Lectures dans
la jurisprudence du Tribunal administratif en droit de la concurrence
1) Abus de position dominante du titulaire d’un monopole légal
Dans cette
affaire (Cass. n°311833 et 311838 du 11 oct. 2011, recueil de la
jurisprudence du Tribunal administratif 2011, p. 635.), une société se
plaint devant le Conseil de la concurrence du fait qu’un laboratoire et une
société de distribution avaient mis sur le marché un insecticide destiné à l’usage
des ovins et des bovins comportant une notice non conforme à l’autorisation de
mise sur le marché et doté des mêmes caractéristiques et de la même
dénomination qu’un pesticide fabriqué localement, ledit pesticide ne convenant
en fait qu’à l’usage des bovins. La demanderesse s’estime être lésée d’une
concurrence déloyale et d’une atteinte à la libre concurrence dont elle demande
d’y mettre fin. Le Conseil de la concurrence a fait intervenir dans la
procédure la Pharmacie centrale de Tunisie puis l’a condamnée, avec les
défenderesses, à une amende pour abus de position dominante. La chambre d’appel
du Tribunal administratif confirme la décision du Conseil de la concurrence.
La Pharmacie
centrale de Tunisie dénie, dans un premier moyen de cassation, la compétence du
Conseil de la concurrence à juger un comportement lié au fonctionnement du
service public dont elle a la charge. Le Tribunal administratif rejette le
pourvoi en estimant que dans la mesure où la Pharmacie centrale de Tunisie
commercialise un produit non autorisée et en dehors des missions qui lui sont
dévolues en vertu de la loi, elle ne fait que s’adonner à des activités
marchandes s’évinçant de la compétence du juge administratif et relevant, à
titre exclusif, de la compétence du Conseil de la concurrence.
Dans un second
moyen de cassation, les juges d’appel sont critiqués pour avoir considéré que
la Pharmacie centrale de Tunisie bénéficie d’une position dominante sur le
marché alors qu’une telle position résulte de la loi. Critiquer le monopole,
selon le pourvoi, revient à organiser un contrôle de la constitutionnalité de
la loi. L’argument n’a pas prospéré devant le tribunal administratif, une
position dominante peut résulter de l’effet de la loi.
Certaines
personnes publiques (mais aussi privées) bénéficient d’un monopole légal pour
l’exercice d’une activité économique. La création du monopole ne peut être que
l’œuvre du législateur dans la mesure où il apporte une restriction à un
principe de valeur légale, celui de la liberté du commerce et de l’industrie.
Le tribunal administratif a eu l’occasion de rappeler que la liberté du
commerce et de l’industrie ne peut être limitée qu’en vertu d’une loi et non en
vertu d’un texte à caractère réglementaire.
A l’intérieur
des activités monopolisées le titulaire jouit d’une protection contre la
concurrence. Mais à l’extérieur du monopole, en exerçant une activité
complémentaire, malgré la restriction qu’impose le principe de la spécialité de
l’objet, l’entreprise monopolistique est soumise au droit de la concurrence,
c’est ce que consacre le Tribunal administratif dans la décision rapportée. Mais
on se demande, par une interprétation a contrario de l’arrêt, si le
Tribunal administratif considère que lorsque la titulaire agit à l’intérieur du
monopole il échappe aux règles du droit de la concurrence interdisant l’abus de
position dominante. La Cour de cassation française a admis qu’une entreprise
bénéficiant d’un monopole légal reste soumise au droit de la concurrence.
C’était à l’occasion d’une action en nullité pour abus de position dominante intentée
devant le juge civil contre EDF bénéficiant d’un monopole légal, qui avait
inséré dans les contrats de fourniture une clause de limitation de
responsabilité (Cass. com., 18 déc. 2007, n°04-16.069, Bull. civ. IV, n° 268,
D. 2008, p. 154, obs. Delpech X). En l’espèce, la clause n’est pas jugé
abusive.
