Chronique de jurisprudence commercialeFlorilège d’arrêts en matière de baux commerciaux
L’expression
baux commerciaux désigne les baux de locaux à usage commercial. Ils sont
régis tout à la fois par le droit commun du contrat de bail, contenu dans le
Code des obligations et des contrats, et par un texte spécial (la loi n°77-37
du 25 mai 1977) qui apporte en la matière des règles dérogatoires, considérées comme
étant d’ordre public.
Le droit au renouvellement du bail. La destination commerciale du local
Le
champ d’application de la législation spéciale est cantonné aux « baux des
immeubles ou locaux dans lesquels un fonds de commerce est exploité pendant
deux années consécutives au moins, que ce fonds appartienne à un commerçant,
industriel ou artisan. » Une difficulté récurrente concerne
l’artisan qui souhaite renouveler son bail à l’expiration de sa durée.
Littéralement, la loi ne vise que l’artisan qui exploite un fonds de commerce.
L’exigence semble être saugrenue. Un artisan, de services ou de production,
exploite normalement un fonds artisanal, mais c’est insuffisant pour qu’il bénéfice
de la protection légale. Par deux arrêts, la Cour de cassation dénie à un
réparateur de vélos (Cass., n°57530 du 15 mars 2018) et un coiffeur (Cass.,
n°55032 du 10 mai 2018) le bénéfice du renouvellement du bail, faute d’exploiter
un fonds de commerce. Ces artisans ont prétendu exercer une activité de négoce
en effectuant des actes d’achats en vue de la revente de produits en plus de leur
activité artisanale. Le réparateur de vélos serait un revendeur de pièces
détachées d’occasion et le coiffeur un revendeur de produits de soins corporels.
Les juges de fond, dans l’appréciation qu’ils ont fait des éléments de preuve
ont rejeté leurs prétentions. Soit que les preuves étaient constituées après le
préavis de non-renouvellement, soit que les achats étaient pour la consommation
artisanale, soit, enfin, qu’aucune inscription n’était prise au registre du
commerce. Exceptionnellement, l’artisan coiffeur pour dames s’est vu reconnaitre
un droit au bail (Ch. réunies. 42233 du 13 mars 1995, commentaires Fatma
Bouraoui-Dargouth, RTD 1997, p. 85). Un arrêt propose de requalifier
l’artisanat en industrie lorsqu’il y a des actes de spéculation sur les
équipements ou matières premières (Cass. 51366 du 22 nov. 2011, in Etudes en
droit commercial, Latrech, p. 410). Un artisan, dont le contrat indique la
destination artisanale du local loué, trouve de la peine à se prévaloir de
l’exercice du commerce. On lui objectera avoir commis une faute en changeant
unilatéralement la destination du local. Comme il a été justement remarqué
« le caractère de la location est déterminé non par l’usage que le
locataire a pu faire de la chose louée mais la destination que les parties sont
convenues de lui donner au moment du contrat » (Lamy droit commercial
2019, n°1006). En droit comparé français, le législateur reconnaît le droit au
renouvellement du bail tant aux commerçants exploitant un fonds de commerce
qu’aux artisans exploitant un fonds artisanal.
Un
local ayant une vocation commerciale au début du contrat peut la perdre s’il était
utilisé à des fins civiles, telles que l’habitation (Cass., 50898 du 29 mars 2018). Indépendamment
de la faute qui consiste à changer la destination contractuelle du local, il n’existe
plus de fonds de commerce et du coup le droit au renouvellement ne peut être reconnu
au preneur.
L’indemnité d’éviction. Le délai de forclusion
Le
bailleur qui entend refuser le renouvellement du contrat est tenu de donner
congé au locataire six mois à l’avance. Le congé signifié par huissier de
justice doit indiquer les motifs de non-renouvellement et reprendre les termes
de l’article 27 de la loi 1977. Cet article traite de la procédure à suivre par
le locataire s’il entend contester les motifs de non-renouvellement ou obtenir
une indemnité d’éviction. Le locataire dispose d’un délai de 3 mois (90 jours
exactement) pour porter l’action devant le tribunal compétent. Le délai pour
agir a une nature particulière que la Cour de cassation a rappelée. Il s’agit
d’un délai de forclusion qui ne peut être interrompu ou suspendu à la
différence du délai de prescription. Dans un arrêt (Cass., n°40744 du 31 mai
2017), le locataire s’est trompé de tribunal compétent et a dû refaire l’action
mais c’était hors délai. Le délai de forclusion, contrairement à la
prescription, touche à l’ordre public et peut être soulevé d’office par le
tribunal, même pour la première fois devant la Cour de cassation (art. 13
CPCC ; Cass., n° 51867 du 12 avr. 2018).
L’indemnité d’éviction. Sa détermination.
