Les politiques au contact du
droit des sociétés
(Lecture
dans les articles 17, 18 et 20 de la loi 2018-46 du 1er août 2018, relative
à la déclaration des biens et des intérêts et à la lutte contre
l’enrichissement illicite et le conflit d’intérêts)
Sami Frikha
Avocat
à la Cour de cassation
Juillet 2020
4) Les entraves à la cession fiduciaire de l’article 18. 25
§ III L’incapacité spéciale de contracter avec l’Etat, les collectivités publiques locales, établissement publics et entreprises publiques
1.
La
loi n°2018-46 du 1er août 2018, relative à la déclaration des biens
et des intérêts et à la lutte contre l’enrichissement illicite et le conflit
d’intérêts, consacre certaines dispositions intéressant le droit des sociétés. Il
s’agit des articles 17, 18 et 20. Les deux premiers sont applicables au président de la République, son directeur de cabinet et ses conseillers, au chef
et membres du gouvernement, leurs chefs de cabinets et leurs conseillers, aux
présidents des collectivités publiques locales, aux présidents et membres des
instances constitutionnelles et au président et membres de la Cour
constitutionnelle. L’article 20 tout en ayant un lien ténu avec les articles 17
et 18, a un champ d’application légèrement différent. Il vise le président de la République, son directeur de cabinet et ses conseillers, le chef et les membres du gouvernement, leurs chefs de cabinets et leurs conseillers, le président de l’ARP, son directeur de cabinet et ses conseillers et les députés, les présidents des collectivités publiques locales et les membres des conseils des collectivités publiques locales. En somme, le nombre des personnes visées est important. Leur sécurité juridique et l’intérêt public commandent que les dispositions qui leur sont applicables soient claires, cohérentes et efficaces.
2. Le député M. Yacine Ayari, indépendant, a annoncé courant du mois de juin 2020 avoir déposé deux plaintes au pôle judiciaire économique et financier contre le chef du gouvernement, M. Elyes Fakhfakh, l’accusant de conflit d’intérêts et d'enrichissement illicite[1]. Il lui
reproche la détention d’une participation dans une société commerciale, elle-même
membre dans un groupement d’intérêt économique déclaré, le mois d’avril 2020,
adjudicataire d’un marché public dont l’appel d’offres a été lancé le mois
d’octobre 2019. L’auteur des plaintes estime que le chef du gouvernement a commis
une infraction à la loi n°2018-46 du 1er août 2018 qui exige, à
l’article 18, des personnes visées qu’elles confient la gestion de leurs titres
de participation à un tiers dans d’un délai de 60 jours à partir de leur
nomination. Or dans le cas du chef du gouvernement, le décret Présidentiel portant sa nomination ainsi que celle des membres du gouvernement date du 27 février 2020. Il est également reproché à
l’intéressé la violation de l’article 20 de la même loi en raison de son
intérêt indirect dans le marché public attribué le mois d’avril 2020.
3. Les plaintes ont été, nous nous n’en doutons pas, médiatisées. Pour nous en tenir aux seules déclarations des institutionnels, nous citons les propos du Président de l’INLUCC qui a affirmé que le chef du gouvernement se trouve dans une situation non conforme à la loi sur la déclaration de patrimoine et des intérêts et la lutte contre l’enrichissement illicite et le conflit d’intérêts[2]. A l’occasion, l’INLUCC a rendu un communiqué qui après avoir repris en substance les articles 17, 18, 19 et 20, a appelé tous ceux qui sont tenus à l’obligation de déclaration de biens et intérêts de l’informer des mesures prises par eux en application de la loi et a renouvelé l’appel au chef du gouvernement d’accélérer l’édiction du décret d’application de la loi 2018 devant définir les données contenues des déclarations de biens et intérêts sujettes à la publication[3]. M. Mohamed Abbou, ministre de la Fonction publique, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption a de sa part annoncé l’ouverture d’une enquête.
4. Dans un passé récent, une affaire similaire s’est déclenchée à la suite d’un projet de marché public pour la fourniture de bavettes barrière à conclure de gré à gré entre la Pharmacie centrale de Tunisie et une société contrôlée par un député. L’article 20 a été invoqué pour soutenir l’irrégularité de l’opération[4]. De même le ministre de la Fonction publique, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, a déclaré avoir envoyé trois correspondances à certaines entreprises publiques les invitant à mettre fin à des marchés de transport conclus avec deux députés[5].
5.
Hasard
de calendrier ou non, la révélation qu’à faite le député M. Yacine Ayari a
coïncidé avec le passage du chef du gouvernement devant l’ARP pour faire le bilan
du Gouvernement au terme d’une période de 100 jours de sa formation. Nombreux
sont les députés qui ont pris la parole pour dénoncer une situation de conflit
d’intérêts et d’enrichissement illicite. Plusieurs d’entre eux ont estimé que le
chef du gouvernement a commis une infraction en n’ayant pas réalisé la cession
de la gestion de ses titres de participation dans le délai imparti ; il
n’a pas au surplus respecté l’interdiction de conclure un marché avec l’Etat,
un établissement ou entreprise publique ou une collectivité publique locale. Une
commission parlementaire, dont la présidence sera dévolue à un député de
l’opposition, sera chargée de mener une enquête sur l’affaire[6].
Le député, auteur de la plainte, a assuré que le chef du gouvernement sera en prison
le mois de septembre prochain[7].
Il fait allusion à l’article 34 de la loi qui punit d’une peine de deux ans
d’emprisonnement et d’une amende de 2.000 dinars, la violation des articles 17,
18 et 19.
6.
Le
chef du gouvernement s’est expliqué devant les députés sur cette affaire et a assuré
avoir cédé ses titres de participation à une société faisant partie d’un groupement d’entreprises qui traite avec l’Etat[8]. Il a annoncé l’intention du gouvernement de
présenter un projet de loi destiné à clarifier l’article 20 de la loi qui,
littéralement interprété, ne vise que les personnes physiques énumérées à
l’article 18 de la loi en leur interdisant de commercer avec l’Etat, les
établissements et entreprises publiques et les collectivités publiques locales[9].
7.
Ces
faits nous amènent à nous interroger sur les critères devant être utilisés pour
les apprécier. Il y en a dans l’absolu deux critères : celui de la légalité et celui
de la légitimité. Le premier fait appel aux normes légales positives et l’autre
fait appel à la morale, notamment, dans notre cas, la morale politique. Il
arrive que les deux approches mènent à des jugements de valeur convergents : un
fait est tout à la fois légal et légitime ou illégal et illégitime. Mais
des fois, les jugements divergent : un fait est légal mais
illégitime ; illégal mais légitime. Les normes, toutes confondues, évoluent
par une sorte de dialectique entre quatre pôles opposés : légalité,
illégalité, légitimité, illégitimité. Le passage d’un pôle à l’autre marque une
zone intermédiaire pleine d’incertitudes.
8.
Il
est essentiel que les personnes qui discutent de la valeur d’un acte ou d’un
fait se mettent d’accord sur le critère de jugement. Chaïm Perelman, théoricien
contemporain de la rhétorique, considère que le point de départ de toute
argumentation efficace est l’accord de l’auditoire sur les prémisses mobilisées
par l’énonciateur. En l’absence d’accord, un dialogue des sourds s’instaure.
Celui qui invoque, tour à tour et d’une manière éclectique, des arguments empruntés
à des champs normatifs différents n’échappe pas à la critique : il commet
le ‘’pêché’’ de l’opportunisme ou entretient l’amalgame.
9.
Cela
étant précisé, la discussion que nous nous proposons de mener dans cet article
est d’ordre juridique. Puisqu’il est reproché au chef du gouvernement la violation
de la loi, violation sanctionnée pénalement la discussion est nécessairement
d’ordre juridique. L’intention des détracteurs du chef du gouvernement ou de
ses sympathisants est peu importante. L’instrumentalisation de l’affaire à des
fins politiques n’est pas exclue. Mais cela fait partie du jeu social. De toute
façon nous ne pouvons que nous féliciter que même dans un conflit politique, le
droit est l’instrument de régulation et de pacification des relations sociales.
10.
Posant
avant tout un problème juridique, la cause doit être située dans son cadre
juridique général. Celui des dispositions de la loi 2018-46. Cette loi se caractérise
par deux traits principaux : son caractère restrictif des libertés patrimoniales
et l’aspect répressif de ses dispositions. Ces deux traits commandent le
respect d’une posture interprétative dans la lecture des textes. D’une part,
l’article 540 du Code des obligations et des contrats énonce que « les lois restrictives et celles qui font
exception aux lois générales ou à d’autres lois ne doivent pas être étendues
au-delà du temps et des cas qu’elles expriment » D’autre part, en vertu de
l’article 28 de la Constitution, « la peine est personnelle et ne
peut être prononcée qu’en vertu d’un texte de loi antérieur, hormis le cas d’un
texte plus favorable à l’inculpé ». Ainsi, le principe de la légalité des délits et des peines commande
à son tour une interprétation restrictive de la loi pénale. S’il est du pouvoir
du juge pénal d’interpréter le sens d’une norme pénale, il ne peut la compléter
sous prétexte qu’elle comporte une lacune.
11.
D’une
manière plus précise, ce sont les articles 17, 18 et 20 de la loi n°2018-46 qui
sont applicables. Ces articles sont placés dans une section deuxième de la loi
intitulée « de l’évitement du conflit d’intérêts ». L’expression
n’est pas inconnue en droit tunisien. L’article 200 du Code des sociétés
commerciales l’a déjà consacrée pour les sociétés anonymes[10].
