Les entreprises de restauration collective
Aspects de droit du travail
I- Circulation
des salariés et externalisation
Des hôpitaux publics, des établissements privés de santé, des restaurants scolaires ou universitaires, des maisons de retraite, des établissements pénitentiaires, des entreprises de production pétrolière, de grands établissements publics ou des groupes de sociétés etc. offrent à leurs usagers, clients ou personnels des services de restauration collective, voire même des logis, dont la gestion peut être assurée par l’établissement concerné ou externalisée. Le recours à l’externalisation présente l’avantage de permettre à l’entreprise bénéficiaire de recentrer son action sur le cœur de son métier.
L’entreprise tierce qui assure le service de restauration ou d’entretien et de nettoyage des logements est généralement sélectionnée suite à un appel d’offres lancé sur la base d’un cahier des charges. Si le contrat est passé avec une entité publique, sa qualification peut être, selon les cas, un marché public ou une délégation de service public. Lorsque les contractants sont des opérateurs de droit privé, le contrat est un contrat d’entreprise (art 866 COC). Les services contractuels sont fournis dans des locaux propres à l’établissement intéressé, avec ses équipements de cuisine et son petit matériel d’exploitation. Le prestataire de service en a simplement l’usage à titre gratuit à charge pour lui d’en assurer la conservation. C’est un prêt à usage (art 1055 COC).
Quelle qu’elle soit sa nature, le contrat est conclu pour une durée déterminée. Un moment avant l’expiration de la durée, l’établissement bénéficiaire lance un nouvel appel d’offres et le jeu de la concurrence permettra de dire si l’entreprise en place sera reconduite ou laissera la place à une autre. Dans ce dernier cas, la question se pose de savoir si le personnel de l’entreprise sortante poursuit la relation de travail avec celle qui lui succède. L’entité bénéficiaire des services peut passer d’un mode d’externalisation à une gestion directe et la même difficulté se pose de dire si le personnel du prestataire est transmis à l’entité bénéficiaire. Nous sommes là en présence d’un problème de circulation des salariés entre un ancien et nouvel employeur.
L’article 15 du Code de travail (CT) dispose que « le contrat de travail subsiste entre le travailleur et l’employeur en cas de modification de la situation juridique de ce dernier notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds et mise en société » La disposition est reprise mot par mot d’une solution consacrée en droit français par la loi du 19 juillet 1928 et reprise à l’article 1224‐1 du Code du travail. Elle signifie le transfert automatique des contrats de travail en cours -peu importe leur durée (CDD et CDI)-, comme conséquence du transfert d’entreprise. C’est là une exception au principe de la relativité des conventions (art 242 COC). Le transfert automatique est d’ordre public et s’impose tout aussi bien au nouvel employeur qu’aux salariés. Le refus par un salarié de rejoindre son poste de travail, suite au transfert, est constitutif d’une faute pouvant justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire à son encontre. Le nouvel employeur qui refuse de reprendre un ou plusieurs salariés commet licenciement ouvrant droit à indemnisation au profit du salarié concerné. Par ailleurs, l’ancien et le nouvel employeur ne peuvent convenir du contraire et assurer, frauduleusement, un licenciement avant transfert de l’entreprise. « La fraude aux règles d'ordre public du transfert d'entreprise étant caractérisée, les sociétés cédante et cessionnaire [seront] solidairement responsables. » (Julien Icard, les Cahiers Sociaux, 1er mars 2015, n°272, p. 159)
Mais faut-il encore que les conditions du transfert légal soient vérifiées. Cela suppose tout d’abord que l’entreprise passe d’une personne à une autre, c’est-à-dire un changement de personne. L’instrument par lequel est assuré le transfert peut être, selon l’article 15 du CT, un décès, une vente, une fusion, une transformation de fonds ou un apport en société. Mais la liste est donnée à titre indicatif. On aura l’occasion de le vérifier dans le cas de changement d’entreprise de restauration collective. Le transfert doit enfin porter sur une entreprise, c’est-à-dire à un ensemble de moyens matériel et humain assurant une finalité économique.
