Le contrat de franchise et le droit de la concurrence
Définition. Le contrat de
franchise est défini à l’article 14 de la loi 2009-69 relative au commerce de
distribution comme « le contrat par lequel le propriétaire d’une marque
ou d’une enseigne commerciale accorde le droit de son exploitation à une
personne physique ou morale dénommée franchisé, et ce, dans le but de procéder
à la distribution de produits ou à la prestation de services moyennant une
redevance. Le droit d’exploitation de la franchise comprend le transfert des
connaissances acquises, le savoir faire et l’exploitation des droits de la
propriété intellectuelle. » La définition légale du contrat de
franchise est incomplète car d’une part elle ne mentionne pas la contrepartie
que doit payer le franchisé pour le bénéfice des droits de propriété
intellectuelle et des connaissances du franchiseur et d’autre part, elle doit
être complétée par les indications de l’article 16 de la même loi où il est
précisé que « le franchiseur est tenu de fournir au franchisé durant la
relation contractuelle l’assistance commerciale et technique… » Ainsi
le contrat de franchise doit être entendu « comme celui où il comprend des
licences de marque et d’enseigne, une communication de connaissances et une
assistance technique. » Il se distingue des contrats voisins de
distribution, tels que le contrat de distribution sélective, la licence de
marque, le contrat de prêt d’enseigne, le contrat d’affiliation, le contrat de
mandat d’intérêt commun, le contrat de licence de savoir-faire, le contrat
d’agence commerciale, le contrat de concession.
Incomplétude
du régime de la franchise. La définition légale figurant dans la loi de 2009-69 n’est pas le
prélude à une régulation complète du contrat de franchise. Le législateur
tunisien, à l’instar de plusieurs législateurs étrangers, a préféré s’en
remettre à la volonté des parties pour la détermination du contenu de leur
contrat. La loi s’est contentée de renvoyer à un décret d’application (D.
2010-1501) dont l’objet est seulement d’indiquer aux parties ce qu’elles
doivent convenir dans leur contrat. Elle pose des données minimales, c’est une
sorte de liste de pointage utile pour les rédacteurs de contrat.
Risque
d’entente illicite. La loi de 2009-69 laisse cependant entière la question de la
conformité des contrats de franchise au droit de la concurrence, jadis
réglementé par la loi n°91-64 relative à la concurrence et aux prix et
aujourd’hui par la loi n°2015-36, portant réorganisation de la concurrence et
les prix. Le rapport entre le contrat de franchise et le droit de la
concurrence, sujet de notre chronique mérite d’être abordée pour deux raisons
au moins. La première tient au fait que la protection des signes distinctifs et
du savoir-faire implique la présence dans le contrat de franchise de clauses
susceptibles de tomber sous le coup de la prohibition des ententes. La deuxième
tient au fait que la généralisation des réseaux de franchises peut, par leur
effet cumulatif restreindre l’accès au marché.
L’article 5
de la loi 2015-36 "prohibe les actions concertées et les ententes
expresses ou tacites visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la
concurrence sur le marché lorsqu’elles tendent à :
1- faire
obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de l’offre et de la demande ;
2- limiter
l’accès au marché à d’autres entreprises ou le libre exercice de la concurrence
;
3- limiter ou
contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès
technique ;
4- répartir
les marchés ou les sources d’approvisionnement".
Au vu de ce
texte, les éléments constitutifs d'une entente sont au nombre de deux :
- Un accord
ou une concertation entre deux ou plusieurs entreprises.
- Un objet
ou des effets restrictifs sur la concurrence.
Sanction de
l’entente illicite. La violation de l’interdiction de l’entente entraîne trois
sanctions : une amende non pénale prononcée par le Conseil de la
concurrence[1]
et la nullité civile du contrat que prononce le juge de l’ordre judiciaire ;
le juge pénal peut également prononcer une sanction pénale si l’entente donne
lieu à l’une des pratiques restrictives condamnées per se par les
articles 33 à 37 de la loi n°2015-36.
Possibilité
d’une exemption. L’article 6 de la loi 91-64 qui était applicable à l’époque de la
promulgation de la loi 2009-69 prévoit à son article qu’elles ne sont pas
anticoncurrentielles, les ententes et les pratiques dont les auteurs justifient
qu’elles ont pour effet un progrès technique ou économique et qu’elles
procurent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. Ces
pratiques sont soumises à l’autorisation du ministre du commerce après avis du
Conseil de la concurrence.
