous penchons
à l’application de la loi du 21 juillet 1959 car elle constitue un texte
spécial visant expressément les jetons de présence. Cette première conclusion
est confirmée par une interprétation stricte de l’article 13 du décret-loi du
14 juillet 2011 qui fixe les recettes pouvant alimenter la Caisse des avoirs et
biens confisqués et récupérés par l’Etat. On ne peut classer les jetons de
présence dans la catégorie des revenus provenant des valeurs mobilières et
parts et titres et droits y rattachés objet de confiscation ou de récupération.
Enfin, l’application de la loi du 21 juillet 1959 présente l’autre avantage de
pouvoir servir de fondement à l’intéressement des représentants de l’Etat à
être candidat aux conseils d’administration des sociétés.
3.
Les
décisions du conseil d’administration. La question du contrôle de la Commission
sur les actes de la société
100. Le
conseil d’administration se réunit et délibère dans les conditions fixées par
le Code des sociétés commerciales et les statuts. Rien dans le décret-loi du 14
juillet 2011 ne donne à la Commission de gestion un pouvoir de contrôle dans le
fonctionnement de la société. Les décisions du conseil d’administration ne sont
pas soumises à l’approbation de la Commission de gestion. La société fonctionne
normalement par ses propres organes sociaux. L’article 2 du même décret-loi le
confirme quand il donne mission à la Commission de gestion mission de garantir le
maintien du fonctionnement normal des sociétés. On ne peut être plus clair.
Ainsi la situation des sociétés concernées par la confiscation s’éloigne de
celle retenue par l’article 10 (nouveau) de la loi du 1er février
1989 reconnaissant au ministre de tutelle le pouvoir d’approuver les
délibérations du conseil d’administration des entreprises publiques[112].
101. La
solution retenue par le décret-loi du 14 juillet 2011 est heureuse. « Les
pouvoirs publics, maîtrisant en amont et de manière étroite la désignation et
la révocation des organes d’administration et de direction abandonnent tout
contrôle sur les actes. » Ils évitent ainsi la critique de
contradiction de vouloir assurer un contrôle sur les organes et sur les actes
des organes[113].
B)
La
direction générale de la société
102. Selon
ce que prévoient les statuts de la société concernée par la confiscation, la
direction générale est confiée soit à un président-directeur général soit à un
directeur général, en cas de scission des fonctions de président du conseil
d’administration et de directeur général.
103. Le
président directeur général, ou le directeur général, est nommé par le conseil
d’administration aux conditions de quorum et de majorité nécessaire à la
validité de ses décisions.
104. Si
l’Etat détient le contrôle de la société par la majorité des droits de vote
qu’il possède dans les assemblées générales, il sera nécessairement majoritaire
au conseil d’administration. Dans ce cas, le conseil d’administration sera la
chambre d’enregistrement des décisions prises par la Commission de gestion qui
a reçu pouvoir de désigner « les gestionnaires représentant l’Etat dans
les structures …de direction. » La Commission de gestion décide,
indirectement mais sûrement, du choix de la personne qui sera investie, selon
le cas, des fonctions de président directeur général, de président de conseil
d’administration et de directeur général. Elle peut aller plus loin et décider
du choix du directeur général adjoint. La carrière du dirigeant est sous la
maîtrise de la Commission de gestion qui peut proposer sa révocation.
105. En
cas de cumul des fonctions de président de conseil d’administration et de
directeur général, le dirigeant doit justifier de la qualité d’administrateur
en nom propre et d’actionnaire[114].
En cas de scission des fonctions de président de conseil et de directeur
général, le président doit également être administrateur et actionnaire. Il
faudra s’assurer de la cession préalable d’une action à l’intéressé. Un simple
contrat de prêt d’une action passé entre l’Etat et le candidat au poste suffit
pour se conformer à cette exigence. Le prêt est préféré à la vente car il
permet mieux que d'autres procédés, de s'assurer que les membres du conseil
d'administration ne conserveraient pas lesdites actions, une fois leurs
fonctions venues à expiration.[115]
Il doit s’agir d’un prêt de consommation au sens de l’article 1081 et suivant
du Code des obligations et des contrats. Par l'effet du prêt de consommation,
l'emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée[116],
un tel prêt portant sur des actions permet de satisfaire les exigences de
l'article 208 du Code des sociétés commerciales.
106. Il y
a hésitation à dire si la rémunération des dirigeants des sociétés concernées
par la confiscation est régie par les règles de droit commun des sociétés ou
les textes relatifs à la rémunération des dirigeants des entreprises publiques.
