La rémunération des gérants des SARL
1) En droit des sociétés commerciales
Le code des sociétés commerciales (C.S.C.) ne traite pas de la rémunération des gérants des SARL. Mais souvent, les statuts prévoient la possibilité pour les associés de décider l’attribution d’une rémunération au gérant.
La pluralité des gérants n’est pas un obstacle à l’octroi d’une rémunération à chacun d’eux. Aucune équivalence n’est exigée entre la rémunération de l’un ou de l’autre, l’assemblée générale est libre de discriminer entre eux mais elle doit tenir compte du rôle de chacun.
Seule l’assemblée générale est compétente pour allouer une rémunération au gérant. Le tribunal de première instance de Ben Arous (Jugement n°22097 du 23/4/2014 inédit) a cru pouvoir fixer lui-même la rémunération du gérant en constatant que les statuts reconnaissent le principe de rémunération du gérant. Le fait qu’aucune stipulation des statuts ou une décision de l’assemblée générale n’ait déterminé son quantum, ne prive pas le gérant du droit de la faire fixer par le juge. Le tribunal ajoute que la relation entre la société et le gérant est de nature contractuelle basée sur un contrat de louage de services au sens de l’article 835 C.O.C. Il s’autorise par conséquent de faire application de l’article 838 du C.O.C qui prévoit qu’à défaut de convention, le tribunal déterminera le prix des services ou de l'ouvrage d'après l'usage et au dire d'experts. Cette motivation est censurée par la cour d’appel de Tunis (CA Tunis n 81897 du 30 mars 2016 inédit). « Nul doute que le gérant d’une société jouissant de la personnalité morale accomplit des actes juridiques au nom et pour compte de la société de sorte qu’il ne peut être son cocontractant sur la base d’un contrat de louage de services. Le gérant est le représentant légal de la société. Les conditions de sa nomination, de sa rémunération et de la cessation de son mandat sont régies par le droit des sociétés ».
Le gérant intéressé, s’il est associé, n’est pas interdit de voter, car l’octroi d’une rémunération ne peut être assimilé à un contrat (Com. 4 mai 2010, Revue des sociétés, p. 222) Le gérant peut toutefois s’abstenir du droit de vote pour éviter toute suspicion.
La Cour de cassation française a admis que la décision collective ne tient pas nécessairement dans une résolution soumise au vote, mais qu’elle peut résulter d’une mention figurant dans le rapport sur les conventions réglementées soumis au contrôle des associés (Com., 15 mars 2017, Revue des sociétés 2017, p. 491).
La rémunération d’un gérant d’une SUARL doit être consignée au registre des décisions sous peine de nullité (Art. 154 al. 3 C.S.C.) (Com. 25 sept. 2012, Recueil Dalloz, p. 2301)
La limite imposée par le droit des sociétés à la liberté de l’assemblée générale est exprimée par un principe général de droit qui veut que la rémunération ne doive pas être abusive et disproportionnée avec les capacités financières de la société. La contestation de la décision peut être présentée devant le juge civil ou devant le juge pénal.
La décision de l’assemblée générale de fixer une rémunération peut être contestée devant le juge civil par les minoritaires pour abus de majorité. La Cour de cassation française (Com., du 4 octobre 2011, Revue des sociétés 2012, p. 38) a refusé de considérer abusive une rémunération indexée sur l’excédent brut d’exploitation. L’exercice de l’action n’est pas soumis à l’exigence de la détention d’un certain pourcentage dans le capital social. Un gérant empêché d’exercer ses fonctions pendant deux mois en raison de sa maladie garde sa rémunération. Le juge ne peut l’obliger à restitution (Com. 21 juin 2017, Recueil Dalloz, 2017, p. 2335).
Parfois, les minoritaires veulent s’aménager une preuve sur un acte de gestion suspect. Le CSC leur donne les moyens par la nomination par ordonnance sur requête d’un expert de gestion (art. 139). La demande n’est recevable que si les minoritaires détiennent 10% du capital social. Mais dans la mesure où la décision fixant la rémunération est prise par l’assemblée générale, les tribunaux considèrent qu’il ne s’agit pas d’un acte de gestion et par conséquent la demande n’est pas recevable.
Il faudra, aussi, signaler que les juridictions pénales estiment que l’infraction d’abus de biens sociaux est suffisamment établie en présence d’une rémunération non autorisée mais il faut caractériser la mauvaise foi. Il n’y a pas de mauvaise foi lorsque les prélèvements ont été opérés de façon transparente et figurent dans la comptabilité soumise au contrôle des associés (CA de Chambéry 10 oct. 2013, Revue des sociétés 2014, p. 399). Le délit d'abus de biens sociaux est consommé quand la rémunération est excessive alors même qu'elle a été approuvée par une assemblée générale, l'approbation n'ayant pas pour effet de faire disparaître l'existence du délit. Mais il a été constaté que le plus souvent le gérant poursuivi est un gérant majoritaire qui, sous l’apparence d’une décision régulière, perçoit une rémunération excessive.
Deux paramètres sont pris en compte par le juge répressif. L’adéquation de la rémunération par rapport au travail fourni et par rapport à la situation de la société.
Le gérant peut toucher un salaire fixe auquel ont peut ajouter une prime, tantôt des commissions, mais dans ce dernier cas, l’élément important sera la base de ces commissions. Si elle est fondée sur les bénéfices, il faudra déterminer avec précision les bénéfices retenus (comptables, fiscaux). Si elle est fondée sur le chiffre d’affaires, elles sont davantage sujettes à caution. Ce paramètre est déconseillé. Le juge pénal peut se référer aux critères retenus par l’administration fiscale. Le gérant peut se défendre en justifiant le niveau de sa rémunération par l’importance de sa qualification ou l’importance des tâches qui lui sont confiées. Mais le juge répressif n’est tenu ni de la position de l’administration fiscale, ni celle du juge fiscal. Les juges tiennent compte aussi de l’âge, de la qualification et de l’expérience du gérant.