Dernière
remarque à propos de l’espèce commentée. Comme l’on peut constater, le Conseil
de la concurrence valablement saisi, n’est pas tenu par les prétentions de la
demanderesse. Il a attrait à la procédure, par la technique de l’intervention
forcée, la personne ayant été à l’origine d’une pratique anticoncurrentielle
sur le marché pertinent.
2) Concession et représentation exclusive - Entente illicite
Il s’agit, dans cette espèce, (Ch. d’appel n°25707 et 2571 du 28 janvier 2011, recueil de la jurisprudence du Tribunal administratif 2011, p. 637.) d’un contrat de représentation exclusive de parfum commercialisé sous une marque de renommée appartenant à une société étrangère. Celle-ci après avoir été pendant une dizaine d’années en relation d’affaires avec un importateur tunisien a décidé de rompre avec lui et de changer de distributeur. Par là même, le titulaire de la marque refuse d’approvisionner l’ancien distributeur et l’oriente, pour satisfaire ses besoins, vers le nouveau. Les faits remontent à une époque où la loi interdisait, sauf autorisation du ministre chargé du commerce, les contrats de concession et de représentation exclusive. Mais en vertu de la loi n°2005-60 en date du 18 juillet 2005 l’interdiction fut supprimée.
La chambre d’appel du Tribunal administratif estime que la preuve de la violation de l’interdiction des contrats de concession et de représentation exclusive peut être rapportée par tout moyen. En droit commun de la preuve, l’exclusivité est, vis-à-vis des tiers, un fait juridique qui peut être prouvé par tout moyen (art. 478 COC). Elle est suffisamment établie, dans notre cas, par cette circonstance que dans l’intervalle de la rupture avec l’ancien distributeur, le producteur étranger n’a livré que le nouveau distributeur. La chambre d’appel fait même l’exégèse d’une lettre commerciale adressée par télécopie par l’entreprise étrangère à l’ancien distributeur selon laquelle « son distributeur la société XX se charge de satisfaire sa commande. » Il n’est pas dit que telle société XX est l’un de nos distributeurs et peut satisfaire votre commande.
L’appelante a voulu bénéficier, en cours de procédure, de l’effet de la nouvelle loi supprimant l’interdiction expresse des contrats de concession et de représentation exclusive. La chambre d’appel comme on peut s’y attendre n’a pas été sensible à un tel argument puisque les faits étaient survenus et avaient épuisé leurs effets sous l’empire de l’ancienne loi. C’est donc bien jugé, car la loi nouvelle n’a pas un effet rétroactif de nature à rendre valable un contrat non valide le jour de sa formation. Mais faut-il encore remarquer que la suppression par la nouvelle loi de l’interdiction des contrats de concession et de représentation exclusive est purement formelle. L’interdiction des clauses d’exclusivité dans les contrats de distribution est suffisamment comprise dans l’interdiction des ententes exprimée par l’article 5 de la loi du 29 juillet 1991, (aujourd’hui l’article 5 de la loi n°2015-36 du 15 septembre 2015, portant réorganisation de la concurrence et des prix). En effet, la clause d’exclusivité expresse ou tacite peut avoir un effet anticoncurrentiel dans la mesure où elle limite l’accès au marché à d’autres entreprises ou le libre exercice de la concurrence.
