dimanche 25 décembre 2016

Le retour des terroristes en Tunisie : de quelques aspects juridiques

Le retour des terroristes en Tunisie : 

de quelques aspects juridiques 



Introduction : L’opinion publique en Tunisie prend de plus en plus conscience des dangers que présente pour la sécurité du pays le retour des terroristes ayant pris part aux combats avec les groupes armés des organisations salafistes et de l’organisation de l’Etat islamique. Des informations concordantes assurent que ces organisations commencent à perdre du terrain en Syrie et en Iraq poussant, probablement avec l’aide secrète certaines puissances mondiales, les terroristes à quitter ces pays pour revenir à leur pays d’origine. On craint même que des personnes non originaires de la Tunisie viennent s’installer dans notre pays ou du moins dans des zones frontalières à l’Est ou à l’Ouest.



En réalité, le retour des terroristes au pays n’est pas un phénomène nouveau. Plusieurs personnes sont parties se former à des activités terroriste et sont rentrées en groupe ou individuellement dans le dessein de passer à l’acte[1]. On ne sait pas si quelques uns parmi qui sont de retour ont fait désertion en raison d’une déception de leur expérience. De toute façon, les pouvoirs publics ont géré ce type de retour et continuent à le faire en menant des activités de détection, de surveillance et de neutralisation. Si la question est devenue un sujet d’actualité et mobilise la société civile dans ses deux composantes organisées[2] ou inorganisées, c’est en raison du phénomène de masse qu’elle connait ou qu’elle risque de connaître dans un avenir proche. En effet, le nombre des tunisiens ayant rejoint les groupes terroristes, en Syrie, en Iraq, au Yemen et en Libye est relativement important même si les chiffres disponibles ne concordent toujours pas. Le sentiment cependant prévalant fait de la Tunisie le plus grand pourvoyeur des candidats à des activités terroristes à telle enseigne qu’à chaque fois qu’un attentat était commis en Europe, on se demandait si le ou les auteurs n’étaient pas des tunisiens ou d’origine tunisienne. Le phénomène du retour risque d’être aggravé au cas où les revenants seraient accompagnés des membres de leur famille femmes et enfants.



Le traitement du retour de ces terroristes est plus ou moins gérable lorsqu’il est effectué à travers un passage aux postes frontaliers ou lorsqu’il est fait en coopération avec des Etats tiers[3]. Le retour est en revanche plus inquiétant quand il est clandestin, ce qui est le plus probable.



Notre propos dans cette communication est de vous présenter succinctement les problématiques juridiques de l’éventualité de ce retour. Nous partons du droit positif mais nous traiterons au besoin des problèmes éventuels du conflit de lois dans le temps en raison de la succession de texte de lois traitant de la criminalité terroriste et évoqueront les difficultés juridiques de certaines propositions de changement des textes en vigueur pour assurer une meilleure lutte contre le terrorisme.



Nous avons relevé plus haut que le retour des terroristes sur le sol tunisien n’est pas un phénomène nouveau et qu’il a été toujours traité avec les textes en vigueur. Ce sont donc les mêmes instruments juridiques qui seront utilisés par les pouvoirs publics dans leur lutte contre ces vétérans. Le plan que nous allons suivre est divisé en trois paragraphes : Le premier traite de l’état d’urgence comme instrument de lutte contre le terrorisme (§ 1), le second traitera de l’aspect pénal (§2) et le dernier discutera de la question de l’interdiction du retour en Tunisie et de la déchéance de la nationalité tunisienne (§3).



§ 1 Etat d’urgence et lutte contre le terrorisme




Depuis que les événements du 14 janvier 2011, la Tunisie a vécu sous le régime de l’état d’urgence prévu par le décret n°78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l'état d'urgence[4]. Si les premières applications sont motivées par le climat d’insécurité révolutionnaire, celles qui suivirent étaient justifiées par la commission d’actes terroriste[5]. La dernière déclaration de l’état d’urgence est faite le 18 octobre 2016[6] pour une durée de trois mois[7].



L’état d’urgence peut être instauré sur tout ou partie du territoire national. Il a pour effet de conférer certains pouvoirs de police au gouverneur et au ministre chargé de l’intérieur. Certains de ces pouvoirs peuvent mis à profit dans la lutte contre le terrorisme.



Ainsi le gouverneur dans sa région, par définition couverte par la mesure de l’état d’urgence, peut notamment réglementer les séjours des personnes et interdire le séjour à toute personne cherchant entraver de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics. Plus énergiquement, le ministre de l’intérieur peut prononcer l'assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée, de toute personne, résidant dans une des zones couvertes par l’état d’urgence dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics desdites zones. L'autorité administrative doit prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance de ces personnes ainsi que celle de leur famille. Dans les zones soumises à l'application de l'état d'urgence, les autorités susvisées peuvent ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit[8].



Le décret relatif à l’état d’urgence est généralement critiqué pour trois principales raisons[9] outre les risques de bavures policières. Dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, l’état d’urgence est critiqué en raison de son inadéquation. Alors que par définition il est un régime provisoire, la menace terroriste qu’il est censé la contenir est permanente. Il a été en effet relevé par certains auteurs[10] que l’état d’urgence est. « Conçu pour maîtriser des insurgés, il ne saurait convenir pour combattre les jihadistes dont les objectifs sont différents. » « Si l’état d’urgence permet de répondre à des futures menaces ‘territoriatilisées’, il demeure impuissant pour faire face efficacement au jihadisme et s’avère largement liberticide pour ceux qui ont été assignés à résidence ou perquisitionnés pour des raisons étrangères aux activités terroristes. » Malgré cela, il ne faut conclure que l’état d’urgence ne sert à rien dans le contexte du terrorisme. Il a le mérite « de favoriser une productivité psychologique. » « L’opinion publique attend du pouvoir qu’il réagisse rapidement et fermement. » « Dans un pays traumatisé, l’effet rassurant de l’annonce d’une mesure (même si elle n’est pas très utile) n’est pas moins important que les mesures elles-mêmes. » Cependant les mesures psychologiques ne sauraient se substituer à des politiques. Ces politiques peuvent s’orienter dans deux directions : le droit pénal et le renseignement[11].



En France, il a été institué une règle pouvant être intéressante pour lutter contre les menaces inhérentes au retour des personnes ayant fait des déplacements dans des zones de conflit. Elle impose un contrôle administratif des personnes qui, après avoir participé à des activités terroristes à l'étranger, sont susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique. Sont ainsi prévues des assignations à résidence, l'obligation pour la personne de se présenter périodiquement aux services de police ou de gendarmerie, de déclarer son domicile, de communiquer ses identifiants électroniques et de signaler ses déplacements[12]. Le Conseil d'Etat français a considéré, dans son avis, que ces diverses mesures permettent d'atteindre de manière proportionnée l'objectif de protection de l'ordre public, tout en laissant à l'intéressé une liberté de mouvement conciliable avec une vie familiale et professionnelle normale[13].



§ 2 Aspects de droit pénal du retour des terroristes tunisiens de foyers de conflits armés




Une nouvelle loi organique de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent est promulguée le 7 août 2015. Elle est entrée en vigueur cinq jours après sa publication en date du 7 août 2015. Elle abroge et remplace la loi n°2003-75 du 10 décembre 2003 telle que modifiée par la loi 2009-65 du 12 août 2009. Pour la partie relative au terrorisme, cette loi traite des aspects de droit substantiel pour incriminer certains faits qu’elle qualifié d’infractions terroristes (A). Elle traite aussi de la réaction du corps social dans la prévention et la poursuite pénale des activités criminelles terroristes (B). 



A) Les infractions de terrorisme - Généralités




Il n y a pas une infraction de terrorisme mais des infractions de terrorisme. C’est donc une catégorie juridique dont dépend un régime particulier.



La loi définit les infractions de terrorisme selon deux logiques différentes : une logique de qualification d’emprunt [au code pénal] et une logique de qualification autonome.