Il a imposé aux dirigeants des sociétés anonymes une obligation générale d’évitement
du conflit d’intérêts. La portée précise de cette obligation n’est pas
claire et le législateur a manqué l’occasion d’inviter les dirigeants à
s’expliquer comment ils n’ont pas pu éviter le conflit d’intérêts en traitant
avec la société[11]. L’article
200 a cependant ajouté des règles destinées à prévenir le conflit d’intérêts.
Ainsi a-t-il mis en place un dispositif destiné à rendre visible le conflit
d’intérêts (des obligations déclaratives des dirigeants) et à objectiver tant
soit peu la conclusion d’une transaction entre la société et ses dirigeants ou
ses actionnaires. Préférant, dans ce cas, la régulation du conflit d’intérêts plutôt
que son interdiction, le législateur a mis en place un dispositif destiné à
annihiler le pouvoir du dirigeant intéressé d’agir sur la décision de la société
de conclure avec lui une convention. L’opération est alors soumise à une
procédure de contrôle préalable et a posteriori par des organes sociaux
au sein desquels il ne peut pas prendre part au vote. En tout état de cause, sa
responsabilité peut être mise en jeu lorsqu’il est établi que malgré le
contrôle il a favorisé ses propres intérêts au détriment de ceux de la société[12].
12.
Dans
la loi de 2018-46, le souci du législateur est de protéger des intérêts publics
contre le risque de captation de la part des hommes politiques. Le but ultime
de la loi est de lutter contre leur enrichissement illicite. Celui-ci,
sanctionné pénalement, est défini à l’article 4 in fine de la loi comme
étant « un accroissement important de la fortune de la personne soumise à
la loi ayant tiré profit pour elle-même ou pour une personne avec laquelle elle
est liée ou une augmentation visible de ses dépenses disproportionnées avec ses
revenus et ne pouvant être justifiées par ses ressources légitimes »[13].
La règle entretient un lien de parenté avec des institutions classiques de droit
fiscal où l’Administration fiscale peut
taxer un contribuable selon les éléments de son train de vie ou l’accroissement
de sa fortune. Les articles 42 et 43 du Code de l’impôt sur le revenu des
personnes physiques et l’impôt sur les sociétés, permettent, en effet, de taxer
les personnes physiques, qui, au vu de leur revenu imposable déclaré ne peuvent
pas justifier leur train de vie ou l’accroissement de leur fortune. Pour le droit
fiscal l’origine illicite du revenu est indifférente et l’impôt est toujours dû.
Mais du point de vue de la moralité publique, l’enrichissement illicite mérite la
répression pénale et la confiscation. Or comme il vaut mieux prévenir que
guérir, le législateur a mis en place des règles de prévention de cette
infraction grave. C’est toute la section deuxième de la loi qui se propose de
fixer des mesures de prévention de l’enrichissement illicite. Leur analyse
permet de les classer en deux catégories. La première est une sorte de norme
générale de comportement comme celle en droit civil qui recommande d’agir avec
prudence et diligence. Ainsi l’alinéa 1er de l’article 25 de la loi
énonce que « les agents publics qui soupçonnent être dans une situation de
conflit d’intérêts doivent, selon le cas, faire une déclaration au supérieur
hiérarchique ou à l’autorité de tutelle et s’interdire de prendre la décision
ou participer à la prise de décision s’ils ont conscience que la prise de
décision ou la participation les met en situation de conflit d’intérêts ».
« L’agent public, ajoute l’alinéa deuxième du même article, doit signaler l’existence
d’un risque de conflit d’intérêts chez toute autre personne relevant de sa
compétence ». L’article 25 consacre
donc une norme générale d’évitement du conflit d’intérêts. La loi n°2018-46 ajoute
néanmoins des interdictions plus précises qui s’inscrivent dans la même logique
d’évitement. Cette méthode législative n’est pas inconnue du droit pénal. Les
infractions du code de la route ont pour but de prévenir les atteintes à
l’intégrité physique d’autrui elles-mêmes sanctionnées par le code pénal. Les
auteurs les désignent par l’expression d’infractions-obstacles. Les infractions-obstacles sont celles qui, comme leur nom l'indique, visent à éviter qu'un dommage ne se réalise.
13.
Nous
nous intéressons dans ce qui suit à certaines manifestations des interdictions
de cumul édictées par l’article 17 de la loi n°2018-46 frappant certaines
personnes dotées d’une fonction politique ou publique (§ I), à
l’obligation qui leur est faite, dans l’article 18, de confier à des tiers la
gestion de leur parts sociales ou actions qu’ils détiennent dans des sociétés
privées (§ II) et à l’incapacité contractuelle prévue à l’article
20 ayant pour effet d’interdire de conclure de commercer avec l’Etat, les
collectivités publiques locales et les établissements publics et entreprises
publiques (§ III).
§
I L’interdiction de cumul entre mandat politique et activités privées.
14. L’article
17 de la loi pose entre autres des interdictions de cumul du mandat politique ou
public avec des activités professionnelles (A), des mandats sociaux (B)
ou d’appartenance à d’une assemblée délibérante (C).
A)
L’interdiction de cumul
entre mandat politique et activité professionnelle privée
15. Le
tiret troisième de l’article 17 interdit le cumul entre une charge politique ou
publique et l’exercice de toute profession libérale, industrielle, commerciale ou
toute autre activité rémunérée. Cette dernière interdiction s’applique, à notre
avis, aux activités de services qu’elles soient exercées à titre indépendant ou
salarié. Les activités agricoles ne sont pas, à notre avis, concernées par
l’interdiction mais, paradoxalement, les activités scientifiques, artistiques et
littéraires le sont quand elles donnent droit à une rémunération.
B)
L’interdiction de cumul
entre un mandat politique et un mandat d’administration d’une société privée
16. Le
tiret quatrième de l’article 17 interdit à la personne visée d’être membre d’un
organe d’administration d’une société privée. Il s’agit d’une incompatibilité
dont certaines formes de sociétés commerciales connaissent déjà[14].
L’intérêt de l’article 17 est d’avoir posé une incompatibilité générale sans
égard à la forme de la société.
17. La
notion de société doit être entendue dans un sens large. Elle vise non
seulement les sociétés commerciales mais aussi les sociétés civiles, les
sociétés coopératives et les sociétés mutuelles.
18. La
société est considérée privée quand elle n’est pas publique. Le critère de
discrimination entre une société privée et une société publique doit
s’apprécier en fonction de la loi en vigueur. En l’état actuel de la
législation, les sociétés dites de
caractère public sont celles qui répondent aux critères fixés par la loi n°89-9
du 1er février 1989, relative aux participations et entreprises
publiques[15]. D’après l’article 8 nouveau[16] de cette loi, « sont considérées
des entreprises publiques au sens de la présente loi :.. les sociétés dont
le capital est détenu par l’État, les collectivités locales, les établissements
publics et les sociétés dont le capital est détenu entièrement par l’État à
plus de 50% chacun individuellement ou conjointement[17].
19. Chaque
forme de société a un mode d’administration propre à elle. L’interdiction du
cumul d’une fonction d’administration couvre toute fonction donnant pouvoir à
l’intéressé de diriger l’entreprise en interne et d’engager la société avec les
tiers. Dans une société anonyme de type classique, l’interdiction du cumul
s’applique à la fonction de président-directeur général, président de conseil
d’administration, directeur général et administrateur. Dans une société à
conseil de surveillance et directoire, l’interdiction de cumul est sujette à
interprétation. Dans un sens restrictif, elle s’étend aux seuls membres du
directoire à l’exclusion de ceux du conseil de surveillance. Mais les adeptes
d’une interprétation extensive peuvent soutenir que le conseil de surveillance a
un rôle dans la gestion de la société dans la mesure où il peut être amené, soit
en vertu de la loi soit en vertu des statuts, à donner des autorisations pour
certaines opérations. De telles autorisations sans constituer des actes
d’immixtion dans la gestion sont rattachées à la gestion. Pour résoudre la
difficulté, on est tenté d’interpréter le quatrième tiret de l’article 17 à la
lumière de l’article 256 du code des sociétés commerciales. Ce dernier texte
prévoit que ne peuvent pas être membres du conseil de surveillance, les
personnes, qui en raison de leur charge,
ne peuvent exercer le commerce. Or toutes les personnes visées par
l’article 17 de la loi n°2018-46 ne peuvent exercer le commerce et du coup ne
peuvent être membres dans un conseil de surveillance d’une société anonyme. On en
conclut, qu’en vertu de cet article 17, les personnes visées ne peuvent pas être
chargées d’une fonction au sein du conseil de surveillance.
20. En
réalité, le raisonnement qui consiste à compléter l’article 17 par recours à
l’article 256 du Code des sociétés commerciales n’est pas valable. S’il est
permis d’interpréter l’article 256 du code des sociétés commerciales à la
lumière de l’article 17 de la loi de 2018, l’opération inverse n’est pas
expressément prévue par la loi. Tout en aboutissant au même résultat, nous suggérons
une autre méthode fondée sur une lecture de l’article 17 de l’intérieur. Celui-ci
interdit tout à la fois à la personne visée d’être chargée d’une fonction au
sein d’un organe d’administration et d’être membre dans une assemblée
délibérante. Or pour être membre dans une assemblée délibérante, il faut avoir
la qualité d’associé. Indirectement, nous allons le vérifier plus loin[18],
la personne visée par l’article 17 ne peut pas garder sa qualité d’associé. Or
pour être membre dans un conseil de surveillance, il faut avoir la qualité
d’actionnaire. Ainsi, la personne visée par l’article 17 ne pouvant justifier
de la qualité d’actionnaire, ne peut être membre d’un conseil de surveillance. Les
rédacteurs de l’article 17 auraient pu nous épargner une telle démonstration s’ils
avaient expressément consacré l’interdiction d’être chargé de l’administration
ou de la surveillance d’une société[19]
et d’être membre d’une assemblée délibérante.