3) Le monopole d’exploitation conféré par les droits voisins aux droits d'auteur
Les contrats de concession et de représentation (contrat d’agence commerciale) exclusive ne doivent pas être confondus avec les licences de droit d’auteur. La chambre d’appel du Tribunal administratif a senti la différence sans pouvoir l’exprimer valablement (Ch. appel n°25172 du 10 mars 2012, recueil de la jurisprudence du Tribunal administratif 2011, p. 766.) Il s’agit en l’espèce d’un producteur de cassettes audios établi en Tunisie qui reproche à son concurrent d’avoir conclu avec un producteur étranger un contrat de licence l’autorisant, à titre exclusif, à produire et à vendre son catalogue de cassettes audios en Tunisie. Le demandeur a soutenu qu’un tel contrat viole l’interdiction des contrats de concession et de représentation exclusive (les faits remontent à l’an 2003). La chambre d’appel confirme la décision du conseil de la concurrence rejetant la demande au fond. Pour ce faire, elle est allée à vérifier si le contrat de licence comprenait une clause conférant une exclusivité à l’entreprise licenciée. La solution au final est juste mais son fondement juridique est erroné. Il fallait plutôt revenir aux règles régissant les droits d’auteur. Pour s’en tenir à la loi tunisienne, en application de l’article 32 de la loi n° 94-36 du 24 février 1994, relative à la propriété littéraire et artistique aucun exploitant ne peut fabriquer ou faire fabriquer, dans un but commercial, un certain nombre d'exemplaires d'une œuvre protégée, par le biais de l'enregistrement mécanique sur disques ou sur bandes magnétiques (PHONOGRAMME) ou audio-visuelles (VIDEOGRAMME) ou par n'importe quel autre procédé d'enregistrement sauf par contrat écrit, établi avec l'auteur de l'œuvre ou son représentant. » Le contrat doit notamment préciser « les conditions d'exploitation d'après les normes établies par accord entre les parties. » (art. 33-b) Comme l’on peut constater les producteurs de disques audios ou bandes magnétiques agissent en respect des droits de l’auteur de l’œuvre. Or les producteurs de supports audio ou audiovisuels sont eux-mêmes titulaires de droits voisins aux droits d’auteur. « La notion de droits voisins du droit d'auteur est liée à l'apparition des technologies permettant la reproduction ou la diffusion des prestations artistiques : l'enregistrement (sonore, visuel, audiovisuel) et les techniques de communication permettent de nouveaux modes d'exploitation du travail des artistes qui, tant qu'on ne pouvait pas réutiliser leurs prestations, ne s'exprimaient que dans le cadre du spectacle dit aujourd'hui « vivant », et exigent qu'on leur accorde des droits sur leurs interprétations ; de même, il est apparu opportun de protéger les investissements financiers de ceux qui fabriquent des supports » (Xavier Daverat, Droits voisins du droit d’auteur. – Histoire des droits voisins, fasc. 1450, JurisClasseur Civil Annexes, V° Propriété littéraire et artistique). Avant que ne soit consacrée une protection légale des droits voisins les producteurs avaient essayé de fonder leur protection par divers arguments : le droit d’auteur, en estimant que « l'enregistrement et la reproduction sonore des pièces musicales et des chansons constituent une œuvre originale » ; leur qualité de cessionnaire des droits d’auteur disposant à ce titre de l’action en contrefaçon ; ou encore sur l’action en concurrence déloyale. Mais depuis une modification intervenue par Loi n° 2009-33 du 23 juin 2009, modifiant et complétant la loi n° 94-36 du 24 février 1994, relative à la propriété littéraire et artistique, les droits voisins ont reçu une consécration légale. Un producteur de phonogramme est titulaire de droits voisins qui lui permettent de s’opposer à la reproduction de son phonogramme. « Cette protection est reconnue au profit des enregistrements audios ou audiovisuels lorsque : - le producteur est tunisien, - la première fixation du son ou de l’image et du son, a été réalisée en Tunisie, - l’enregistrement audio ou audiovisuel a été publié pour la première fois en Tunisie. » Elle profite aussi aux enregistrements audios ou audiovisuels et aux émissions de radio ou télévision, protégés en vertu d’une convention internationale ratifiée par L’État Tunisien (art. 57). Les droits voisins aux droits d’auteur confèrent un monopole d’exploitation et le titulaire peut librement choisir la personne à qui il veut donner une licence.
in le Manager Janvier 2018
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