Le terrorisme d’emprunt consiste à emprunter à des infractions existantes leurs éléments constitutifs, et à en retirer une qualification terroriste dès lors que leur réalisation s'inscrit dans un contexte d'intimidation ou de terreur. Il y a donc prélèvement dans le droit pénal spécial d'un certain nombre de crimes ou de délits, qui deviennent des actes terroristes sur le fondement de circonstances particulières[14]. Toute l'originalité de l'incrimination tient à ce prélèvement, lequel revient à faire perdre aux infractions concernées leur nature première, pour finalement se prêter à une mutation juridique qui en fait des infractions différentes et juridiquement autonomes.



La qualification autonome procède d’une politique d'incrimination inventive. Le législateur faisant ici le choix de « qualifications » autonomes sans rapport avec des textes de droit pénal spécial existants[15]. Il en est ainsi du terrorisme écologique, de terrorisme adhésion à une association de malfaiteurs[16], par financement, par recrutement, par provocation et apologie et par entreprise individuelle.



Il n’est pas dans notre propos d’étudier toutes les infractions de terrorisme ni de dire si la loi comporte des lacunes pouvant entraver l’effort de lutte contre le terrorisme, néanmoins on doit souligner une insuffisance dans l’incrimination en prolongement de ce que prévoit la loi à l’article 36 en matière de financement du terrorisme. Le droit tunisien n’incrimine pas le fait de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à l'un ou plusieurs des actes de terrorisme. Une telle incrimination aurait pu être est une réponse pertinente à la difficulté de poursuivre des personnes dont le train de vie ne correspond manifestement pas aux ressources licites dont elles disposent, ce qui peut renvoyer à l'existence de circuits souterrains destinés au financement d'actes terroristes. L'apparence est suspecte, et c'est pourquoi on pourrait procéder à une inversion de la charge de la preuve pour en confirmer la licéité : il n'appartient pas à la partie poursuivante de démontrer que le train de vie ne correspond pas à une activité licite, mais à la personne objet de suspicion d'établir qu'il est justifié par des ressources régulières, le défaut d'une telle justification valant responsabilité.



Dans le sujet qui nous intéresse, celui d’un éventuel retour des terroristes tunisiens des foyers de tension en Syrie, en Iraq, Yemen ou Libye, on s’arrêtera sur deux dispositions légales définissant des infractions de terrorisme et pouvant facilement donner lieu à des incriminations même en l’absence de preuve certaines de meurtres ou autres violences physiques.



a) Formation ou adhésion à une organisation ou entente terroriste



Ce sont deux infractions-obstacle. Au niveau de la répression aucune modulation n’est faite par le législateur dans la gravité des infractions projetées.



L’article 32 de la loi de 2015 qualifie d’auteurs d’infraction terroriste et les punit de dix à vingt ans d’emprisonnement et d’une amende de cinquante mille à cent mille dinars les personnes qui ont formé une organisation et ententes terroriste. L’entente est un complot formé pour n’importe quelle durée, et quelque soit le nombre de ses membres, dans le but de commettre une des infractions prévues par la loi, sans qu’il soit nécessaire l’existence d’organisation structurelle ou répartition déterminée et officielle de leurs rôles ou de continuité de leur appartenance à ce complot. L’organisation est un groupe structuré composé de trois personnes ou plus, formé pour n’importe quelle durée et opérant de concert, dans le but de commettre l’une des infractions prévues par la loi sur le territoire national ou à l’étranger. La formation c’est un acte de fondation. C’est le premier accord de volonté entre plusieurs personnes. 



L’incrimination, rédigée de façon large a vocation à saisir la formation de toute entente ou organisation en vue de commettre l’un des actes de terrorisme, sans distinction selon que cet acte une action de terrorisme ou n’en est que le soutien, et sans condition tenant au seuil de pénalité. L’incrimination touche les fondateurs. Peu importe qu’ils soient ou non dirigeants. Seule la vocation de l’entente ou de l’organisation à préparer des actes de terrorisme est prise en compte. 



Le même article 32 punit de six à douze ans d’emprisonnement et d'une amende de vingt mille à cinquante mille dinars, « quiconque adhère, volontairement, à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire de la République, à quelque titre que ce soit, dans une organisation ou entente terroriste en rapport avec des infractions terroristes ou qui reçoit un entraînement à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire de la République, à quelque titre que ce soit en vue de commettre. »



C’est cette dernière formulation du texte qui nous intéresse quand on évoque le sujet du retour des terroristes tunisiens de l’étranger. A notre sens, l’article 32 peut constituer un fondement suffisant d’une incrimination de terrorisme si on résout une petite difficulté d’interprétation. On fera une exégèse des termes employés pour la comprendre et essayer de lui donner une solution.



Le texte emploie le terme ‘’adhésion’’. Cela signifie l’acte de participation à une entente ou une organisation déjà établie. Ainsi on distingue l’acte de formation de l’entente et l’acte d’adhésion. L’adhésion peut être faite à l’intérieur ou l’extérieur de la République. Cela veut dire que la personne qui adhère peut avoir une résidence en Tunisie ou à l’extérieur. Il n’est pas exigé de l’adhérant qu’il soit de nationalité tunisienne. Un étranger ou un apatride peut rentrer dans le champ d’application de la règle. Il n’est également pas requis que l’adhérant fasse un déplacement à l’étranger. Les personnes qui font en Tunisie serment d’allégeance à une organisation terroriste formée à l’étranger sont tout aussi criminels que ceux qui y adhérent tout en étant à l’étranger.



Néanmoins le législateur dit l’organisation ou l’entente terroriste doit avoir un rapport avec des infractions terroristes. Le lieu des infractions terroristes projetées n’est pas indiqué. Il n’est pas par exemple dit organisation ou entente à l’intérieur de la République ou à l’extérieur. En réalité, la difficulté d’interprétation est résolue par la lecture de la suite du texte qui vise les actes d’entraînement à l’intérieur ou l’extérieur. L’adhésion à l’organisation peut donner lieu à des actes d’entraînement de quelque nature qu’ils soient[17]. Or ces entrainement peuvent avoir lieu en Tunisie ou à l’étranger selon le lieu d’implantation de l’organisation. Dans l’esprit du législateur, l’adhésion à une organisation terroriste étrangère suffit à consommer l’infraction. Donc à notre sens, l’infraction est consommée quand bien même le projet d’activité terroriste projetée soit à l’étranger. Ce texte a vocation à s’appliquer à ces tunisiens qui sont allés rejoindre des organisations terroristes étrangères formées à l’étranger. Le degré de leur participation est indifférent. La répression s’applique d’une manière indiscriminée. Même si l’adhésion est volontaire et consciente, il n’est pas nécessaire que le but de l’organisation soit connu par l’adhérant pour le moindre de ses détails. Une connaissance des grandes lignes de l’organisation suffit. De même la caractérisation de l’infraction effectivement projetée n’est pas requise. Enfin, il n’est pas exigé de l’adhérant qu’il ait entendu s’associer à un projet précis. 



b) Le voyage à l’extérieur en vue de commettre des infractions terroristes



L’article 33 de la loi même loi qualifie d’auteur d’infraction terroriste et punit de six à douze ans d'emprisonnement et d'une amende de vingt mille dinars à cinquante mille dinars « quiconque commet, sciemment, l’un des actes suivants : …. 3) voyager à l’extérieur du territoire de la République en vue de commettre l’une des infractions terroristes prévues par la loi ou en inciter, recevoir ou fournir des entraînements pour les commettre[18]. »


Ce texte s’applique aux personnes ayant leur résidence habituelle (indépendamment de leur nationalité) en Tunisie qui quittent le pays en vue de commettre l’une quelconque des infractions terroristes prévues par la loi ou en inciter, recevoir ou fournir des entraînements pour les commettre. Alors que l’achat d’un billet d’avion pour se rendre à l’étranger et rejoindre une organisation suffit à constituer un acte d’adhésion au sens de l’article 32, sans qu’un voyage réel s’en soit suivi, l’infraction de l’article 33 exige un voyage effectif. Mais on fera attention à ce qu’éventuellement aucun acte préparatoire n’ait été commis en Tunisie, soit que l’auteur ait quitté depuis longtemps le pays, soit qu’il se soit rendu à l’étranger pour des motifs qu’il n’est pas aisé de mettre en relation avec une entreprise terroriste[19].



