dimanche 10 mai 2020

Cession des créances bancaires aux sociétés de recouvrement des créances


Cession des créances bancaires aux sociétés de recouvrement des créances.
Cass. civ., 68880.2012 du 12 mars 2013. Inédit.

1.  L’exposé des faits révèle qu’un contrat de prêt d’un montant de 400.000 dinars a été accordé par une banque à son client qu’il utilise au fur  à mesure de ses besoins et que plus tard un avenant (sic) a été établi constatant une ouverture de crédit sous forme d’engagement par signature, jusqu’à concurrence de 400.000 dinars, et de découvert en compte courant jusqu’à concurrence de 200.000 dinars. Le client déclare avoir reçu le 16 décembre 2005 notification d’une cession de créances intervenue entre la banque et une société de recouvrement de créances datée du 31 décembre 2004 pour un montant total de 325.000,114 dinars. Il agit en nullité de la cession pour cette raison qu’elle porte sur le solde débiteur d’un compte courant qui n’a été clôturé par la banque que tardivement après la cession de créance, soit le 7 mars 2006.

2.  L’article 10 de la loi n°98-4 du 2 février 1998, relative aux sociétés de recouvrement de créances énonce qu’une créance bancaire ne peut être cédée que si elle est déterminée dans son montant, échue et demeurée impayée pour au moins trois cent jours[1] mais la créance née du fonctionnement d’un compte courant peut être cédée qu’après clôture du compte[2]. C’est là un régime dérogatoire au droit commun[3].

3. Le pourvoi reproche à la cour d’appel d’avoir dénaturé les faits dans la mesure où la créance visée dans l’acte de cession est une ouverture de crédit sous forme d’engagement par signature et de découvert en compte courant et non un prêt.

4. Selon la Cour de cassation, la question est de savoir si « la créance cédée est née d’un prêt pouvant être cédé conformément à la loi de 1998, comme il a été jugé en appel, ou d’une ligne de financement permanente (sic) ne pouvant être cédée qu’après clôture du compte courant et détermination du solde définitif.

5. Pour répondre à la question, la Cour de cassation se réfère au contrat conclu entre la Banque et son client. Elle dit littéralement qu’il consiste en un prêt d’un montant de 600.000 dinars réparti en un prêt d’engagement par signature à concurrence de 400.000 dinars et d’un prêt sous forme de facilités bancaires à concurrence de 200.000 dinars ;  Elle conclut que la cession de créance porte sur l’obligation née de ce contrat.

6. La Cour de cassation définit l’engagement par signature en ces termes. « Il s’agit d’une technique utilisée en matière de crédit à long terme (sic) consentie en faveur des entreprises et prend la forme d’une sûreté donnée par l’établissement de crédit en faveur de ses clients sans que cela aboutisse à la remise de sommes d’argent ; il s’agit plutôt d’un droit conféré au créancier de demander paiement au tiers en cas de défaillance de l’emprunteur.
C’est ce tiers qui établit l’engagement par signature et a qualité d’établissement de crédit ; par conséquent la créance cédée est un prêt et non un solde du compte courant. »(Veuillez vérifier l’emplacement des guillemets)
La Cour Suprême relève enfin que selon le contrat, la créance devient immédiatement exigible en cas de non-paiement de l’ensemble de la dette (sic) ou d’une échéance. Le pourvoi est rejeté car la créance cédée est déterminée et exigible.

7. L’arrêt nous semble mal rédigé. Le vocabulaire (le terme prêt au lieu de crédit) qu’il a utilisé est approximatif sinon erroné. Il a certainement été contaminé par les termes approximatifs du contrat d’ouverture de crédit lui-même. Certaines banques utilisent, en effet, une seule formule contractuelle pour toutes sortes d’interventions qu’elles font. Ça peut être un prêt de somme d’argent ou une ouverture de crédit. Et dans le genre des ouvertures de crédit on ne distingue pas selon les espèces : crédit d’escompte, crédit par signature, découvert en compte… On en a pour preuve cette clause du contrat, relevée par l’arrêt commenté, qui énonce qu’en cas non-paiement de la totalité du crédit ou d’une échéance tout le crédit devient exigible. La clause de déchéance de terme est plutôt adaptée au prêt de somme d’argent remboursable par tranches successives.

