Cession des créances bancaires aux
sociétés de recouvrement des créances.
Cass. civ., 68880.2012 du 12 mars
2013. Inédit.
1. L’exposé des faits révèle qu’un
contrat de prêt d’un montant de 400.000 dinars a été accordé par une banque à
son client qu’il utilise au fur à mesure
de ses besoins et que plus tard un avenant (sic) a été établi constatant
une ouverture de crédit sous forme d’engagement par signature, jusqu’à
concurrence de 400.000 dinars, et de découvert en compte courant jusqu’à
concurrence de 200.000 dinars. Le client déclare avoir reçu le 16 décembre 2005
notification d’une cession de créances intervenue entre la banque et une
société de recouvrement de créances datée du 31 décembre 2004 pour un montant
total de 325.000,114 dinars. Il agit en nullité de la cession pour cette raison
qu’elle porte sur le solde débiteur d’un compte courant qui n’a été clôturé par
la banque que tardivement après la cession de créance, soit le 7 mars 2006.
2. L’article 10 de la loi n°98-4 du 2
février 1998, relative aux sociétés de recouvrement de créances énonce qu’une créance bancaire ne peut être cédée
que si elle est
déterminée dans son montant, échue et demeurée
impayée pour au moins trois cent jours[1]
mais la créance née du fonctionnement d’un compte courant peut être cédée
qu’après clôture du compte[2].
C’est là un régime dérogatoire au droit commun[3].
3. Le pourvoi reproche à la cour d’appel d’avoir dénaturé les faits
dans la mesure où la créance visée dans l’acte de cession est une ouverture de
crédit sous forme d’engagement par signature et de découvert en compte courant
et non un prêt.
4. Selon la
Cour de cassation, la question est de savoir si « la créance cédée est née
d’un prêt pouvant être cédé conformément à la loi de 1998, comme il a été jugé
en appel, ou d’une ligne de financement permanente (sic) ne pouvant être cédée qu’après clôture du compte courant et détermination du solde
définitif.
5. Pour répondre à la question, la Cour
de cassation se réfère au contrat conclu entre la Banque et son client. Elle
dit littéralement qu’il consiste en un prêt d’un montant de 600.000
dinars réparti en un prêt d’engagement par signature à concurrence de
400.000 dinars et d’un prêt sous forme de facilités bancaires à
concurrence de 200.000 dinars ; Elle conclut que la cession de créance porte sur l’obligation née de ce
contrat.
6. La Cour de
cassation définit l’engagement par signature en ces termes. « Il s’agit
d’une technique utilisée en matière de crédit à long terme (sic) consentie en
faveur des entreprises et prend la forme d’une sûreté donnée par
l’établissement de crédit en faveur de ses clients sans que cela aboutisse à la
remise de sommes d’argent ; il s’agit plutôt d’un droit conféré au
créancier de demander paiement au tiers en cas de défaillance de l’emprunteur.
C’est ce
tiers qui établit l’engagement par signature et a qualité d’établissement de
crédit ; par conséquent la créance cédée est un prêt et non un solde du
compte courant. »(Veuillez vérifier l’emplacement des guillemets)
La Cour
Suprême relève enfin que selon le contrat, la créance devient immédiatement
exigible en cas de non-paiement de l’ensemble de la dette (sic) ou d’une
échéance. Le pourvoi est rejeté car la créance cédée est déterminée et exigible.
7. L’arrêt nous
semble mal rédigé. Le vocabulaire (le terme prêt au lieu de crédit) qu’il a
utilisé est approximatif sinon erroné. Il a certainement été contaminé
par les termes
approximatifs du contrat d’ouverture de crédit lui-même. Certaines
banques utilisent, en effet, une seule formule contractuelle pour toutes sortes
d’interventions qu’elles font. Ça peut être un prêt de somme d’argent ou une
ouverture de crédit. Et dans le genre des ouvertures de crédit on ne distingue
pas selon les espèces : crédit d’escompte, crédit par signature, découvert en
compte… On en a pour preuve cette clause du contrat, relevée par l’arrêt commenté,
qui énonce qu’en cas non-paiement de la totalité du crédit ou d’une échéance tout le
crédit devient exigible. La clause de déchéance de terme est plutôt adaptée au
prêt de somme d’argent remboursable par tranches successives.
8. Le contrat
de cession de créance est, lui aussi, peu rigoureux car il définit la cause
juridique de la créance cédée par référence au contrat d’ouverture de crédit.
