menaces sur l’injonction de payer
Introduction
Certains arrêts rendus par la Cour
de cassation, cette dernière décennie, en matière d’injonction de payer, méritent
un examen critique. L’impression qui s’y dégage est un échec de cette procédure
de recouvrement de créances. Ce ne sont pas seulement les créanciers qui en
pâtissent, mais également les intérêts d’une bonne administration de la justice
dans la mesure où les procédures judiciaires sont engagées sans efficacité,
entraînant par là un encombrement inutile des tribunaux et un gaspillage des
ressources de l’Etat. Les raisons de l’échec se trouvent dans la conception que
se fait la Cour de cassation des conditions légales de la procédure d’injonction
de payer et du pouvoir du juge d’appel en cas de recours du débiteur[1].
Dans certains de ces arrêts, la Cour
de cassation rejette les pourvois élevés contre des jugements d’appel décidant
l’infirmation des injonctions de payer. Ces arrêts de rejet approuvent la
motivation des juges du fond dans laquelle ils considèrent que la procédure de
l’injonction de payer ne peut être poursuivie si la créance est sérieusement contestée
par le débiteur. L’injonction de payer est alors rétractée et le créancier doit
exercer son action en paiement devant la « juridiction du fond selon la
procédure de droit commun ». Ainsi dans un arrêt du 17 juin 2010[2],
la Cour de cassation, sous le visa de l’article 59 C.P.C.C., rejette le pourvoi
en énonçant que « la procédure de l’injonction de payer exige que la
créance soit certaine et déterminée dans son montant ; que le jugement de la
Cour d’appel est fondé en fait et en droit tant que la créance fait l’objet
d’une contestation de la part du débiteur ». Un autre arrêt en date du 28
janvier 2002[3]
est dans la même veine. Il est dit dans l’un de ses attendus que « la
procédure d’injonction payer, dans la mesure où elle se caractérise par
l’absence du contradictoire et l’urgence, exige que son objet soit non susceptible
de contestation, tel une reconnaissance dette signée par le débiteur[4],
une lettre de change régulière, un chèque ou tout autre document qui peut être,
selon une forte présomption, la source d’une obligation rendant la contestation
du débiteur non sérieuse ». La Cour de cassation estime que le débiteur
soulève « une contestation sérieuse de nature à faire sortir la demande de
la procédure de l’injonction de payer ».
Dans d’autres arrêts, la Cour de
cassation casse des jugements d’appel qui ont confirmé des injonctions de payer
malgré les contestations élevées par le débiteur. Ainsi dans l’arrêt du 8
janvier 2003[5],
elle censure l’arrêt d’appel qui a simplement réduit le montant de l’injonction
de payer pour tenir partiellement compte de la contestation du débiteur. La
censure est prononcée pour défaut de motifs, mais la motivation de la Cour de
cassation est en prolongement des arrêts précédents. Elle énonce que « l’article
59 exige que le titre fondement de l’injonction de payer soit établi par un
écrit, qu’il émane d’une manière certaine du débiteur et qu’il ne soit pas sujet
à discussion ou contestation ; la procédure étant dérogatoire et caractérisée
par l’urgence, il y est interdit de soulever des questions touchant au fond du
droit ou une contestation sérieuse nécessitant une instruction, un examen des
pièces produites et des expertises ». La Cour de cassation estime qu’ « en
présence d’une contestation sérieuse et devant la nécessité d’une plus ample
recherche de la réalisation du paiement, la Cour d’appel devrait réformer
l’injonction de payer et laisser la question au juge du fond, ayant compétence
à trancher les droits des litigants et leur contestation sérieuse, d’autant
plus qu’il s’agit d’une matière commerciale soumise à la liberté de la
preuve »[6].
Dans un arrêt en date du 7 octobre 2003[7],
la Cour de cassation casse un jugement qui a confirmé une injonction de payer
condamnant le débiteur à payer le montant partiel d’une lettre de change. Dans
l’un des attendus de l’arrêt, il est affirmé que lorsque la créance n’est pas
établie et fait l’objet d’une contestation nécessitant l’accomplissement d’une mesure
d’instruction pour prouver le montant de la créance, le créancier doit
s’abstenir de suivre la procédure de l’injonction de payer ; il doit agir
contre son débiteur selon les procédure ordinaires ».
Un arrêt en date du 25 mai 2005[8]
s’écarte pourtant de la jurisprudence précédente. La Cour de cassation énonce que
« l’injonction de payer se caractérise par le fait qu’elle est une
procédure gracieuse non soumise au principe du contradictoire ; cela se
justifie par la nature de la créance objet de la demande dans la mesure où elle
est une somme d’argent déterminée ayant une origine contractuelle ou résultant d’un
des effets de commerce énumérés par l’article 59 C.P.C.C ». Elle poursuit
en ajoutant que « le recours en appel ouvre la porte à la contradiction et
permet à l’appelant de discuter la certitude de la créance et le caractère probant
des preuves produites ; il est du devoir de la juridiction de second degré
de les examiner et de procéder, le cas échéant, aux instructions
nécessaires ». L’arrêt d’appel soumis à l’examen de la Cour de cassation
est censuré du simple fait qu’après avoir exposé les arguments soulevés de part
et d’autre, il « a conclu à l’existence d’une contestation sérieuse de
nature à justifier la réformation de l’injonction de payer sans discuter le
fond et sans avoir à juger le litige soumis à son examen ».
Un arrêt de la Cour de cassation,
en date du 11 avril 2002[9],
est d’interprétation délicate. A un certain point de vue, il est sensiblement proche
de celui du 25 mai 2005. La Cour suprême reproche à la Cour d’appel d’avoir
confirmé une injonction de payer malgré la contestation élevée par l’appelant qui
nie avoir accepté la facture fondement de la demande. « La Cour d’appel
n’a pas motivé son jugement lorsqu’elle a confirmé l’injonction de payer sans
procéder aux mesures d’instructions nécessaires soit par audition des parties
en cause, soit par expertise ». A contrario, un tel attendu invite
le juge du fond à trancher la contestation et à vider le contentieux. Mais cette
lecture est démentie par la suite de la motivation. La Cour de cassation a
cherché à mettre en exergue les caractéristiques de la procédure de l’injonction
de payer. « Dans l’intention du législateur, dit-elle, les créances
certaines et ne faisant pas l’objet de contestation seront jugées selon les
règles du contentieux en référé, mais les créances sujettes à contestation sont
du ressort des juges du fond. La Cour de cassation clos sa motivation en disant
que l’appel, après la réforme de la loi intervenue en 1986, est la seule voie
ouverte au débiteur de contester la créance.
Notre analyse se veut avant tout méthodologique.