Le décret n°90-1885 du 10 novembre 1990, fixant le régime des rémunérations des
chefs d’établissements et entreprises publics et de sociétés à majorité
publique, définit son champ d’application en énonçant à son article 1er
qu’il est applicable non seulement aux chefs d’entreprises et établissements
publics au sens de la loi du 1er février 1989, mais aussi « aux
chefs de sociétés à majorité publique, dont le capital est détenu à hauteur de
50% au moins, exclusivement ou conjointement, par des participants publics et
des entreprises publiques ». C’est cette dernière extension qui pose
le plus de difficulté dans le cas des sociétés concernées par la confiscation.
Nous inclinons personnellement à exclure l’application de ce texte spécial du
fait que dans son visa, il précise qu’il est pris en application de la loi du 1er
février 1989. Or l’article 9 du décret-loi du 14 juillet 2011 prévoit
expressément que « les sociétés ayant des participations objets de
confiscation ou de récupération ainsi que les participations objets de
confiscation ou de récupération ne sont pas soumises à la loi n°89-9 du 1er
février 1989, relative aux participations et entreprises publiques et ses
textes d’application[117]. »
107. Tout
porte à croire que la Commission de gestion cherchera à harmoniser les critères
de rémunération des dirigeants des sociétés placées sous son contrôle tout en
tenant compte de la situation particulière de la société considérée.
C)
Les
assemblées générales
108. La
Commission de gestion désigne le représentant de l’Etat dans l’assemblée
générale de la société concernée par la confiscation. Pour assurer un meilleur
contrôle de la gouvernance des sociétés, il serait souhaitable que ce
représentant ne soit pas le même qui représente l’Etat au conseil
d’administration. Une séparation entre les fonctions de gouvernance et de
contrôle est un principe élémentaire de gestion.
109. L’exercice
du droit de vote est indivisible. On dira que le statut de l’actionnaire est
indivisible[118].
Un seul représentant assiste à l’assemblée générale pour voter au nom et pour
le compte de l’Etat.
§3
Les sociétés à responsabilité limitée
110. Il se
pourrait que parmi les sociétés concernées directement par la confiscation on
trouve certaines qui prennent la forme d’une société à responsabilité limitée.
Le changement de la forme en société anonyme est toujours possible, mais son
opportunité n’est pas toujours avérée. Si la situation est maintenue, on sera
seulement en face de deux organes sociaux : Le gérant et l’assemblée
générale.
A)
Le
gérant
111. Le
gérant doit être une personne physique. Il peut être un simple gérant salarié
n’ayant pas la qualité d’associé.
Si l’Etat détient
la majorité des droits de vote à l’assemblée générale, il peut influencer sa
désignation. Le candidat doit avoir été proposé par la Commission de gestion.
Aucune utilité
juridique n’existe à ce que le gérant soit désigné par les statuts. Il sera
donc un gérant non-statutaire.
Comme en droit
commun, l’assemblée générale détermine la durée de nomination du gérant, ses
pouvoirs et sa rémunération.
B)
L’assemblée
générale
112. La
Commission de gestion désigne le représentant de l’Etat à l’assemblée générale
de la société concernée par la confiscation. Pour assurer un meilleur contrôle
de la gérance de la société, il serait souhaitable que ce représentant ne soit
pas le gérant.
§4
Les sociétés sous contrôle des sociétés concernées par la confiscation
113. Les
sociétés sous contrôle des sociétés concernées par la confiscation constituent
une catégorie à part. Il s’agit incontestablement des participations indirectes
de l’Etat. Elles peuvent être des participations directes de second ou
troisième rang. On fera abstraction de la forme sociale de ces sociétés pour
s’interroger sur la mesure du contrôle pouvant être exercé sur elles par la
Commission de gestion.
114. Nous
avons précédemment vu les limites de la compétence de la Commission de gestion
dans les décisions relatives à la cession des participations indirectes[119].
Cette limite est un prolongement naturel de la règle générale d’absence de
pouvoir de contrôle sur les actes des sociétés sous contrôle direct de l’Etat.
Il reste de savoir si la Commission est en droit d’exercer un contrôle sur les
organes des sociétés sous contrôle indirect de l’Etat.
115. Une
réponse positive nous est donnée par l’article 11 du décret-loi du 14 juillet
2011. Il prévoit que la Commission de gestion « désignera des
représentants de l’Etat dans les assemblées générales des sociétés comportant
des participations concernées par la confiscation ou la récupération et des
gestionnaires représentant l’Etat dans les structures de gestion et de
direction des sociétés ayant des participations directes ou indirectes
concernées par la confiscation ou la récupération dans la limite des taux
de participation objet de confiscation ou de récupération.»