L’article 7 al. 1er de la loi de 1977 énonce que l’indemnité d’éviction due par le bailleur est, sauf exceptions dans certains cas spécifiques, égale « au préjudice causé au commerçant par le défaut de renouvellement du bail. » Mais l’al. 2 du même article donne des critères d’évaluation. « L’indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur. » Dans un arrêt (Cass., n°45027 du 15 nov. 2017, mentionné dans le rapport annuel de la Cour de cassation de 2017, p. 219), la Cour suprême considère, que l’emploi de l’adverbe « notamment » donne aux critères légaux un caractère énonciatif. Elle en tire la conséquence que le dommage réparable peut être une perte subie ou un gain manqué et de là le preneur doit être « dédommagé de la valeur des améliorations qu’il a apportées au local dont il était évincé ». La Cour de cassation censure ainsi la cour d’appel qui a refusé d’intégrer la valeur des améliorations dans le calcul de l’indemnité d’éviction. La solution manque, à notre avis, de rigueur juridique. L’indemnité d’éviction est une réparation du défaut de renouvellement. Généralement, on considère que le fonds de commerce est soit perdu, et le preneur doit recevoir une valeur équivalente pour acquérir un autre fonds auquel s’ajoute les droits d’enregistrement de la mutation (valeur de remplacement), soit simplement déplacé, auquel cas le preneur ne peut prétendre qu’aux frais de déménagement et de réinstallation (valeur de déplacement). En égard au caractère énonciatif des critères légaux, on peut retenir d’autres aspects du préjudice réparable, tels que les indemnités de licenciement du personnel ou les pertes financières résultant de l'arrêt d'activité du locataire. Mais la valeur des améliorations financées par le preneur en cours du bail relève du jeu de l’accession et elle est régie par les clauses du contrat et, à défaut, par l’article 36 du Code des droits réels.
La
révision judiciaire du loyer. La demande de révision
L’article
22 de la loi n°77-37 dispose que le loyer des baux à renouveler ou à réviser
doit correspondre à la valeur locative. Le bailleur ou le preneur peut demander
la révision du loyer selon une périodicité de trois ans au moins à partir de la
date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail
renouvelé. La demande en révision, à la hausse ou à la baisse, est signifiée
par une partie à l’autre par huissier de justice. Faut d'accord entre les parties dans le délai de
3 mois de la notification, la demande de révision sera jugée selon une
procédure fixée à l’article 28. Le délai de trois mois est donc un délai laissé
aux parties de trouver un accord. A défaut, la partie la plus diligente (en
principe le demandeur de la révision), peut saisir le tribunal compétent. En
pratique et afin échapper aux
conséquences de la demande de révision, l’autre partie agit pour en requérir la nullité,
généralement pour défaut de respect du délai de trois ans ou pour vice de
forme. L’erreur dans l’indication du loyer en cours n’est pas un vice de forme pouvant
entraîner la nullité (Cass., 47864 du 24 janv. 2018). L’action en nullité est
hors champs d’application de l’art 27 et obéit aux règles de droit commun tant
au niveau de la compétence d’attribution qu’au niveau du délai pour agir (Cass.,
48980 du 1er fév. 2018).
L’action
en révision stricto sensu n’est pas enfermée dans un délai, il en va autrement quand
il s’agit d’une offre de renouvellement du bail avec de nouvelles conditions.
Selon l’article 27, le locataire qui n’accepte pas les nouvelles conditions
financières du renouvellement doit agir dans le délai de trois mois sous peine
de forclusion (Cass., 47709 du 16 janv. 2018).
Assigné
à une révision du loyer à la hausse, le défendeur ne peut demander une révision
à la baisse (Cass., n° 51831 du 12 avr. 2018).
Révision judiciaire du loyer. La valeur locative
Il
est fréquent que le contrat de location prévoie une augmentation du loyer selon
un pourcentage et des périodicités convenus. La clause d’augmentation
unilatérale, énonce un arrêt, (Cass., n°51831 op. cit) ne doit pas être
confondue avec la clause d’échelle mobile, qui fixe le loyer par référence à certains
critères en rapport avec l’objet du contrat ou l’activité de l’une des parties.
S’il est exact que la clause d’augmentation n’est pas une clause d’échelle
mobile, la Cour de cassation fait erreur lorsqu’elle considère qu’une clause d’échelle mobile peut fixer
le loyer en fonction de l’activité d’une partie (le locataire). Il s’agit
plutôt d’une clause recettes. L’existence
d’une clause recettes aboutissant à fixer un loyer variable en fonction de
l’évolution du chiffre d’affaires n’est pas soumise à la révision judiciaire.
La
validité de la clause d’augmentation périodique est incertaine car, selon
l’article 22 précité, le loyer des baux à renouveler ou à réviser doit
correspondre à la valeur locative. Toujours est-il qu’elle reste applicable
tant qu’un jugement ne soit pas intervenu pour l’annuler ou tant qu’une
révision judiciaire ne soit pas intervenue (Cass., 47869 du 20 sept. 2017, in
rapport annuel op. cit., p. 220).
La
valeur locative est déterminée selon des critères énonciatifs fixés par l’article
22. En pratique, les tribunaux ordonnent une expertise et retiennent trois
critères : la comparaison avec des locaux similaires, le rendement
escompté de l’immeuble et le taux d’augmentation des prix (taux d’inflation)
(Cass., n°51831 op. cit.). La référence à ces deux derniers critères ne nous semble
pas correcte. Le rendement escompté par le bailleur est subjectif et la prise
en compte du taux général d’inflation est contraire à l’ordre public et conduit
à une inflation exponentielle.
Chronique publiée in le Manager, Juin 2019, n°253, pp. 20-21