mercredi 28 août 2019

Du nouveau en droit des sociétés commerciales LES SARL


LES SARL
1. La loi n°2019-47 du 29 mai 2019, relative à l’amélioration du climat des affaires a modifié et complété certaines dispositions du Code des sociétés commerciales (CSC) applicables aux sociétés à responsabilité limitée pluripersonnelle, aux sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée et aux sociétés anonymes. Nous les traitons successivement dans trois chroniques distinctes. Nous commençons par la SARL.

1-     La constitution de la SARL

2. L’art. 96 (ancien) CSC exigeait que les statuts indiquent l’établissement bancaire habilité à recevoir des fonds. Désormais, cette mention n’est plus nécessaire. Dans le sillage de la réécriture de l’art. 96, il n’est plus besoin, selon l’art. 98 (nouveau) CSC, de déposer les fonds dans un établissement bancaire. Une telle réforme a de quoi surprendre à un moment où les pouvoirs publics essaient de limiter la manipulation des fonds hors circuit bancaire.
3. Le législateur n’a pas saisi les difficultés juridiques posées par la nouvelle règle. D’une part, on ne doit pas perdre de vue que la société à responsabilité limitée exige la libération immédiate des fonds. Or selon l’art. 97 CSC, « la société n’est n'est constituée définitivement que lorsque les statuts mentionnent que toutes les parts représentant des apports en numéraires ou en nature, ont été réparties entre les associés et que leur valeur a été totalement libérée. Les fondateurs doivent mentionner expressément dans les statuts que ces conditions ont été respectées. » Concrètement en application de cet article, les statuts ne peuvent être signés que si les fonds sont déjà libérés. Le législateur traite ces obligations déclaratives d’une manière rigoureuse en prévoyant une peine pénale contre « les associés de la société à responsabilité limitée qui dans l’acte constitutif de la société ou lors d’une augmentation du capital social font sciemment de fausses déclarations. » Etant tenus à une libération des fonds avant la signature des statuts, les associés (ou le fondateur) doivent le faire par un dépôt chez un banquier au nom de la société en formation. La loi a maqué de déclarer les fonds indisponibles pour les faire échapper à la poursuite des créanciers personnels des associés.
4. L’ancien al. 2 de l’art. 98 CSC prévoyait que si la société à responsabilité limitée n’est pas constituée dans le délai de six mois à compter du dépôt des fonds, tout apporteur peut saisir le juge des référés afin d’obtenir l’autorisation de retirer le montant de ses apports. Dans la société anonyme, il est prévu un mécanisme proche : les souscripteurs peuvent, si la société n’est pas constituée dans un délai de six mois, demander au président du tribunal la restitution des fonds qu’il a déposés après soustraction de sa quote-part dans les frais de distribution, par ordonnance sur requête. La question se posant dans les mêmes termes devait recevoir une réponse uniforme. C’est ce qu’a consacré la modification de l’al. 2 de l’art. 98 CSC par la loi nouvelle. Le retrait des fonds se fait désormais sur ordonnance sur requête. Les associés peuvent, par mandat, obtenir retrait des fonds. Nul besoin alors d’obtenir une ordonnance sur requête.