Or ce contrat ne fait que constater une promesse de la banque au profit du
client. L’ouverture de crédit constitue une promesse de mettre à la disposition
du bénéficiaire des moyens directs ou indirects de paiement (art. 705 du Code
de commerce). Le bénéficiaire peut faire usage de cette faculté en toute
liberté, ou encore de ne pas le faire ; comme il peut utiliser pour partie
cette faculté. Au moment de la conclusion du contrat, la créance de la banque
sur le client est future et incertaine (ou éventuelle). Ainsi quand une banque
s’engage à se porter caution, il n’y a pas encore de cautionnement. Il n’y a
même pas une promesse de cautionnement au profit d’un tiers. Quand la banque
finit par consentir au cautionnement, et là son consentement doit-être exprès[4],
sa créance contre le client demeure encore future et incertaine. La banque ne
devient réellement créancière du débiteur principal, son client qui lui a donné
l’ordre, que lorsqu’elle effectue le (ajouter) paiement au créancier. Ce
paiement lui ouvre droit à un recours contre le débiteur pour être indemnisée
de ce qu’elle a pu payer, à moins qu’elle n’ait perdu ce recours en raison de
sa négligence. Ce recours peut être d’abord un recours personnel (art.
1505 du Code des obligations et des contrats) ; ce peut être aussi
un recours subrogatoire (art. 1509 du Code des obligations et des
contrats). Or justement c’est seulement cette créance qu’une banque peut céder
à une société de recouvrement de créances. Une créance éventuelle ne peut être
cédée. Donc le contrat de cession de créance soumis à l’examen de la Cour de
cassation ne peut rigoureusement identifier la cause de la créance cédée dans
le contrat d’ouverture de crédit. Il doit plutôt viser le paiement fait par la
banque au bénéficiaire de l’engagement par signature. En droit, les juges de
fond appelés à vérifier la validité de la cession doivent vérifier la réalité
de la créance bancaire et la date de son exigibilité car en vertu de l’article
10 al. 2 de la loi du 4 février 1998, elle n’est susceptible de cession
qu’après qu’elle ait été en souffrance pendant au moins trois cent soixante
jours.
9. Il arrive que la banque relaye le
crédit par signature par un prêt qui ne donne pas lieu à une remise matérielle
de fonds. Ainsi, la créance bancaire de remboursement fera l’objet d’un
calendrier de paiement et elle est rémunérée par des intérêts. Quoiqu’il n’y
ait pas de remise de fonds, il s’agit là d’un véritable contrat de prêt qui
emporte novation de l’obligation. L’hypothèse est consacrée par l’article 1082
du Code des obligations et des contrats. Le banquier doit cependant prendre
soin de réserver les privilèges et hypothèques de l’ancienne créance pour
garantir celle naissant du contrat de prêt (art. 366 du Code des obligations et
des contrats). En cas de défaillance du client à rembourser, la banque peut, en
vertu d’une clause d’exigibilité immédiate prévue dans le contrat, déclarer exigible sa créance
mais elle ne peut la céder à la société de recouvrement de créance qu’à après
un an (art 10 de la loi du 2 février 1998). L’intérêt des développements qui
précèdent est de nous inviter à distinguer entre deux créances susceptibles de cession ; celle
naissant d’un crédit par signature et celle naissant d’un prêt sans remise
matérielle de fonds mais plutôt de la novation d’une obligation antérieure résultant de la mise en jeu d’un cautionnement
bancaire. La Cour de cassation dans l’affaire commentée n’a pas pris soin de faire
une telle analyse, elle a été probablement induite en erreur par la rédaction
défectueuse du contrat de cession visé par l’action en nullité.
10. La créance de remboursement
née de la mise en jeu d’un cautionnement peut faire l’objet d’une remise en compte
courant. Cette remise a un effet extinctif et ne peut donner lieu à cession à
la société de recouvrement de créance[5].
Dans ce cas, il faut attendre la clôture du compte pour voir s’il dégage un
solde débiteur pouvant faire l’objet d’une cession à la société de recouvrement
de créances. Cette dernière précision nous laisse déjà entrevoir la solution
naissant du cas où, comme c’est le cas en l’espèce, une banque consent à son
client, une ouverture de crédit sous forme de découvert en compte.
11. L’ouverture de crédit constitue,
nous l’avons vu[6], une
promesse de crédit. L’une de ses formes est l’autorisation de découvert en
compte courant. La convention précise la durée de l’engagement ; dans
le silence du contrat sur ce point, l’ouverture de crédit est à durée
indéterminée.
La
convention fixe un plafond de crédits, appelé encore « encours maximal »
ou « ligne de crédit ». Le
crédit promis se renouvelle automatiquement,
autrement dit la ligne de crédit se reconstitue à concurrence des remboursements.
