LES SARL
1. La loi n°2019-47 du 29 mai 2019,
relative à l’amélioration du climat des affaires a modifié et complété
certaines dispositions du Code des sociétés commerciales (CSC) applicables aux
sociétés à responsabilité limitée pluripersonnelle, aux sociétés
unipersonnelles à responsabilité limitée et aux sociétés anonymes. Nous les
traitons successivement dans trois chroniques distinctes. Nous commençons par
la SARL.
1- La constitution de la SARL
2. L’art. 96 (ancien) CSC exigeait que les
statuts indiquent l’établissement bancaire habilité à recevoir des fonds.
Désormais, cette mention n’est plus nécessaire. Dans le sillage de la
réécriture de l’art. 96, il n’est plus besoin, selon l’art. 98 (nouveau) CSC,
de déposer les fonds dans un établissement bancaire. Une telle réforme a de
quoi surprendre à un moment où les pouvoirs publics essaient de limiter la
manipulation des fonds hors circuit bancaire.
3. Le législateur n’a pas saisi les difficultés juridiques posées par la nouvelle règle. D’une part, on ne doit pas perdre de vue que la société à responsabilité limitée exige la libération immédiate des fonds. Or selon l’art. 97 CSC, « la société n’est n'est constituée définitivement que lorsque les statuts mentionnent que toutes les parts représentant des apports en numéraires ou en nature, ont été réparties entre les associés et que leur valeur a été totalement libérée. Les fondateurs doivent mentionner expressément dans les statuts que ces conditions ont été respectées. » Concrètement en application de cet article, les statuts ne peuvent être signés que si les fonds sont déjà libérés. Le législateur traite ces obligations déclaratives d’une manière rigoureuse en prévoyant une peine pénale contre « les associés de la société à responsabilité limitée qui dans l’acte constitutif de la société ou lors d’une augmentation du capital social font sciemment de fausses déclarations. » Etant tenus à une libération des fonds avant la signature des statuts, les associés (ou le fondateur) doivent le faire par un dépôt chez un banquier au nom de la société en formation. La loi a maqué de déclarer les fonds indisponibles pour les faire échapper à la poursuite des créanciers personnels des associés.
4. L’ancien al. 2 de l’art. 98 CSC prévoyait que
si la société à responsabilité limitée n’est pas constituée dans le délai de
six mois à compter du dépôt des fonds, tout apporteur peut saisir le juge des
référés afin d’obtenir l’autorisation de retirer le montant de ses apports. Dans
la société anonyme, il est prévu un mécanisme proche : les souscripteurs
peuvent, si la société n’est pas constituée dans un délai de six mois, demander
au président du tribunal la restitution des fonds qu’il a déposés après
soustraction de sa quote-part dans les frais de distribution, par ordonnance
sur requête. La question se posant dans les mêmes termes devait recevoir une
réponse uniforme. C’est ce qu’a consacré la modification de l’al. 2 de l’art.
98 CSC par la loi nouvelle. Le retrait des fonds se fait désormais sur
ordonnance sur requête. Les associés peuvent, par mandat, obtenir retrait des
fonds. Nul besoin alors d’obtenir une ordonnance sur requête.
2- Les assemblées générales
a- La convocation des assemblées générales
5. La convocation de l’assemblée générale est une
prérogative du gérant. Quand ils sont plusieurs, et sauf clause expresse, chacun
peut convoquer l’assemblée générale. Pour éviter que le gérant n’ait une
maîtrise absolue sur le fonctionnement des assemblées délibératives, le
législateur permet que l’initiative de convocation soit ouverte aux associés.
Sous l’empire des textes antérieurs, il était prévu deux cas de convocation en
quelque forcée de l’AG. Que les statuts ne peuvent y faire échec :
-
Les
associés détenant le quart du capital peuvent une fois par an demander au
gérant qu’il convoque l’assemblée générale. Le gérant a une compétence liée. Le
refus de convocation constitue de sa part une faute.
