Chronique de
jurisprudence en droit des sociétés commerciales
SA. Convocation d’une AGE par un mandataire ad hoc
L’article 277 du Code des
sociétés commerciales (CSC) détermine les personnes ayant pouvoir de convoquer
l’assemblée générale des actionnaires. En cours de vie sociale, la convocation
est normalement lancée par le conseil d’administration ou par le directoire. Mais
en cas de besoin ajoute le même texte, l’assemblée générale peut être convoquée,
entre-autre, par un mandataire nommé par le tribunal sur demande de tout
intéressé en cas d’urgence ou à la demande d’un ou plusieurs actionnaires
détenant au moins cinq pour cent du capital de la société anonyme lorsqu’elle
ne fait pas appel public à l’épargne ou trois pour cent lorsqu’elle fait appel
public à l’épargne. Dans l’arrêt de la Cour de cassation n°55339.2017 du 20
décembre 2017 (inédit), deux actionnaires détenant 80% du capital d’une société
anonyme ne faisant pas appel public à l’épargne agissent devant le président du
tribunal de première instance de Monastir, en soutenant que le mandat du
conseil d’administration, dont ils étaient membres, a expiré, que la société a
cédé la totalité de son actif industriel dans le cadre de la loi sur la
restructuration des entreprises publiques et qu’elle doit normalement être
dissoute et liquidée mais que l’ancien président-directeur général fait
obstruction à la tenue d’une assemblée générale extraordinaire et continue à
diriger la société de fait. Ils requièrent la nomination d’un mandataire ad
hoc pour être chargé de la convocation d’une assemblée générale
extraordinaire dont il précise l’ordre du jour. Ils n‘obtiennent satisfaction
qu’en second degré. La Cour de cassation rejette le pourvoi présenté par la
société et par l’actionnaire-dirigeant. L’intérêt de l’arrêt est multiple :
la situation d’urgence est avérée en présence d’une vacance dans les organes
sociaux ; l’existence de plaintes pénales contre les demandeurs n’empêche
pas la désignation d’un mandataire ad hoc ; la loi s’exprimant en
des termes généraux, le mandataire peut être chargé de la convocation d’une
assemblée générale ordinaire ou d’une assemblée générale extraordinaire. Enfin selon
la Cour Suprême, une clause des statuts ne peut valablement restreindre le
mandat du mandataire ad hoc à la seule convocation d’une AGO.
SA. Droit de communication et
droit de prendre copie des documents.
L’article 284 du CSC permet à un
ou plusieurs actionnaires détenant au moins cinq pour cent du capital d’une
société anonyme lorsqu’elle ne fait pas appel public à l’épargne ou trois pour
cent lorsqu’elle fait appel public à l’épargne, ou détenant une participation
au capital au moins égale à un million de dinars, a le droit d’obtenir, à tout
moment, des copies du rapport de gestion et de la liste des engagements hors
bilan, des rapports des commissaires aux comptes relatifs aux trois derniers
exercices, ainsi que des copies des procès-verbaux et feuilles de présence des
assemblées tenues au cours des trois derniers exercices. Si la société refuse
la demande en tout ou en partie, l’actionnaire peut saisir le juge des référés
à cet effet.
Le droit de prendre copies des
documents se rapportant à des exercices antérieurs ne doit pas être confondu
avec le droit de prendre communication des documents établis en prévision d’une
assemblée à tenir. Ce droit de communication est ouvert, en vertu de l’article
280 du même code, à tout actionnaire indépendamment du taux de sa
participation. Paradoxalement dans ce dernier cas, la loi ne prévoit aucune
mesure d’appui en faveur de l’actionnaire qui se voit refuser l’accès à ces
documents.
En l’espèce (Cass. N°56506 du
19/4/2018 inédit) et à l’occasion de la convocation à une assemblée générale
annuelle pour l’exercice 2014, deux actionnaires demandent à la société tout à
la fois une copie des documents se rapportant à cette assemblée et celle des
exercices passés. Ayant essuyé un refus, ils agirent contre la société sur le
fondement de l’article 284 et obtinrent du juge des référés une injonction de
remise des documents.
Répondant au pourvoi présenté par
la société, la Cour de cassation juge que la demande de prendre copie des documents
sur le fondement de l’article 284 n’a pas être motivée ; il suffit qu’elle
émane d’un ou plusieurs actionnaires détenant le minimum de participation
requis. La demande peut être formulée à tout moment, y compris à l’occasion de
la convocation d’une assemblée générale annuelle.
La lecture que fait l’arrêt sous
examen de l’article 284 est irréprochable s’agissant de remise d’une copie
des documents des exercices passés. On regrettera cependant que la rédaction de
284 soit insuffisante à assurer une réelle efficacité à l’intervention du juge
des référés. En effet, le texte prévoit que l’action doit être dirigée contre
la société alors qu’il fallait viser les dirigeants pris en leur nom personnel
et non la société qu’ils représentent. De même, il fallait permettre au juge des
référés de prononcer une astreinte et éventuellement de désigner un mandataire
chargé de procéder à la remise des documents.
Mais l’article 284 ne peut servir
de fondement à une demande relative à des documents se rapportant à une assemblée
générale à venir. C’est plutôt l’article 280 qui est applicable. On note
toutefois que ce texte ne consacre qu’un d’un droit de communication. L’actionnaire
ne peut que prendre note des documents qu’il consulte sur place. On peut admettre
qu’il puisse les photographier ou en faire un enregistrement sur magnétophone.
Mais il ne peut exiger de la société une remise matérielle d’une copie.