L’exposé des
motifs du projet de la loi n°2009-69 présente la reconnaissance juridique du
contrat de franchise comme s’inscrivant dans la perspective d’une modernisation
du commerce de distribution. Mais le respect des contraintes posées par la loi
91-64 oblige les parties à solliciter, au cas par cas, une autorisation du
ministre chargé du commerce. Il a été estimé que « la franchise concourt
donc à augmenter le nombre des offreurs (commerçants) face à la clientèle, et
devient un facteur de concurrence » (Claude Lucas de Leyssac et
Glibert Parleani, Droit du marché, PUF, 2002, p. 840)
Exemption
catégorielle de certains contrats de franchise. Pour éviter de
prendre des décisions individuelles, le ministre du commerce a pris un arrêté
en date du 28 juillet 2010 « portant l’octroi systématique, à certains
contrats de franchise, de l’autorisation prévue par l’article 6 de la loi
n°91-64. » Il s’agit d’un arrêté à caractère réglementaire qui ne
correspond pas réellement aux prévisions de la loi de 91-64 qui ne prévoit que
des exemptions individuelles. C’est la nouvelle loi n°2015-36 qui valide
rétroactivement cet arrêté ministériel. Désormais selon l’article 6, il est
permis au ministre chargé du commerce « d’exempter les ententes,
pratiques ou catégories d’accords dont les auteurs justifient qu’ils
sont nécessaires pour garantir un progrès économique et qu’ils procurent aux utilisateurs
une partie équitable du profit qui en résulte. »
Limites de
l’exemption catégorielle. Il est bien évident que l’exemption catégorielle ne joue qu’en
présence d’un véritable contrat de franchise. Il n’est pas interdit au juge de
la concurrence de requalifier le contrat soumis à son examen en fonction de son
contenu car la qualification donnée par les parties à leur contrat ne s’impose
pas à lui.
Le domaine
d’application de l’exemption « est limité à toutes les franchises pour les
marques tunisiennes[2]
et pour certains secteurs de distribution ou de services pour les marques
étrangères. » (28 secteurs) Quand le système de l’exemption par catégorie
n’est pas applicable, il faudra revenir au système de l’exemption individuelle.
Caractère anticoncurrentiel
de certaines clauses du contrat de franchise. La prohibition de l’entente, nous
l’avons vu, s’apprécie tant par son objet anticoncurrentiel que
par son effet. Certaines clauses du contrat de franchise sont
condamnables en raison de leur objet. La multiplication des contrats de
franchise peut produire un effet anticoncurrentiel.
Prohibition de l’entente en raison
de son objet anticoncurrentiel. L’article 2 du décret 2010-1501,
portant fixation des clauses minimales obligatoires des contrats de franchise
prévoit notamment que le contrat de franchise détermine les conditions
d’exclusivité, les clauses de non-concurrence, la délimitation de la zone
géographique exclusive d’exploitation de la marque ou de l’enseigne
commerciale. De telles clauses si elles existent dans le contrat auront un
objet anticoncurrentiel mais seront a priori valides si l’on s’en tient
à une interprétation littérale du texte. En réalité, les autorités de la
concurrence étrangères ont une position plus nuancée. C’est ce que nous allons
voir.
La clause d’exclusivité
territoriale. Ainsi en matière d’exclusivité territoriale, la réservation d’un
territoire au franchisé peut conduire à des effets anticoncurrentiels dans deux
cas : lorsque le revendeur n’est pas autorisé à effectuer des ventes
passives (répondre à des commandes en provenance d’utilisateurs situés en
dehors de la zone d’exclusivité) et des ventes à d’autres franchisés.
La clause de non-concurrence
post-contractuelle, qui en droit civil tunisien
(art. 118 COC) peut être limitée dans le temps ou dans l’espace et pas
nécessairement dans le temps et dans l’espace comme en droit français, est
destinée à protéger le savoir-faire transmis au franchisé. Mais elle ne doit
pas excéder ce qui est nécessaire à la protection du franchiseur[3].
C’est ainsi que dans une affaire connue par le Conseil de la concurrence en
matière de franchise avant la loi de 2009 (Décision n°2-94 du 25 mai 1994, RJL
juil. 1995), il a invité la défenderesse, déjà en position dominante sur le
marché, à réduire la durée de la clause de non-rétablissement à une année. Le
Conseil de la concurrence a réitéré cette position dans une affaire opposant
les gérants des stations de services à des sociétés de distribution des
produits pétroliers (Décision n°5196 du 31 déc. 2005, Rapport annuel 2005,
annexe II, p. 168).
Les clauses d’exclusivité
d’approvisionnement ne sont valables qu’autant qu’elles sont nécessaires à
la protection de la renommée de la franchise. Le Conseil de la concurrence
tunisien a reconnu la validité de la clause d’approvisionnement exclusif
insérée dans un contrat de franchise quand le produit a un lien avec l’activité
exercée dans le cadre de la franchise (Décision n°2-94 précitée). Le
franchiseur a, en effet, un souci légitime pour que les consommateurs ne soient
pas induits en erreur sur l’origine des produits. Dans cette même logique, le
Conseil de la concurrence français a estimé que le franchiseur ne peut imposer « une
unité centrale définie par le fabricant et une référence dès lors que tous les
ordinateurs P.C sont compatibles entre eux. » (Yves Marot, Franchise et
droit français de la concurrence, LPA. 27 nov. 1998, n°142, p. 120).
