jeudi 30 novembre 2017

Aspects de l’articulation entre arbitrage et transaction



Aspects de l’articulation entre arbitrage et transaction


Un arrêt de la Cour de cassation (Cass. civ. n°9301 du 22 oct. 2002, inédit) et un autre de la Cour d’appel de Tunis, statuant sur renvoi (CA Tunis, n°87990 du 24 nov. 2009, inédit), nous offrent l’occasion de faire quelques précisions sur l’articulation entre une sentence d’arbitrage et une transaction. Ce sont deux procédés alternatifs de résolution des litiges. « La transaction est un contrat par lequel les parties terminent ou préviennent une contestation moyennant la renonciation de chacune d’elles à une partie de ses prétentions réciproques, ou la cession qu’elle fait d’une valeur ou d’un droit à l’autre partie » (art 1458 COC), alors que « l’arbitrage est un procédé privé de règlement de certaines catégories de contestations par un tribunal arbitral auquel les parties confient la mission de les juger en vertu d’une convention d’arbitrage. » (art 1 CA) 

La transaction et l’arbitrage ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Différentes configurations peuvent se réaliser. 

Des fois, une transaction est conclue en cours d’arbitrage et les parties demandent au tribunal arbitral de prononcer une « sentence d’accord-parties. » Le code de l’arbitrage (art 15 et CA), inspiré en cela par la loi-type de la CNUDCI sur l’arbitrage international (Lotfi Chedly, L’arbitrage international en droit tunisien. – Quatorze ans après le Code, Journal du droit international, (Clunet) n°2, avr. 2008, doctr.), reconnaît à la sentence accord-parties la valeur d’une véritable sentence dès lors qu'au moment où la procédure d'arbitrage a été engagée, il existait un litige (faute de quoi il n'y aurait pas pu y avoir arbitrage) et que celui-ci n'a disparu qu'en cours d'instance. La Cour de cassation française a jugé que « la simple constatation, dans le dispositif de la décision, de l'accord des parties, sans aucun motif dans le corps de celle-ci, ne peut s'analyser en un acte juridictionnel » (Cass. 1re civ., 14 nov. 2012, JCP G 2012, doctr. 1354, par J. Ortscheidt ; Procédures 2013, comm. 46, obs. L. Weiller). La condition de la motivation de la sentence accord-parties n’est pas exigée en droit tunisien par combinaison des articles 15 et 75 CA. 

Des fois cependant, la transaction précède l’arbitrage ou lui succède d’où la nécessité des règles d’articulation entre les deux procédés. C’est le sujet de la présente chronique.

Les faits à l’origine des arrêts cités sont relativement simples. Il s’agit d’un contrat d’entreprise, comprenant une clause compromissoire, au cours duquel un conflit est survenu et pour la solution duquel les parties ont transigé. Chacune d’elles s’est engagée envers l’autre à certaines obligations : le maître d’ouvrage au paiement d’un décompte provisoire et d’un autre définitif, en cours d’élaboration le jour de la transaction ; le maître d’œuvre à la levée des réserves formulées lors de la réception provisoire. Le contrat de transaction, (non expressément qualifiée par les parties) stipule, enfin, que les obligations qu’il prévoit sont exclusives de paiement de pénalités de retard et d’intérêts moratoires.

La transaction est partiellement exécutée d’où le litige. La clause compromissoire convenue dans le contrat d’entreprise a été mise en œuvre et une sentence arbitrale a été rendu tout à la fois à propos de la demande principale, présentée par le maître d’œuvre, et celle reconventionnelle présentée par le maître d’ouvrage. Le premier a été condamné au paiement d’une indemnité compensatrice de la valeur des réserves, qu’il n’a pas levées, et le deuxième au paiement du montant du décompte définitif, largement supérieur aux indemnités réparatrices des réserves. Mais la demande du maître d’œuvre en réparation du préjudice consécutif à la violation du contrat d’entreprise et de la transaction a été rejetée. 

Le recours en nullité de la sentence arbitrale intenté par le maître d’ouvrage est rejeté par un arrêt de la Cour d’appel de Tunis que la cour suprême a censuré au visa des articles 1458 et 1467 COC. Selon l’arrêt de cassation, « la transaction met fin au litige par la renonciation par chaque contractant à une partie de sa prétention ; elle ne peut être révoquée, même du consentement des parties, à moins qu’elle n’eut simplement la nature d’un contrat commutatif ». La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en lui reprochant d’avoir dénaturé les faits en refusant de qualifier le contrat comme une transaction ayant pour effet de vider le contentieux.

Statuant de nouveau sur renvoi, la Cour d’appel de Tunis annule la sentence arbitrale en considérant que les parties sont convenues d’une solution transactionnelle ; à supposer que celle-ci n’ait pas été exécutée, elle n’en reste pas moins valable et on peut en demander l’exécution forcée. La cour tire surtout cette conséquence que « la sentence arbitrale est devenue sans objet et la transaction empêche la mise en œuvre de la clause compromissoire. »

Les deux arrêts cités sont critiquables. Pour comprendre la raison, il faut opérer une distinction entre les différents effets de la transaction.