On essayera de formaliser les approches adoptées par les débiteurs et les
juges du fond (I) avant d’apprécier les solutions retenues par la Cour
de cassation (II).
I-
Formalisation des
approches des divers protagonistes
Après avoir effectué une
classification des contestations élevées par le débiteur devant les juges
d’appel (A), on effectuera une classification des solutions données par
ces derniers (B).
A- Les contestations du débiteur devant la juridiction d’appel
Classification. Schématiquement,
le processus conflictuel se déroule selon l’ordre suivant. Le créancier obtient
du juge compétent une injonction de payer sur le fondement des seules pièces
qu’il a présentées. Le débiteur, absent de la procédure, forme un recours en
appel une fois qu’il a reçu signification du titre exécutoire. Il élève devant
la juridiction d’appel une ou plusieurs contestations.
On donnera une brève présentation
des ces contestations tout en les classant, pour une meilleure analyse, selon la
nature du titre du créancier.
1- Contestation des effets de commerce
Une première série de jugements d’appel
sont rendus à propos d’injonction de payer de lettres de changes[10].
Le débiteur ayant qualité de tiré, condamné par les premiers juges en son
absence, peut invoquer une contestation touchant la validité du titre et/ou
ses effets juridiques.
Ainsi dans une espèce[11],
le débiteur invoque la nullité des effets pour violation de la
législation des changes exigeant que le dinar soit monnaie de compte et monnaie
de règlement pour les transactions entre résidents[12].
Dans une autre espèce, la nullité est invoquée d’office par la cour d’appel[13] ;
saisie de l’appel contre une injonction de payer que le débiteur conteste en
disant qu’il a payé toutes ses dettes envers le créancier porteur d’une lettre
de change allant jusqu’à offrir de déférer serment décisoire, la juridiction
d’appel soulève d’office la nullité de la lettre de change pour
défaut de signature par le tireur[14].
Enfin dans un arrêt du 30 décembre 1999[15],
le débiteur condamné par une injonction de payer, ordonnée sur le fondement de
trois lettres change, remarque que la personne condamnée n’est pas dotée de la
personnalité juridique[16].
Il arrive que le débiteur[17]
situe la contestation de l’injonction de payer sur le terrain de la cause de l’obligation
cambiaire[18]
pour dire qu’elle est nulle pour défaut de provision[19].
Situant la contestation sur le
plan des effets de l’obligation cambiaire, le débiteur soutient qu’elle n’est
pas exigible[20]
ou qu’elle est éteinte par paiement[21]-[22]
ou encore que le créancier, dans un contrat synallagmatique, a exécuté son
obligation en retard ce qui lui a causé un préjudice devant être réparé[23].
2- Contestation de contrat écrit et documents commerciaux
L’injonction de payer peut être
rendue sur la base d’un contrat écrit. Dans l’arrêt du 23 décembre 1999,
le débiteur, une société commerciale en l’occurrence, condamné à payer le
montant des primes d’un contrat d’assurance d’une flotte de véhicules de
transport terrestres, invoque principalement le caractère non déterminée de
l’obligation[24].
Des injonctions de payer sont
également rendues sur la base des factures commerciales ou des bons de
livraison. Dans un arrêt du 8 janvier 2007[25],
le débiteur conteste la régularité formelle des factures ayant donné lieu à
l’injonction de payer, il met en doute l’existence de la créance et surtout il
nie les avoir revêtues de la mention d’acceptation. La contestation n’est pas clairement
conceptualisée en droit. A l’examen, on trouve qu’elle touche à l’absence de
cause de l’obligation et au défaut de preuve. C’est une contestation identique
qui est soutenue dans l’arrêt du 11 avril 2002[26].
Dans l’arrêt du 28 mars 2008[27],
il s’agit d’une injonction de payer rendue sur le fondement de bons de
livraison. Le débiteur soutient avoir payé des lettres de changes dont
certaines ont fait déjà l’objet d’une autre injonction de payer ; le débiteur
prétend que le créancier utilise les bons de livraison pour obtenir un deuxième
paiement. Il a même demandé au tribunal de surseoir à juger en attendant le
sort d’une plainte pénale qu’il a présentée.
B- Positions des juridictions d’appel
Quelles étaient les positions des
juridictions d’appel en présence de pareilles contestations ? Sur un
nombre de dix-huit arrêts de la Cour de cassation sous examen, on a dénombré plusieurs
arrêts d’appel qui ont tranché la contestation dans un sens défavorable au
débiteur. Les jugements ayant infirmé l’injonction de payer ou qui ont réduit
leur montant sont moins nombreux. Nous ferons quelques commentaires sur ces
jugements en cherchant ce qui pourrait leur être commun (1) avant de présenter
les jugements décidant la rétractation de l’injonction de payer par une
motivation inédite (2).
1- Les jugements d’appel confirmant l’injonction de payer ou réduisant
le montant de la condamnation
Ces jugements participent d’une
même logique : le juge du fond exerce la plénitude de son pouvoir de juger
en fait et en droit la demande de paiement des créances contractuelles de somme
d’argent. Il juge de la validité de la créance[28]
et des autres exceptions au paiement qui ont pu être soulevées. En réduisant le
montant de la condamnation, la juridiction d’appel ne fait que tirer les conséquences de son pouvoir d’appréciation des
moyens de preuve fournis. Ce faisant, le juge d’appel exerce son pouvoir
d’instruction comme il le pouvait le faire dans une procédure judiciaire de
droit commun.
2- La motivation inattendue de certains jugements d’appel
décidant la rétraction de l’injonction de payer
Un jugement d’appel prononçant la
rétractation de l’injonction de payer est motivé par cette circonstance que
« le débiteur soulève une contestation sérieuse laquelle nécessite une
mesure d’instruction et des enquêtes que le juge d’appel siège en matière
d’injonction de payer ne peut connaître d’autant plus que la première instance
était non contradictoire entre le créancier et le débiteur »[29].
Un autre jugement estime que « la contestation relative à la fourniture de
la provision des deux lettres de change paraît être sérieuse et nécessite des
mesures d’instruction qui ne relèvent pas de l’injonction de payer dont les
règles requièrent que le titre, soutien de la demande, soit établi par écrit et
non sujet à contestation »[30].
Les jugements de confirmation des
injonctions de payer sont de loin les plus nombreux. Ils font naturellement
l’objet de pourvoi en cassation.
Certains des pourvois ne sont pas
directement fondés sur l’article 59 C.P.C.C. C’est le cas du pourvoi qui demande
la censure du jugement d’appel du fait de la nullité d’une lettre de change retenant
une monnaie étrangère comme monnaie de compte de l’obligation monétaire[31]
ou encore celui qui conteste le pouvoir du juge d’appel d’annuler d’office une
lettre de change non signée par le tireur[32]
ou celui qui soutient la nullité de l’obligation en raison de la disparition de
la personne morale de la société débitrice par suite de sa dissolution[33].