Les accords de prix. Le
décret 2010-1501 énonce à son article 4 que « le contrat de franchise
ne doit comporter des clauses anticoncurrentielles relatives à l’imposition des
prix de revente. » Le franchiseur peut cependant conseiller un prix
maximum ou minimum à la revente. Mais si le contrat ou la pratique des affaires
montre que le franchiseur assure une police des prix, il y aura une pratique de
prix imposé. « Il en est ainsi du pré-étiquetage par le fournisseur des
prix de revente ou l’existence d’une clause selon laquelle le franchisé
s’obligeait à commercialiser des articles aux prix indicatifs communiqués par
le franchiseur, envoi aux franchisés de prospectus portant la mention du prix
de revente à respecter. » Le Conseil de la concurrence français a
sanctionné la pratique d’absence de transparence et d’information des
revendeurs franchisés sur le montant des remises rétrocédés par le franchiseur
agissant comme une centrale de référencement amenant les revendeurs à calculer
leur prix de revente au consommateur à partir du seul prix d’achat
correspondant au tarif fournisseur (Jean-Michel Vertut, Communications en
matière de prix de revente et droit de la concurrence, CCC, n°11, Nov. 2000,
chron. 15.)[4]
L’interdiction de fixer le prix de revente n’interdit pas selon le Conseil de
la concurrence français la concertation sur les prix de revente entre les
membres du réseau quand ils ne sont pas situés sur la même zone territoriale
(Louis Vogel. Droit français de la concurrence, 2006-2007, p. 336).
Les clauses d’objectif. De
même l’article 4 du décret 2010-1501 interdit de fixer un chiffre d’affaires
minimum. Les clauses d’objectif sont ainsi nulles.
Prohibition de l’entente en raison
de son effet anticoncurrentiel. L’entente est prohibée quand elle
produit des effets anticoncurrentiels. C’est le cas par l’effet cumulatif de
réseaux parallèles. « L’accord de distribution ne s’apprécie pas isolément
car l’existence de contrats similaires est une circonstance, qui avec d’autres,
peut former un ensemble constitutif du contexte économique et juridique dans
lequel le contrat doit être apprécié. La règle de « l’effet
cumulatif » signifie que « lorsque la totalité ou la quasi-totalité
des fournisseurs présents sur le marché en nombre réduit impose à une fraction
très importante des distributeurs des contrats d’exclusivité similaire, cela
peut conduire à un verrouillage du marché. L’article 6 de la loi n°2015-36
dispose à cet effet l’entente exemptée ne doit pas conduire à exclure
totalement la concurrence sur le marché ou une partie substantielle du marché. »
(Philipe Le Tourneau et Michel Zoïa, Conditions de validité des contrats de
concession au regard du droit de la concurrence, Fasc 1030, Jurisclasseur
Contrat-Distribution, n°29)
Nous terminons cette brève analyse
par deux remarques.
Franchise et abus de dépendance
économique. La franchise peut donner lieu à une pratique anticoncurrentielle
prohibée par l’article 5 de la loi 2015-36. C’est lorsque le franchiseur abuse
de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve le franchisé.
Mais le Conseil de la concurrence pose pour cela certaines conditions dont
l’une risque de ne pas d’être remplie. Le Conseil de la concurrence exige
qu’elles soient prouvées :
-
la notoriété de la marque
du partenaire
-
la part qu’elle occupe
sur le marché de référence,
-
la part du partenaire
dans le chiffre d’affaires du client ou fournisseur,
-
la difficulté pour ce
dernier de trouver une solution équivalente
Il ajoute cependant que « la dépendance
économique ne doit pas résulter du comportement de la personne en dépendance
économique ou de sa politique commerciale, étant considéré que la dépendance
économique est un état subi et non volontaire. » Il
peut être rétorqué au franchisé qui se plaint d’un abus de dépendance
économique qu’il s’est volontairement soumis au régime de la franchise.
Franchise et concentration
économique. La franchise peut être l’instrument ou l’occasion d’une opération
concentration économique auquel cas il faudra obtenir une autorisation du
ministre du commerce dans les conditions de l’article 7 de la loi n°2015-36.
Article publié sur les colonnes du magazine Le Manager, Déc. 2015, n°214, p. 72.
[1] La loi
n°2015-36 a rehaussé le plafond de l’amende qui peut atteindre 10% du chiffre
d’affaires de l’intéressé réalisé la dernière année précédent le jugement. Le
montant de l’amende était plafonné à 5% dans la loi de 91.
[2] La
généralité de l’exemption pour les marques tunisiennes ne doit pas abuser car la
définition de la franchise donnée par l’article 14 de la loi 2009-69 exclut la
franchise industrielle.
[3] Voir
l’article 120 COC. La clause doit avoir été stipulée pour servir un intérêt
légitime.
[4] Comparer
avec l’actuel art. 34 de la loi 2015-36.
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