116. Une
lecture analytique du texte permet de constater que la Commission de gestion
est investie du pouvoir de nomination de deux catégories de personnes : celles
qui sont appelées à assister aux assemblées générales et celles qui sont
investies des fonctions dans les organes d’administration et de direction.
Formelle, le champ d’application de la compétence de la Commission de gestion
en matière de nomination est variable :
-
La Commission de
gestion a pouvoir de désigner les représentants de la société dominante à
l’assemblée générale des sociétés dominée. Même si dans les rapports avec la
société dominée, l’acte de nomination doit être l’œuvre du dirigeant de la
société dominante, propriétaire des titres de contrôle, cet acte de nomination
est soumis à l’approbation préalable de la Commission.
-
En revanche,
l’acte de nomination des administrateurs et dirigeants de la société contrôlée
suit une autre logique. Il est l’œuvre des instances sociales, soit l’assemblée
générale soit le conseil d’administration, selon qu’il s’agit de nommer des
administrateurs au conseil d’administration, soit des présidents directeurs
généraux ou gérants. La Commission de gestion n’a pas compétence d’approuver
les nominations que dans la mesure où l’Etat exerce un contrôle de droit ou de
fait sur les sociétés ayant une participation indirecte de l’Etat.
On peut critiquer
l’opportunité des solutions mises en place par l’article 11 du décret-loi du 14
juillet 201 dans la mesure où elles surchargent le travail de la Commission de
gestion d’un travail dont on n’aperçoit pas l’utilité directe sur l’efficacité
de la gestion.
[1]
Décret-loi n°2011-13 du 14 mai 2011, portant confiscation d’avoirs et de biens
meubles et immeuble, modifié et complété par décret-loi n°2011-47 du 31 mai
2011.
[2] La
confiscation n’a ciblé que des personnes physiques. Elle n'emporte pas mort civile. La personnalité juridique des
personnes visées par la mesure survit à l'exécution de la mesure. Celles-ci
conservent la plénitude de leur capacité juridique et peuvent obliger et
s'obliger.
[3] Toutefois l’article 13 du décret-loi dispose que la confiscation ne
concerne pas les biens meubles et immeubles acquis par succession après
le 7 novembre 1987 à condition que l’héritier prouve que l’auteur en était
propriétaire avant cette date, et ce dans la limite de ce qui a été déclaré à
l’administration fiscale.
[4] On
distingue en droit pénal la confiscation spéciale et la confiscation générale.
La confiscation spéciale porte sur un bien précis, généralement le produit
d’une action infractionnelle ou l’instrument ayant servi à la commission de
l’infraction (article 28 du Code pénal). La confiscation générale atteint, sans distinction, tout ou partie des biens
meubles et des biens immeubles composant le patrimoine des personnes physiques
ou morales.
[5]
La confiscation peut être facultative ou obligatoire pour le juge. « La
confiscation des choses dont la fabrication, l’usage, le port, la détention et
la vente constituent infraction est ordonnée dans tous les cas (article 28 du
Code pénal). »
[6]
La confiscation est précédée d’une saisie réelle ou fictive. La confiscation
fictive porte sur tout ou partie de la valeur estimative.
[7] Hédi Jilani qui était proche du pouvoir
et gendre de Belhassen Trabelsi, l’une des personnes visées par la
confiscation, avait déclaré que « la confiscation des biens des Ben Ali
est illégale ».
http://www.tunisienumerique.com/tunisie-h-jilani-la-confiscation-des-biens-des-ben-ali-est-illegale-et-dissuade-les-investisseurs/218399.
On n’abordera ailleurs la question de la validité du décret-loi de confiscation
et le problème de sa ratification. Voir notre article ‘’L’annulation
du décret-loi de confiscation : La Chambre de première instance du
Tribunal administratif s’est-elle trompée ?’’, publié au magazine Le
Manager, Juillet 2015, n°, p. .. et sur ce blog :
[8] Mariam Kehila, Confiscation et droit des
sociétés, mémoire de fin d’études en master révision comptable, Institut des Hautes Etudes Commerciales,
Université de Carthage, Juin 2014, p. 3.
[9] Art. 15
du Code des droits réels.
[10]
Certaines personnes sont des mineurs.
[11] Les
titres émis par des sociétés ayant un siège social à l’étranger font l’objet
d’une procédure de récupération dans les Etats étrangers. Le décret-loi du 14
mars 2011 n’a pas cherché à faire produire un effet extraterritorial à la
confiscation. Une solution contraire heurterait la souveraineté des Etats
étrangers et risque de demeurer sans effet. Seule une décision de justice
étrangère ou du moins une décision de justice tunisienne revêtue de l’exequatur
dans l’Etat étranger semble pouvoir opérer un transfert de ces titres au profit
de l’Etat tunisien.