Les juges du fond ont, dans tous ces cas, jugé la contestation en droit et les
pourvois en cassation sont rejetés par application de la règle de droit. Peu
importe pour nous de savoir si ces rejets sont fondés ou non[34].
Notre seule remarque pour les besoin de l’analyse que nous faisons de la
jurisprudence de la Cour de cassation, est de souligner que la cour ne dénie
pas aux juges d’appel le pouvoir de trancher la contestation élevée par le
débiteur.
Plusieurs pourvois sont fondés
sur l’article 59 C.P.C.C. Ils sont formulés selon diverses nuances.
Des fois les griefs invoquent le
caractère non déterminé de l’obligation[35]
ou la confusion faite par la juridiction d’appel entre une créance déterminée
et une créance certaine[36].
Mais la confusion peut également provenir du pourvoyant lui-même lorsqu’il
invoque le caractère non déterminé de l’obligation alors qu’en réalité il vise son
caractère incertain[37].
Il est même advenu que le pourvoyant n’arrive pas à bien conceptualiser la nature
de violation de l’article 59[38].
Dans ces différents cas, la Cour de cassation est invitée à vérifier la
motivation du jugement attaqué ou la qualification du caractère certain et
déterminé de l’obligation dont on demande le paiement (A).
Ces diverses variations sur la
violation de la loi, au sens général, de l’article 59 se distinguent
ouvertement d’un autre type de critique où il est dénié au juge d’appel le
pouvoir de trancher le différend au prétexte qu’il existe une contestation
sérieuse sur la créance. Le juge d’appel ne pouvait pas, selon certains
pourvois, ni ordonner une mesure d’instruction, ni, a fortiori, juger la
demande. Son rôle consiste à constater l’existence de la contestation et son
caractère sérieux. Si ces deux conditions sont vérifiées, il devrait conclure à
la rétractation de l’injonction de payer déférée devant lui et, renvoyer, selon
une formule employée, les parties devant le « juge fond » compétent.
Le juge d’appel commettrait une violation de la loi, c’est-à-dire l’article 59
C.PC.C., s’il dépasse la limite de sa juridiction en se prononçant dans un sens
ou un autre sur la contestation (B)
Avant d’aborder ces deux aspects,
on doit signaler qu’on trouve des fois chez le créancier des attitudes
opportunistes lorsque la juridiction d’appel confirme l’injonction de payer
dans son principe et réduit le montant de la condamnation. Ainsi dans l’affaire
du 28 mai 2006[39],
le créancier, mécontent du jugement d’appel, soutient dans son pourvoi en
cassation que « certaines transactions ont donné lieu au tirage de lettres
de change, mais que d’autres ont seulement donné lieu à l’émission des factures
commerciales. Les paiements qu’il a reçus sont affectés au paiement des lettres
de changes et non au paiement des opérations commerciales. Ce même créancier
affirme même avoir convenu avec le débiteur, en présence d’un commerçant ayant
joué le rôle de médiateur, d’une transaction par laquelle le débiteur s’engage
à payer la somme réclamée et que lui-même poursuivi pénalement pour tentative
de recevoir double paiement, a été acquitté ». Ces éléments factuels,
dont on doute qu’ils puissent être discutés devant la Cour de cassation, sont
avancés comme un argument destiné à dénier au juge de l’injonction de payer le
pouvoir de juger la contestation ; celui-ci, soutient le pourvoyant, ne
peut relever que du juge de droit commun. Il appartenait alors à la juridiction
d’appel non pas d’ordonner une expertise mais de réformer complètement
l’injonction de payer pour permettre aux parties de revenir à l’exercice d’une action
de droit commun. Si l’on a qualifié l’attitude du créancier comme opportuniste,
c’est parce que l’on comprend mal qu’il prenne l’initiative d’agir devant le
premier juge selon la procédure de l’injonction de payer et quand le débiteur
entend se défendre devant le juge d’appel en soulevant une contestation
quelconque qui l’autorise à ne payer tout ou partie de la créance demandée, le
créancier réclame du juge qu’il ne juge pas la contestation, mais simplement réformer
l’injonction de payer pour revenir à l’exercice d’une action de droit commun.
Il y a dans son attitude une contradiction au détriment du débiteur. Le
créancier est libre de choisir l’une des voies de droit, mais s’il choisit la
procédure de l’injonction de payer, il ne peut faire marche arrière par simple
opportunisme.
A- La vérification par la Cour de cassation du caractère certain
et déterminé de l’obligation de somme d’origine contractuelle objet de
l’injonction de payer
La Cour de cassation est souvent invitée à exercer son contrôle sur le juge
d’appel pour vérifier s’il a bien motivé
son jugement quant au caractère certain de la créance (1) ou s’il a exactement
qualifié les caractères liquide et certain de créance objet
de l’injonction de payer (2).
1- Le contrôle de la motivation du caractère certain de la créance
La Cour de cassation est le plus
souvent invitée à exercer un contrôle sur la motivation du jugement d’appel
relativement au caractère certain de la créance.
La créance pouvant faire
l’injonction de payer, doit être certaine et liquide. Lorsqu’il s’agit d’une
critique fondée sur le défaut ou insuffisance de motif, souvent ce qui est en cause
c’est la motivation du jugement quant à la constatation des faits nécessaires à
la conclusion du caractère certain de la créance.
Ainsi en est-il de ce pourvoi
qui, à propos d’une demande de paiement de quatre factures de vente,
accompagnées de bons de livraison signés, le débiteur conteste avoir signé
lesdites factures ou avoir pris livraison des marchandises. La censure du
jugement d’appel qui a confirmé l’injonction de payer, est justifiée par le
fait que lorsqu’un plaideur ne reconnait pas sa signature, le juge doit
ordonner une vérification[40].
N’ayant pas effectué les instructions nécessaires pour chercher la vérité, la
juridiction d’appel n’a pas suffisamment motivé son jugement.
Un autre arrêt[41]
s’inscrit sur le registre du défaut de motif. Il s’agit d’une injonction de
payer rendue contre l’Hôtel Cap Carthage. L’appelante conteste sa signature et
conteste avoir traité avec le demanderesse. Le juge d’appel « remarque « la
dénégation de la signature par la Société Cap Carthage est sans effet car
celle-ci ne peut émaner que du représentant de l’Hôtel Cap Carthage ou du
représentant légal de Prima Sol ». La censure du jugement d’appel était prévisible.
Il appartient au juge du fond de vérifier l’identité de celui qui a signé les
lettres de change ; le jugement est non motivé lorsqu’il estime que la
signature émane de l’un des représentants légaux de la Société Hôtel Cap
Carthage ou de la Société Prima Sol.