L’article 280 aurait dû, lui aussi, être complété du même dispositif prévu à
l’article 284, c’est-à-dire l’appui du juge des référés en cas d’obstruction
par la société à l’exercice du droit. Il est évident que l’actionnaire qui n’a
pas été en mesure d’exercer son droit de communication peut exercer une action
en nullité de la délibération s’il prouve que sa connaissance des documents
aurait pu modifier le vote des résolutions.
La Cour de cassation n’a pas, semble-t-il,
saisi la nature exacte du différend se rapportant aux documents de l’assemblée
générale annuelle de l’exercice 2014. Il est certain qu’une assemblée générale annuelle
fut convoquée sans que des documents aient été mis à la disposition des
actionnaires pour leur permettre de voter en toute connaissance de cause. Il
s’agit du rapport de gestion, de la liste des engagements hors bilan, les états
financiers et les rapports générale et spécial du commissaire aux comptes. Mais
selon la société, si ces documents font défaut c’est parce que l’initiative de
la convocation de l’assemblée générale n’émane pas du conseil d’administration mais
des actionnaires demandeurs. Ces derniers le reconnaissent dans leurs écritures
en réponse au pourvoi. « Ayant constaté le défaut de tenue d’une assemblée
générale dans les six premiers mois de l’année 2015, conformément à l’article
276 du CSC, et en considération de la mauvaise gestion de l’administration
actuelle et de défaut de convocation de l’assemblée générale, ils ont exercé la
présente action en référé. » En quelque sorte, les deux actionnaires ont
voulu vaincre l’inertie du conseil d’administration à convoquer l’assemblée
générale annuelle en fixant eux-mêmes une date pour sa tenue, en demandant à la
société d’établir les documents s’y rapportant et en exigeant qu’ils leur soient
remis. Quoique leur demande soit légitime, il faut reconnaître que le recours à
l’article 280 est inadéquat et la solution doit être recherchée ailleurs.
Groupe de sociétés. L’apparence
qu’une société appartenant à un groupe contribue aux engagements d’une autre société
du même groupe
Le groupe des sociétés ne remet
pas en cause l’autonomie patrimoniale des sociétés qui le composent. Ainsi, en
vertu de l’article 476 du CSC, un créancier d’une société appartenant à un
groupe de sociétés ne peut réclamer le payement de ses créances qu’à la société
débitrice. Néanmoins exceptionnellement en vertu du même article, un créancier peut
réclamer paiement à une autre société appartenant au même groupe ou aux deux
sociétés solidairement :
-
s’il établit que l’une de
ces sociétés a agi de manière à faire croire qu’elle contribue aux engagements
de la société débitrice appartenant au groupe ou lorsque la société mère ou
l’une des sociétés appartenant au groupe s’est sciemment immiscée dans
l’activité de la société débitrice dans les rapports avec les tiers.
L’arrêt de la Cour de cassation
n°30627.2014 du 17 mars 2016 (inédit) se veut une application de la première hypothèse,
mais hélas l’exercice n’est pas réussi. Les faits sont relativement simples.
Une banque, teneur de compte d’une société, a reçu du receveur des finances une
opposition administrative en garantie du paiement d’une créance publique sur
une société tierce. L’opposition administrative joue un rôle similaire à une
saisie-arrêt. Ainsi la banque fait une déclaration au receveur puis effectue
virement au profit du Trésor par débit du compte de la société cliente. Estimant
le débit non-régulier, la société titulaire du compte a demandé que le compte
soit crédité de nouveau. N’ayant pas obtenu satisfaction, elle agit en paiement.
Le juge de premier degré lui donne satisfaction mais la Cour d’appel de Tunis rend
un jugement infirmatif sur le fondement du premier tiret de l’article 476 du CSC.
La banque avance cette idée que la société cliente a payé dans le passé au
moyen d’un chèque tiré ce même compte une dette incombant à la société mère au profit
du Trésor. Ce paiement a laissé croire la banque qu’elle contribue aux
engagements de la société débitrice vis-à-vis de l’administration fiscale. La
Cour de cassation a eu à se prononcer sur deux questions : l’appartenance
des deux sociétés au même groupe de sociétés, ce qui constitue une question de
fait laissée à la prudence des juges de fond, et la réunion des conditions
d’application du deuxième tiret de l’article 476. La Cour Suprême approuve les
juges de fond d’avoir considéré que le paiement fait au profit du trésor a fait
croire que la société filiale contribue aux engagements de la société
débitrice.
On ne peut qu’être étonné que la
Cour de cassation tombe dans un tel biais. Elle est victime d’une illusion d’optique.
L’exception à l’autonomie patrimoniale des sociétés appartenant au même groupe de
sociétés est une protection donnée par la loi au créancier d’une société
appartenant au groupe. Ce créancier a cru légitimement qu’une
autre société contribue aux engagements de son propre débiteur. Or, dans notre
cas d’espèce, le seul créancier de la société mère est le Trésor public. Il est
le seul à pouvoir tirer bénéfice de la disposition légale et c’est au juge (et
non la banque !) d’apprécier le bien-fondé de sa prétention contre la
filiale. La banque teneur du compte de la filiale quant à elle n’est pas le créancier
de la société mère. Elle est plutôt débitrice de la filiale puisqu’elle est
tenue à son égard d’une obligation de restitution des sommes déposées en
compte. Quand la banque a débité la première fois le compte de son client du
montant du chèque, elle n’a fait qu’exécuter un ordre de paiement. Le mandat de
payer un chèque est au surplus abstrait de toute cause. Il ne peut donc
réellement produire une quelconque croyance dans l’esprit de la banque.