Là également, l’infraction est consommée par le seul voyage motivé par une volonté criminelle. Il n’est pas requis la démonstration de la commission effective d’un acte de terreur.



L’article 33 pose un problème de conflit de loi dans le temps. En effet, c’est un texte nouveau qui n’a pas d’équivalent dans la loi de 10 décembre 2003. Or on sait que les grandes vagues de voyage de terroristes à l’étranger a eu lieu sous l’empire de l’ancienne loi. La loi de 2015 risque de ne pas leur être applicable si l’on applique le principe de la légalité des délits et de peines qui veut que nul ne peut être puni qu’en vertu d’une disposition légale antérieure. 



B) Les poursuites pénales des tunisiens ayant commis des actes de terrorisme à l’étranger




La compétence des juridictions tunisiennes relève d’une distinction selon que l’infraction soit commise en Tunisie ou à l’étranger. 



Il est évident que le juge pénal tunisien est compétent lorsque les éléments de l’infraction sont situés en Tunisie. Il suffit qu’un élément le soit pour justifier sa compétence. Le problème se pose différemment lorsque tous les éléments de l’infraction sont situés à l’étranger. 

Les actes de terrorisme sont particulièrement redoutés dans leur dimension internationale. Retient notre attention cet aspect du moment qu’on traite de ces tunisiens qui ont pris part à des activités violentes de terrorismes en dehors de la Tunisie. 



La question est de savoir si les tribunaux tunisiens peuvent connaître de ces infractions et les juger conformément à la loi tunisienne. Pour pouvoir apprécier les apports de la loi de 2015 nous rappelons en premier lieu les dispositions de droit commun régissant les infractions commises à l’étranger.



Deux principaux textes sont à relever : Les articles 305 et 307 du CPP. Le premier tient compte de la nationalité tunisienne de l’auteur de l’infraction, le deuxième tient compte de la nationalité tunisienne de la victime.



a) La personnalité active 



L’article 305 du Code de procédure pénale dispose que « tout citoyen tunisien qui, hors du territoire de la République, s'est rendu coupable d'un crime ou d'un délit puni par la loi tunisienne, peut être poursuivi et jugé par les juridictions tunisiennes, à moins qu'il ne soit reconnu que la loi étrangère ne réprime pas ladite infraction ou que l'inculpé justifie qu'il a été jugé définitivement à l'étranger et, en cas de condamnation, qu'il a subi ou prescrit sa peine ou obtenu sa grâce. Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à l'auteur du fait qui n'a acquis la qualité de citoyen tunisien que postérieurement au fait qui lui est imputé. » Ainsi, les poursuites pénales ne sont possibles que si l’acte infractionnel est reconnu comme tel dans le pays étranger.



L’article 83 de la loi de 2015 prévoit que « le tribunal de première instance de Tunis … est compétent pour connaître des infractions terroristes prévues par la présente loi et les infractions connexes commises hors du territoire national dans les cas où elles sont commises par un citoyen tunisien[20]. Pour asseoir une meilleure répression, l’article 84 de la loi précise que dans les cas prévus à l'article 83 de la loi, le déclanchement de l'action publique ne dépend pas de l'incrimination des actes objet des poursuites en vertu de la législation de l'Etat où ils sont commis. Cette précision est une exception à la règle posée à l’article 305 CPP.



b) La personnalité passive



L’article 307 du Code de procédure pénale reconnait la compétence des tribunaux tunisiens pour juger la commission d’une infraction (crime ou délit) à l’étranger quand la victime est de nationalité tunisienne. Mais dans un tel cas, les poursuites ne peuvent être engagées qu'à la requête du ministère public, sur plainte de la partie lésée ou de ses héritiers.



L’article Le tribunal de première instance de Tunis … est également compétent pour connaître des infractions terroristes prévues par la présente loi et les infractions connexes commises hors du territoire national dans les cas suivants : - si elles sont commises contre des parties ou des intérêts tunisiens ».



Le procureur de la République près le tribunal de première instance de Tunis, est seul compétent pour déclencher et exercer l'action publique des infractions terroristes prévues par la présente loi et les infractions connexes commises en dehors du territoire national. Les poursuites ne dépendent ni d’une plainte de la victime ni de la qualification pénale dans le pays étranger.


Bien entendu, l'action publique ne peut être déclenchée contre les auteurs des infractions terroristes et des infractions connexes s'ils prouvent qu'elles ont acquis la force de la chose jugée à l'étranger, qu'ils ont purgé toute la peine dans le cas où une peine est prononcée, ou que cette peine est prescrite ou qu’elle est couverte par l’amnistie.



§ 3 L’interdiction de retour en Tunisie et/ou déchéance de la nationalité tunisienne




Nombreuses voix ont réclamé ces derniers jours l’interdiction d’entrée des tunisiens ayant pris part à des activités terroristes à l’étrangers ou le prononcé à leur encontre de la déchéance de la nationalité.

Ces réactions se font écho d’un débat plus large en droit comparé pour savoir si la déchéance de nationalité deviendrait une arme stratégique et ordinaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En France et en Grande Bretagne, pour ne citer que ces deux exemples, ont prononcé contre des ressortissants français et britanniques leur nationalité pour des motifs liés à la prévention ou à la répression des actes de terrorisme. Cette privation n’a rien de symbolique, la déchéance s’accompagne d’un exil forcé par l’interdiction de retour ou l’expulsion du territoire. Au cœur de cette problématique se trouve le droit dont dispose tout individu d’entrer, de séjourner, et de ne pas être expulser du territoire de l’Etat dont à la nationalité. Ce principe a fait l’objet de consécrations conventionnelles générales et régionales. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 énonce en son article 12-4 que nul ne peut être arbitrairement privé d’entrer dans son propre pays. En Tunisie avant la promulgation de la Constitution de 2014, aucun texte ne prévoit le droit d’entrée, de séjour, et l’interdiction de l’expulsion des ressortissants nationaux. Il est déduit a contrario de la loi du 8 mars 1968 sur la condition des étrangers en Tunisie. Elle prévoit que les étrangers sont, en ce qui concerne leur entrée en Tunisie, leur séjour et leur sortie, soumis aux dispositions de la présente loi et les textes pris pour son application sous réserve des conventions internationales y dérogeant. 

Un Etat souhaitant interdire son territoire à l’un de ses nationaux doit donc nécessairement le priver de sa nationalité. La déchéance de nationalité, c’est-à-dire la perte involontaire de la nationalité à titre de sanction, est l’outil le plus pertinent en la matière[21]

La loi du le 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent ne prévoit pas, à titre de sanction, la possibilité de déchoir la nationalité tunisienne pour fait de terrorisme. 

Le Code la nationalité tunisienne connait trois notions qui ont pour effet négatif sur le maintien de la nationalité tunisienne de la personne. Ainsi il le risque de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité. Selon l’article 33, l’individu qui a acquis la qualité de tunisien peut, par décret, être déchu de la nationalité tunisienne dans l’un des cas visés par ledit article[22]. Il en découle que la déchéance de la nationalité ne peut être prononcée que contre ceux qui ont acquis la nationalité. Les personnes qui sont nées tunisiens par filiation ou par naissance sur le sol tunisien ne peuvent être frappées d’une telle mesure. 

L’article 25 de la Constitution de 2014 énonce dans sa version arabe, qui fait foi, ce qui suit 

فصل 25 "يحجر سحب الجنسية التونسية من أي مواطن أو تغريبه أو تسليمه أو منعه من العودة إلى الوطن." 

L’expression سحب الجنسية est d’interprétation délicate. Si on la rapproche à la terminologie employée par le Code de la nationalité tunisienne, elle désigne l’acte de retrait de la nationalité visé par les articles 36 et 37. L’expression سحب est traduite en langue française par le terme déchoir ce qui en langue arabe renvoie à l’expression اسقاط.