2- Le contrôle de qualification des caractères certain et
déterminé de la créance
L’article 59 CP.C.C. permet au
créancier d’une somme déterminée d’origine contractuelle ou d’un effet de
commerce d’obtenir une injonction de payer. Littéralement entendu, ce texte ne
mentionne que le caractère déterminé de la créance. Il ne dit rien sur son
caractère certain. Cette exigence résulte plutôt de l’article 64 CPCC. Si le
juge estime la créance établie, le juge en ordonnera le paiement.
L’examen des arrêts de la Cour de
cassation permet de constater que seul l’article 59 est invoqué tant pour le
caractère liquide de la créance que pour son caractère certain. C’est une
erreur, dont il faudra expliquer les raisons.
a- Le contrôle de la qualification du caractère déterminé de la
créance
Pour obtenir une injonction de
payer une somme d’argent d’origine contractuelle, il faudra justifier de son
caractère déterminé. La créance de somme d’argent est déterminée lorsqu’elle
consiste en une somme fixe, un quantum monétaire connue d’avance. On emploie
aussi l’expression « créance liquide » pour désigner une somme
déterminée.
La créance est dite liquide
lorsque l’acte écrit porte indication de son montant ou contient tous les
éléments permettant son évaluation. Il peut s’agir d’une créance de prix, d’un
loyer, d’honoraires, d’un capital emprunté ou de ses intérêts rémunératoires,
d’apport en numéraire en société, etc. Les créances indemnitaires pour la
réparation d’un dommage consécutif à une faute contractuelle, ne sont pas
déterminées[42].
Elles ne seront liquidées qu’avec le prononcé du jugement. Une créance de
réparation dans un contrat synallagmatique, par définition indéterminée, pesant
à la charge du vendeur n’est pas de nature à rendre non liquide la créance de
prix de vente. Le vendeur peut demander paiement du prix de vente dans le cadre
d’une procédure d’injonction de payer sans que sa faute dans l’exécution du
contrat y soit un obstacle[43].
En effet, l’acheteur n’est autorisé à retenir le prix qu’en cas d’éviction ou
de menace d’éviction[44]
ou de vice de la chose[45].
Le problème se pose lorsqu’il
s’agit simplement d’une somme déterminable. Un créancier d’une telle somme
peut-il en obtenir paiement selon la procédure de l’injonction de payer ? La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans deux
cas de demande de paiement des primes d’assurance. Ainsi dans l’arrêt du 23
décembre 1999[46],
une compagnie d’assurance réclame le paiement des primes d’assurance d’un parc déterminé
de véhicules de transport. Le pourvoi critique la cour d’appel pour avoir
confondu entre créance certaine et créance déterminée. La créance est
déterminée lorsque son montant est connu d’avance et d’une manière certaine. La Cour de cassation rejette le pourvoi en estimant qu’« il résulte du
jugement attaqué et des pièces sur lesquelles il s’est fondé que la créance, en
plus du fait qu’elle a une cause contractuelle, elle est d’un montant
déterminée dans la mesure où la police d’assurance a précisé le parc assurée et
le pourcentage de prime pour chaque véhicule ». Comme l’on peut constater
la Cour de cassation ne dit pas qu’il est permis d’ordonner le paiement d’une
créance déterminable mais elle énonce, par raccourci, que la somme réclamée est
déterminée. On ne peut que se féliciter que la Cour de cassation ait retenue
une conception extensive de l’exigence de liquidité de la créance en matière d’injonction
de payer. Elle est conforme à la définition que nous avons avancée de la notion
puisqu’il suffit de vérifier que « le titre contient tous les éléments
permettant son évaluation »[47].
Dans l’arrêt du 11 octobre 2006,
l’assureur réclame le paiement de six primes d’assurance de transport de
marchandises importées. Le pourvoi observe l’injonction de payer est rendue
d’une manière globale, elle ne détermine pas d’une manière détaillée de la
valeur de chaque prime et son objet ce qui constitue une violation de
l’exigence du caractère certain de la créance. En réponse la Cour de cassation
observe que « le contrat d’assurance énonce dans ces conditions
particulières que la prime d’assurance équivaut 0,25% de la valeur assurée en
cas de transbordement de la marchandise d’un navire à un autre. Dans une telle
hypothèse, le calcul de la prime dépend de la valeur de la marchandise et des
conditions de transport. La demanderesse n’a pas précisé les méthodes de calcul
de la prime et n’a pas donné les justifications de la valeur de la marchandise
transportée conformément au contrat ». Ce qu’il y a de souligner c’est la
suite de la motivation de l’arrêt. Il se réfère à l’article 59 CPCC pour lui
faire dire « qu’il exige que la créance soit déterminée c’est-à-dire certaine »
et il ajoute que « la certitude la relation contractuelle ne rend pas pour
autant la créance certaine ». La Cour de cassation, comme d’ailleurs le pourvoyant,
n’établit pas une nette distinction entre les deux exigences du caractère
déterminé de la créance et sa certitude. Cette même confusion des concepts est
observée dans d’autres arrêts[48].
La confusion entre créance
déterminée et créance liquide est probablement due au fait que « la
contestation (qui rend une créance incertaine) peut facilement déraper de
l’existence vers le quantum »[49].
La contestation du montant de la créance au prétexte qu’elle est partiellement
ou totalement payée n’est pas de nature à rendre la créance indéterminée (ou
non liquide), elle la rend plutôt non certaine. Dans ce cas, c’est l’article 64
CPCC qui est applicable et non l’article 59.
On termine ces remarques par distinguer,
comme le soutient un auteur[50],
entre deux conceptions de la liquidité d’une créance : il existerait
« une liquidité subjective, c’est-à-dire une liquidité de
la créance dans l’esprit des parties, qui disparaîtrait du fait de la
contestation sur le montant de la créance », et « une liquidité
objective qui serait suffisamment caractérisé quand, malgré les
arguties d’un plaideur, se trouveraient réunis les éléments nécessaires
pour chiffrer la créance par un simple calcul ».