Un deuxième paramètre est pris en compte par le juge est la capacité de la société à supporter le poids de la rémunération. L’apparition des difficultés doit justifier une réduction de la rémunération. Il a été observé que le gérant n’est pas un salarié. Mais l’explication n’est pas totalement convaincante lorsqu’il s’agit d’un gérant non majoritaire et parfois non associé. D’ailleurs, il a été remarqué que le gérant est le plus souvent caution de la société. Les juges estiment que l’une des causes de la difficulté de la société c’est la rémunération excessive octroyée au gérant. Ou encore que la société n’est maintenue en activité que pour permettre au gérant de toucher une rémunération.
En réalité, l’abus de biens sociaux n’est pas, le plus souvent, caractérisé par l’octroi d’une rémunération excessive. D’autres agissements entrent en ligne de compte (par exemple détournements indirects entre sociétés liées) pour créer un environnement de suspicion envers le gérant.
II) Déductibilité fiscale des rémunérations des gérants des SARL
La rémunération servie par la société à responsabilité limitée est-elle une charge déductible du bénéfice imposable ? Commençons par rappeler que la déductibilité des rémunérations des gérants n’est admise par le juge fiscal que si elles sont décidées par l’organe social compétent.
Historiquement, le droit fiscal tunisien distinguait selon que le gérant est majoritaire ou non. Les rémunérations allouées aux associés gérants n’étaient pas admises, selon l’article 48-V du code de l’IRPPIS, en déduction pour la détermination de l’impôt dû par les sociétés à responsabilité limitée, lorsque la majorité des parts sociales est possédée par l’ensemble des gérants. Cela suppose que le gérant était lui-même associé à titre personnel et qu’il détenait la majorité des parts sociales. Quand il s’agissait de plusieurs gérants majoritaires, leurs rémunérations n’étaient pas également déductibles. Pour le calcul de la majorité, il était également tenu compte des parts sociales détenues par le conjoint ou leurs enfants non émancipés. En quelque sorte, la loi posait une présomption d’interposition de personnes. Mais cette présomption était d’interprétation stricte elle ne pouvait être étendue au cas où le gérant contrôlait une société qui elle-même contrôlait la SARL. Le fait que les parts sociales soient détenues en pleine propriété ou en usufruit était indifférent.
L’article 42 de la loi de finance pour l’exercice 2011 a purement et simplement abrogé les dispositions du paragraphe V de l’article 48 du code de l’IRPPIS. Cette abrogation a entraîné la déductibilité des rémunérations allouées aux gérants indépendamment de leur taux de participation au capital. Les rémunérations sont donc considérées des charges déductibles dans les conditions de droit commun. Selon l’article 12 du code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et de l’impôt sur les sociétés, le bénéfice net est établi sous déduction « de toutes charges nécessitées par l’exploitation ». Celles-ci comprenant notamment les frais généraux "de toute nature" et "les dépenses de personnel". Le juge fiscal n'exclut la déduction que si la rémunération ne correspond pas à un travail effectif ou est excessive eu égard à l'importance du service rendu. Dans une note commune (NC 8-2011), l’Administration fiscale commente la nouvelle solution. « La déduction se limite aux montants et à la valeur des avantages accordés au gérant en contrepartie de son activité au sein de la société en sa dite qualité, à condition qu’ils ne soient pas exagérés ». En réalité, les enseignements de la note commune sont valables pour tout dirigeant social. Peu importe qu’il soit gérant d’une SARL ou directeur général d’une SA.
Une espèce connue par le CE français (3e et 8e sous-sect., 23 janv. 2002) montre comment l’Administration apprécie le caractère excessif d’une rémunération servie à un dirigeant social et comment le juge fiscal effectue un contrôle sur cette appréciation. Pour déterminer le montant des fractions de salaires considérées comme excessives versées par une société à son P-DG, l'Administration a additionné l'ensemble des rémunérations versées à ce dernier non seulement par cette société, mais encore par deux autres sociétés également contrôlées et dirigées par cette personne et a comparé la somme ainsi obtenue avec la moyenne des rémunérations versées à leurs dirigeants par sept entreprises retenues comme termes de comparaison. Le CE estime qu'en procédant de la sorte, sans rechercher si le salaire versé par la seule société requérante à son PDG était proportionné aux services rendus par ce dernier, l'Administration a utilisé une méthode de reconstitution des charges normales qui, par son caractère globalisant, était contraire aux dispositions du CGI. Le juge fiscal n’a pas d’ailleurs manqué de sanctionner l’Administration pour vice de motivation. Selon la loi, l'Administration doit adresser au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. Dans la notification adressée par l'Administration en l'espèce, il était indiqué qu'elle envisageait de réintégrer dans les résultats imposables une fraction des rémunérations versées, au motif que "la comparaison des rémunérations allouées au P-DG tant avec celles attribuées à l'ensemble des autres salariés ou cadres de la société qu'avec celles octroyées aux dirigeants d'autres sociétés exerçant une activité semblable conférait à celles-ci un caractère manifestement exagéré". Le CE a estimé qu'en ne donnant aucune précision ni sur les termes de comparaison choisis ni sur le mode de calcul retenu pour déterminer le niveau normal de la rémunération, l'Administration n'a pas mis la société en mesure de formuler utilement ses observations. La procédure d'imposition était donc entachée d'une irrégularité de nature à entraîner la décharge des impositions contestées. Malheureusement, le juge fiscal tunisien se montre souvent timide et n’opère pas un contrôle aussi rigoureux sur la motivation du redressement.
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