La question se pose est de savoir quel est le sens technique du vocable سحب employé par l’article 25 de la Constitution. Peut-il être l’équivalent du terme retrait dans le Code de la nationalité ? Une réponse positive conduit à des conséquences illogiques. Car le retrait de la nationalité tunisienne au sens du Code est justifié par cette découverte que la personne intéressée ne pouvait avoir droit à être naturalisé tunisien ou a utilisé des moyens frauduleux pour acquérir la nationalité tunisienne. Le retrait de la nationalité évoque le retrait des actes irréguliers pris par l’Administration. Il est donc illogique de dire que l’article 25 de la Constitution a voulu interdire à l’Etat tunisien de retirer les actes irréguliers de la naturalisation ou de l’acquisition de sa propre nationalité. 

Il reste à dire si l’article 25 de la Constitution peut donc signifier s’il désigne techniquement la notion perte ou celle de la déchéance de la nationalité ou les deux à la fois.

Au-delà de ce débat sur la signification technique du mot « سحب الجنسية », il faut se demander quelle est la portée de l’interdiction posée à l’article 25 de retirer (ou de déchoir de faire perdre). Peut-on affirmer que l’article 25 est de nature à entraîner une abrogation totale des articles 32 et 33 du Code de la nationalité ? Est-il aussi de nature à interdire la modification du Code de la nationalité pour permettre, sous certaines conditions, d’élargir la mesure de déchéance aux personnes ayant la nationalité tunisienne par la naissance qui auraient été condamnées en Tunisie ou à l’étranger par un acte qualifié de crime par la loi tunisienne et ayant entraîné une condamnation à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement, voir toute simplement pour acte qualifié de terrorisme.

La réponse nous est donnée par l’article 49 de la Constitution. Il dispose que « la loi fixe les modalités relatives aux droits et aux libertés qui sont garantis dans cette Constitution ainsi que les conditions de leur exercice sans porter atteinte à leur essence. Ces moyens de contrôle ne sont mis en place que par la nécessité que demande un État civil démocratique et pour protéger les droits des tiers ou pour des raisons de sécurité publique, de défense nationale, de santé publique ou de morale publique et avec le respect de la proportionnalité et de la nécessité de ces contrôles. Les instances judiciaires veillent à la protection des droits et des libertés de toute violation. » Le droit à la nationalité tunisienne ne peut être absolu. La loi peut, sous certaines conditions, y porter atteinte en respectant sans essence et le principe de la proportionnalité. Dans notre cas d’espèce, le prononcé d’une déchéance qui conduirait à rendre un individu apatride porte atteinte à l’essence du droit d’un individu d’avoir une nationalité. La déchéance ne peut être motivée par cette circonstance que la personne déchue a un droit virtuel à obtenir la nationalité par application d’une législation étrangère. Tenant compte de cette objection, le droit anglais a été modifié pour énoncer que la déchéance peut intervenir si le ministre a des motifs raisonnables de penser que l'intéressé. pourrait obtenir la nationalité d'un autre pays. Cette exception ne peut toutefois s'appliquer qu'aux citoyens britanniques par naturalisation, et selon un standard plus élevé de comportement préjudiciable (atteinte aux intérêts vitaux du Royaume­-Uni) ; elle n'a pas été à ce jour employée par le gouvernement britannique. La même solution consacrée en droit français. Les règles françaises de nationalité ne peuvent, et cela de manière absolue, avoir pour conséquence de rendre un individu apatride[23]





[1] Le recrutement et la formation se font également à distance grâce à Internet. 


[2] L’UGTT était la première organisation à s’être exprimée sur la question. Elle réagit contre la rumeur de promulguer une loi de la repentance et appelle à un traitement sécuritaire et judiciaire du retour. 


[3] Il peut s’agir d’une décision unilatérale de l’Etat étranger qui, dans l’exercice de leur souveraineté, procède à des expulsions vers la Tunisie. 


[4] Les pouvoirs de crise sont au nombre quatre : état d’exception, état d’urgence, état de siège et les circonstances exceptionnelles. La Constitution tunisienne de 2014 traite de l’état d’exception à l’article 80. L’état de siège est inconnu en droit tunisien. L’état d’urgence a été utilisé la première fois en Tunisie en 1957 (loi n°57-29 du 9 septembre 1957 et loi de prorogation de l’état d’urgence n°57-72 du 9 décembre 1957) et 1958 (Loi n°58-57 du 12 mai 1958 prorogation du l’état d’urgence, loi n°58-59 du 25 mai 1958 extension sur tout le territoire de la République 

En 1978 est pris un décret fixant un cadre générale à l’état d’urgence (Décret n°78-50 du 26 janvier 1978). Le décret se réfère dans son visa à l’article 46 de la Constitution de 1958 relatif à l’état d’exception. Ce faisant il y a une confusion entre les deux institutions juridiques distinctes. 

Yadh Ben Achour, Droit administratif, 3e éd. CPU, p. 433 ; Imouna Saouli, Ordre public et libertés, Recherches sur la police administrative en Tunisie, Thèse, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, 1997-1998, p. 304. La théorie des circonstances exceptionnelles est d’origine prétorienne et conduit à légaliser certains actes illégaux de l’administration : Ord. du Premier président du TA 712221 du 15 juillet 2013 : 



وحيث ان السلطة التنفيذية مكلفة بتنفيذ الأحكام الصادرة عن السلط القضائية وليس لها أن تمتنع عن تسخير القوة العامة للقيام بذلك وتحقيق تنفيذها عندما يطلب منها ذلك بصورة قانونية إلا لمدة زمنية محددة متى ثبت توفر ظروف استثنائية تهدد النظام العام وتحول دون التنفيذ" (المرجع نورة كريديس بالتعاون مع سمية قمبرة وآمنة الصالحي، المحكمة الإدارية في الفترة الإنتقالية، الجزء الأول 14 جانفي 2011 - 27 جانفي 2014، ص. 399)، 

Voir aussi avis du TA donné au Ministre de l’enseignement supérieur sur la possibilité de réglementer le port du niqab à l’enceinte des universités en vertu d’un règlement interne en l’absence d’une délégation législative ou réglementaire et la relation de ce règlement avec les libertés individuelles des niquabés 

"..لا يكون تدخل وزير التعليم العالي شرعيا إلا في الصورة المخصوصة الوارد ذكرها بالفصل 14 من الأمر سالف الذكر]الأمر عدد 2716 لسنة 2008 المؤرخ في 4 أوت 2008[ والمتعلقة بحدوث ظروف استثنائية بالجامعة تحول دون مباشرة هياكلها المسيرة لمهامها وعلى أن لايقدم طلب في ذلك للوزير من قبل رئيس الجامعة" (نورة كريديس، نفس المرجع السابق ص. 493). 


[5] L’article 1er du décret de prévoit que « L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d’événements présentant par leur gravité le caractère de calamité publique. » Ce deuxième motif de proclamation de l’état d’urgence est mieux encadré par la loi n°91-39 du 8 juin 1991 relatif à la lutte contre les calamités, à leur prévention et à l’organisation des secours. 

Jean-François Dreuille, Etat d’urgence, Jurisclasseur Lois pénales spéciales, Fasc. 20, nov. 2009, n°13. 


[6] Décret présidentiel n°2016-19 du 17 octobre 2016. 


[7] L’article 2 prévoit que L'état d'urgence est déclaré pour une durée maximum de trente jours fixée par décret qui détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur. Il n’empêche que l’article 3 prévoit que l’état d’urgence peut être prorogé par un décret qui fixe sa durée définitive. 