Dans l’arrêt du 22 novembre 2002[51],
la Cour de cassation était saisie d’un pourvoi intenté par le bénéficiaire de
la lettre de change qui conteste un jugement d’appel qui a prononcé la
rétractation d’une injonction de payer d’une lettre de change non signée par le
tireur. Le pourvoi invoque cette circonstance que le débiteur[52]
reconnaît avoir signé la lettre de change. Un tel document vaut un « titre
de créance » ou « une reconnaissance de dette » susceptible de
donner lieu à une injonction de payer. Le pourvoi critique la juridiction
d’appel pour avoir soulevé d’office la nullité de la lettre de change non
signée par le tireur. La Cour de cassation adhère à cette argumentation, elle
estime que « la juridiction d’appel n’aurait pas dû soulever la nullité
tant que le débiteur reconnait avoir signé[53]
la lettre de change ». En réalité, la cour devrait dire qu’une lettre de
change nulle comme telle ne perd pas toute valeur juridique. Ainsi elle peut
valoir un billet à ordre si par ailleurs les conditions légales d’un tel titre sont
réunies, ou une reconnaissance de dette. Sur le fond, une telle solution
s’explique aisément. Le caractère d’ordre public de la nullité d’une lettre de
change ne comportant pas la signature du tireur n’est pas de nature à enlever
au titre sa valeur d’une reconnaissance de dette. Il suffit que l’écrit soit
signé par le débiteur. La signature exprime le consentement à l’obligation. L’article
328 du code des obligations et des contrats, consacre clairement cette solution[54].
La difficulté se situe, en réalité, au plan procédural. Dans quelle mesure, la
procédure d’injonction de payer peut être suivie pour le recouvrement d’un
engagement unilatéral de volonté ?.
Dans l’arrêt du 8 janvier 2007[55],
il s’agit d’une contestation élevée par le débiteur quant à la preuve de la
créance au moyen d’une facture acceptée. La Cour de cassation est appelée à se
prononcer sur la question de savoir si la réception de la facture par les
employés de la société et l’apposition du cachet de ladite société expriment
l’acceptation de la facture ; en résulte-il un consentement sur le contenu
de la facture ? Une réponse négative est apportée par la Cour de
cassation. La réception de la facture ne vaut pas acceptation. Le contrôle
opéré ici est un contrôle de la qualification du consentement du commerçant au
contenu d’une facture. En d’autre terme, la Cour de cassation considère que la
réception d’une facture s’analyse en un acte strictement matériel ; il
n’exprime pas une intention et une volonté sérieuse ; elle ne peut donc
valoir consentement. On peut discuter du bien-fondé de la réponse si l’on se
réfère à un précédent arrêt de la Cour de cassation en date du 9 novembre 1988.
Selon cet arrêt, « La prise en charge de la facture par les livres
comptables est une acceptation de son contenu ; elle peut par conséquent
être considérée comme moyen de preuve de la créance ». Comme l’on peut
constater cet attendu déplace la question au niveau de la preuve de
l’obligation par les livres comptables du commerçant. L’on sait en effet que
les livres comptables régulièrement tenus peuvent servir de preuve pour et
contre le commerçant[56].
Mais l’attendu suivant de l’arrêt est plus éloquent quant à la preuve par la
facture exclusivement. La Cour de cassation énonce qu’« il est d’un usage
commercial établi et d’une jurisprudence stable que la réception par le
commerçant d’une facture et la non-contestation de son contenu, qui s’exprime
par son rejet immédiat par une lettre recommandée ou quelque forme équivalente,
équivaut à une acceptation ; elle sert dès lors comme moyen de preuve
écrit de la créance entre commerçants »[57].
B- La négation du rôle du juge d’appel de vider la « contestation
sérieuse » élevée dans le cadre d’un appel contre l’injonction de payer
La question est souvent posée à
la Cour de cassation de dire si en présence d’une contestation, qualifiée de
sérieuse, la juridiction d’appel avait pouvoir (ou obligation) de la trancher,
même si, au besoin, elle devait ordonner une mesure d’instruction ou une
expertise.
On peut s’étonner, si l’on se
rappelle l’évolution de la procédure de l’injonction de payer, que la question
soit posée en ces termes. En effet, dans sa version initiale, la loi permettait,
au débiteur de faire opposition à l’injonction de payer ce qui avait pour résultat
de faire revenir les parties devant le même juge ayant ordonné l’injonction de
payer. Le débat se déroule alors contradictoirement et le jugement rendu en
premier ressort est susceptible d’appel[58].
Une telle organisation du recours
contre l’injonction de payer était jugée lourde car elle aboutissait, le plus
souvent, à une application des règles de droit commun de procédure : la contradiction
et le double degré de juridiction. Le recours à l’injonction de payer ne serait
dès lors qu’un détour inutile et de surcroît onéreux pour le créancier. Il lui serait
plus simple d’assigner le débiteur devant le tribunal compétent selon la
procédure classique.
Ce défaut procédural de
l’injonction de payer a conduit le législateur à modifier la loi pour donner la
procédure actuelle où l’injonction de payer ne peut être attaquée qu’en appel[59].
Le créancier qui choisit de suivre le recouvrement de sa créance selon cette procédure
contraint son débiteur -et se contraint lui-même aussi- à ne débattre contradictoirement
du rapport d’obligation, qui rappelons-le est d’origine contractuelle, qu’une
seule fois. En consacrant cette réforme procédurale, le législateur a
conscience de l’atteinte qu’il fait aux droits de la défense en ne permettant
pas un double examen de l’affaire ; on s’en doute pas que le choix est
fait pour accélérer le recouvrement des créances de sommes d’argent déterminée,
certaine et d’origine contractuelle.
A bien regarder, la question est posée
à la Cour de cassation selon deux configurations différentes. La réponse donnée
par la Cour de cassation n’est pas à l’abri de la critique.
a) Pourvoi intenté contre un jugement d’appel de confirmation
totale ou partielle d’une injonction de payer
Dans sa première configuration, la
question se pose à l’occasion d’un pourvoi intenté contre un jugement d’appel ayant
confirmé totalement ou partiellement une injonction de payer. Les auteurs de
pourvoi se limitent à invoquer un défaut ou une insuffisance de motifs, mais la
Cour de cassation va plus loin que cette critique en déniant au juge d’appel le
pouvoir de trancher les « contestations sérieuses des parties » dans
le cadre d’une procédure d’injonction de payer. Tel est par exemple le cas d’un arrêt
en date du 28 janvier 2002[60]
où le pourvoi critique le jugement
d’appel qui a délaissé certains faits qui font douter du caractère certain de
la créance. Le pourvoi critique par ailleurs les juges d’appel pour défaut de
réponse à conclusions relativement à la prescription de l’action en paiement ou
pour avoir estimé que la plainte pénale pour faux est non sérieuse car elle est
déposée après le prononcé de l’injonction de payer alors le plaignant ne
pouvait avoir connaissance de l’existence des chèques avant cette date». La
censure du jugement attaqué est encourue car « la contestation soulevée
par le débiteur nécessite des enquêtes et instructions faisant sortir
l’injonction de payer du domaine de l’article 59 CPCC ».
Dans un autre arrêt du 8 janvier
2003[61],
la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi contre un jugement d’appel qui a
réduit le montant de l’injonction de payer sans qu’une expertise ne soit
ordonnée. L’auteur du pourvoi soutient que le jugement d’appel n’a pas répondu
à ses conclusions et n’a pas ordonné une expertise. La Cour de cassation censure
le jugement attaqué après une longue motivation. Elle énonce que l’article 59 C.P.C.C.