8. Le contrat de cession de créance est, lui aussi, peu rigoureux car il définit la cause juridique de la créance cédée par référence au contrat d’ouverture de crédit. Or ce contrat ne fait que constater une promesse de la banque au profit du client. L’ouverture de crédit constitue une promesse de mettre à la disposition du bénéficiaire des moyens directs ou indirects de paiement (art. 705 du Code de commerce). Le bénéficiaire peut faire usage de cette faculté en toute liberté, ou encore de ne pas le faire ; comme il peut utiliser pour partie cette faculté. Au moment de la conclusion du contrat, la créance de la banque sur le client est future et incertaine (ou éventuelle). Ainsi quand une banque s’engage à se porter caution, il n’y a pas encore de cautionnement. Il n’y a même pas une promesse de cautionnement au profit d’un tiers. Quand la banque finit par consentir au cautionnement, et là son consentement doit-être exprès[4], sa créance contre le client demeure encore future et incertaine. La banque ne devient réellement créancière du débiteur principal, son client qui lui a donné l’ordre, que lorsqu’elle effectue le (ajouter) paiement au créancier. Ce paiement lui ouvre droit à un recours contre le débiteur pour être indemnisée de ce qu’elle a pu payer, à moins qu’elle n’ait perdu ce recours en raison de sa négligence. Ce recours peut être d’abord un recours personnel (art. 1505 du Code des obligations et des contrats) ; ce peut être aussi un recours subrogatoire (art. 1509 du Code des obligations et des contrats). Or justement c’est seulement cette créance qu’une banque peut céder à une société de recouvrement de créances. Une créance éventuelle ne peut être cédée. Donc le contrat de cession de créance soumis à l’examen de la Cour de cassation ne peut rigoureusement identifier la cause de la créance cédée dans le contrat d’ouverture de crédit. Il doit plutôt viser le paiement fait par la banque au bénéficiaire de l’engagement par signature. En droit, les juges de fond appelés à vérifier la validité de la cession doivent vérifier la réalité de la créance bancaire et la date de son exigibilité car en vertu de l’article 10 al. 2 de la loi du 4 février 1998, elle n’est susceptible de cession qu’après qu’elle ait été en souffrance pendant au moins trois cent soixante jours.

9.  Il arrive que la banque relaye le crédit par signature par un prêt qui ne donne pas lieu à une remise matérielle de fonds. Ainsi, la créance bancaire de remboursement fera l’objet d’un calendrier de paiement et elle est rémunérée par des intérêts. Quoiqu’il n’y ait pas de remise de fonds, il s’agit là d’un véritable contrat de prêt qui emporte novation de l’obligation. L’hypothèse est consacrée par l’article 1082 du Code des obligations et des contrats. Le banquier doit cependant prendre soin de réserver les privilèges et hypothèques de l’ancienne créance pour garantir celle naissant du contrat de prêt (art. 366 du Code des obligations et des contrats). En cas de défaillance du client à rembourser, la banque peut, en vertu d’une clause d’exigibilité immédiate prévue dans le contrat, déclarer exigible sa créance mais elle ne peut la céder à la société de recouvrement de créance qu’à après un an (art 10 de la loi du 2 février 1998). L’intérêt des développements qui précèdent est de nous inviter à  distinguer entre deux  créances susceptibles de cession ; celle naissant d’un crédit par signature et celle naissant d’un prêt sans remise matérielle de fonds mais plutôt de la novation d’une obligation antérieure  résultant de la mise en jeu d’un cautionnement bancaire. La Cour de cassation dans l’affaire commentée n’a pas pris soin de faire une telle analyse, elle a été probablement induite en erreur par la rédaction défectueuse du contrat de cession visé par l’action en nullité.

10. La créance de remboursement née de la mise en jeu d’un cautionnement peut faire l’objet d’une remise en compte courant. Cette remise a un effet extinctif et ne peut donner lieu à cession à la société de recouvrement de créance[5]. Dans ce cas, il faut attendre la clôture du compte pour voir s’il dégage un solde débiteur pouvant faire l’objet d’une cession à la société de recouvrement de créances. Cette dernière précision nous laisse déjà entrevoir la solution naissant du cas où, comme c’est le cas en l’espèce, une banque consent à son client, une ouverture de crédit sous forme de découvert en compte.