[8] Le soir de l'attentat, mardi 24 novembre 2015, contre un bus de la garde présidentielle à Tunis (12 morts et 20 blessés, dont 4 civils), les autorités tunisiennes ont proclamé, pour une durée d'un mois, l'état d'urgence et un couvre-feu de 21 heures à 5 heures dans le Grand-Tunis. Les agents de sécurité, qui ont multiplié les descentes et les perquisitions dans les milieux extrémistes religieux, ont commis, parfois, des bavures et fait usage de violences injustifiées. Cela s'est passé, notamment, à la Goulette, banlieue nord de Tunis, lors de perquisitions dans des maisons situées à l'avenue de la République, hier à 2 heures du matin. Kapitalis Export date: Sat Dec 17 21:18:31 2016 / +0000 GMT, Yusra Namughli, Tunisie : Guerre contre le terrorisme et bavures policières, 


[9] Il émane du pouvoir exécutif alors qu’il est relation avec les droits et libertés individuelles et prévoit des sanctions pénales à l’égard des contrevenants ; ces matières relèvent du pouvoir législatif. C’est la position du Conseil constitutionnel français (CC 85-1987, DC, Rec. 43, RJC, I, 223 ; L. Favoreu / L. Philip, Les grands décisions du Conseil constitutionnel, 10e éd, Dalloz1999, p. 624.) ; Il attribue compétence à l’exercice des poursuites pénales et au jugement à des institutions judiciaires abrogés (Cour de sûreté de l’Etat et Procureur général de la République) et absence de contrôle a posteriori du pouvoir législatif. 


[10] Wanda Mastor et François Saint-Bonnet, De l’inadaptation de l’état d’urgence face à la menace Djihadiste, Pouvoirs, n°158, 2016, p. 51. 


[11] On parle depuis 2013 du projet de création d’une agence nationale de renseignement mais rien n’a été encore fait. Tunis : Une agence nationale de renseignements, succédané de la police politique ! http://africanmanager.com/tunis-une-agence-nationale-de-renseignements-succedane-de-la-police-politique/




[12] Art. L. 225-1 CSI. Le décret d’application n° 2016-1269 du 28 septembre 2016. Le ministre de l'intérieur pourra imposer à la personne, pour une durée maximale d'un mois à compter de la date certaine de retour, de résider dans un périmètre géographique déterminé et de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. Le ministre de l'intérieur peut, à titre exceptionnel et sur demande motivée de l'intéressé, l'autoriser à se rendre ponctuellement dans un lieu distinct du lieu d'assignation à résidence. Par ailleurs, l'intéressé peut être obligé, pendant l'année qui suit son retour en France, de déclarer son domicile et, le cas échéant, tout changement. Le ministre peut aussi lui interdire d'entrer en relation avec certaines personnes dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Le décret oblige le ministre de l'intérieur à informer les autorités judiciaires préalablement à la mise en œuvre d'un contrôle administratif des retours sur le territoire. Le ministre peut proposer à la personne de participer à une action destinée à permettre sa réinsertion et l'acquisition des valeurs de citoyenneté. 


[13] Portée par un consensus parlementaire, la loi n'a pas fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité a priori. Mais elle ne manquera pas d'inspirer quelques QPC, tant son contenu peut soulever des interrogations sur sa conformité à la Constitution. 


[14] Premièrement : un meurtre, Deuxièmement : Faire des blessures ou porter des coups ou commettre toutes autres violences prévues par les articles 218 et 319 du code pénal, Troisièmement : Faire des blessures ou porter des coups ou commettre toutes autres violences, non prévues par le deuxième cas, séquestration, viol, chantage. 


[15] Yves MAYAUD, Terrorisme, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, n°7. 


[16] Voir infra 


[17] La rédaction du texte est large pour englober toute sorte d’entrainement. L’ancienne loi parle incrimine le seul entrainement militaire. 


[18] Le texte ajoute le fait d’entrer ou traverser le territoire de la République en vue de voyager à l'étranger pour commettre l’une des infractions terroristes prévues par la présente loi ou en inciter, recevoir ou fournir des entraînements pour les commettre. 


[19] On n se souvient que depuis janvier 2011, plusieurs milliers de tunisiens ont quitté le pays par des embarcations de fortune vers l’Europe à la recherche d’un emploi. Nombreux sont portés disparus. Il n’est pas exclu qu’ils aient changé de destination après en raison d’un recrutement qu’ils n’avaient jamais projeté à leur départ de Tunisie. Dans ce cas, l’article 33 ne trouve pas application. 




[20] Sont concrètement visés les ressortissants tunisiens qui se rendent à l'étranger pour intégrer des
camps d'entraînement et y suivre des travaux d'endoctrinement. Ils pourront être poursuivis alors même qu'ils n'ont commis aucun acte répréhensible sur le territoire tunisien, et la réponse du droit est d'autant plus opportune que les pays qui tolèrent de tels camps sur leur territoire répondent rarement à l'exigence de réciprocité d'incrimination, tout comme il est hors de question d'espérer de leur part une dénonciation officielle. 


[21] Jules Lepoutre, La bannissement des nationaux, Revue critique de droit international privé 2016 p.107. 


[22] 1. s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou de délit contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat;
2. s’il se livre, au profit d’un Etat étranger, à des actes incompatibles avec la qualité de tunisien et préjudiciables aux intérêts de la Tunisie, 

3. s’il est condamné en Tunisie ou à l’étranger par un acte qualifié de crime par la loi tunisienne et ayant entraîné une condamnation à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement,
4. s’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui de la loi sur le recrutement de l’armée.




[23] Jules Lepoutre, op. cit.

samedi 26 novembre 2016

Les chèques falsifiés. Le point sur la responsabilité bancaire

Les chèques falsifiés. Le point sur la responsabilité bancaire


Un ami m'a rendu visite la dernière semaine pour m'exposer son cas. Il a émis un chèque d'une faible valeur (trente dinars) pour payer un prestataire de services venu lui réparer son ordinateur. Ce dernier a transmis le chèque par tradition à un tiers lequel l'a présenté à l'encaissement après avoir ajouté trois zéros en chiffre et le terme mille intercalé en trente et dinars. Le chèque émis initialement pour la somme de trente dinars est présenté à l'encaissement à travers la chambre de compensation pour la somme de trente mille dinars. En l'espèce, le banquier présentateur et le banquier du tireur n'ont pas décelé le faux et le paiement a effectivement lieu. Par malchance, le présentateur avait retiré la somme de trente mille dinars en espèce le même jour où son compte fut crédité. 

Ce cas traite de la responsabilité bancaire dans les services d'encaissement de chèque falsifié. Le banquier tiré et présentateur sont tous les deux concernés. Trois précautions sont à prendre en matière de vérification des chèques.

1) Double responsabilité du banquier présentateur et tiré. 


Quand quelqu'un reçoit un chèque tiré sur une autre banque que la tienne, il peut l'encaisser directement au guichet de la banque tirée ou indirectement par le truchement de sa propre banque, agissant en sa qualité de mandataire dans l'encaissement.

Pour faciliter et accélérer les délais des paiements des titres de paiement, les banques de la place et la Banque Centrale de Tunisie ont mis en place un système de télé-compensation interbancaire dont l'exploitation est confiée à la SIBTEL. Ce système est basé sur le plan opérationnel sur la suppression des échanges physiques des valeurs, le dénouement des opérations de compensation en 24 heures et l'archivage électronique assuré par SIBTEL. 

La suppression des échanges physiques du chèque fait que seule une image-chèque est transférée au banquier tiré. En cas de litige lié à un défaut de vérification, ce dernier invoque, pour s'exonérer de la responsabilité, que la banque présentatrice est seule à même contrôler la régularité apparente du chèque. Les tribunaux rejettent un tel motif car la réglementation bancaire, de source inférieure, ne peut jamais enfreindre aux règles légales de responsabilité. Par ailleurs, la convention interbancaire faisant supporter la responsabilité à la banque présentatrice est inopposable aux tiers. Le banquier tiré a donc une obligation de vérification dont il assume les conséquences. Certains auteurs vont jusqu'à donner au banquier présentateur la qualité de mandataire du banquier tiré. Il serait donc un sous-mandataire au sens de l'article 1127 du Code des obligations et des contrats. L'article 1130 du même code en conclut que le substitué est directement tenu envers le mandant, dans les mêmes conditions que le mandataire…


2) La falsification de la signature. 