[12] Mariam Kehila, op. cit., pp. 4-5 :
« La confiscation met en péril les droits des créanciers notamment
chirographaires. La portée extrêmement large de la mesure met en péril le
crédit et risque d’avoir des effets contre-productifs. Les auteurs du
décret-loi prenant conscience d’un tel risque avaient pris certaines mesures
correctives permettant d’une part aux créanciers de faire valoir leurs droits
et d’autre part un droit au paiement de leurs créances par le produit de vente
des biens confisqués. Cette dernière mesure annonce le caractère provisoire de
la mainmise de l’Etat sur les biens confisqués. Ils feront leur retour au
secteur privé par leur vente. »
[13] La
traduction du texte français parue au Journal officiel de la République
tunisienne n’est pas conforme au texte arabe. Nous avons pris soin de la
corriger pour les besoins de cet article.
[14] Les
sociétés en participation occupent éventuellement une place spéciale dans la
mesure où elles ne jouissent pas de la personnalité civile.
[15] Par
commodité, le décret-loi la désigne par l’expression simplifiée ‘’la Commission
de gestion’’. Nous adoptons dans la présente étude la même expression.
[16] Le
caractère énonciatif des missions confiées à la Commission de gestion n’est pas
extensible à l’infini.
[17] Article
2 du décret-loi de 14 juillet 2011.
[18] Article
11 du décret-loi du 14 juillet 2011.
[19] En
l’occurrence, la société Al Karama Holding SA et la
société CDC développement. Voir infra.
[20] Nous ne
discuterons pas de la valeur juridique du décret-loi du 14 mars 2011 portant
confiscation ni de ses conditions d’application par la Commission de
confiscation.
[21] Article
11 du Code des sociétés commerciales.
[22] A
distinguer entre le droit de communication et le droit d’approbation des
décisions prises par les assemblées générales.
[23] Art. 11
du décret-loi du 14 juillet 2011.
[24] Un
mandat de vote permanent est nul car il entraîne un dessaisissement du droit de
vote. La règle est implicitement admise par l’article 278 du Code des sociétés
commerciales qui exige que le mandataire soit muni d’un mandat spécial. Le
mandataire n’a pas le pouvoir de se faire substituer (Article 1227 du Code des
obligations et des contrats).
[25] Voir infra,
‘’Les jetons de présence’’.
[26] Voir infra
‘’La question du contrôle de la Commission de gestion sur les actes des
sociétés concernées par la confiscation’’’.
[27] Article
318 C.S.C. Article 13 3e tiret du décret-loi du 14 juillet 2011.
[28] La
société doit néanmoins avoir déclaré sa créance. L’article 6 du décret-loi du
14 mars 2011 énonce que « tous les créanciers des personnes dont les
biens et droits sont confisqués en vertu du présent décret-loi, titulaires de
créances nées avant le 14 janvier 2011, doivent dans un délai n’excédant pas
six mois à partir de la date de sa publication, déclarer leurs créances à la
commission de confiscation et produire les preuves y afférentes. La commission
de confiscation consigne lesdites créances dans un registre, numéroté et
paraphé, ouvert à cet effet ». A l’expiration du délai, « les
créances qui n’ont pas fait l’objet de déclaration conformément audit
paragraphe seront prescrites ». La société doit faire sa déclaration
même si le reliquat du capital n’a pas été encore appelé. La société qui
néglige de faire sa déclaration dans le délai risque de ce fait d’avoir un
capital partiellement libéré. Ça sera un motif de nullité, selon le cas, de la
société ou de l’augmentation de capital ayant donné naissance à l’obligation
d’apport.
[29] Article
14 du décret-loi du 14 juillet 2011.
[30] Article
13 du décret-loi du 14 juillet 2011.
[31] Deux
sortes de contestations sont, dans l’absolu, possibles : réclamation de la
propriété des titres de participation ou des litiges relatifs à l’exercice de
certaines prérogatives attachées à la propriété des titres.
[32] Article
19 du décret-loi du 14 juillet 2011.
[33] Sont
prises sous forme de loi « les
emprunts et les engagements financiers de l’État. » Article 65 de la
nouvelle constitution de 2014.
[34] Article 14 du décret-loi du 14 juillet
2011.
[35] Voir infra
sur le droit de vote aux assemblées générales.
[36]
L’aliénation des biens immeubles sont désormais régis par le décret n°90-1413
du 8 septembre 1990 relatif aux modes d’aliénation des immeubles relevant du
domaine privé de l’Etat.