-
Les
associés quel que soit le taux de détention du capital peuvent demander au juge
des référés qu’il requiert du gérant, du commissaire aux comptes, s’il en
existe un d’un administrateur ad hoc qu’il convoque l’assemblée
générale. Le juge contrôle la légitimité de la demande.
6. La loi de 2019 a ajouté un troisième cas de
convocation en dehors de la volonté du gérant. Les associés détenant la moitié
du capital ou les associés détenant le 10% du capital si le nombre des associés
au sein de la société ne dépasse pas 10 peuvent directement convoquer
l’assemblée générale. Ainsi, les associés ne passent ni par le gérant ni par le
juge des référés. La nouvelle mesure répond, en pratique, au besoin des
associés majoritaires qui se trouvent confrontés à un gérant minoritaire mais
statutaire quasiment irrévocable car il détient une minorité de blocage.
b- La proposition de nouvelles résolutions à l’ordre du jour
7. Un ou plusieurs associés représentant au
moins cinq pour cent du capital social peuvent demander l’inscription de
projets supplémentaires de résolutions à l’ordre du jour de l’assemblée
générale annuelle.
Les associés ne détenant pas le nombre de
parts sociales requis peuvent se réunir pour déposer un projet de résolutions
commun. Les projets de résolutions sont adressés à la société par lettre
recommandée avec accusé de réception avant la tenue de la première réunion.
8. La loi ne fixe pas un délai buttoir pour le
dépôt des propositions de nouvelles résolutions. Logiquement, le délai doit
être antérieur à l’envoi de la lettre de convocation aux associés.
9. Le projet de résolution déposé n’a pas à
coïncider avec l’ordre du jour de l’assemblée, mais il doit prendre la forme
d’une décision et relever de la compétence de l’assemblée générale considérée.
10. Le refus de déférer à une demande d’ajout
d’un projet de résolution peut-être sanctionné de la nullité (art. 128 CSC).
c- Contrôle des conventions réglementées
11. Jusqu’à la veille de la réforme de 2019,
l’assemblée générale annuelle n’exerce qu’un contrôle sur les opérations
passées par la société avec certaines personnes qui lui sont liées. C’est un
contrôle a posteriori fondé sur un motif de suspicion.
12. S’inspirant du système des conventions réglementées des sociétés anonymes, la loi étend le contrôle des associés à certaines autres opérations déterminées en raison de leur objet, estimé en quelque sorte important. Il s’agit des opérations de :
- vente du fonds de commerce ou d’un élément constituant le fonds de commerce, sa location à un tiers sauf s’il s’agit de l’activité principale de la société en tant marchand de biens ;
-
cession
de plus de la moitié de la valeur brute comptable de l’actif immobilisé;
-
emprunt
important dont les statuts déterminent le seuil ;
-
vente
des immeubles quand les statuts le prévoient.
-
garantie
des dettes d’autrui sauf si les statuts dispensent l’approbation dans la limite
d’un certain montant fixé.
i- Opérations sur certains éléments d’actif
13. Est soumise à approbation la cession des
fonds de commerce ou de l’un des éléments qui les composent ainsi que les
opérations de location des fonds de commerce.
Lorsque le fonds de commerce constitue l’activité principale exercée par
la société, il faudra obtenir une autorisation de l’assemblée générale
extraordinaire. Lorsque l’objet de la société est l’achat en vue de la revente
ou la location de fonds de commerce, (marchand de biens) aucune approbation
n’est requise. En visant « la cession d’un des éléments composant le fonds
de commerce », la règle pêche par excès. Il faut entendre l’élément important
du fonds de commerce.
14. A la différence des opérations sur le fonds
de commerce, le régime de contrôle de cession des immeubles n’est mis en œuvre
qu’en vertu d’une stipulation des statuts. Cette différence de traitement est
inexpliquée lorsque l’objet social est lié à l’exploitation d’un bien immeuble.