Il faut tout d'abord vérifier la signature du tiré. Il incombe au banquier de déceler l'imitation de la signature du titulaire du compte. Dans un arrêt de la Cour d'appel de Tunis n°18965 du 22 mars 2005, inédit, l'action engagée contre une banque par une femme titulaire du compte n'a pas abouti au motif que la signature apposée sur le chèque ressemble à sa propre signature. Une telle solution est à proche d'une jurisprudence française constante qui n'exige pas du banquier qu'il ait la compétence d'un expert en graphologie. Mais contre toute attente, la Cour d'appel de Tunis au lieu de prononcer un jugement de débout a simplement rejeté l'action. La titulaire du compte a pu donc réintroduire une autre action sans que la banque puisse se prévaloir de l'autorité de la chose jugée. La demanderesse a obtenu gain de cause mais sur un nouveau fondement. C'est que l'époux auteur de la falsification, d'ailleurs, condamné pénalement, s'est fait délivrer les formules de chèques au nom du titulaire du compte sur la base d'un mandat dont la signature n'est pas authentifiée. Ce faisant selon la même Cour d'appel, le banquier avait agi par imprudence (Cour d'appel de Tunis n°40424 du 22 mai 2007, inédit). Toujours est-il qu'on estime que la responsabilité du banquier est engagée lorsque la signature est grossièrement imitée, ne correspondant pas à la signature déposée lors de l'ouverture du compte.


3) Altération et surcharge. 


Il faut ensuite vérifier l'absence d'une altération ou surcharge. La faute du banquier consiste à ne pas rejeter le paiement en présence d'une altération ou surcharge apparente, telle que l'adjonction d'un autre bénéficiaire ou d'un autre montant. C'est le cas de mon ami qui s'est vu retirer indûment la somme de trente mille dinars au lieu de trente dinars. Le juge éventuellement saisi d'une action en responsabilité devra par un examen de l'apparence du titre s'il y a une surcharge. En principe, le banquier ne devra payer que si le tiré refait une autre signature pour confirmer la surcharge en ajoutant, éventuellement, la mention "je dis bien". 


4) Anomalie intellectuelle. 


A supposer que la surcharge n'était apparente et que la falsification était habile, le banquier peut assumer une responsabilité sur la base des textes régissant le blanchiment d'argent. En effet, l'article 107 de la loi organique n°2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et l'interdiction du blanchiment d'argent, impose aux établissements bancaires de prendre des mesures de précaution pour lutter contre les opérations de blanchiment. C'est une exception au principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client. Le banquier est tenu selon le 3e de l'article 107 de déceler l'anomalie intellectuelle quand l'opération accomplie par le client ne semble pas avoir une justification économique ou quand le titulaire du compte accomplit une opération occasionnelle dont le montant est égal ou supérieur à un montant fixé par arrêté du ministre des finances. Actuellement et en attendant la parution d'un nouvel arrêté en application de l'article 107 précité, c'est un ancien arrêté du ministre des finances en date du 2 décembre 2009 qui s'applique. Les banques et établissements financiers doivent prendre les  mesures de vigilance requises lors de l'exécution des transactions financières occasionnelles dont la valeur est égale ou supérieure à dix mille dinars. Dans le cas d'espèce, la somme représentée dans le chèque était largement supérieure. Il reste à savoir si le compte bancaire du client présentateur du chèque enregistre habituellement une somme similaire auquel cas le banquier est dispensé de l'obligation de vigilance.

Article publié sur les colonnes du magazine le Manager Novembre 2016




mardi 25 octobre 2016

La déclaration à la suite d’une saisie-arrêt. Les conséquences d’une omission

La déclaration à la suite d’une saisie-arrêt
Les conséquences d’une omission


Un créancier peut, sur autorisation du président du tribunal ou en vertu d’un jugement, même non exécutoire, pratiquer une saisie-arrêt des sommes d’argent ou des biens meubles appartenant à son débiteur et se trouvant entre les mains des tiers.

La saisie-arrêt à un double effet : l’un conservatoire, se manifestant par le gel chez le tiers saisi des avoirs ou biens revenant au débiteur ; l’autre exécutoire où le juge autorise, à la fin de l’action en validation de la saisie-arrêt, le tiers saisi à remettre les sommes d’argent ou les biens meubles saisis au créancier saisissant. Les sommes d’argent sont directement appliquées par le créancier au paiement de sa créance, mais les biens meubles doivent être vendus aux enchères par un huissier de justice.

Le tiers saisi, que le créancier fait intervenir à l’action en validation, a une obligation légale de faire une déclaration, exacte et appuyée, au greffe du tribunal des sommes ou biens meubles dont il peut être redevable envers le débiteur saisi. Il n’échappe pas à l’obligation de déclaration quand bien même il n’est redevable d’aucune somme ou bien. On dira, dans ce dernier cas, qu’il fera une déclaration négative.

Le défaut de déclaration, en première instance ou la déclaration mensongère ou incomplète, est sévèrement sanctionnée puisque la loi permet au créancier saisissant de demander au tribunal de déclarer le tiers saisi débiteur ni plus ni moins des sommes pour lesquelles la saisie-arrêt a été effectuée. Le fondement de la condamnation du tiers saisi est la faute délictuelle. Peu importe en droit si elle est intentionnelle ou non intentionnelle. Les banques sont souvent les destinataires privilégiées des saisies-arrêts et il leur arrive, souvent, d’être condamnées ni plus ou moins suite à une omission de déclaration. C’est là une aubaine pour le créancier saisissant qui trouve un meilleur répondant que son débiteur insolvable. Le risque de non-paiement échoit, dans ce cas, sur la banque qui ne peut exercer utilement son recours en remboursement contre le débiteur.

La sévérité de la loi à l’égard du tiers saisi défaillant est tempérée par la possibilité qui lui est donnée de faire appel et, à l’occasion, de présenter la déclaration manquante. Mais pour cela il doit justifier d’un « motif légitime ». C’est ce concept flou qui soulève une difficulté juridique.

Les tribunaux n’acceptent d’exonérer le tiers saisi que si le motif invoqué est sérieux (Cass. 36314 du 5/4/1995 Bull. Civ. 1, 1995, p. 160), mais là on ne fait que remplacer une notion floue par une autre. Comme pour souligner l’exigence du caractère sérieux du motif invoqué on ajoute que la « simple omission » n’est pas suffisante. C’est toujours une tournure rhétorique qui est employée par les tribunaux et non une analyse proprement juridique.

Dans un arrêt (Cass. 42179 du 1/12/1998, Bull. Civ. 1, 1998, p. 283), la Cour de cassation a admis que le tiers saisi puisse soulever des moyens nouveaux en appel à l’instar du débiteur saisi, et par voie de conséquence, il peut présenter la déclaration manquante en appel. Une telle motivation n’est pas totalement exacte puisque la loi exige que le tiers saisi justifie d’un motif légitime expliquant sa défaillance en premier degré. L’arrêt cité est rendu à propos d’une banque qui a présenté sa déclaration à un juge de différent de celui qui est réellement saisi de l’action en validation. Elle aurait pu dire que, dans un tel cas, la banque justifie d’un motif légitime lui permettant de se rattraper en appel.

La Cour de cassation (Cass. 17865 du 8/5/1991, Bull. 1991, 1, p.38) n’accepte pas comme motif légitime que le tiers saisi invoque le défaut de connaissance de la procédure. Il est vrai que nul n’est censé ignoré la loi, mais surtout, l’exploit de la saisie-arrêt comporte, comme condition de validité, un rappel de la teneur de la règle légale imposant la déclaration légale et la sanction de l’omission.
Dans un arrêt (Cass. 24062 du 15 avril 2003, Bull. Civ. 2003, 1, p. 324), la Cour de cassation déclare que le motif légitime est tout motif établissant la bonne foi du tiers saisi. Certes la complicité du tiers saisi est exclusive de tout motif légitime, mais le défaut de l’argument est d’opérer un renversement de la charge de la preuve. Le tiers saisi est toujours présumé de bonne foi jusqu’à preuve du contraire dont la charge incombe au tiers saisissant.