[37] Les
marchés publics sont de trois sortes : les marchés de fourniture, les
marchés de travaux et les marchés de services ou études (article 18 de la loi
du 1er février 1989, relative aux participations et entreprises
publiques. Le cahier des clauses administratives générales des marchés
d’études, approuvé par le premier ministre par arrêté en date du 25 octobre
1994, définit d’une manière indicative le champ d’application des marchés de
service. La liste des activités citées ne prévoit pas les services de gestion
de portefeuille.
[38] Anémone Cartier-Bresson, L’Etat
actionnaire, LGDJ, 2010, p. 60.
[39]
La décision de céder des titres de participation ou plutôt des actifs
appartenant aux sociétés concernées par la confiscation est dictée par des
considérations d’optimisation économique. Par exemple, dans des sociétés ayant
une vocation immobilière, il serait plus opportun de céder des actifs
immobiliers. Une fois, le stock épuisé, la société sera liquidée. La cession
des sociétés en cours d’investissement pose elle aussi une difficulté car, il
faudra décider s’il faut céder avant ou après achèvement des travaux
d’investissement. Des sociétés services, à faible patrimoine et en manque de
ressources en cadres et personnel posent des difficultés réelles quant à leur
cession.
[40] Article
2 du décret-loi du 14 juillet 2011.
[41] Article
10 du décret-loi du 14 juillet 2011. Le texte ne prévoit pas les modalités de
la publication.
[42]
Il n’est pas tenu compte dans cette étude des éventuelles autorisations
requises en application du droit commun, tel que la loi sur les établissements
de crédit, ou les règlements relatifs aux organismes audiovisuels.
[43] Le prêt
de consommation d’actions aux administrateurs n’est pas une opération de
cession, voir infra.
[44] La
Commission a publié le manuel des procédures sur le site Internet du ministère
des finances. http://www.finances.gov.tn/images/DOC010414-01042014092908.pdf
[45] Le
conseil constitutionnel français a jugé que « La constitution s’oppose à
ce que des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics
soient cédés à des personnes poursuivant des fins d’intérêt privé pour des prix
inférieurs à leur valeur ». Cons. const., déc. n°86-207, 25-26 juin 1986, L. Favoreu et L. Pilip, Les grandes décisions du conseil constitutionnel,
Dalloz, 1999, p. 667. A son tour, le Conseil
d’Etat français a précisé qu’ « une collectivité publique ne peut
céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une
personne poursuivant des fins d’intérêt privé que lorsque la cession est
justifié par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties
suffisantes » CE., 25 nov. 2009, n°310208JCP G 2010, 325, note C. Chamard-Heim.
[46] Aucune
disposition du décret-loi du 14 juillet 2011 ne dispense de la soumission de la
Commission de gestion du respect des règles relatives aux marchés publics.
[47] Pour
mémoire, nous rappelons que la loi du 1er février 1989, telle que
complétée et modifiée par la loi n°94-102 du 1er août 1994 énonce
qu’« il peut être procédé à la vente de blocs d'actions par appel d'offres
sur cahier des charges à une personne physique ou morale ou à un groupe de
personnes physiques ou morales. ». Voir infra l’intérêt juridique
de l’intervention de la loi 94-102.
[48] Voir supra.
[49] C’est
nous qui soulignons.
[50] A
rapprocher avec l’article 162 du Code des sociétés commerciales.
[51] Article
179 du règlement général de la bourse.
[52] Article
180 du règlement général de la bourse.
[53]
L’exclusion de l’application de l’article 2 ne signifie nullement une
disqualification de la nature juridique du procédé de cession : il s’agit
toujours d’un appel public à l’épargne.
[54] Voir supra.
[55] Voir supra.
[56] On
entend par transaction l’opération de vente de valeurs mobilières. Voir sur la
notion de transaction, M. M. Chaffaï, Les modalités du transfert
de la propriété des valeurs mobilières, in mélanges en l’honneur de Habib Ayadi, C.P.U., Tunis, p. 370.
[57] Voir infra,
le jeu de la clause d’agrément.
[58]
L’article 6 de loi du 14 novembre 1994 dispose que « toute personne ou
groupe déterminé de personnes, ayant l’intention d’acquérir un bloc de titres
susceptible de conférer une part des droits de vote dépassant une proportion
fixée par décret soit auprès d’actionnaires déterminés soit par une offre
publique d’achat dans une société faisant appel public à l’épargne doit
présenter un dossier en l’objet au conseil du marché financier qui se prononce
compte tenu des intérêts du reste des actionnaires et ordonne le demandeur de
procéder à une offre d’achat portant sur le reste du capital qu’il ne détient
pas soit sous forme d’une offre publique d’achat soit sous forme d’une
procédure de maintien de cours à prix fixé.»