Il est dit alors « revolving » ; ou permanent.
Comme le crédit ouvert se réalise à travers le compte courant et qu’il
ne s’agit que d’une promesse de la banque que le client peut ou non l’utiliser, la convention d’ouverture de crédit
ne fait que constater une créance future et incertaine. Il faut attendre la
clôture du compte pour fixer son solde définitif. C’est ce solde qui peut être
cédé à une société de recouvrement de créance. Mais contrairement à toute autre
créance bancaire, la cession peut se faire immédiatement sans besoin d’attendre
le délai d’impayé de trois cent soixante jours (art 10 in fine de la loi
du 4 février 1998).
12. Quand une
banque détient plusieurs créances sur son client qu’elle souhaite céder à une
société de recouvrement de créances, la convention doit préciser laquelle de
ces créances fait l’objet de cession. S’agissant d’une obligation de somme, la
détermination de l’objet de la cession se fait par l’indication du fait
générateur, c’est-à-dire la source de l’obligation monétaire[7].
C’est même une condition de validité de la cession puisque l’objet d’une
obligation doit être déterminé. La simple indication d’un montant est
insuffisante à rendre l’objet de la cession déterminé[8].
Le manquement à cette exigence est
sanctionné par la nullité absolue de la cession[9].
Un avenant destiné à préciser le fait générateur de l’obligation ne peut rendre
valide la cession. Il faut passer un nouveau contrat.
[1]Art. 10 al 1er de la loi n°98-4 du 2 fév. 1998 : « Les créances qui peuvent être achetées par les sociétés de recouvrement des créances sont celles qui sont échues, impayées et déterminées dans leur montant et ce nonobstant, le fait que ces créances soient matérialisées par des conventions écrites ou autres ou par des titres de créances ou autres.
Toutes les sociétés de recouvrement ne peuvent acheter les créances bancaires que lorsque le retard de paiement du principal et des intérêts de ces créances aura dépassé trois cent soixante jours à partir de leur échéance et que la banque ait constitué pour ces créances les provisions requises. »
[2]
Art. 10 al 3 de la loi n°98-4 du 02 fév. 1998 : « Lorsque les créances
découlent de comptes bancaires, elles peuvent être cédées aux sociétés de
recouvrement de créances à compter de la date de la notification de la clôture
des comptes courants ou des comptes de dépôt. Toutefois, il ne sera pas admis
de demande de ratification de ces comptes même pour erreur, omission ou double
emploi, pour des écritures remontant à plus de trois ans, à moins que, dans le
même délai, le client débiteur ou la banque n’ait émis des réserves par lettre
recommandée avec accusé de réception. »
[3] On
admet en droit commun que toute créance, quelle qu’en soit la nature et l’objet
(espèces ou autre prestation), quelles qu’en soient les modalités (pure et
simple, conditionnelle ou à terme, exigible ou non) présente ou future ou même
éventuelle. Voir Claude OPHÈLE, Cession de créance, Répertoire de Droit civil Dalloz, actualisation Juin 2019, n°38 et s. La loi n°98-4 du 02 fév. 1998 déroge au droit commun car elle requiert que la créance monétaire de la
banque soit certaine et échue à plus d’un an. Pour la créance résultant d’un compte
courant, la cession peut avoir lieu dès clôture du compte, donc dès qu’elle soit
devenue certaine et dès l’échéance.
[4] Art.
1485 du Code des obligations et des contrats.
[5] Sauf clause contraire des parties, la remise en compte est obligatoire
chaque fois que la créance de remboursement de la banque n’est pas assortie
d’une sûreté légale ou conventionnelle. C’est une conséquence du principe de
l’affectation générale ou la généralité du compte courant (art. 729 al. 1er
du Code de commerce).
[6] Voir
supra. N°8.
[7] Par
exemple, la cession d’une créance représentative du solde d’un compte en banque
se fait par l’indication de son intitulé.
[8] La
même exigence de détermination est requise lorsqu’il s’agit de signifier une
cession de créance.
[9] Il
ne faut pas confondre une cession en bloc de créances avec l’exigence de
détermination de l’objet de la cession. En pratique, les banques cèdent aux
sociétés de recouvrement de créances un « paquet » ou
« portefeuille » de créances, petites ou moyennes qu’elles détiennent
sur un certain nombre de débiteurs. De telles cessions interviennent pour un
prix global calculé statistiquement et non créance par créance. La vente
en bloc est valable (art 582 du Code des obligations et des contrats).