Dans un autre arrêt (Cass. 5673 du 2/11/2006, Bull. Civ. 2006, 1, p. 292) la Cour de cassation évoque les circonstances extérieures (retard du courrier postal) à la volonté du tiers saisi et l’ayant empêché de produire sa déclaration dans les délais légaux.


A notre sens, on ne peut se passer d’une analyse juridique serrée de la nature de l’obligation du tiers saisi. Elle seule peut nous donner un critère opérationnel de la notion de motif légitime autorisant une déclaration en appel. Nous tentons ici une idée que nous croyons féconde. Le tiers sais est tenu de faire une déclaration au tribunal. Ce faisant il accomplit (ou doit accomplir) un acte juridique au sens de l’article 2 du Code des obligations et des contrats, c’est-à-dire une déclaration (unilatérale) de volonté destinée à produire un effet de droit. Or dans tout acte juridique, on exige pour sa validité, qu’il émane d’une une volonté libre et éclairée (art. 42). Lorsque le consentement du tiers saisi est vicié par erreur de fait, de droit ou sur la personne, il peut se rattraper en appel et invoquer un motif légitime l’ayant conduit à se tromper sur la teneur de la déclaration ou l’ayant même empêché de la faire (erreur invincible). Le tribunal apprécie d’une manière concrète l’existence du vice de consentement allégué. 

dimanche 25 septembre 2016

Le projet des résolutions présenté par les minoritaires à l’ordre du jour des assemblées générales des sociétés anonymes



Le projet des résolutions présenté par les minoritaires à l’ordre du jour des assemblées générales des sociétés anonymes


1- Le délai de présentation. 


L’article 283 CSC autorise les actionnaires détenant au moins cinq pour cent du capital social à demander l'inscription de projets supplémentaires de résolutions à l'ordre du jour de l’assemblée générale. Il ajoute que la demande doit être adressée avant la tenue de l’assemblée générale. Il finit par énoncer que l’assemblée générale ne peut délibérer sur des questions non inscrites à l’ordre du jour. Les termes de l’art 283 sont aussi à rattacher à ceux de l’article 276 du même code exigeant que l’avis de convocation fasse mention l’ordre du jour de la réunion.

Une application combinée des deux dispositions légales conduit à considérer que le projet de résolutions présenté par les actionnaires minoritaires doive être transmis au conseil d’administration suffisamment à l’avance pour qu’il figure à l’ordre du jour de la réunion, tel qu’annoncé dans l’avis de convocation. En effet, alors même que l’article 283 CSC indique que la demande des minoritaires doive être adressée avant la tenue de la première assemblée générale, il ne faut pas en conclure qu’elle peut être adressée à n’importe quel moment et sans que les résolutions proposées aient à figurer dans l’avis de convocation. Ceci est d’autant plus vrai que littéralement le même article 283 CSC indique, sans distinction sur l’origine des résolutions soumises à l’ordre du jour, que l’assemblée générale ne peut délibérer sur des questions non inscrites, donc non annoncées. Quand l’alinéa 2 de l’article 283 précise que le projet de résolutions présenté par les actionnaires est inscrit à l’ordre du jour, il signifie que le conseil d’administration, auteur de la convocation de l’assemblée générale, a une compétence liée quand il reçoit une demande des minoritaires d’ajouter le projet des résolutions dans l’avis de convocation. 

Le projet de résolution présenté par les minoritaires doit parvenir suffisamment à l’avance pour permettre au conseil d’administration, organe de gestion de la société, de se réunir et de prendre position quant au sens du vote qu’il souhaite obtenir des actionnaires.

2- Le libellé des résolutions


Le projet de résolution que peut proposer un actionnaire en vertu de l’article 283 doit revêtir la forme d’une décision. Une décision n’est pas un discours, une recommandation ou encore un exposé des motifs. Il n’est pas encore moins une calomnie ou vexation. Quand par exemple un actionnaire voudrait proposer de révoquer un administrateur, il doit se limiter à proposer une résolution selon laquelle l’assemblée générale décide de révoquer Untel(le) de son mandat d’administrateur. Il n’est pas possible de libeller la résolution en y incluant ses motifs. Les motifs d’une décision n’en font pas partie. Ils peuvent, à la limite, figurer dans un document extérieur qui sera soumis à la lecture aux actionnaires. Ces derniers seront appelés à voter la résolution sur la foi du rapport qui leur est présenté par les actionnaires demandeurs ainsi que sur celui du conseil d’administration qui, doit-on le rappeler, est habilité à donner des consignes de vote aux actionnaires.

Des fois l’actionnaire minoritaire requiert simplement l’accomplissement d’une mesure d’audit de la gestion. Ce n’est pas à proprement parler une décision. C’est une simple mesure d’information qu’il requiert et non une véritable décision sociale. 

Il y a un risque que le projet de résolution, mal rédigée, apparaisse sans aucune teneur décisoire. C’est ainsi quand on écrit par exemple que l’assemblée générale prend acte de la défaillance d’un dirigeant dans le respect d’une obligation lui incombant en vertu de la loi. L’assemblée générale qui prend acte d’une défaillance ne prend pas réellement une décision produisant un effet de droit. C’est comme si on avait écrit dans la résolution que l’assemblée générale est informée de la commission d’une faute ou un manquement aux obligations incombant au dirigeant en vertu de la loi. Dire être informé d’une quelconque irrégularité n’est pas prendre une décision. Constater qu’il y a des manquements par le dirigeant à certaines règles ne relève pas de l’ordre des décisions. Au surplus, la qualification d’un comportement comme étant fautif est de la compétence du juge. L’auteur de la résolution pouvait par exemple proposer la révocation de l’administrateur ce qui constituerait une vraie décision.

On ne peut proposer à l’assemblée générale « de ne pas approuver une convention réglementée ». La formulation est erronée. Car l’assemblée générale doit prendre une décision positive et non une décision négative. Dans cet exemple, l’assemblée générale sera appelée à approuver ou ratifier une convention réglementée (article 200 et 202 CSC). C’est le défaut de majorité qui entraîne le défaut d’approbation. Au surplus, il ne faut pas oublier que l’assemblée générale sera normalement appelée à voter un projet de résolution présenté par le conseil d’administration relatif aux conventions qu’il a autorisées. Dans l’ordre de passage, les résolutions présentées par le conseil d’administration auront la priorité au vote. De sorte que si l’assemblée générale votait valablement l’approbation lesdites conventions, la résolution présentée par les actionnaires de ne pas les approuver deviendrait sans objet.

Le projet de résolution ayant pour objet de remarquer que la réponse donnée par le conseil d’administration à des écrites présentées par certains actionnaires sur le fondement de l’article 284 bis CSC est ambiguë et manque de transparence n’est pas véritablement une décision. Le droit à l’information exercé sur la base des questions écrites de l’article 284 bis CSC est étranger à toute décision de l’assemblée générale car la loi se limite à exiger que les questions et les réponses soient communiquées aux actionnaires en prolongement de leur droit à l’information consacré par l’article 280 CSC. 

3- La compétence de l’assemblée générale


Les actionnaires ont la possibilité de requérir l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée de tout projet de résolution, même s'il n'est pas en rapport avec l'ordre du jour établi par l'auteur de la convocation. Mais la résolution à proposer doit ressortir de la compétence de l’assemblée générale convoquée. C’est une condition nécessaire à la déclaration de sa recevabilité. Le plus souvent en pratique c’est une assemblée générale ordinaire. Mais rien n’interdit de présenter un projet de résolution de modification des statuts à l’occasion de la tenue d’une assemblée générale extraordinaire.