21. La
question demeure posée de savoir si l’incompatibilité s’étend à la fonction
d’administrateur ou de président d’un groupement d’intérêt économique (GIE).
L’hésitation est permise car le GIE n’est pas une société.
22. Les
fonds communs de placement en valeurs mobilières, les fonds communs de
placement à risque, les fonds d’essaimage, et les fonds communs de créances ne
sont pas des sociétés et ne sont pas gérés par des organes propres mais plutôt
par des sociétés de gestion. Ils sont par définition non concernés par
l’application de l’article 17.
23. Lorsqu’une
cause d’incompatibilité survient en cours d’un mandat social n’y met pas fin de
plein droit. L’intéressé doit démissionner. La règle est implicitement posée à
l’article 18 de la loi selon lequel les personnes visées aux numéros 1, 2, 4, 6
et 8 en cas où elles administrent une société privée doivent charger un tiers
pour le faire. Elles disposent d’un délai de 60 jours.
24. L’article
34 de la loi sanctionne pénalement la violation de l’article 17. La peine est
encourue en cas d’acceptation du mandat malgré la cause d’incompatibilité ou en cas de poursuite du mandat après la
survenance de la cause de l’incompatibilité.
25. Mais
quelle est la sanction de l’incompatibilité au plan civil ? Nous estimons que
la violation de l’incompatibilité prévue par la loi de 2018 n’entraîne pas la
nullité de la nomination du point de vue du droit des sociétés. La sanction contre
le dirigeant fautif ne peut résulter que de son statut particulier, en
l’occurrence la loi n°2018-64.
C)
L’interdiction de cumul d’un
mandat politique et d’appartenance à une assemblée délibérante d’une société
privée
26. Le
même tiret 4 de l’article 17 consacre une règle jusque-là inédite en droit
tunisien des sociétés. Il interdit à la personne rentrant dans le champ
d’application de l’article 17 d’être membre d’un organe délibérant d’une société
privée. Le vocable organe délibérant désigne les assemblées générales
d’associés, actionnaires, sociétaires ou coopérateurs. Ainsi malgré sa qualité
d’associé, l’intéressé est frappé de l’interdiction d’accéder à l’assemblée
générale ; il ne peut donc pas prendre parole aux débats ni, a fortiori,
voter. Dans la logique de la règle, l’intéressé ne peut même pas agir comme
mandataire d’un un autre associés ou actionnaire.
27. Sous
réserve de ce que nous allons voir quand nous commenterons l’article 18[20],
l’étendue de l’interdiction est sujette à interprétation lorsque la personne
visée détient certaines catégories de valeurs mobilières, telles que des
actions à dividende privilégié sans droit de vote ou des certificats
d’investissement. Ces valeurs mobilières ne confèrent pas un droit de vote dans
les assemblées générales d’actionnaires. Leurs titulaires sont cependant réunis
au sein d’une assemblée spéciale et délibèrent sur des questions touchant à leurs
intérêts collectifs. Rédigée en termes généraux, la disposition de l’article 17
s’applique, à notre avis, à ces assemblées spéciales.
28. Les
titulaires des valeurs mobilières représentant des titres de créances quand
bien même ils sont membres d’assemblées spéciales au sein des sociétés
émettrices ne subissent pas l’interdiction de participer à ces assemblées
spéciales. L’article 17 ne peut, à notre sens, être lu isolément de l’article
18.
29. La
participation de l’intéressé à l’assemblée générale en violation de l’article
17 n’entraîne pas, en droit des sociétés, la nullité des délibérations de
l’assemblée générale. La seule sanction est celle prévue à l’article 34 de la
loi n°2018-64.
§ II Le sort des parts sociales
ou actions détenues dans une société privée
30. L’article
18 de la loi n°2018-64 traite du sort des parts sociales et actions détenues
par une personne rentrant dans son champ d’application dans une société privée.
Ces parts sociales ou actions peuvent représenter tout le capital de la société
ou une partie seulement. Dans tous les cas, la personne visée doit en confier
la gestion à un tiers. La simplicité de la formulation de la règle cache des
difficultés dont il nous faut rendre compte. Ces difficultés ont trait à la
définition du champ d’application de la disposition et à la détermination de ses
modalités de mise en œuvre.
A)
Le champ d’application
de l’article 18
31. La
détermination du champ d’application de l’article 18 se fait à plusieurs
critères, celui de la nature des parts sociales ou actions (1), celui de
la nature de la société émettrice (2), celui de la nature du droit
détenu sur les parts sociales ou actions (3) et celui, enfin, de la
nature des droits conférés par les parts sociales ou actions (4).
1)
La nature des parts sociales
et actions concernées par la cession de gestion
32. L’article
18 vise les parts sociales et actions. Ce sont des titres de capital de société.
En effet, pour avoir la qualité d’associé il faut faire apport. Il existe trois
types d’apports possibles. L’apport en numéraire, l’apport en nature et
l’apport en industrie. Seuls les apports en numéraire et les apports en nature
donnent droit à la détention des titres de capital appelés parts sociales ou
actions. Les apports en industrie donnent droit à une part dans les dividendes
et le boni de liquidation.
33. La
personnalité politique qui détient des parts sociales ou des actions est
soumise à l’obligation de les confier à un tiers pour les gérer. Celui qui fait
apport en industrie ne peut plus exercer aucune activité au sein de la société
puisque le troisième tiret de l’article 17 interdit l’exercice de toute
activité rémunérée. Les parts d’industrie sont donc hors champ d’application de
l’article 18. A défaut d’accord sur le retrait de la société, celle-ci peut
demander au juge d’exclure l’associé qui ne peut plus apporter son industrie[21].
34. Le
terme parts sociales n’est employé que pour désigner les parts émises par une
société à responsabilité limitée. Dans les sociétés de personnes, telles les
sociétés en nom collectif ou les sociétés en commandite simples, le législateur
utilise l’expression parts d’intérêts. Nous pouvons nous demander si elles
rentrent dans le champ d’application de l’article 18. Par ailleurs en ne visant
que les actions, la question se pose de savoir si les autres valeurs mobilières
représentatives d’un titre de capital dans une société par actions, telles que les
actions à dividende prioritaire sans droit de vote et les certificats
d’investissement, sont également visées par l’article 18. Une réponse positive
s’impose si nous lisons l’article 18 en liaison avec l’article 17[22].
35. Les
parts éventuellement détenues dans des fonds communs ne sont pas des actions
quoiqu’elles soient des valeurs mobilières ; elles ne sont davantage des
parts dans des sociétés. Elles sont hors champ d’application de l’article 18.
36. L’article
18 ne s’applique pas aux titres de créances (obligations ordinaires, obligations
convertibles ou titres participatifs).
2)
La nature privée de la
société émettrice
37. La
cession de la gestion à un tiers n’est requise que s’il s’agit d’une
participation dans une société privée. Est une société privée toute société qui
n’est pas publique[23].
La société peut être à risque illimité, telles qu’une société civile, une
société en nom collectif et un commanditaire dans une société en commandite.
38. Aucune
délimitation n’est prévue par la loi tenant compte de l’objet de la société
émettrice des parts sociales ou des actions. Il peut donc s’agir d’une société ayant
une activité opérationnelle ou une société holding ou une société
d’investissement, telle qu’une SICAR voire même une SICAV. Nous pouvons nous
interroger sur l’opportunité de l’extension du champ d’application à ces
dernières sortes de sociétés[24].
3)
La nature des droits sur
les parts sociales et actions
39. La
situation peut se présenter sous une forme simple. La personne intéressée est
propriétaire des parts sociales ou actions. La propriété est un droit réel
principal qui confère à son titulaire le pouvoir de disposer de la chose, d’en
jouir et en toucher les fruits. Mais il arrive que la personne visée ne soit
qu’un copropriétaire ou titulaire d’un droit réel démembré portant sur des parts
sociales ou actions. La loi ne distinguant pas, l’article 18 a vocation à
s’appliquer à toutes ces hypothèses d’indivision ou de titularité d’un droit
réel démembré.
4)
La nature des droits
conférés par les parts sociales et actions
40. L’article
18 ne distingue pas selon que les parts sociales ou actions donnent ou non un
droit de vote. Tous ces titres de capital doivent être cédés à un gestionnaire
pour compte.
B)
La cession de la gestion
des parts sociales et actions à un tiers
41. L’article
18 exige que la gestion des titres de capital soit confiée à un tiers. Le tiers
gestionnaire pour compte n’est cependant pas précisé (1). A cette
difficulté s’ajoute une deuxième ayant pour origine une différence sémantique
dans la rédaction du premier et deuxième alinéa de l’article 18. Cette
différence nous amène à nous interroger sur la nature de la relation de gestion
pour compte qui s’établit entre la personnalité politique et le tiers (2).
1)
La qualité du tiers gestionnaire
pour compte
42. L’article
18 impose que la gestion des titres de capital soit confiée à un tiers mais
sans expliciter sa qualité. La question se pose de savoir si le choix de ce tiers
est laissé à l’entière discrétion de l’intéressé. Peut-il confier la gestion à
l’un de ses proches, un ami, une connaissance voire même un autre actionnaire ?
La gestion ne doit-elle pas plutôt être confiée à une personne ayant vocation à
être gestionnaire pour le compte d’autrui ?
43. Dans l’une de ses déclarations publiques, le président de l’INLUCC rappelle que « le chef du gouvernement était censé confier la gestion de ses actions à quelqu’un d’autre dans les délais imposés ». Ainsi, le président de l’IINlUCC ne semble pas comprendre du texte légal qu’il impose une limitation dans le choix du tiers gestionnaire pour compte. De son côté, le chef du gouvernement a annoncé devant les députés de l'ARP, avoir cédé volontairement ses actions à une société faisant partie d'un groupement d'entreprises qui traite avec l'Etat pour éviter tout conflit d'intérêts. Ainsi, le chef de gouvernement a choisi le tiers gestionnaire parmi les actionnaires de la société dans laquelle il détient une participation[25] . Que pouvons-nous penser de ces prises de position en droit ?