2-     Les assemblées générales

a-      La convocation des assemblées générales
5. La convocation de l’assemblée générale est une prérogative du gérant. Quand ils sont plusieurs, et sauf clause expresse, chacun peut convoquer l’assemblée générale. Pour éviter que le gérant n’ait une maîtrise absolue sur le fonctionnement des assemblées délibératives, le législateur permet que l’initiative de convocation soit ouverte aux associés. Sous l’empire des textes antérieurs, il était prévu deux cas de convocation en quelque forcée de l’AG. Que les statuts ne peuvent y faire échec :
-          Les associés détenant le quart du capital peuvent une fois par an demander au gérant qu’il convoque l’assemblée générale. Le gérant a une compétence liée. Le refus de convocation constitue de sa part une faute.
-          Les associés quel que soit le taux de détention du capital peuvent demander au juge des référés qu’il requiert du gérant, du commissaire aux comptes, s’il en existe un d’un administrateur ad hoc qu’il convoque l’assemblée générale. Le juge contrôle la légitimité de la demande.
6. La loi de 2019 a ajouté un troisième cas de convocation en dehors de la volonté du gérant. Les associés détenant la moitié du capital ou les associés détenant le 10% du capital si le nombre des associés au sein de la société ne dépasse pas 10 peuvent directement convoquer l’assemblée générale. Ainsi, les associés ne passent ni par le gérant ni par le juge des référés. La nouvelle mesure répond, en pratique, au besoin des associés majoritaires qui se trouvent confrontés à un gérant minoritaire mais statutaire quasiment irrévocable car il détient une minorité de blocage.
b-      La proposition de nouvelles résolutions à l’ordre du jour
7. Un ou plusieurs associés représentant au moins cinq pour cent du capital social peuvent demander l’inscription de projets supplémentaires de résolutions à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle. Les associés ne détenant pas le nombre de parts sociales requis peuvent se réunir pour déposer un projet de résolutions commun. Les projets de résolutions sont adressés à la société par lettre recommandée avec accusé de réception avant la tenue de la première réunion.
8. La loi ne fixe pas un délai buttoir pour le dépôt des propositions de nouvelles résolutions. Logiquement, le délai doit être antérieur à l’envoi de la lettre de convocation aux associés.
9. Le projet de résolution déposé n’a pas à coïncider avec l’ordre du jour de l’assemblée, mais il doit prendre la forme d’une décision et relever de la compétence de l’assemblée générale considérée.
10. Le refus de déférer à une demande d’ajout d’un projet de résolution peut-être sanctionné de la nullité (art. 128 CSC).
c-      Contrôle des conventions réglementées
11. Jusqu’à la veille de la réforme de 2019, l’assemblée générale annuelle n’exerce qu’un contrôle sur les opérations passées par la société avec certaines personnes qui lui sont liées. C’est un contrôle a posteriori fondé sur un motif de suspicion.
12. S’inspirant du système des conventions réglementées des sociétés anonymes, la loi étend le contrôle des associés à certaines autres opérations déterminées en raison de leur objet, estimé en quelque sorte important. Il s’agit des opérations de : 