La difficulté d’application du texte résulte du fait que, dans certains cas, il n’y pas de lien direct entre l’ancien et le nouvel employeur. C’est le cas lorsqu’un service public était délégué à deux concessionnaires successifs. Une solution ancienne consacrée par la Cour de cassation française (Cass. civ., 27 févr. 1934, DH 1934, p. 252) avait admis l’application de la solution légale au changement de concessionnaire. Pour éviter une application excessivement extensive de la règle, l’esprit de nuance avait amené la jurisprudence à distinguer le transfert d’entreprise et la perte de marché. Il y a une simple perte de marché quand une entreprise se succède dans l'entretien et le nettoyage de locaux (Cass. soc., 7 nov. 1989, Bull. civ. 1989, V, n° 644) ou dans le gardiennage. En revanche il y a cession d’entreprise lorsqu’une entreprise de restauration collective succède à une autre. Selon un arrêt de Cour de cassation française du 24 nov. 2009, le transfert des moyens d'exploitation nécessaires à la poursuite de l'activité de l'entité peut être indirect. « Ayant constaté que le service de restauration de l'établissement constituait en son sein une entité économique autonome et que les moyens en locaux et en matériels nécessaires au fonctionnement de ce service avaient été mis à la disposition des prestataires successifs, [la cour d'appel] en a exactement déduit le transfert d'une entité économique autonome, peu important que d'autres matériels ou produits aient été apportés par le dernier exploitant » (Les cahiers sociaux, 1er mars 2010, n°218, p. 87). Comme nous l’avons signalé plus haut, l’entrepreneur de restauration collective utilise les locaux et les équipements de restauration dans le cadre d’un contrat de prêt à usage. Or ce même contrat est passé avec son successeur et le transfert d’entreprise est indirect. Mais la solution retenue par les tribunaux suppose une relation triangulaire (Patrick Morvan, Transfert d’entreprise. Domaine, Fasc. 19-50, JurisClasseur Travail Traité n°121) Ainsi par exemple quand l’entité bénéficiaire des services de restauration décide d’assurer elle-même le service, il n’y a pas de transfert d’entreprise, mais seulement une perte de marché et donc la reprise des contrats de travail ne peut lieu par l’effet de la loi.
A défaut de transfert d’une entreprise, la circulation des salariés ne peut être assurée que par voie conventionnelle. Ainsi, Le consentement de toutes les parties concernées est requis.
II- Champ
d’application des conventions collectives sectorielles et accords atypiques de
travail
Le lendemain des événements de 14 Janvier 2011, certaines entreprises de restauration collective, surtout celles assurant des services dans des sites de production pétrolière ou électrique avaient connu des mouvements de revendication sociale. Les grévistes avaient réclamé l’application de la convention collective nationale des hôtels classés touristiques et établissements similaires. Ils auraient pu réclamer l’application de la convention collective nationale des cafés, bars restaurants et établissements similaires, mais la première leur était, semble-t-il, plus favorable. Certains employeurs avaient été conduits à céder en concluant avec les syndicats de base des accords pour une application progressive de la convention sectorielle. En droit de tels accords non de l’accord que le nom. Car pour qu’il y ait une véritable convention, il faut une rencontre de volontés entre deux sujets de droit. Or un syndicat de base n’a pas de personnalité juridique et ne peut donc être partie à une convention. Considérés comme tels ces accords sont nuls mais ils sont convertis, en application de l’article 328 COC, en actes unilatéraux qui obligent valablement l’employeur envers les salariés (art 22 COC).
En l’espèce, une fois la convention collective sectorielle eut été rendue effective pour le futur, certains salariés avaient agi en justice pour demander son application rétroactive.
Les actions syndicales peuvent globalement poursuivre deux objectifs. Soit elles tendent au changement du droit en vigueur soit elles tendent à forcer son respect. Dans ce dernier cas, l’action syndicale n’est pas exclusive d’un éventuel recours en justice.
La demande d’application rétroactive de la convention sectorielle sous-entend que cette dernière est applicable de jure dès l’origine. Il s’agit d’une manière générale d’un problème de détermination du champ d’application d’une convention collective sectorielle.
Le champ d'application d'une convention collective sectorielle est exprimé en termes d'activité économique. Pour une entreprise exploitée sous une forme sociale, le juge tient compte de l'activité réelle indépendamment de la dénomination de la société ou de la définition statutaire de son objet. En pratique, les difficultés d'application surgissent soit parce qu'une entreprise exerce plusieurs activités à la fois soit parce que les termes d'une convention sont flous. Tel est le cas de la convention nationale des hôtels classés touristiques et établissements similaires. L'expression "établissements similaires" autorise une extension du champ d'application de la convention au-delà des hôtels classés touristiques qui renvoient à une catégorie normalisée d'entreprise. La même expression est encore utilisée dans deux autres conventions collectives (bars, cafés et restaurants et entreprise de gardiennage, de sécurité et de transport de personnel). Il appartient au juge de dire si une entreprise de restauration collective est un établissement similaire à un hôtel touristique classé. La convention collective s’interprète comme toute loi conformément aux directives d’interprétation de droit commun. Quand bien même elle prévoit la création d’une commission paritaire entre les parties signataires habilitée à résoudre les différends nés à l’occasion de son interprétation, le juge demeure compétent à exercer son impérium et n’est pas tenu de surseoir à statuer. Dans le cas d’espèce, la mission du juge est un peu facilitée car la convention collective énonce donne des exemples de ce qui est considéré comme étant similaire à un hôtel classé de tourisme. Il s’agit des pensions, villages de vacances, relais et motels. Même si la convention date de 1975 son interprétation peut se faire à la lumière de la nomenclature des établissements hôteliers donnée par le décret n°2007-457 du 6 mars 2007 portant classement des établissements fournissant des services d’hébergement. Elle vise outre les hôtels touristiques, les appart-hôtels, les villages de vacances, les motels, les pensions de famille, les campements, les hôtels de charme, les gîtes ruraux, les résidences touristiques et les chambres d’hôtes.
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