44. La
gestion pour compte des titres consistant en des valeurs mobilières ne peut
être assurée que dans les conditions prévues à l’article 20 et suivant de la
loi n°2005-96 du 18 octobre 2005, relative au renforcement de la sécurité des
relations financières. Il y est prévu que « l’activité de gestion de
portefeuilles de valeurs mobilières pour le compte de tiers est exercée par les
établissements de crédit régis par la loi n° 2001-65 du 10 juillet 2001,
relative aux établissements de crédit[26],
par les intermédiaires en bourse régis par la loi n° 94-l17 susvisée et par les
sociétés de gestion qui sont des sociétés anonymes ayant pour objet la gestion
de portefeuilles de valeurs mobilières pour le compte de tiers ». Outre
l’intérêt de recourir à des professionnels, le caractère exclusif d’activité
est dévolu à ces entités en raison de leur soumission à des conditions
d’agrément et d’organisation de nature à assurer une lutte efficace contre le
blanchiment d’argent. Le monopole d’activité s’applique tout aussi bien à la
gestion individuelle qu’à la gestion collective. Il n’existe pas de définition
légale du concept de portefeuille de valeurs mobilières. La jurisprudence ne le
définit pas non plus. Un auteur l’a défini comme étant « l’ensemble des valeurs mobilières détenues par une même personne indépendamment des conditions de détention »[27].Ce
qui veut dire qu’il peut couvrir des valeurs mobilières de placement ou de
participation. Quand bien même les valeurs mobilières objet de la gestion pour
compte soient émises par des sociétés fermées, le monopole légal s’exerce.
45. Un
contrat de gestion de valeurs mobilières conclu avec un organisme n’ayant pas
qualité de gestionnaire pour compte est nul au plan civil.
46. L’article
20 précité est impératif et sa violation est pénalement sanctionnée. En vertu
de l’alinéa 1er de l’article 25, « est puni d’un emprisonnement
de seize jours à une année et d’une amende de deux mille à vingt mille dinars
ou de l’une de ces deux peines, toute personne ou tout dirigeant de droit ou de
fait d'un établissement qui exerce l’activité de gestion de portefeuilles de valeurs
mobilières pour le compte de tiers sans avoir obtenu un agrément ou continue
l’exercice de cette activité après le retrait de l’agrément. La sanction est
portée au double en cas de récidive ».
47. Si
on retient l’idée que la gestion pour compte est au sens d’une gestion
déléguée, par mandat, le choix d’un quelconque tiers n’est pas conforme à
l’article 20 de la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005, relative au renforcement
de la sécurité des relations financières. Le silence de l’article 18 sur la
qualité du gestionnaire pour compte ne doit pas être considéré comme autorisant
une liberté de choix. Le gestionnaire pour compte doit avoir qualité à le faire
conformément au droit positif.
48. Néanmoins
nous devons signaler qu’aucun texte ne prévoit pas un monopole pour la gestion
pour autrui des titres autres que des valeurs mobilières. Le problème du choix
du gestionnaire pour compte au sens de l’article 18 reste entier. En réalité,
il y a une erreur dans la conception du texte. Ses rédacteurs n’ont pas fait
une étude de son impact légal.
2)
La nature juridique de la
relation de gestion pour compte
49. Le
gestionnaire pour compte est classiquement considéré comme un mandataire (a).
Or, une lecture attentive de l’article 18 nous conduit à sortir de ce cadre. Le
législateur a innové en la matière en introduisant la gestion fiduciaire (b).
Sa constitution est soumise à des règles de publicité spécifique prévues
par l’article 18 lui-même et par la loi régissant le registre national des
entreprises (c).
a)
Le gestionnaire pour
compte est un mandataire
50. Le
premier alinéa de l’article 18 oblige les personnes visées à confier la gestion de leurs parts sociales et actions à un tiers. Le texte n’est pas très explicite sur la nature de la relation qui s’établit entre la personne visée et le tiers gestionnaire. L’exposé des motifs de la loi ne permet d’en savoir plus[28]. Mais le renvoi que nous avons fait tout à l’heure à l’article 20 de la loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005, relative au renforcement de la sécurité des relations financières, nous oriente à chercher la réponse dans les textes d’application. Il s’agit du décret n°2006-1294 du 8 mai 2006, portant application des dispositions de l’article 23 de la loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005 relative au renforcement de la sécurité des relations financières. Ce décret fait à son tour renvoi à un règlement du Conseil du marché financier pour « fixer les règles à respecter pour la sauvegarde des fonds des investisseurs et le bon déroulement des opérations ».
51. Usant
de son pouvoir réglementaire, le Conseil du marché financier a édicté le
règlement relatif aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières
et à la gestion de portefeuilles de valeurs mobilières pour le compte de tiers[29].
L’article 130 de ce règlement prévoit que le gestionnaire fournit aux clients,
avant qu'ils ne soient liés par une convention, les conditions « du
mandat ». Dans un contrat de gestion pour compte, la société de
gestion est un véritable mandataire pour la gestion du portefeuille de son
client. Elle n’est pas un simple mandataire dans la transmission d’ordre
d’achat et de vente donnés par le titulaire ni encore un conseil de ce dernier.
« Dans un contrat de gestion pour compte, le client ne peut ou ne veut se
préoccuper de la gestion de son portefeuille. Il s’en décharge totalement sur
un gestionnaire à qui il confie un mandat de gestion. L’initiative des ordres
d’achat ou de vente des instruments financiers qui composent le portefeuille
émane alors du mandataire et non du client qui s’interdit en principe de s’immiscer
dans la gestion. Le client ne peut donc reprocher au gestionnaire d’avoir
procédé à des placements sans ordres spécifiques de sa part »[30].
52. Dans
ce schéma classique, le gestionnaire pour compte est un mandataire mais il ne
peut détenir les titres objet de la gestion. En effet, en vertu de l’article 6 bis du décret n°2006-1294 du 8 mai 2006, portant application des dispositions de l’article 23 de la loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005, relative au renforcement de la sécurité des relations financières,tel qu’ajouté par le décret n° 2009-1502 du
18 mai 2009, la société de gestion ne doit détenir ni les comptes titres ni les
espèces de ses clients. Les titres et les espèces doivent être déposés au choix
du client, auprès d’une ou plusieurs banques.
53. Ainsi
si nous nous limitons au seul premier alinéa de l’article 18 de la loi n°2018-46,
la personnalité politique visée par le texte est amenée à conclure deux
contrats distincts : un contrat de dépôt de ses actions chez un teneur de
compte et un contrat de mandat de gestion conclu avec une société de gestion[31].
Dans une telle configuration, les actions restent sa propriété quand bien même
elles sont déposées chez un teneur de compte et gérées pour son compte. Le
mandat, stricto sensu, est fondé sur la notion de représentation[32].
54. L’alinéa 1er de l’article 18 est une réplique légèrement modifiée de l’article 8 de la loi française n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique. Il prévoit que les instruments financiers détenus par les membres du Gouvernement et les présidents et membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes intervenant dans le domaine économique sont gérés dans des conditions excluant tout droit de regard de leur part pendant la durée de leurs fonctions[33]. L’alinéa 2 ajoute « ces personnes justifient des mesures prises auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Le domaine d’application de la loi française est plus limité. Il ne concerne que les instruments financiers. L’expression de gestion excluant tout droit de regard de la part des intéressés pendant la durée de leurs fonctions est précisée par le décret n° 2014-747 du 1er juillet 2014 relatif à la gestion des instruments financiers détenus par les membres du gouvernement et par les présidents et membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes intervenant dans le domaine économique. Elle consiste en :
1° La détention,
l’acquisition ou la cession de parts ou actions d’OPCVM ou de FIA, à
l’exception des parts ou actions relevant de l’article L. 214-26-1 du code
monétaire et financier et des parts ou actions de fonds professionnels
spécialisés ou de fonds professionnels de capital investissement, régis par les
articles L. 214-152 à L. 214-162 du même code. En d’autres termes, sont considérés comme remplissant la condition de gestion sans droit
de regard, les placements indifférenciés ou par nature gérés par des tiers,
tels que les SICAV.
2° La gestion sous mandat conclu avec une personne habilitée à offrir le
service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers, dans les conditions
prévues à l’article 3.
Constitue également une gestion sans droit de regard des instruments
financiers définis à l’article L. 211-1 précité détenus par les personnes
mentionnées au 2° de l’article 1er la conservation en l’état des instruments
financiers qui ne sont pas en rapport avec le secteur d’activité de l’autorité
dont elles sont membres.
Le décret d’application de l’article 8 de la loi française est explicite
quant à la nature de la relation liant le titulaire et le gestionnaire. Elle
prend appui sur le contrat de mandat. Le mandat a cette particularité d’être exclusif.
Il exclut toute possibilité pour une personne comprise dans le champ
d’application de la loi de donner au mandataire, directement ou indirectement,
et par quelque moyen que ce soit, des instructions d’achat ou de vente portant
sur des instruments financiers. La règle d’exclusivité est une exception aux
règles de droit commun du mandat[34].
Mais le texte ne semble pas s’opposer à ce que le mandant exerce un contrôle sur
le mandataire. Il peut même le révoquer à condition de lui substituer un autre
mandataire. La gestion déléguée n’interdit pas au mandant de demander au
mandataire de lui fournir des liquidités pour un montant déterminé, dès lors
que les instruments financiers cédés à cette fin sont choisis par le
mandataire. Le mandant peut apporter de nouvelles liquidités ou de nouveaux
instruments financiers au mandataire. Le changement du mandataire ou la
modification de des termes du mandat donne lieu à une notification.