« requiert que le titre fondement de l’injonction de payer soit un écrit
émanant d’une manière certaine du débiteur et non susceptible de contestation ou
de discussion ; la procédure d’injonction de payer est exceptionnelle et
caractérisée par l’urgence ; il est de ce fait interdit de soulever dans
le même cadre des questions touchant au fond du droit, des contestations
sérieuses, notamment lorsqu’elles nécessitent des recherches et examen des
pièces fournies et la réalisation d’expertises ; pareille tache est de la
compétence du juge du fond qui est seul compétent pour la trancher ». Plus
loin, la Cour de cassation estime qu’« il appartient à la juridiction
d’appel de rétracter l’injonction de payer et laisser la question au juge du fond qui a compétence de trancher le fond des droits… ». Cette même
motivation est littéralement reprise par la Cour de cassation dans un arrêt en
date du 28 mai 2006[62].
Un autre arrêt du 7 octobre 2003
énonce « qu’il résulte de l’article 59 C.P.C.C. que parmi les conditions
requises pour poursuivre la procédure de l’injonction de payer, la créance
demandée doit être déterminée ; si elle est non établie et fait l’objet d’une
contestation nécessitant l’accomplissement d’une mesure d’instruction pour
établir sa valeur, il appartient au créancier de s’abstenir à poursuivre cette
procédure et se doit d’agir selon les procédures ordinaires ». La même
motivation est littéralement reprise dans un arrêt en date du 8 janvier 2007[63].
b) Pourvoi intenté contre un jugement d’appel de rétractation d’une
injonction de payer
Dans une deuxième configuration,
la Cour de cassation est saisie de pourvoi contre des jugements d’appel ayant prononcé
la rétractation de l’injonction de payer au motif que la procédure ne peut être
poursuivie en cas de contestation sérieuse de la part du débiteur. Les deux
occasions dans lesquelles la Cour de cassation a été appelée de se prononcer
sur pareil recours ont donné deux réponses opposées. Ainsi, l’arrêt du 25 mai
2005[64]
censure la juridiction d’appel en ce qu’elle s’est contentée de relater les
moyens soulevés de part et d’autre, en concluant à leur caractère sérieux, et
justifier ainsi la rétractation de l’injonction de payer sans trancher le
débat au fond. Un tel jugement, estime la cour suprême, viole les articles 66,
144 et 148 C.P.C.C ». En sens opposé, la Cour de cassation dans un arrêt caractérisé
par une motivation sibylline qui contraste avec une motivation plus ample du
pourvoyant, approuve les juges du fond pour avoir décidé la rétractation de
l’injonction de payer. Le pourvoi croyant tirer profit de l’arrêt du 25 mai
2005, qu’il cite, voit son recours rejeté au motif que le juge du fond n’est
pas tenu d’ordonner des mesures d’instruction tant qu’il a pu déterminer le
sens de son jugement ». Selon la Cour de cassation, les articles 66,144,
86 C.P.C.C. et 108 C.P. n’ont pas été violés.
c) Appréciations
L’interprétation des ces
différents arrêts est difficile à faire car dans la quasi-totalité des cas la
censure est à la fois encourue pour insuffisance de motif et pour violation de
l’article 59 C.PCC. Logiquement, les deux motifs de cassation ne fonctionnent pas
ensemble, car ou bien il y a insuffisance de motifs, et la Cour de cassation ne
peut vérifier la bonne application de la loi ou bien motivation est suffisante
mais qu’il y a violation de la loi. Les deux motifs de cassation sont
alternatifs et non cumulatifs.
La motivation de la Cour de
cassation selon laquelle le juge d’appel n’est pas habile à trancher les
contestations soulevées par les parties est critiquable car elle introduit dans
l’article 59 ou 64 C.P.C.C une notion complètement étrangère à la procédure de
l’injonction de payer, celle de « contestation sérieuse » qui
empêcherait le juge à juger. La procédure de l’injonction de payer est ouvertement
contaminée par les règles régissant le contentieux des référés. Cette
contamination est rendue possible pour l’emploi de l’expression « urgence ».
Les juges confondent en réalité deux notions totalement différentes urgence et
rapidité ; ils confondent entre une procédure accélérée de recouvrement de
créance et une procédure d’urgence destinée à mettre en place des mesures
conservatoires provisoires. La notion d’urgence est la notion-passerelle qui a
permis au juge de passer insensiblement d’un registre à autre ; il s’est
permis de ce fait de donner aux articles 59 et 64 une portée inattendue.
Il faut, à notre sens, remettre
les pendules à l’heure. La procédure d’injonction de payer est une procédure du fond. Le juge de l’injonction de payer, qu’il statue en première instance ou en
appel, ne sort pas de sa compétence lorsqu’il tranche le rapport d’obligation. L’intervention
de ce juge en première instance ne se distingue de l’intervention du juge de droit
commun de premier degré que par la disparition du contradictoire. Le juge de
l’injonction de payer saisie de la demande n’ordonne le paiement que s’il est
convaincu que la créance est établie, c’est-à-dire certaine. Le juge de premier
degré de droit commun obéit à la même règle. Il ne condamne le débiteur qu’une
fois la créance est éprouvée d’une manière certaine. C’est le processus
décisoire qui change. Là où le juge de l’injonction de payer se prononce au
seul contact des pièces fournies par le demandeur, le juge de droit commun se
prononce après examen contradictoire. Il est cependant certain qu’au fond, un
jugement de condamnation à payer une quelconque somme d’argent, de quelque juge
qu’il émane, ne peut être fondé que sur une créance certaine.
Si le juge de l’injonction de
payer estime que la créance est non-établie, il refusera la demande de paiement
et le créancier ne pourra faire appel de cette décision. Il lui incombera de
poursuivre le paiement selon la procédure contradictoire. Cette interdiction de
refaire la procédure de l’injonction de payer est une restriction légale
dérogatoire aux solutions de droit commun[65].
Si la demande l’injonction de
payer est accueillie par le juge, elle sera susceptible d’appel de la part du
débiteur. Le juge d’appel fera un nouvel examen de la demande, mais il le fera
sous l’éclairage donné par le débiteur en présence du créancier. Les pouvoirs du
juge d’appel ne se distinguent en rien des pouvoirs d’un juge d’appel dans une
procédure de droit commun. Il peut ordonner des mesures d’instruction, mais il
n’est pas tenu de le faire, c’est une simple faculté. Il ne le fera pas quand
les éléments figurant dans le dossier sont suffisants pour lui permettre de se
prononcer. Mais si ces éléments sont insuffisants, il devra ordonner toute
mesure d’instruction utile sinon son jugement sera entaché d’une insuffisance
de motif. Le juge d’appel ne peut jamais fonder le refus des mesures
d’instruction sur cette circonstance que la contestation élevée est sérieuse.