[59]
L’alinéa dernier de l’article 6 de loi du 14 novembre 1994, portant
réorganisation du marché financier dispose que « le conseil du marché financier peut dispenser le
demandeur de procéder à une offre d’achat portant sur le reste des actions, si
les actions de la société ne sont pas à l’origine de sa classification parmi
les sociétés faisant appel public à l’épargne, et si cette opération ne porte
pas atteinte aux intérêts des porteurs des valeurs mobilières à l’origine de
cette classification. »
[60] A
comparer avec l’article 164 du règlement
général de la bourse qui précise que le Conseil du marché financier peut
accorder une dérogation à l'obligation de déposer un projet d'offre publique,
« si la ou les personnes visées à l'article 163 justifient auprès de lui
que l'acquisition résulte d'une opération de privatisation d'entreprises
publiques ou de vente de titres par des organismes publics. »
[61] Article
109 du Code des sociétés commerciales.
[62] Article
321 du Code des sociétés commerciales.
[63] Article
178 alinéa 2 du règlement général de la bourse.
[64] Article
101 du Code des sociétés commerciales.
[65] Article
102 du Code des sociétés commerciales.
[66] Article
145 du Code des sociétés commerciales.
[67]
L’article 1er in fine de la loi du 14 novembre 1994, portant
réorganisation du marché financier définit le démarchage comme étant
« l'activité de la personne qui se rend habituellement à la résidence de
personnes, sur leurs lieux de travail ou dans les lieux publics, en vue de leur
proposer la souscription ou l'acquisition de titres. Est également considéré
comme démarchage, l'envoi de lettres, dépliants ou tous autres documents
lorsqu'il est utilisé, de façon habituelle, pour proposer la souscription ou
l'acquisition de titres. »
[68] La
confiscation ne porte que sur des biens appartenant à des personnes physiques
nommément désignées par le décret-loi et non sur des personnes morales.
L’article 2 de ce texte emploie d’une manière plus précise l’expression ‘’société
dont le capital est concerné par la confiscation’’.
[69] Article
8 du décret-loi du 14 mars 2011.
[70] Article
540 du Code des obligations et des contrats.
[71] Article
1er de l’accord cadre.
[72] Article
2 de l’accord cadre.
[73] Article
5 de l’accord cadre.
[74] La société CDC
développement a acquis des titres dans quatorze sociétés initialement
confisquées suite à la cession de titres dans sept d’entre elles par l’Etat et
dans les sept autres restantes par la société Al Karama pour la somme de
200,699 mille dinars. Cinq autres sociétés lui ont été cédées par l’Etat au
dinar symbolique suite à leurs évaluations ayant conduit à des valeurs
négatives. » http://www.cdc.tn/index.php?option=com_content&view=article&id=122&Itemid=208
[75]
Un projet de loi n°03-2014 complétant
le décret-loi n°85-2011 à la date du 13 Septembre 2011 relatif à la création de
la caisse des dépôts et des consignations est
venu résoudre ce problème en ajoutant par son article 2 le terme
« et ses sociétés filiales » directement après la désignation de la
Caisse des dépôts et de consignation
figurant dans l’article 12 du décret susvisé. L’article 12 du Décret-
loi n° 2011-85 du 13 septembre 2011, portant création de la caisse des dépôts et consignations dispose
que « La caisse des dépôts et consignations n’est pas soumise aux
dispositions de la loi n° 89-9 du 1er février 1989, relative aux
participations, entreprises et établissements publics et ensemble des textes
qui l’ont modifié et ou complété. »
Ce projet de loi n’a pas cependant pas été voté.
[76] On peut
aussi imaginer qu’il y a eu démembrement de propriété des titres confisqués. Il
n’y a pas de difficulté juridique, lorsque les titulaires du droit d’usufruit
et de la nue-propriété sont compris dans le champ d’application du décret-loi
portant confiscation. La réunion des deux droits réels entre les mains de
l’Etat a pour effet le remembrement du titre. Le droit de propriété est réuni
en la seule main de l’Etat. La situation est plus délicate lorsqu’il s’opère
une dissociation des deux droits réels sur la tête de deux personnes :
l’Etat et un tiers. Si les titres confisqués sont grevés d’usufruit, cet
usufruit est transmis à l’Etat. Il s’éteint par l’arrivée de son terme ou,
éventuellement, par le décès du titulaire initial.