55. Même si l’article 18 de la loi tunisienne est
inspiré de l’article 8 de la loi française, il s’en écarte. Il opte, sans que,
il est vrai, le texte soit d’une clarté exemplaire, pour une gestion pour
compte de nature fiduciaire.
b)
Le gestionnaire pour
compte est un agent fiduciaire
56. L’alinéa
deuxième de l’article 18 ne s’inscrit pas dans une logique de pur mandat. Il
énonce que « la cession de la gestion prévue à l’alinéa
précédent est soumise au contrôle de l’Instance qui doit être tenue informée
des mesures prises en son application ». Comme nous pouvons le constater, il n’impose
pas de confier à un tiers la gestion mais plus fondamentalement, il impose sa
« cession ».
57. L’expression est à première vue impropre car le verbe céder renvoie usuellement au transfert de la propriété d’un bien d’un patrimoine à un autre. Elle évoque dans le langage courant la vente d’une chose. Comment donc lire l’article 18 ?
58. La méthode d’interprétation exégétique, consacrée à l’article 532 du Code des obligations et des contrats, se double d’une autre basée sur le principe de la rationalité du législateur. Elle présume que le législateur énonce des règles dotées à la fois d’un sens utile et non contradictoire. Nous devons dans notre démarche interprétative respecter tout à la fois l’expression de la loi et postuler que son choix par le législateur est doté d’une certaine rationalité.
59. En respectant ces deux directives d’interprétation, nous nous trouvons devant deux sens possibles parmi lesquels il faut choisir. Le choix doit, au besoin, tenir compte des autres dispositions de la loi et, éventuellement, l’environnement dans lequel elle s’intègre, particulièrement celui du droit des sociétés.
60. Dans une première acception, la cession de la gestion signifie la cession des pouvoirs inhérents à la qualité d’associé ou d’actionnaire sans que ce transfert soit suivi de la cession du droit de propriété sur les titres. Dans une autre acception, la cession de gestion s’accompagne nécessairement d’un transfert de la propriété des titres sociaux aux gestionnaires pour compte.
61. Dans ses premières déclarations publiques, le
président de l’INLUCC ne s’est pas aventuré dans l’explication de l’article 18.
Il s’est contenté de reprendre l’expression légale en affirmant que « le chef
de gouvernement était censé confier la gestion de ses actions à quelqu’un d’autre dans les délais imposés par l’INLUCC »[35]. Mais dans sa déclaration devant l’ARP, le chef du gouvernement a assuré avoir cédé ses actions en faveur d’une société faisant partie d’un groupement d’entreprises qui traite avec l’Etat »[36]. En marge de son audition, par la Commission de la réforme administrative, de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et de contrôle de la gestion de l'argent public (commission spéciale), le ministre de la Fonction publique, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption a indiqué que le chef du gouvernement a cédé ses actions et les a confiées à une autre personne pour la gestion, conformément à l'article 18 de la loi n° 2018-46 du 1er août 2018, portant déclaration des biens et des intérêts, de la lutte contre l'enrichissement illicite et le conflit d'intérêt dans le secteur public »[37]. En rapportant les déclarations du chef du gouvernement, certains journaux écrivent que Fakhfakh a vendu ou abandonné ses actions. La vente impliquant la stipulation d’un prix, les langues se sont déliées. Certaines franges de l’opinion publique se sont mises à spéculer sur le prix de la transaction ; Elyes Fakhfakh, a-t-on dit, a dû valoriser ses titres en tenant compte de la valeur de rendement du marché public attribué[38]. Les réseaux sociaux ayant un effet viral sur de telles spéculations, le chef du gouvernement croyant bien agir en conformant son comportement à la loi est tombé de Charybde en Scylla.
62. En pratique, on a compris que l’article 18 impose un transfert de la propriété des titres de participation à un tiers. Il ne s’agit donc pas d’une simple cession des prérogatives d’associé ou d’actionnaire. Si nous sommes tout à fait d’accord pour considérer que l’article 18 impose un transfert de la propriété des titres de participation, nous ne sommes pas certains aient saisis la nature et le régime juridique de l’opération.
63. En réalité à travers l’article 18 de la loi n°46-2018, le législateur tunisien fait, comme Monsieur Jourdain, de la prose sans le savoir. Il a consacré en droit tunisien, mais sans le nommer, ce que d’autres systèmes étrangers désignent comme étant un contrat de fiducie. Il s’agit de transmettre à un tiers la propriété d’un bien dans un but déterminé. Dans notre cas, le but est celui de le gérer au profit du constituant de la fiducie. L’agent s’appelle le fiduciaire. La fiducie est connue surtout en droit anglo-saxon sous le vocable trust. Elle a été reçue en droit français[39]. Il l’a définie à l’article 2011 du Code civil comme « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou de plusieurs bénéficiaires ». Le fiduciaire s'engage, le cas échéant moyennant rémunération, à gérer le bien qui lui est transmis pour le compte du constituant et à le lui rétrocéder à une date déterminée.
64. La fiducie du droit français peut porter sur toutes sortes de biens y compris des parts sociales ou actions. « Le fiduciaire, considéré comme le propriétaire des droits sociaux, a la qualité d'associé… Il a droit aux dividendes et exerce le droit de vote pour les décisions collectives, sous réserve d'éventuelles limitations figurant au contrat de fiducie »[40]. Le contrat de fiducie appliqué à des titres de participation permet des réaliser des opérations diverses, telles que le portage des actions[41], sécuriser des pactes d’actionnaires ou une convention de vote[42], être un instrument de coopération ou une arme anti-OPA[43]. La fiducie est parfois utilisée pour se mettre hors champ d’application de certaines règles impératives. C’est le cas en matière de contrôle de concentration[44]. Les autorités boursières tirant les conséquences du transfert de propriété contrôlent le franchissement de seuils des sociétés faisant appel public à l’épargne en vérifiant si le fiduciaire n’agit pas de concert avec le constituant. Une présomption simple est posée en droit français quand le constituant est le bénéficiaire de la fiducie[45]. « Afin d'éviter que le fiduciaire ne soit présumé comme agissant de concert avec le constituant-bénéficiaire, les obligations au titre du contrat de fiducie devront éviter de caractériser un accord en vue de céder des titres, ou pour exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société (ou pour obtenir son contrôle). L'absence de concert ne pourra être retenue que si le fiduciaire bénéficie d'une certaine liberté »[46].
65. Alors que dans tous ces usages, le contrat de fiducie est facultatif et l’instrument d’une politique financière pour le constituant, il devient, en vertu de l’article 18 de la loi n°2018-46, obligatoire. La personne rentrant dans le champ d’application de la norme doit, à défaut d’avoir pu réellement se désinvestir, céder la gestion de ses titres de participation à un tiers, c’est-à-dire constituer une fiducie sous peine de commettre une infraction pénale. Une certaine suspicion pèse sur l’homme politique qui risque d’utiliser ses droits sociaux à des fins contraires à la morale politique. Mais comme le mandat d’un homme politique est nécessairement limité dans le temps, et comme il ne s’agit pas d’exproprier un bien ou d’imposer une vente définitive, le législateur s’est limité à imposer une cession fiduciaire, provisoire, des parts sociales ou actions.
66. De la sorte, l’article 17 de la loi 2018-46, qui interdit à un homme politique d’être membre d’une assemblée délibérante trouve son sens dans l’obligation qui lui est faite de transférer fiduciairement la propriété de ses titres.
67. Les règles de droit des sociétés imposent à leur tour un tel transfert. On ne peut admettre une cession du droit de vote sans la cession de la propriété des titres sociaux[47]. C’est le fiduciaire qui sera considéré par la société comme le véritable associé et exercera les prérogatives d’associés tant politiques (vote et droit d’information) que pécuniaires. Mais comme le gestionnaire pour compte dispose d’un droit de propriété finalisé, il devra respecter les obligations ou limitations des pouvoirs prévues dans le contrat. Dans ces conditions, l’expression employée par le législateur d’une cession de la gestion trouve sa valeur explicative. Il s’agit de réaliser une opération de fiducie-gestion.
68. La solution retenue par le droit tunisien est proche de celle consacré par le droit canadien dans la loi établissant des règles concernant les conflits d’intérêts et l’après-mandat pour les titulaires de charge publique. L’article 27 (1) énonce que sous réserve des paragraphes (9) et (10), il incombe au titulaire de charge publique principal, dans les cent vingt jours suivant sa nomination, de se dessaisir de ses biens contrôlés de l’une des façons suivantes :
a.
vente à un tiers avec qui il n’a aucun lien de dépendance
b.
dépôt dans une fiducie sans droit de regard.
69. La fiducie sans droit de regard signifie :
a)
les biens placés en fiducie sont inscrits au nom du fiduciaire à moins
qu’ils ne soient placés dans un régime enregistré d’épargne-retraite;
b)
le titulaire ne peut exercer aucun pouvoir de gestion ni de contrôle
sur les biens en fiducie;
c)
le fiduciaire ne peut ni demander ni recevoir des instructions ou des
conseils du titulaire au sujet de la gestion ou de l’administration des biens;
d)
la liste des biens en fiducie est annexée à la convention;
e)
la fiducie continue d’exister tant que le titulaire de charge publique
principal qui l’a établie occupe son poste ; elle doit être dissoute dès
qu’elle ne contient plus de biens ;
f)
le fiduciaire remet les biens en fiducie au titulaire dès que la
fiducie prend fin;
g)
le fiduciaire ne doit fournir que les renseignements requis pour les
déclarations exigées par la loi et les rapports périodiques sur la valeur
globale de la fiducie, sans jamais fournir de renseignements concernant la
composition de celle-ci;
h)
le titulaire peut toucher les revenus générés par la fiducie, y
déposer ou en retirer des capitaux;
i)
le fiduciaire ne doit avoir aucun lien de dépendance avec le
titulaire, et le commissaire doit en être convaincu;
j)
le fiduciaire doit être :
i.
soit un fiduciaire public,
ii.
soit une société ouverte, telle qu’une société de fiducie ou de
placement, qui a qualité pour s’acquitter des fonctions de fiduciaire,
iii.
soit encore un particulier qui peut s’acquitter de ce genre de tâches
dans le cadre de son travail;
k)
le fiduciaire est tenu de fournir au commissaire, le jour anniversaire
de l’établissement de la fiducie, un rapport annuel écrit indiquant la nature,
la valeur marchande et un rapprochement des biens de la fiducie, le bénéfice
net de la fiducie de l’année précédente et, le cas échéant, les honoraires du
fiduciaire.