Son rôle est, en effet, de vider la contestation. En méconnaissant sa
compétence, il viole la loi. L’arrêt du 25 mai 2005 est à cet effet exemplaire.
Il a justement censuré la juridiction d’appel d’avoir méconnu l’étendue de sa
juridiction.
Les précédentes remarques
permettent d’expliquer l’embarras de la Cour de cassation à retenir des motifs
de cassation adéquats et non contradictoires.
Nous avons en effet vu que la cour
invoque à la fois l’insuffisance des motifs et la violation de la loi. Le
premier motif trouve une justification dans cette constatation que le juge
d’appel devrait s’expliquer davantage en présence de la contestation qu’il n’a
pas complètement vidée. Il fallait qu’il ordonne une mesure d’instruction. Dans
cette situation le reproche de violation
de la loi n’a plus de sens. Si la Cour de cassation s’est trouvée obliger de
justifier la censure par la violation de la loi, c’est pour être en conformité
par rapport à la prémisse qu’elle a posé selon laquelle en présence d’une
contestation sérieuse la procédure de l’injonction de payer ne peut être
poursuivie.
Juillet 2013
[1] Une série d’arrêts vont par contre
dans un sens contraire lorsqu’il s’agit de recours exercé sur la base d’un
effet de commerce qui a circulé par voie d’endossement. Par exemple, C. cass.
n° 48925 du 14 janvier 1998, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 1998,
II, p. 225.
[2] C. cass. n°38306.2009, inédit.
[3] C. cass n°11867, du 28 janvier 2002,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2002, I, p. 79.
[4] On remarquera à titre incident que
l’injonction de payer est une procédure de recouvrement des créances
contractuelles. Il en découle que les obligations naissant des déclarations
unilatérales de volonté sont hors champ d’application de la procédure. Il en
est de même des actions d’un tiers bénéficiaire fondées sur une stipulation
pour autrui.
[5] C. cass n° 19826, du 8 janvier 2003,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2002, I, p. 132.
[6] C. cass n° 19826, du 8 janvier 2003,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2003, I, p. 134.
[7] C. cass. n° 24431, du 7 octobre
2003, Bulletin des arrêts de la cour de cassation 2004, I,p 136.
[8] C. cass n° 9156, du 25 mai 2005,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2005, I, p. 113.
[9] C. cass. n °12744, du 11 avril 2002,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2002, I, p. 83.
[10] Il s’agit dans l’arrêt n°11867 du 28
janvier 2002 (bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2002, I, p. 79) d’un
débiteur qui conteste en appel l’injonction de payer ordonnée sur la base de
deux chèques. Il se prévaut de la prescription de l’action en paiement et du
dépassement du délai de présentation du chèque ; il ajoute avoir déposé
une plainte contre le porteur du chèque qui s’est permis de compléter la date
du chèque puis il l’a endossé à son profit après le décès du tireur.
[11] C. cass. n°24431, du 7 octobre 2003,
précité.
[12] L’auteur du pourvoi ne cite pas l’article
21 alinéa 2 de la loi n°76-18 du 21 janvier 1976 portant codification de la
législation des changes et du commerce extérieur régissant la Tunisie et les
pays étrangers.
[13] C. cass n°18607 du 22 novembre 2002,
précité.
[14] La nullité est justifiée au regard
de l’article 269 du code de commerce fixant les énonciations obligatoires de la
lettre de change. La signature de celui qui émet la lettre de change est une
des exigences posées par ce texte. Une lettre de change ne comportant pas la
signature ne vaut pas comme telle (C. cass. n° 27116 du 30 décembre 2003, Bulletin des arrêts de la Cour de
cassation 2003, II, p). 301. Mais la traite vaut comme reconnaissance de dette
du tiré. Voir dans la jurisprudence française : CA Paris, 10 janv. 1967, RTD
com. 1967. 207, obs. J. Becqué et M. Cabrillac ; V. aussi Cass. com. 10 févr.
1971, Bull. civ. IV, no 42, RTD com. 1972. 126, obs. M. Cabrillac et J.-L.
Rives-Lange. Cass. com., 11 juill. 1988, Bulletin
1988 IV N° 239 p. 164.
[15] C. Cass. n°62011 du 1é février 1999,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 1999, I, p. 72.
[16] Ce qui sera nul dans cette dernière
espèce est l’injonction de payer elle-même et non le titre de créance.
[17] Les arrêts que nous commentons
mettent en conflit le tireur et le tiré. La Cour de cassation a rendu plusieurs
arrêts où le porteur de la lettre de change, souvent un banquier, a reçu la
lettre de change par voie d’endossement. La Cour de cassation rejette les
contestations tirées du rapport fondamental.
[18] Des fois le débiteur conteste la
régularité de la procédure d’injonction de payer qui n’a pas été précédée d’une
sommation de payer conforme au formalisme de l’article 60 CPCC (C. cass n° 8883
du 30 mai 2005, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, 2005, I, p, 191.)
ou que le créancier a dressé un protêt hors délai (….) ou dans un domicile différent du
domicile contractuel (C. cass n°26536 du 30 décembre 2003, Bulletin des arrêts
de la Cour de cassation 2003, 1, p. 145). Ces deux dernières contestations
n’ont pas été jugées suffisantes pour entraîner une remise en cause de
l’injonction de payer.
[19] Dans un autre cas, le débiteur soutient
que le porteur de la lettre a reçu par un endossement postérieur à la date
d’échéance ce dont il résulte les effets d’une cession civile et qu’il n’a pas
reçu livraison des marchandises vendues. C. Cass. n°50890, du 24 février 1998,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 1998, 2, p. 232.
[20] C. cass n° 8883, du 30 mai 2005, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2005, p,
191. Le débiteur affirme être lié au tireur par un compte courant qu’il faudra
clôturer avant de demander paiement.
[21] C. cass n°19826 du 8 janvier 2003,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation p. 132. Dans cette espèce, le
débiteur affirme avoir payé les billets à ordre objet de l’injonction de payer.
Il produit à l’appui de sa prétention un état, émanant du créancier, sur les
paiements reçus couvrant tout aussi bien les billets à ordre en question que
d’autres opérations.
[22] C. cass. n°24431 du 7 octobre 2003,
précité. Le débiteur soutient que les effets sont créés en rémunération de
services d’intermédiation dans des opérations d’exportation de véhicules
industriels, or dans la réalité, l’exportation n’a porté que sur un nombre
inférieur et la commission y afférente a été payée tel que cela a été reconnu
par le créancier dans une correspondance adressée par téléfax.