L’assemblée générale ordinaire est compétente pour toute question qui ne relève pas de la compétence de l’assemblée générale extraordinaire ou de celle du conseil d’administration. La règle est expressément consacrée à l’article 278 CSC. En application de cette règle la compétence de l’assemblée générale ordinaire s’étend aux questions suivantes :

- l’approbation des états financiers ;

- l’affectation des résultats ;

- la nomination et la révocation des membres du conseil d’administration ;

- la nomination et la révocation des membres du conseil de surveillance ;

- la révocation des membres du directoire et leur remplacement ; 

- la ratification de la nomination provisoire d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance;

- la désignation et la révocation du commissaire aux comptes ;

- l’approbation des conventions autorisées par le conseil d’administration ou par le conseil de surveillance ;

- la confirmation des conventions non autorisées par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance ;

- la fixation du montant des jetons de présence ;

- l’approbation des rémunérations des dirigeants sociaux et les rémunérations exceptionnelles allouées aux membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance ;

- l’autorisation de poursuivre une action en responsabilité contre les administrateurs ou les membres du directoire ou du conseil de surveillance ;

- l’autorisation d’émettre un emprunt obligataire ; 

- l’autorisation des actes que les statuts prévoient qu’ils ne pourront être pris par le conseil d’administration ou le directoire seul.

C’est au regard de ces différents chefs de compétence qu’il faudra apprécier le projet des résolutions présentées par l’actionnaire demandeur. Un projet de résolution qui se limite à requérir une mesure d’audit d’une ou plusieurs opérations de gestion ne peut être de la compétence de l’assemblée générale ordinaire. Car même si l’assemblée générale contrôle la gestion du conseil d’administration à travers le rapport de gestion qui lui est présenté, elle se limite à se prononcer sur l’approbation des états financiers. Le rapport de gestion n’est pas, quant à lui, soumis à la formalité d’approbation.

Il ne faut pas perdre de vue qu’en droit strict, le pouvoir d’ordonner des mesures d’audit incombe au seul pouvoir du conseil d’administration puisqu’il est le seul organe social investi du pouvoir d’administration de la société. La règle est consacrée à l’article 197 CSC. Sa compétence est, en la matière, exclusive, sans empiétement par l’assemblée générale ordinaire en vertu de l’article 278 précité. Ces règles relatives à la compétence des organes sociaux sont d’ordre public. Il ne peut y être directement ou indirectement dérogé.

L’assemblée générale ordinaire ne peut révoquer le président directeur général, la décision étant de la compétence exclusive du conseil d’administration (art 208 CSC).

Article publié sur les colonnes du magazine Le Manager, Septembre 2016, N°222, p. 48.

mardi 26 juillet 2016

La base de calcul des intérêts débiteurs

La base de calcul des intérêts débiteurs


L'article 1098 du Code des obligations et des contrats (COC) régissant le contrat de prêt à intérêts comporte deux alinéas que l'on peut rappeler. Selon le 1er, "les intérêts ne peuvent être calculés que sur la taxe d'une année entière.'' Selon le 2e, "en matière commerciale, ils peuvent être calculés au mois." Ces deux alinéas posent des règles explicites et implicites que nous expliquerons dans le présent billet.

1)      La mesure de l'année dans le calcul des intérêts


L'article 1098 consacre un principe de solution (a) et la possibilité d'une dérogation contractuelle (b). Le choix entre l'une ou l'autre n'est pas dénué d'intérêt sur le plan pratique (c).

a) Le principe de solution.


Le principe de solution est que les intérêts des sommes d'argent sont calculés par référence à un pourcentage d'une année entière. Le terme "année" est défini à l'article 141 COC. Il y est prévu que "quand le terme est calculé (…) par années, on entend par année un délai de trois cents soixante-cinq jours entiers."

Ainsi si l'article 1098 COC énonce que les intérêts sont calculés sur la taxe d'une année, il faudra entendre sur la taxe d'un délai de trois cents soixante-cinq jours. La règle est claire et n'exige pas d'être interprétée.

b) La dérogation contractuelle


Il est toutefois possible de calculer les intérêts sur la base d'un délai de trois cent soixante jours. Comme toute dérogation à une règle générale, il faudra pour la consacrer une stipulation expresse dans le contrat. Un usage, dont la position dans la hiérarchie des sources de droit est inférieure, ne saurait suffire pour déroger à la solution légale.

Pour que les parties adoptent pratiquement une telle durée de l'année de 360 jours, elles doivent convenir d'un intérêt calculé au mois. Il sera par exemple stipulé, " Les sommes prêtées par la Banque produiront intérêts au taux de … % le mois." Les parties pourraient arriver au même résultat, si le contrat donnait une définition contractuelle à l'année. Ainsi, il sera stipulé ce qui suit : "Les sommes prêtées par la Banque produiront intérêts au taux moyen mensuel du marché monétaire majoré de 3.5 % l’an. On entend par an une durée de trois cent soixante jours.'' Il n'est pas en effet interdit de donner des définitions contractuelles aux termes employés dans le contrat.

c) Intérêt pratique de la mesure de l’année.


Mathématiquement, le débiteur des intérêts n’a aucun avantage à un calcul des intérêts sur une année raccourcie de 360 jours au lieu de 365. Si les durées sont partielles, c’est-à-dire moins qu’une année, le système de calcul des intérêts devient pénalisant. Prenons l'exemple simple d'un prêt de 1000 dinars rémunéré d'intérêt au taux de 10% l'an remboursable en une seule fois après 9 mois, c'est-à-dire 270 jours. Si l'on retient une année de 365 jours l'intérêt dû est 73,972 dinars alors que si l'on retient une année de 360 jours l'intérêt dû est 75 dinars.

2)      Le domaine d'application des solutions légales


Il faut distinguer les rapports entre des personnes civiles (a), entre des commerçants (b) ou entre un commerçant et un non commerçant, rapports dits mixtes (c).

a)      Domaine de la solution de principe. Rapports civils.


Le calcul sur la base d'une année de 365 jours est d'ordre public dans les rapports civils. Est civil tout rapport qui n’est pas commercial (voir infra). Les parties à un contrat de prêt civil ne peuvent convenir d'une année de 360. La clause est nulle.

b)      Domaine de la solution dérogatoire. Rapports commerciaux.


Le calcul sur la base d'une année de 360 jours est cependant possible dans les rapports commerciaux. La qualité de commerçant s'apprécie par rapport à l'article 2 du Code du commerce (commercialité par l'objet), l'article 4 du Code de commerce (commercialité par accessoire) et l'article 7 du Code des sociétés commerciales (commercialité par la forme).

c)       Difficulté particulière - Les rapports mixtes.


La difficulté se pose néanmoins quand il s'agit des rapports contractuels mixtes établis entre un commerçant et un non-commerçant. Que faut-il décider d'une clause du contrat qui choisit un délai de 360 jours dans un contrat de prêt conclu entre une Banque et son client non-commerçant ?

Pour respecter les dispositions de l'article 1098 COC, il faudra avoir égard à la qualité du débiteur des intérêts. Ainsi quand le débiteur des intérêts est une personne civile, son obligation est considérée comme civile et le calcul des intérêts débiteurs se fait sur la base d'un délai de 365 jours. La clause du contrat qui prévoirait un délai de 360 jours serait nulle[1].

En revanche quand c'est une Banque qui est débitrice des intérêts, la clause de calcul des intérêts sur la base d'un mois (c'est-à-dire une année de 360 jours) est valable et produit ses effets.




[1] La 1re chambre civile de la Cour de cassation française consacre cette même solution. Le montant des intérêts de tout crédit accordé à un consommateur (mobilier ou immobilier) doit impérativement être calculé sur l'année civile : Cass. 1re civ., 19 juin 2013, n° 12-16.651 : D. 2013, p. 1615, obs. V. Avéna-Robardet ; D. 2013, p. 2084, note J. Lasserre-Capdeville ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 185, note F.-J. Crédot et Th. Samin ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 187, note N. Mathey ; Gaz. Pal. 2013, n° 312 à 313, p. 17, note M. Roussille. La solution a été réitérée par un arrêt du 17 juin 2015 (Cass. 1re civ., 17 juin 2015, n° 14-14.326 : JurisData n° 2015-014608.