70. La
gestion fiduciaire sans droit de regard, n’interdit pas au constituant de
stipuler des instructions générales d’investissement dans la convention de
fiducie. Elles doivent être approuvées au préalable par le commissaire. Les
instructions peuvent indiquer la répartition en pourcentage des sommes à
investir dans diverses catégories de risque, mais elles ne peuvent faire état
de secteurs particuliers d’activités économiques, sauf dans le cas où des
dispositions législatives limitent le type de biens que le titulaire d’une
charge publique peut posséder. Il est entendu qu’aucune instruction verbale
n’est permise à l’égard d’une convention de fiducie sans droit de regard.
71. En vertu de l’article 18, l’INLUCC sera informée de la réalisation de l’opération de cession-gestion. Cette information lui permettra d’exercer un contrôle sur le contenu du contrat et examiner si les éventuelles limitations des pouvoirs du gestionnaire pour compte ne permettent pas d’éluder les obligations d’évitement du conflit d’intérêts. Dans les circonstances d’énonciation de la loi 2018-46, le gérant pour compte doit disposer d’une certaine liberté d’action, notamment dans l’exercice des droits politiques. Le constituant de la fiducie, en l’occurrence la personne visée à l’article 18, ne peut se réserver le droit de vote par certaines techniques juridiques telles qu’une location des titres sociaux, un prêt de consommation ou un démembrement de propriété. Il ne peut donner des instructions au gestionnaire. Mais il n’est pas interdit qu’il se réserve le droit de percevoir les dividendes[48]. L’INLUCC peut s’inspirer des règles posées par la loi canadienne pour définir l’étendue du contrôle qu’elle exerce sur la convention de fiducie-gestion.
72. La solution consacrée par l’article 18 est bonne. Elle peut recevoir des améliorations par un règlement administratif qui définit ses conditions d’application. Néanmoins une intervention législative est nécessaire pour fixer un cadre au contrat de fiducie[49], que ce soit en droit privé, en droit comptable[50] ou en droit fiscal[51]. Pour s’en tenir au seul aspect de droit civil, il est impérieux de prévoir une règle légale énonçant que le patrimoine fiduciaire est un patrimoine distinct du patrimoine propre du fiduciaire[52].
73. Le vide législatif que nous avons signalé au fond contraste paradoxalement avec le système de publicité légale de la cession fiduciaire prévue par la loi sur le registre national des entreprises.
3) Publicité légale de la fiducie-gestion
74. L’article 18 de la loi n°2018-46 oblige les personnes rentrant dans le champ d’application du texte à tenir informée l’INLUCC des mesures par eux pour confier la gestion de leurs parts sociales et actions à un tiers. La loi est peu éloquente sur le rôle spécifique de l’Instance. L’information permet à l’Instance de vérifier la réalité de la cession et la nature des pouvoirs éventuellement réservés par le constituant s’ils ne sont pas de nature à remettre en cause, les objectifs de la loi. Il n’est pas exclu qu’elle étende son contrôle sur le gestionnaire pour compte pendant la durée du contrat.
75. Ce qu’il faut toutefois noter c’est que cette information spéciale à donner à l’INLUCC n’est pas exclusive d’une véritable publicité légale destinée à informer le public. Cette publicité est rendue obligatoire par l’article 1er de la loi n°2018-52 du 29 octobre 2018, relative au registre national des entreprises. Ce registre a pour but de consolider la transparence dans les opérations économiques et financières à travers la centralisation des information, données et documents concernant les personnes physiques, les personnes morales et les arrangements légaux opérant dans le domaine économique et les association pour leur conservation et leur mise à la disposition du public et les institutions étatiques concernées par ces informations. L’expression arrangements légaux est définie à l’article 2 comme signifiant les fonds fiduciaires directs et autres arrangements légaux assimilés en ce compris « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou de plusieurs bénéficiaires ». C’est une reprise mot par mot de l’article 2011 du Code civil française relatif à la définition de la fiducie.
4) Les entraves à la cession fiduciaire de l’article 18
76.
Les
personnes rentrant dans le champ d’application de l’article 18 doivent céder à
un tiers gestionnaire pour compte les participations qu’elles détiennent dans
des sociétés privées. La loi leur impartit un délai de 60 jours à compter de la
date de leur nomination. Dans le cas particulier du gouvernement Elyes Fakhfakh,
le délai a commencé à courir le 27 février 2020. La survenance de la crise
sanitaire provoquée par le Covid-19 a eu pour effet de suspendre les
obligations assorties d’un terme, y compris celle prévue à l’article 18[53].
Nous ferons abstraction de cette circonstance exceptionnelle pour nous atteler
à l’étude du régime de droit commun instauré par l’article 18. Une lecture
attentive du texte permet de relever que le législateur n’a pas tenu compte des
contraintes juridiques pouvant entraver la cession fiduciaire qu’il
impose. Une réécriture du texte s’impose d’urgence.
77.
Quand
une personne décide librement de réaliser une cession fiduciaire de ses titres
sociaux, elle doit se plier au régime légal applicable à ladite cession. Ce
régime varie selon la nature du titre à céder.
78.
Par
exemple, la cession par un associé en nom de ses parts d’intérêt nécessite le
consentement unanime des autres associés[54].
La même règle est prévue dans la société en commandite simple[55].
Dans une société à responsabilité limitée, la cession des parts sociales à un
tiers étranger à la société doit être autorisée par celle-ci par une délibération
prise par la majorité des associés détenant les trois quart du capital[56].
Les statuts d’une société anonyme ne faisant pas appel public à l’épargne
peuvent comporter une clause d’agrément soumettant la cession d’actions à un
tiers étranger à l’agrément de la société[57].
Dans tous ces cas, la cession fiduciaire peut heurter soit à un refus
d’autorisation soit à un dépassement du délai de 60 jours pour la réaliser.
79.
Les
titres à céder peuvent être indisponibles pour leurs titulaires en vertu d’un
pacte d’actionnaires comportant une clause d’incessibilité ou en vertu d’un
contrat de nantissement.
80.
Dans
certaines sociétés, le capital social ne peut être réparti qu’entre des
personnes physiques. C’est le cas des sociétés propriétaires de terres
agricoles. Or une cession fiduciaire faite nécessairement à une personne morale
contrevient à la loi et est frappée de nullité absolue[58].
81.
Les
rédacteurs de l’article 18 n’ont pas pensé à ses écueils et autres que nous
n’avons pas recensés. Ils peuvent entraver ou rendre difficile la cession fiduciaire
des titres de participation. Le législateur a raisonné comme si l’opération
dépend exclusivement de la volonté du titulaire des titres sociaux. Un
paradigme implicite gouverne cette pensée. Le statut de propriétaire conférant
le pouvoir de disposer de la chose, le titulaire doit être en mesure de les
céder et de conformer sa situation à l’injonction légale. Or lorsqu’il s’agit
de légiférer et de prendre une nouvelle norme, il faut prendre soin de mesurer son
impact juridique.
82. Nous devons être conscients de la différence de nature
entre la constitution libre d’une fiducie et celle rendue obligatoire en
vertu d’une loi. Dans le premier cas, le
constituant agit dans une logique de gestion des éléments de son patrimoine. Il
doit faire son affaire pour surmonter les différents obstacles à la cession
fiduciaire qu’il envisage. S’il ne peut le faire, il ne constitue pas la
fiducie et maintient la propriété de ses titres. Son rapport avec les sociétés
dans lesquelles il détient une participation est une affaire strictement
privée. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une cession fiduciaire obligatoire,
l’intéressé est soumis à une double contrainte juridique : soit céder ses
titres en violation des dispositions régissant les titres objet de cession soit
ne pas les céder et commettre une violation.
83. Pour donner pleine efficacité au mécanisme impératif de
l’article 18, une modification de la loi doit intervenir. Elle peut soit
limiter le champ d’application de la disposition aux seuls titres de
participation pour lesquels il existe un marché organisé de titres[59]
ou ajouter une disposition qui libéralise la cession fiduciaire faite en
application de l’article 18. A cette dernière fin, le législateur peut donner à
L’INLUCC le pouvoir de vérifier l’applicabilité du texte et s’assurer que la
cession fiduciaire n’est pas destinée à éluder les dispositions applicables à
la cession des titres selon leur nature juridique.
84. L’article 18 sous une autre version doit aussi prévoir
que la fiducie qui a pour objet des titres de participation antérieurement nantis,
les droits du créancier nanti subissent le droit de suite entre les mains de celui au profit de
qui le bien a été transféré. Plus délicate est, en revanche, la situation née
de l’existence d’un pacte d’actionnaires entre le constituant et un tiers. Il
n’est pas interdit de prévoir comme solution à l’article 18 une transmission de
plein droit du pacte à l’agent fiduciaire[60].
85. Ce n’est qu’avec de tels aménagements
légaux que la cession fiduciaire obligatoire dans le délai imparti est
praticable.