-          vente du fonds de commerce ou d’un élément constituant le fonds de commerce, sa location à un tiers sauf s’il s’agit de l’activité principale de la société en tant marchand de biens ;
-          cession de plus de la moitié de la valeur brute comptable de l’actif immobilisé;
-          emprunt important dont les statuts déterminent le seuil ;
-          vente des immeubles quand les statuts le prévoient.
-          garantie des dettes d’autrui sauf si les statuts dispensent l’approbation dans la limite d’un certain montant fixé.
i-                    Opérations sur certains éléments d’actif
13. Est soumise à approbation la cession des fonds de commerce ou de l’un des éléments qui les composent ainsi que les opérations de location des fonds de commerce.  Lorsque le fonds de commerce constitue l’activité principale exercée par la société, il faudra obtenir une autorisation de l’assemblée générale extraordinaire. Lorsque l’objet de la société est l’achat en vue de la revente ou la location de fonds de commerce, (marchand de biens) aucune approbation n’est requise. En visant « la cession d’un des éléments composant le fonds de commerce », la règle pêche par excès. Il faut entendre l’élément important du fonds de commerce.
14. A la différence des opérations sur le fonds de commerce, le régime de contrôle de cession des immeubles n’est mis en œuvre qu’en vertu d’une stipulation des statuts. Cette différence de traitement est inexpliquée lorsque l’objet social est lié à l’exploitation d’un bien immeuble.
15. La cession de plus de la moitié de la valeur brute comptable des actifs immobilisé est enfin soumise à approbation.
ii-                  Les emprunts importants
16. Les emprunts importants dont le montant est déterminé par les statuts sont également soumis à approbation de l’assemblée générale. La question est cependant délicate à trancher lorsque les statuts omettent de poser un chiffre précis.
iii-                Garantie des engagements des tiers
17. Lorsqu’elle n’est pas interdite et par conséquent nulle, en vertu de l’art. 116 CSC, en raison de la qualité du débiteur principal, la garantie par la société à responsabilité limitée des engagements des tiers est possible et n’est pas soumise à autorisation préalable. La société ne peut contester la validité du cautionnement au prétexte que le gérant a agi en dehors de l’objet social ou que la garantie est contraire à l’intérêt social. Néanmoins dans l’ordre interne, une telle garantie est soumise à l’approbation de l’assemblée générale.
18. Le terme ‘’garantie’’ comprend les sûretés personnelles. Peu importe qu’elles soient accessoires (cautionnement, ducroire) ou indépendantes (garantie à première demande, aval). Le terme désigne aussi les cautionnements réels.
19. Les statuts peuvent dispenser de l’approbation lorsque la garantie est faite dans la limite d’un certain montant précisé dans les statuts.
iv-                Remarques finales
20. Le contrôle a posteriori institué par l’art. 115, sur la cession de certains éléments d’actifs ou les emprunts importants, tient compte de la solution de droit commun qui fait que ces opérations peuvent se faire sans que les associés ne soient consultés pour donner leur autorisation. Ils relèvent de la compétence de la gérance. 
21. En pratique, toutefois on peut rencontrer deux hypothèses qui sont de nature à dispenser de la procédure d’approbation. Le plus souvent, un gérant loyal et avisé obtient l’autorisation des associés de procéder à l’opération de cession ou d’emprunt important « quand bien même la loi ne le lui imposerait pas. » Il arrive par ailleurs que les statuts limitent les pouvoirs du gérant en lui imposant particulièrement l’obtention d’une autorisation de céder ou d’emprunter. Dans les deux hypothèses précédentes, il n’est plus nécessaire de soumettre à l’approbation de l’assemblée générale des opérations de cession d’actifs ou d’emprunt qu’elle a autorisées.

3-     Le commissariat aux comptes

22. Un ou plusieurs associés détenant des parts sociales représentant 5% du capital social peuvent demander d’inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle la question de la désignation d’un ou plusieurs commissaires aux comptes quand bien même la société ne remplit pas les critères prévus à l’art. 13 CSC. L’assemblée délibère, dans ce cas, conformément à la procédure prévue à l’alinéa précédent. Le nouveau texte réduit le seuil de participation requis pour présenter une demande de nomination d’un commissaire aux comptes à l’ordre du jour. Il était fixé par l’ancien texte à 10%. La réécriture du texte est rendue nécessaire après que le législateur ait permis aux associés d’ajouter un projet de résolutions à l’ordre du jour.
23. Le juge ne peut exercer un contrôle sur le refus des associés majoritaires de la proposition de nomination.

4-     Paiement du dividende

24. Le paiement des dividendes doit intervenir, selon le nouveau texte (art 140 CSC), au plus tard trois mois à compter de la date de l’assemblée générale ayant décidé la mise en distribution. Un délai supérieur est possible à la condition d’une décision unanime des associés. La même règle a été d’ailleurs ajoutée à l’art. 288 CSC pour les sociétés anonymes.
24. Le point de départ du délai de mise en paiement est la décision de l’assemblée générale de distribuer un dividende. En droit comparé français, il est prévu un délai de neuf mois à compter de la date de clôture de l’exercice. Il est en outre permis de demander au président du tribunal de commerce, statuant sur requête de la société, de proroger le délai de mise en paiement. La question est de savoir si malgré le silence du législateur le juge tunisien peut intervenir pour ordonner la prorogation du délai. 
25. Le retard de paiement entraîne le versement d’intérêt de retard calculé au taux légal en matière commerciale. Les statuts peuvent prévoir un taux conventionnel.

Article publié in le Manager, Juillet 2019