15. La cession de plus de la moitié de la valeur
brute comptable des actifs immobilisé est enfin soumise à approbation.
ii- Les emprunts importants
16. Les emprunts importants dont le montant est
déterminé par les statuts sont également soumis à approbation de l’assemblée
générale. La question est cependant délicate à trancher lorsque les statuts
omettent de poser un chiffre précis.
iii- Garantie des engagements des tiers
17. Lorsqu’elle n’est pas interdite et par
conséquent nulle, en vertu de l’art. 116 CSC, en raison de la qualité du
débiteur principal, la garantie par la société à responsabilité limitée des
engagements des tiers est possible et n’est pas soumise à autorisation
préalable. La société ne peut contester la validité du cautionnement au
prétexte que le gérant a agi en dehors de l’objet social ou que la garantie est
contraire à l’intérêt social. Néanmoins dans l’ordre interne, une telle
garantie est soumise à l’approbation de l’assemblée générale.
18. Le terme ‘’garantie’’ comprend les sûretés personnelles. Peu
importe qu’elles soient accessoires (cautionnement, ducroire) ou indépendantes
(garantie à première demande, aval). Le terme désigne aussi les cautionnements
réels.
19. Les statuts peuvent dispenser de
l’approbation lorsque la garantie est faite dans la limite d’un certain montant
précisé dans les statuts.
iv- Remarques finales
20. Le contrôle a posteriori institué par l’art. 115, sur la cession de certains éléments d’actifs ou les emprunts importants, tient compte de la solution de droit commun qui fait que ces opérations peuvent se faire sans que les associés ne soient consultés pour donner leur autorisation. Ils relèvent de la compétence de la gérance.
21. En pratique, toutefois on peut rencontrer deux hypothèses qui sont de nature à dispenser de la procédure d’approbation. Le plus souvent, un gérant loyal
et avisé obtient l’autorisation des associés de procéder à l’opération de
cession ou d’emprunt important « quand bien même la loi ne le lui
imposerait pas. » Il arrive par ailleurs que les statuts limitent les
pouvoirs du gérant en lui imposant particulièrement l’obtention d’une
autorisation de céder ou d’emprunter. Dans les deux hypothèses précédentes, il n’est
plus nécessaire de soumettre à l’approbation de l’assemblée générale des
opérations de cession d’actifs ou d’emprunt qu’elle a autorisées.
3- Le commissariat aux comptes
22. Un ou plusieurs associés détenant des parts
sociales représentant 5% du capital social peuvent demander d’inscrire à
l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle la question de la désignation
d’un ou plusieurs commissaires aux comptes quand bien même la société ne
remplit pas les critères prévus à l’art. 13 CSC. L’assemblée délibère, dans ce
cas, conformément à la procédure prévue à l’alinéa précédent. Le nouveau texte
réduit le seuil de participation requis pour présenter une demande de
nomination d’un commissaire aux comptes à l’ordre du jour. Il était fixé par
l’ancien texte à 10%. La réécriture du texte est rendue nécessaire après que le
législateur ait permis aux associés d’ajouter un projet de résolutions à
l’ordre du jour.
23. Le juge ne peut exercer un contrôle sur le
refus des associés majoritaires de la proposition de nomination.
4- Paiement du dividende
24. Le paiement des dividendes doit intervenir,
selon le nouveau texte (art 140 CSC), au plus tard trois mois à compter de la
date de l’assemblée générale ayant décidé la mise en distribution. Un délai
supérieur est possible à la condition d’une décision unanime des associés. La
même règle a été d’ailleurs ajoutée à l’art. 288 CSC pour les sociétés
anonymes.
24. Le point de départ du délai de mise en paiement est la décision de l’assemblée générale de distribuer un dividende. En droit comparé français, il est prévu un délai de neuf mois à compter de la date de clôture de l’exercice. Il est en outre permis de demander au président du tribunal de commerce, statuant sur requête de la société, de proroger le délai de mise en paiement. La question est de savoir si malgré le silence du législateur le juge tunisien peut intervenir pour ordonner la prorogation du délai.
25. Le retard de paiement entraîne le versement d’intérêt de retard calculé au taux légal en matière commerciale. Les statuts peuvent prévoir un taux conventionnel.
Article publié in le Manager, Juillet 2019