§ III L’incapacité spéciale de contracter avec l’Etat, les collectivités publiques locales, établissement publics et entreprises publiques
86. Nous
faisons une petite mise au point concernant une distinction classique entre
l’incompatibilité consacrée dans l’article 17 et l’incapacité spéciale de
contracter de l’article 20 (A) et nous cherchons comment le législateur
a cherché à assurer une certaine articulation de ce dernier article avec la
cession fiduciaire (B).
A)
Distinction entre
l’incompatibilité de l’art 17 et l’incapacité spéciale de contracter de
l’article 20
87.
Il
nous a été donné l’occasion de voir que l’article 17 interdit le cumul d’un
mandat politique avec l’exercice de certaines activités professionnelles,
telles que le commerce, l’industrie et une profession libérale. Nous avons écrit qu’il s’agit de la consécration d’une incompatibilité ; elle s’applique aux situations dans lesquelles une même personne exerce plusieurs activités professionnelles. La crainte que l’exercice d’une activité professionnelle basée sur la recherche du profit personnel nuise à l’activité politique tournée vers la recherche de l’intérêt général. L’homme politique doit consacrer son activité professionnelle au service de l’Etat et ses démembrements.
88. L’incompatibilité de l’article 17 ne doit pas être confondue avec l’incapacité de contracter posée à l’article 20 de la loi n°2018-460. « Il interdit aux personnes visées aux numéros 1, 2, 3, 6, et 7 de l’article 5 de la loi, de commercer en cours de leur mandat avec l’Etat, les collectivités publiques locales et les établissements ou entreprises publics ». Le champ d’application personnel de cet article est légèrement différent de celui des articles 17 et 18. C’est une incapacité spéciale de contracter fondée sur un motif de suspicion et de défiance à l’égard des personnes visées par la mesure. Cette solution n’est pas inconnue en droit commun. Le législateur pose à l’article 566 du Code des obligations et des contrats une incapacité d’acquérir des droits litigieux frappant les magistrats, greffiers, avocats, mandataires ad litem. Ils ne peuvent ni par eux-mêmes, ni par personne interposée, à peine de nullité, se rendre acquéreurs ou cessionnaires, à quelque titre que ce soit, en tout ou en partie, des droits litigieux qui sont de la compétence des tribunaux dans le ressort desquels ils exercent leurs fonctions. La vente en ce cas est nulle de plein droit ; la nullité en devra être prononcée à la requête de tout intéressé et même d’office.
89.
Plusieurs
personnes parmi celles visées par l’article 17 sont également visées par
l’article 20. Le non-respect de l’incompatibilité est sanctionné pénalement en
vertu de l’article 34. Au plan civil, les contrats conclus malgré
l’incompatibilité ne sont pas nuls. Mais lorsqu’il s’agit d’un contrat conclu malgré
l’incapacité spéciale avec l’Etat, une collectivité publique locale, un
établissement ou une entreprise publique, la sanction pénale est doublée, en
vertu de l’article 539 du Code des
obligations et des contrats, d’une sanction civile par la nullité du contrat.
B)
Extension implicite de l’incapacité
spéciale de contracter
90.
Il
est indéniable que l’article 20 n’édicte une incapacité spéciale de contracter
qu’à l’égard de certaines personnes physiques en raison de leurs mandats
politiques, mais Il faut prêter attention à la rédaction de l’article 20 qui,
tout au début, réserve le respect de l’article 18 de la même loi. Deux
conséquences implicites découlent de cette réserve :
-
une
société dans le capital de laquelle l’homme politique détient une participation,
ne peut conclure un marché public tant que cette participation n’a pas été
encore cédée à un gestionnaire pour compte ;
-
la
société dans le capital de laquelle un gérant pour compte détient une
participation peut valablement conclure un marché public.
91.
En
d’autres termes, l’article 20 étend implicitement l’incapacité spéciale de
contracter aux sociétés dans lesquelles l’homme politique détient encore une
participation pendant le délai qui lui est imparti pour opérer la cession de la
gestion.
92.
La
mise en œuvre de l’articulation entre les articles 18 et 20 pose un épineux
problème du fait que la mise en place d’une gestion pour compte nécessite une
certaine durée et que parallèlement le marché public est à formation
successive. On peut par exemple se poser la question de savoir à quel moment
exact, l’incapacité de contracter doit-elle être appréciée ? Est-ce au moment
de la présentation de la soumission, de l’ouverture des plis, l’évaluation des
offres ou à la signature du marché ?
Conclusion
93.
Les
dernières affaires ayant agité la scène politique en matière des conflits
d’intérêts, ont le mérite de révéler que la loi n°2018-46 s’insère dans un
environnement juridique inadéquat parce que lacunaire ne dotant pas la fiducie
d’un cadre juridique, comptable et fiscal. Par ailleurs, un décret
d’application de l’article 18 de la loi est souhaitable. Il précisera les
modalités pratiques de la cession fiduciaire et l’étendue et la nature contrôle
exercé par l’INLUCC. Mais cette intervention réglementaire demeure insuffisante
car il faut d’une part lever les obstacles juridiques à la mise en place de cette
espèce particulière de fiducie-suspicion et d’autre part assurer une meilleure
articulation entre la mise en place de la gestion fiduciaire et l’incapacité
spéciale de l’homme politique à commercer avec des entités publiques.
Sami Frikha
Avocat à la Cour de
cassation
Juillet 2020
[1] https://atlasinfo.fr/tunisie-accuse-de-conflit-dinteret-le-premier-ministre-dement.html
Le nombre des plaintes n’est pas précis. Certains journaux écrivent qu’il y a
eu trois plaintes. Dans un post publié sur sa page sur le réseau social Facebook, le député accuse le Chef du gouvernement de de conflit d'intérêts, d’enrichissement illicite, d’abus de pouvoir, de délit d’initié et de blanchiment d'argent. https://www.businessnews.com.tn/affaire-elyes-fakhfakh-yassine-ayari-se-rend-a-linstance-de-lutte-contre-la-corruption,520,99806,3
[9] Vraisemblablement, le projet d’amendement devrait préciser le régime des opérations
passées entre l’Etat, les établissements et
entreprises publiques ou une collectivité publique locale et des entreprises
dans lesquelles les personnes visées ont des intérêts directs ou indirects.
[10] Voir
également l’article 24 du règlement du Conseil du marché financier relatif aux
sociétés d’investissement à capital risque approuvé par arrêté du ministre des
Finances en date du 9 juin 2017.
[11] Voir sur ce principe, Bjorn Fasterling, Jean-Christophe Duhamel, Le Comply or explain : la transparence conformiste en droit des sociétés, Revue internationale de droit économique 2009/2 (t. XXIII, 2), p. 129 « Se conformer ou s’expliquer »,
traduction littérale de l’anglicisme très usité « comply or
explain », est un mécanisme de transparence pivot de la gouvernance
d’entreprise. e mécanisme est tout aussi
simple qu’astucieux : contraindre les sociétés à communiquer sur
l’application qu’elles opèrent d’un code de bonne conduite en matière de
gouvernance d’entreprise, et à se justifier des écarts aux dispositions de ce
code. Ce faisant, il combine des principes de bonne conduite facultatifs et un
régime de communication d’ordre public » ; add. Chantal
Donzel-Taboucou, Le principe
« appliquer ou expliquer » en France Ou le droit à
l'auto-édiction normative, Revue des Sociétés, 2015, p. 347.
[12]
Article 202 du Code des sociétés commerciales.
[13] La
convention des Nations Unies contre la corruption approuvée Tunisie par la loi
n°2008-16 du 25 février 2008, énonce que « Sous réserve de sa constitution
et des principes fondamentaux de son système juridique, chaque État Partie
envisage d’adopter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer
le caractère d’infraction pénale, lorsque l’acte a été commis
intentionnellement, à l’enrichissement illicite, c’est-à-dire une augmentation
substantielle du patrimoine d’un agent public que celui-ci ne peut
raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes ». Comme
nous pouvons le constater l’article 20 de la convention réserve la conformité
ou la compatibilité de l’incrimination avec la constitution ou les principes
fondamentaux de son système juridique. Certains Etat, tels le Canada et le Viet
Nam, ont estimé que l’incrimination est contraire à leurs constitutions ou
principes fondamentaux et par conséquent ils n’instaureront pas d’infraction d’enrichissement illicite.
Malgré la fixation de critères objectifs d’appréciation du seuil de
l’enrichissement illicite, la question de la constitutionnalité de l’article 37
de la loi n°2018-46 n’a pas été posée en Tunisie.
[14] Voir
article 193 du Code des sociétés commerciales.
[15] La loi n°96-74 du 29 juillet 1996 a
modifié le titre de la loi n°89-9 du 1° février 1989 devenue loi relative aux
participations, entreprises et établissements publics.
[16] Loi n°96-74 du 29 juillet 1996
modifiant et complétant la loi n°89-9 du 1° février 1989 telle que modifiée et
complétée par la loi n°94-102 du 1° août 1994.
[17] Nous
n’intéressons pas au deuxième tiret de l’article 5 qui déclare
l’incompatibilité avec l’appartenance aux organismes, entreprises publiques et
les sociétés à participation publique quelle que soit leur dénomination dans
lesquels l’Etat ou les collectivités publiques locales participent à leur
capital directement ou indirectement.
[18] Voir infra
…
[19][19] Un conseil de surveillance peut exister
en dehors de la forme des sociétés anonymes à directoire et conseil de
surveillance.
[20] Voir infra n°…
[21]
Article 1263 du Code des obligations et des contrats.
[22] Voir supra
n°…
[23] Voir supra
n°...
[24] Voir
infra n°… la solution du droit français.