[23] C. cass n°9156 du 25 mai 2005, Bulletin
des arrêts de la Cour de cassation I, p. 113. Le débiteur soutient dans cette
espèce que les lettres de change sont créées dans le cadre d’une opération de
vente d’une grue mais le vendeur n’a pas rempli ses obligations de garantie et
il n’a pas installé la grue dans le site aménagé pour la recevoir ; il
s’estime en conséquence autorisé à ne pas payer la valeur des effets. Le
débiteur donne à sa contestation une portée générale mais en réalité seul le
retard du créancier à exécuter son obligation est sérieusement mis en cause.
[24] Le débiteur invoque accessoirement
la disparition de la personnalité morale de la société du fait de la
« décision liquidation ». En pure logique, l’argument doit être placé
le premier et aurait conduit à la nullité de l’injonction de payer et non à la
nullité de l’obligation.
[25] C. cass n°8043 du 8 janvier 2007,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 2007, p. 128.
[26] Il s’agit d’une injonction de payer
fondée sur des factures adossées sur des bons de livraisons ; le débiteur
condamné conteste avoir signé les factures et les bons de livraison
[27] C. cass n° 8400 du 28 mai 2006, Bulletin
des arrêts de la Cour de cassation p. 1.
[28] Les juges du fond ont tranché la
contestation en droit. Les pourvois en cassation sont rejetés. La Cour de
cassation approuve les juges du fond pour avoir bien appliqué la loi. Peu
importe pour nous de savoir si ce rejet est critiquable ou non en droit. Notre
seule remarque pour les besoins de l’analyse que nous faisons de la
jurisprudence de la Cour de cassation, est de souligner que la cour ne dénie
pas aux juges d’appel le pouvoir de trancher la contestation élevée par le
débiteur pour se dérober à la condamnation.
[29] C. Appel, Tunis, n°76286 du 11
décembre 2008 critiqué devant la cour de cassation dans son arrêt du …. .
[30] C. Appel, Tunis, n°81159 du 23 avril
2004 critiqué devant la Cour de cassation dans son arrêt du …. Il faut avouer
que la rédaction des chefs de pourvoi en cassation n’est pas toujours réussie par
les avocats. Souvent, ils sont présentés pèle mêle sans aucun ordre et sans
précision. Ainsi dans le pourvoi jugé par l’arrêt du 8 janvier 2003, le
pourvoyant reproche à la cour d’appel dans un moyen unique la dénaturation des
faits, le défaut de motivation et la mauvaise application des articles 420 et
421 du code des obligations et des contrats et l’article 275 du code de
commerce. Nulle mention n’est donc faite de l’article 59 CPCC.
[31] C. cass n°24431 du 7 octobre 2003, précité.
[32] C. cass n°18607 du 22 novembre 2002,
précité.
[33] Ce qui sera nul dans cette dernière
espèce est l’injonction de payer elle-même et non le titre de créance.
[34] On peut être critique envers la Cour
de cassation lorsqu’elle estime que l’obligation cambiaire entre résidents est
valablement contractée lorsque la lettre de change précise un montant à payer
en franc ou son équivalent en dinar. L’alinéa 1er de l’article 21 du
code des changes énonce expressément que les obligations monétaires entre
résidents doivent être libellées en dinars tant en monnaie de paiement qu’en
monnaie de compte. De même on peut être critique envers la solution retenue par
la cour de cassation qui a censuré l’arrêt d’appel en ce qu’il a soulevé
d’office la nullité de la lettre de change non signée par le tireur.
[35] C. cass n°1926, du 11 octobre 2006 Bulletin
des arrêts de la Cour de cassation 2006
[36] C. cass n°73428 du 23 décembre 1999,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, 1999, p. 77
[37] Arrêt du 8 janvier 2007, p. 128.
[39] Arrêt 8400 du 28 mars 2008, précité.
[40] La Cour de cassation ne vise pas
l’art. 229 C.P.C.C.
[41] C. cass n°62011 du 12 février 1999,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 1999, I, p. 72.
[42] En revanche une créance
indemnitaire, déterminée au moyen d’une clause pénale, peut faire l’objet d’une
injonction de payer sous réserve de vérifier le caractère certain de la faute
génératrice de dommage.
[43] C. cass n°36642 du 27 juillet 1995,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 1995, I, p. 356.
[44] Art. 682 C.O.C.
[45] Art. 683 C.O.C.
[46] C. cass n°73428 du 23 décembre 1999,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, 1999, p. 77.
[47] Certains sont tentés d’entretenir la
confusion en raisonnant à propos des cas où la somme demandée est indéterminée,
par exemple une créance de réparation d’un préjudice corporel, et qu’elle a
besoin d’être chiffrée par le tribunal. On assimile ainsi une créance
déterminable à une créance indéterminée alors qu’en droit elle doit
l’assimiler à une créance déterminée. C’est pourquoi une vente moyennant
un prix déterminable est valide alors que si l’on assimile à un prix
indéterminable, la vente sera nulle.
[48] Arrêt 8043 du 8 janvier 2007.
[49] Jean Carbonnier, T.4, 21e éd., n°
343 b.
[50] ….
[51] C. cass n°18067 du 22 novembre 2002,
précité.
[52] Le pourvoi n’emploie pas
l’expression « le tiré ».
[53] La Cour de cassation s’exprime
maladroitement en disant littéralement tant que la défenderesse reconnaît avoir
créée la lettre de change ».
[54]
Art. 328 C.O.C. « l’obligation est nulle comme telle mais qui a les
conditions de validité d’une autre obligation légitime, doit être régie par les
règles établies pour cette obligation ».
[55] C. cass n°8043 du 8 janvier 2007, précité.
[56] Art. 11 al. 1 C.C.
[57] C. cass n°17941 du 9 novembre 1988,
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation vol. 1, 1988, p. 167.
[58] Farouk Mechri, La procédure de
l’injonction de payer en Tunisie, RTD 1974, p. 11 et s.
[59] Raouf Najjar, L’appel de
l’injonction de payer, in Actes de colloque « L’appel » du 18
au 20 mai 1989, éd. Faculté de droit et des sciences politique de Tunis, Tunis
1993, p. 81.
[60] C. cass n°11867, du 28 janvier 2002,
précité.
[61] C. cass n°19826 du 8 janvier 2003, précité.
[62] C. cass n°8400 du 28 mai 2006, précité.
[63] C. cass n°8043 du 8 janvier 2007,
précité.
[64] C. cass n°9156 du 25 mai 2005, précité.
[65] Le rejet d’une demande par le juge à
la suite d’une procédure contradictoire n’empêche le créancier d’agir une
seconde fois. Les jugements de rejet ne tranchent pas une contestation et ne
sont pas revêtus de l’autorité de la chose jugée.
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