L’effet obligatoire de la transaction découle de sa nature contractuelle tant qu’elle remplit les conditions de validité. Les parties doivent respecter leur parole donnée (art 242 et 1471 COC). La transaction étant la loi des parties, le créancier doit pouvoir exiger le paiement de l’obligation promise ou engager la responsabilité du débiteur défaillant. Il peut même poursuivre la résolution du contrat ou faire jouer la clause résolutoire si elle est stipulée. Toutes ces prérogatives du créancier sont expressément consacrées par l’article 1471 COC. Le débiteur n’est pas également interdit d’opposer l’exception d’inexécution si jamais le contrat est commutatif et que le créancier soit appelé à s’exécuter le premier (art 1467 COC).

L’effet exécutoire de la transaction peut être défini comme celui qui force le débiteur à l’exécution de l’obligation. Pour ce faire, le créancier doit détenir un titre exécutoire. Dans l’affaire soumise au tribunal arbitral, le maître d’œuvre, dans son action principale, et le maître d’ouvrage, dans son action reconventionnelle, ont demandé au tribunal arbitral de prononcer un jugement condamnant l’autre partie à exécuter les obligations contenues dans la transaction. On fera toutefois deux remarques : le tribunal arbitral a rejeté la demande du maître d’œuvre tendant confusément à réparer le préjudice causé par la violation du contrat d’entreprise et de la transaction. La réparation du préjudice lié au non-respect du contrat d’entreprise est manifestement hors propos car la transaction a mis fin au litige à son propos. Mais il n’est pas interdit de réclamer des intérêts moratoires en raison du retard de paiement des sommes fixées par la transaction (art. 1471 COC). Le maître d’œuvre qui souffre de la non-levée des réserves signalées dans la transaction est fondée à demander réparation par équivalent. En effet, l’obligation de faire convenue dans la transaction se résout en dommages-intérêts en cas d’inexécution (art 275 COC). Le tribunal arbitral a en définitif statué dans la limite de la transaction et sur le fondement de l’article 1471 COC.

La question se pose dans cette affaire est de savoir si le litige relatif à l’exécution de la transaction ressort de la compétence du tribunal arbitral en application de la clause compromissoire figurant dans le contrat d’entreprise.

La transaction est un contrat dont les modalités peuvent être modifiées de commun accord entre les parties (Req. 31 janv. 1887, S. 1887. 1. 420). Celles-ci peuvent substituer une transaction nouvelle à la transaction initiale (Civ. 2e, 14 févr. 1974, JCP 1974. II. 17757, note R. Savatier). Quand un litige survient à propos de l’exécution d’une transaction, il faut déterminer le juge compétent pour en connaître. Contrairement à son homologue français (art 1141-4 du Code de procédure civile), le législateur tunisien n’a pas prévu une procédure simplifiée permettant de donner un effet exécutoire à une transaction. On n’échappe donc pas à l’application des règles de droit commun où le créancier intéressé doit saisir le juge compétent. La solution du problème aurait été simple si le contrat de transaction avait expressément attribué compétence au juge étatique ou à un arbitre (Voir pour une clause compromissoire figurant dans une transaction, voir CA de Paris, 1ère ch. c 17 oct. 2005, note Thomas Clay, Les contrats gigognes Dalloz 2006, p. 697).

Le contrat de transaction a un effet déclaratif en ce qu’il révèle des droits préexistants. Un auteur a écrit à ce propos : « il est communément admis, par l'effet d'une fiction, que le contrat de transaction a un effet déclaratif en ce sens qu'il révèle des droits préexistants. L'analogie avec le jugement (où le juge "dit le droit" sans le créer) est, ici […], manifeste. » (Jean-François Césaro, Transaction : formation et exécution, JurisClasseur Contrats–Distribution, Fasc. 192-1). 

En prolongement de l’effet déclaratif, la transaction n’a pas d’effet novatoire en l’absence d’un accord exprès entre les parties (art 358 COC). La Cour de cassation française l’a rappelé à maintes reprises. (Cass. 1re civ., 21 janv. 1997, Bull. civ. 1997, I, n° 25. - Cass. com., 1er févr. 1956, Bull. civ. 1956, III, n° 51. - Cass. 1re civ., 25 févr. 1976, Bull. civ. 1976, I, n° 86). Il en découle inéluctablement que la clause compromissoire figurant dans le contrat principal n’est pas éteinte par la transaction. Tout litige (nullité, exécution forcée, résolution et responsabilité) survenu à son propos doit relever de la compétence du tribunal arbitral.

Les arrêts cités ont confondu le cas d’une transaction exécutée avec celui d’une transaction non exécutée. Il doit être tenu pour établi que la transaction ne met fin au litige, et ne rend l’arbitrage sans objet, que si elle est exécutée avant le prononcé de la sentence arbitrale. Mais s’il arrive que la transaction soit conclue après le prononcé la sentence arbitrale, l’exequatur ne peut être refusé en raison des pouvoirs limités du juge de l’exequatur (Civ. 2e, 17 juin 1971, Bull. civ. II, no 222 ; JCP 1971. II. 16914, obs. Level ; D. 1971. Somm. 177.) L’intérêt serait évident dans l’hypothèse où la transaction viendrait à être annulée ou résolue (Patrick CHAUVEL, Transaction, Répertoire civil Dalloz, sept. 2011 n°95).

َArticle publié in le Manager Novembre 2017.