[77] La dématérialisation des valeurs
mobilières se fait par leur inscription en comptes tenus par la société
émettrice. Le code des droits réels et le code de commerce n’ont pas été
modifiés pour définir les conséquences de la dématérialisation sur le
nantissement des valeurs mobilières. L’article 220 du code des droits réels
prévoit que le nantissement des actions nominatives s’opère par un transfert à
titre de garantie inscrit sur les registres de la société. C’est la même règle
qui est consacrée à l’article 712 du code de commerce. L’entrée en vigueur de
la loi relative à la dématérialisation devrait conduire les sociétés existantes
à substituer les comptes au registre des actionnaires et à créer des comptes de
sûreté chaque fois qu’il existe un nantissement d’actions.
[78]
Jurisclasseur Enregistrement
Traité, Fasc. 96 DOMAINES. – Domaine privé de l'État. – Confiscations pénales,
n°68. Néanmoins, il a été observé qu’une clause d'un acte de donation portant interdiction
d'aliéner ou d'hypothéquer l'immeuble donné jusqu'au décès de la donatrice a
pour seul effet d'empêcher l'État, après confiscation dudit immeuble, de vendre
ou d'hypothéquer avant la survenance de l'événement. », ibid. n°108.
[79] On
estime d’après une interprétation de l’article 10 du décret-loi du 14 mars 2011
que les dettes n'ayant pas acquis date certaine
antérieurement à la condamnation, par l'un des moyens prévus par l'article 450
du Code des obligations et des contrats, sont inopposables à l'État.
[80] Article 463 C.P.C.C.
[81] Article
470 CPCC. Certains auteurs (Jurisclasseur Enregistrement Traité, Fasc. 96 DOMAINES.
– Domaine privé de l'État. – Confiscations pénales, n°66) ont
fait un rapprochement de la confiscation avec la liquidation des personnes
morales. Dans l'un et l'autre cas, les biens sont
dévolus à l'État, après paiement des dettes légitimes.
[82] Généralement, la banque ou la société
d’investissement souscrit à son tour une promesse de vente.
[83] Voir note supra.
[84] Cour de cassation (com.) 24 mai 2011, D. 2011.
1556, obs. X. Delpech ; Revue des sociétés 2011, p. 482.
[85] Les faits de l’espèce sont les suivants.
Les sociétés Lyonnaise des Eaux et Veolia Propreté, actionnaires à parts égales
de la société anonyme Traitement des Résidus Urbains devenue Esterra, étaient
convenues dans un pacte de maintenir entre elles un principe de parité,
notamment en s'interdisant d'acquérir seules des actions de minoritaires
(clause dite de « standstill »). La société Lyonnaise des Eaux cédait la
totalité de ses actions Esterra, moins une, à sa filiale Sita France. Après
quoi, la société Veolia Propreté faisait seule l'acquisition d'actions Esterra
auprès de minoritaires, brisant ainsi le principe de parité convenu. La société
Sita France, tiers par rapport au pacte d'actionnaires, demandait en justice
que soit ordonnée la cession à son profit de la moitié des actions Esterra
acquises par la société Veolia Propreté en violation du pacte, afin de rétablir
le principe de parité
[86] CA Versailles, 12e ch.,
22 mai 2012, n° 11/04433, SA Veolia
Propreté c/ SA Sita France : JurisData n° 2012-013399 : Le pacte d'actionnaires ne suit pas les actions,
sauf stipulation contraire, commentaire de Renaud Mortier, Droit des sociétés n° 12, décembre 2012, comm. 200.
[88] Par exemple, la transmission des contrats de travail
en cas de confiscation d’un fonds de commerce ou la continuité d’un contrat
d’assurance en cas de confiscation d’un bien corporel assuré.
[89]
Dans les faits, certains clients, fournisseurs, voire même des banquiers,
avaient décidé de ne plus honorer leurs obligations de paiement, de livraison
ou de remise de fonds. D’autres partenaires sociaux avaient agi en nullité de
certains contrats en se prévalant de vice de consentement lié à la violence
morale exercée sur eux par les anciens dirigeants politiques. Dans certains
cas, les administrateurs judiciaires avaient accepté de conclure avec les
cocontractants des actes de résiliation amiable, que les minoritaires avaient
contestés.