11.  L’ouverture de crédit constitue, nous l’avons vu[6], une promesse de crédit. L’une de ses formes est l’autorisation de découvert en compte courant. La convention précise la durée de l’engagement ; dans le silence du contrat sur ce point, l’ouverture de crédit est à durée indéterminée.
La convention fixe un plafond de crédits, appelé encore « encours maximal » ou  « ligne de crédit ». Le crédit promis se renouvelle automatiquement,  autrement dit la ligne de crédit se reconstitue à concurrence des  remboursements. Il est dit alors « revolving » ; ou permanent.
Comme le crédit ouvert se réalise à travers le compte courant et qu’il ne s’agit que d’une promesse de la banque que le client peut ou non l’utiliser,  la convention d’ouverture de crédit ne fait que constater une créance future et incertaine. Il faut attendre la clôture du compte pour fixer son solde définitif. C’est ce solde qui peut être cédé à une société de recouvrement de créance. Mais contrairement à toute autre créance bancaire, la cession peut se faire immédiatement sans besoin d’attendre le délai d’impayé de trois cent soixante jours (art 10 in fine de la loi du 4 février 1998).

12. Quand une banque détient plusieurs créances sur son client qu’elle souhaite céder à une société de recouvrement de créances, la convention doit préciser laquelle de ces créances fait l’objet de cession. S’agissant d’une obligation de somme, la détermination de l’objet de la cession se fait par l’indication du fait générateur, c’est-à-dire la source de l’obligation monétaire[7]. C’est même une condition de validité de la cession puisque l’objet d’une obligation doit être déterminé. La simple indication d’un montant est insuffisante à rendre l’objet de la cession déterminé[8].  Le manquement à cette exigence est sanctionné par la nullité absolue de la cession[9]. Un avenant destiné à préciser le fait générateur de l’obligation ne peut rendre valide la cession. Il faut passer un nouveau contrat.



[1]Art. 10 al 1er de la loi n°98-4 du 2 fév. 1998 : « Les créances qui peuvent être achetées par les sociétés de recouvrement des créances sont celles qui sont échues, impayées et déterminées dans leur montant et ce nonobstant, le fait que ces créances soient matérialisées par des conventions écrites ou autres ou par des titres de créances ou autres. 
Toutes les sociétés de recouvrement ne peuvent acheter les créances bancaires que lorsque le retard de paiement du principal et des intérêts de ces créances aura dépassé trois cent soixante jours à partir de leur échéance et que la banque ait constitué pour ces créances les provisions requises. »

[2] Art. 10 al 3 de la loi n°98-4 du 02 fév. 1998 : « Lorsque les créances découlent de comptes bancaires, elles peuvent être cédées aux sociétés de recouvrement de créances à compter de la date de la notification de la clôture des comptes courants ou des comptes de dépôt. Toutefois, il ne sera pas admis de demande de ratification de ces comptes même pour erreur, omission ou double emploi, pour des écritures remontant à plus de trois ans, à moins que, dans le même délai, le client débiteur ou la banque n’ait émis des réserves par lettre recommandée avec accusé de réception. »
[3] On admet en droit commun que toute créance, quelle qu’en soit la nature et l’objet (espèces ou autre prestation), quelles qu’en soient les modalités (pure et simple, conditionnelle ou à terme, exigible ou non) présente ou future ou même éventuelle. Voir Claude OPHÈLE, Cession de créance, Répertoire de Droit civil Dalloz, actualisation Juin 2019, n°38 et s. La loi n°98-4 du 02 fév. 1998 déroge au droit commun car elle requiert que la créance monétaire de la banque soit certaine et échue à plus d’un an. Pour la créance résultant d’un compte courant, la cession peut avoir lieu dès clôture du compte, donc dès qu’elle soit devenue certaine et dès l’échéance.
[4] Art. 1485 du Code des obligations et des contrats.
[5] Sauf clause contraire des parties, la remise en compte est obligatoire chaque fois que la créance de remboursement de la banque n’est pas assortie d’une sûreté légale ou conventionnelle. C’est une conséquence du principe de l’affectation générale ou la généralité du compte courant (art. 729 al. 1er du Code de commerce).
[6] Voir supra. N°8.
[7] Par exemple, la cession d’une créance représentative du solde d’un compte en banque se fait par l’indication de son intitulé.
[8] La même exigence de détermination est requise lorsqu’il s’agit de signifier une cession de créance.
[9] Il ne faut pas confondre une cession en bloc de créances avec l’exigence de détermination de l’objet de la cession. En pratique, les banques cèdent aux sociétés de recouvrement de créances un « paquet » ou « portefeuille » de créances, petites ou moyennes qu’elles détiennent sur un certain nombre de débiteurs. De telles cessions interviennent pour un prix global calculé statistiquement et non créance par créance. La vente en bloc est valable (art 582 du Code des obligations et des contrats).

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