[25]
Dépêche de la TAP https://www.tap.info.tn/fr/portail-barre-news/12816290-elyes-fakhfakh
[26] La loi
est abrogée et remplacée par la loi n°2016-48 du 11 juillet 2016, relative aux
banques et établissements financiers.
[27] R. libchaber, Le portefeuille de valeurs mobilières, bien unique ou pluralité de biens, Defrénois 1997, art. 36465.
[28] L’exposé
des motifs du projet de loi 2018-46 indique, mais d’une manière générale, les
ressources matérielles étrangères ayant été source d’inspiration. Il s’agit du
droit français, droit canadien, droit jordanien, droit marocain et droit
omanais. Aucune référence n’est faite aux pays de l’OCDE.
[29]
Approuvé par arrêté du ministre des finances du 29 janvier 2002. Des modifications
lui ont été apportées approuvées par arrêté du ministre des finances du 28
janvier 2007.
[30]
Isabelle Riassetto, Gestion individuelle de portefeuille, Joly Bourse, date
d’actualisation le 6/1/2011, n°008.
[31] Les
parts sociales n’étant pas représentées par des titres ne peuvent faire l’objet
d’un dépôt même si on admet qu’elles puissent être confiées à un gestionnaire
pour compte.
[32] Isabelle Riassetto, op. cit., n°18 écrit que : « le mandat de gestion n’est pas un simple contrat de mandat au sens du Code civil. Le gestionnaire ne se contente pas de conclure des actes juridiques pour le compte de son client. Aussi certains y voient un contrat d’entreprise présentant un caractère aléatoire ou un contrat de mandat mixte ».
[33] La solution est recommandée la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique dans un rapport présenté au président français en 2011. Proposition n° 6, p. 116. https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/114000051.pdf Voir l’étude d’impact de la loi : http://www.senat.fr/leg/etudes-impact/pjl11-517-ei/pjl11-517-ei.pdf
[34] Un
mandat, même irrévocable, ne prive jamais le mandant du
pouvoir d'accomplir lui-même les actes juridiques que le mandataire a pour
mission de passer.
[39] Loi no 2007-211 du 19 févr. 2007.
[40]
Bénédicte François, Fiducie – Constitution de la fiducie, Répertoire
Sociétés, Dalloz, actualisation novembre 2019, n°43 et s.
[41]
Brigitte Treille, Les conventions de portage, Revue des sociétés, 1997, p. 721.
[42] Reinhard Dammann,Fiducie-gestion et pacte
d'actionnaires, Bulletin Joly Sociétés, août 2008, p. 652 ; Didier Martin,
L'effectivité des clauses relatives au transfert de
titres, Bulletin Joly Sociétés, Juillet 2011, p. 617.
[43] Jacques Deege, Défenses anti-OPA, Joly Bourse, date d’actualisation mars 2020, n°210.
[44]
François Barrière, La fiducie, Joly Sociétés, écrit à la note en bas de page
“Lors des opérations Tetra Laval/Sidel et Schneider/Legrand en 2001, deux
offres publiques d'acquisition impliquant des sociétés françaises et rentrant
dans les seuils de contrôle de la concurrence communautaire, la presse a révélé
que les actions acquises suite aux offres publiques et dans l'attente de
l'éventuelle autorisation communautaire ont été, tant pour celles acquises par
Tetra Laval SA que par Schneider, mises en trust, ce qui peut paraître
déconcertant, les actions acquises étant régies par le droit français. La
Commission européenne a depuis (le 2 mai 2003) institué un contrat-type de «
trust » pour ce type d'opérations ».
[45] L art. L. 233-10, II, 5° du Code de commerce français présume le concert entre le fiduciaire et le bénéficiaire d'un contrat de fiducie, si ce bénéficiaire est le constituant.
[47] Viincent
Thomas, Fudicie sur titres sociaux : la qualité d’associé du constituant,
Revue Lamy droit civil, n°168, mars 2019, p. 43 et s.
[48] Dans
une société immobilière d’attribution, les parts sociales ou actions peuvent
conférer à l’associé ou à l’actionnaire la jouissance de l’immeuble. La cession
fiduciaire des parts sociales ou actions dans cette société est compatible avec
le maintien de ce droit de jouissance.
[49] Il existe cependant situations fiduciaires particulières. Voir par exemple la loi n° 2000-92 du 31 octobre 2000, relative aux actes de cession ou de nantissement de créances professionnelles et à la mobilisation des crédits rattachés ; la loi n°2012-24 du 24 décembre 2012 relative à la convention de la pension livrée de valeurs mobilières et des effets de commerce, son décret d’application n° 2012-3416 du 31 Décembre 2012 fixant les conditions et les modalités de livraison des valeurs mobilières et des effets de commerce dans le cadre des opérations de pension livrée et la circulaire aux banques de la BCT n°2013-5 du 30 avril 2013 publiant l’accord cadre type régissant les opérations de pensions livrées. En revanche, la situation est indécise lorsqu’il s’agit de fonds mis par des tiers à la disposition des sociétés d’investissement à capital-risque pour être gérés pour leur compte (article 23 nouveau de la loi n°88-92 du 2 août 1988 relative aux sociétés d’investissement tel que modifié par le décret-loi n°2011-99 du 21 octobre 2011 portant modification de la législation applicable aux sociétés d’investissement à capital-risque et les fonds communs de placement à capital-risque et les conditions de leurs interventions. Les fonds peuvent être mis à la disposition de la SICAR soit par des investisseurs avertis soit par des investisseurs non avertis. Dans ce dernier, un règlement du CMF doit déterminer les conditions de protection de leurs. La nature du contrat de mise disposition des fonds n’est pas précisée. Nous pouvons songer à l’application de l’article 1154 du Code des obligations et des contrats relatif au contrat de commande. « La commande est le contrat par lequel une personne, appelée bailleur de fonds, remet un capital déterminé à une autre personne, dénommée gérant ou agent, lequel se charge d'employer ce capital dans le commerce, en son propre nom, mais pour le compte du bailleur de fonds, moyennant une quotité déterminée dans les bénéfices ».
[50] En droit français, les aspects comptables de la fiducie sont évoqués dans l'article 12 de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007. Le paragraphe IV de l'article renvoie à un règlement du Comité de la réglementation comptable (CRC).
[51] Le
législateur français a prévu un mécanisme de neutralité fiscale. S'agissant
des impôts directs, les résultats de la fiducie seraient compris
dans le résultat du constituant. Les résultats de la
fiducie seront déterminés et imposés selon les règles applicables à la nature
de l'activité afférente aux biens ou droits en fiducie. Toutefois, lorsque le
bénéficiaire est une entreprise, le résultat sera déterminé selon le régime qui
lui est applicable (impôt sur les sociétés, bénéfices industriels et
commerciaux, bénéfices non commerciaux, bénéfices agricoles). Le transfert de
biens et droits dans un patrimoine fiduciaire n'entraînera pas l'imposition des
gains ou pertes afférents à la valeur réelle des droits dans le résultat de
l'exercice du transfert. En revanche, ces gains ou pertes seront imposables
lors de la transmission du contrat de fiducie par le constituant, ou lors de la
cession des biens par le fiduciaire (articles 5
à 7). Pour la taxe
sur la valeur ajoutée, la neutralité fiscale de l'opération
fiduciaire est organisée. Le fiduciaire
sera le redevable de cette taxe assise sur son activité de fiduciaire (article 8). En matière de fiscalité locale, il appartiendra au fiduciaire d'acquitter la taxe
professionnelle et la taxe foncière (article 9). https://www.senat.fr/rap/l06-011/l06-0118.html
[52] La
règle est-elle implicitement admise dans l’article 1205 du Code des obligations
et des contrats ? Il prévoit que "Le gérant peut se charger des
affaires d'autres personnes, pourvu qu'il les tienne distinctes les unes des
autres ….." La portée de la règle est indécise. S’agit-il d’une simple
règle de droit comptable dans le sens où le gérant doit tenir des comptes
distincts entre les différentes opérations commerciales qu’il entreprend pour
le compte de ses commettants ? Où s’agit-il d’un véritable patrimoine
d’affectation ?
[53] Article 1er du décret-loi n°2020-8 du 17 avril 2020, portant suspension
des procédures et délais.
[54]
Article 56 du Code des sociétés commerciales.
[55]
Article 75 du Code des sociétés commerciales.
[56]
Article 109 du Code des sociétés commerciales.
[57]
Article 321 du Code des sociétés commerciales.
[58] En
vertu de l’article 1er de la loi n° 97-33 du 26 mai 1997, modifiant
la loi no 69-56 du 22 septembre 1969 relative à la réforme des structures
agricoles, le droit de propriété des terres agricoles ne peut appartenir qu'aux
personnes physiques de nationalité tunisienne, aux coopératives, aux personnes
morales à caractère public, aux sociétés civiles et à responsabilité limitée
dont tous les participants sont des personnes physiques de nationalité
tunisienne et aux sociétés anonymes créées conformément aux dispositions de la
loi n° 89-143 du 8 mars 1989 relative aux conditions d'exercice des activités
agricoles par les sociétés anonymes. Cette dernière loi exige que le capital
soit représenté par des titres nominatifs détenus par des personnes physiques
de nationalité tunisienne. Ces solutions ne sont pas remises en cause par la
loi sur l’investissement.
[59] C’est
la solution choisie par le droit canadien.
[60] Une
question similaire s’est posée à l’occasion de la confiscation des biens et
avoirs en application du décret-loi n°2011-13 du 14 mars 2011. Il s’agit de
savoir si les pactes d’actionnaires conclus par les titulaires des actions
confisquées sont transmis à l’Etat. En principe, la réponse est négative. Voir notre
article la confiscation des titres de participation issue du décret-loi n°2011-13
du 14 mars 2011, n°56 et s. https://samifrikha.blogspot.com/2015/08/la-confiscation-des-titres-de.html