[90]
La liste des sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée passées entre
les mains de l’Etat par suite de la confiscation. http://www.finances.gov.tn/images/FOCUS/%D8%B4%D8%B1%D9%83%D8%A9_%D8%A7%D9%84%D8%B4%D8%AE%D8%B5_%D8%A7%D9%84%D9%88%D8%A7%D8%AD%D8%AF.pdf
[91]
L’article 23 du Code des sociétés commerciales donne à l’associé restant un
délai d’un an en vue de régulariser la situation et compléter le nombre
d’associés manquants. C’est à défaut de cette régularisation que tout intéressé
peut demander au juge la dissolution de la société. Le juge peut accorder un
délai supplémentaire de six mois avant de prononcer cette dissolution. La
demande de dissolution judiciaire suppose l’existence d’une personne
intéressée. Autrement dit, si personne n’est intéressée par la dissolution
parce que toutes les obligations sont exécutées, on peut concevoir que la
société continue avec un seul associé
[92]
Un expert-comptable avait pu écrire que « les sociétés sous administration
judiciaire sont assimilées par un large public à des sociétés en liquidation ce
qui peut engendrer une fuite des partenaires ainsi qu’une forte dégradation de
la valeur boursière » Kais Fekih,
Impact de la confiscation sur la valeur de l’entreprise et sa compétitivité et
par conséquent sur le produit de sa cession, Leader, http://www.leaders.com.tn/article/5978/print
[93]
S’il est certain que les représentants légaux des sociétés sont dessaisis par
la nomination des administrateurs judiciaire, la question s’est posé de savoir
si le conseil d’administration continue à fonctionner régulièrement. Une
réponse négative s’impose à notre sens.
[94]
Il s’agit
alors de mettre en place une mesure d’information destinée à sauvegarder les
droits du demandeur.
[95] Article 8 alinéa 1er du
décret-loi du 1’ juillet 2011.
[96] Article 127 du Code des sociétés
commerciales.
[97] Le séquestre ne peut par contre directement
convoquer l’assemblée générale.
[98] Cass. com., du 6 mai 1986 Bull. civ. IV, no 77 ;
Defrénois 1987, art. 33950, p. 606, obs. J. Honorat.
[99]
Voir infra.
[100] Article
190 du Code des sociétés commerciales.
[101] C’est
nous qui soulignons.
[102] Mustapha Ben Letaïef, écrit à propos des
sociétés d’économie mixte : « Dans les sociétés d’économie mixte, en
revanche, on ne trouve que deux catégories d’administrateur. Ceux représentant
le capital privé et ceux qui représentent la puissance publique. Les premiers
sont, en principe, désignés par l’assemblée générale. Les seconds sont nommés
par arrêté du « ministre de tutelle ». Ainsi, l’unité du conseil est
rompue. En effet, dans les sociétés anonymes privées traditionnelles, tous les
administrateurs sont élus par l’assemblée générale et sont mandataires de tous
les actionnaires privés de l’assemblée alors que les administrateurs publics
sont les mandataires directs de l’Etat. ». Mustapha
Ben Letaïef, L’Etat et les entreprises publiques en Tunisie. Les
mutations du contrôle, L’Harmattan, 1998, n°137, p. 129.
[103] Article
191 al. 1er du Code des sociétés commerciales.
[104] Article
191 al. 2 du Code des sociétés commerciales. Le représentant doit être
« permanent ». Cette exigence est destinée à assurer au conseil
d’administration une certaine continuité dans le fonctionnement et à éviter une
dilution des responsabilités.
[105] Article
191 al 1er du Code des sociétés commerciales.
[106] Article
193 du Code des sociétés commerciales.
[107] Article
193 in fine du Code des sociétés commerciales.
[108] Décret
n°2002-2197 du 7 octobre 2002, relatif aux modalités d’exercice de la tutelle
sur les entreprises publiques, à l’approbation des leurs actes de gestion, à la
représentation des participants publics dans leurs organes de gestion et de
délibération et à la fixation des obligations à leur charge.
[109] Article
193 al. 1er du Code des sociétés commerciales.
[110] Article
204 du Code des sociétés commerciales.
[111] Cour de
discipline financière, treizième rapport annuel 2001, Journal officiel de la
République tunisienne, 27 septembre 2001, p. 2293.
[112] Les
articles 16 et 17 du décret n°2002-2197 du 7 octobre 2002, relatif aux
modalités d’exercice de la tutelle sur les entreprises publiques, à
l’approbation des leurs actes de gestion, à la représentation des participants
publics dans leurs organes de gestion et de délibération et à la fixation des
obligations à leur charge, pris en application du de l’article 11 de la loi du
1er février 1989, prévoient que « les décisions qui requièrent
une approbation…sont prises à titre provisoire et doivent être mentionnées dans
les procès-verbaux ». « Les procès-verbaux ne revêtent un caractère
définitif qu’après leur approbation par l’autorité de tutelle. »
[113] Mustapha
Ben Letaïef, op. cit., n°129, p. 123.
[114] Article
208 du Code des sociétés commerciales.
[115] Franck Auckenthaler, Prêt de titres,
Jurisclasseur Sociétés Traité, fasc. 2125, n°7.
[116] Article
1086 du Code des obligations et des contrats.
[117] C’est nous
qui soulignons.
[118] Article
11 in fine du Code des sociétés commerciales.
[119]
Voir supra.
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