Le pas-de-porte
Le pas-de-porte, ou le droit d’entrée, est la somme d’argent que le preneur à bail verse à la signature du contrat, le plus souvent en une seule fois, au bailleur d’un local à usage industriel, commercial ou artisanal, en sus du loyer, et qui reste définitivement acquise à celui-ci. Puisqu’il s’agit d’une somme versée au bailleur, le pas-de-porte ne doit pas être confondu avec le prix de cession d’un bail commercial payé à l’ancien locataire. Le pas-de-porte ne peut également être confondu avec le dépôt de garantie.
Le pas-de-porte était historiquement lié au phénomène de pénurie de bons locaux (François Robin, Le pas-de-porte et droit au bail, AJDI 2000, p. 499). Les commerçants payaient donc le prix pour avoir accès aux locaux qui les rapprochaient de la clientèle. Plus tard quand était apparue la législation relative à la propriété commerciale donnant au locataire un droit au renouvellement du bail malgré l’expiration du terme, le pas-de-porte était utilisé comme une compensation anticipée de ce que le bailleur aurait à verser au locataire pour l’évincer et récupérer le local libre.
Le pas-de-porte est une pratique contractuelle parfois occulte non stipulée dans le contrat de bail où les sommes sont versées de main en main pour des raisons de fraude fiscale. C’est une simulation du prix qui n’est pas en soit nulle dans les rapports entre les parties. La simulation expose néanmoins à des sanctions pénales en vertu de l’article 101 du Code des droits et procédures fiscaux.
Le marché des bureaux et des locaux d'activité professionnelle et services ignore totalement la pratique du pas-de-porte depuis des décennies. Elle se rencontre par contre dans les emplacements de premier rang et dans les centres commerciaux dont les promoteurs stipulent parfois, par acte séparé, que la somme versée est « une couverture des frais d’aménagement du local demandés par les preneurs. » (Marie-Pierre Dumont-Lefrand, Clauses financières liées aux mécanismes du statut –, Dalloz action Droit et pratique des baux commerciaux, 2017-2018, n°520-70)
Il arrive qu’une telle déclaration soit purement formelle ne correspondant nullement à des travaux réellement demandés par le preneur. Il est clair qu’une telle somme sert à faciliter le plan de financement du promoteur ou du bailleur. Le versement à la signature du contrat qui allège les frais financiers ou les coûts, peut être considéré comme un loyer payé d'avance.
L’analyse juridique du pas-de-porte mobilise deux séries de règles. Celles de droit privé dans les rapports entre les parties et celle de droit fiscal dans les rapports des parties vis-à-vis du fisc.
1) Les rapports de droit privé
Deux principales questions se posent. Le pas-de-porte est-il valable au regard de la loi du 25 mai 1977 régissant les baux commerciaux ? Quelle est sa nature juridique ?
a) La validité du pas-de-porte
La licéité du pas-de-porte a été depuis longtemps admise par les juridictions civiles. Aucun texte ne le prohibe directement. Les parties sont libres de fixer les conditions pécuniaires de leur accord au moment de la location. La somme ainsi payée a une cause et une cause licite. Certains locataires ont vainement cherché à fonder la nullité du paiement sur les dispositions de l’article 32 de la loi du 25 mai 1977 déclarant « nuls et de nul effet quelle qu’en soit la forme les clauses, stipulations et arrangement faisant échec au droit au renouvellement du bail. » Il leur a été répondu que la conclusion du bail et la perception d’une somme d’argent au moment de la conclusion du contrat ne peut être considérée comme privant, même indirectement, le futur locataire du bénéfice d’un droit qu’il ne possède pas encore. De même lorsque le paiement du pas-de-porte constitue pour le locataire « le prix qu'il doit payer pour acquérir la propriété commerciale », ou, autrement dit, « le prix de la dépréciation que subissent les lieux du fait d'une occupation commerciale qui donne droit au renouvellement ou à l'indemnité d'éviction ». Dans ce cas, le locataire achète un droit d'ordre public accordé par la loi (Marie-Pierre Dumont-Lefrand, op. cit, n°250-530). Une partie minoritaire de la doctrine récuse cette opinion et c’est sans doute pour cette raison que le pas-de-porte n’est pas considéré par certains comme la contrepartie du droit au renouvellement mais comme la contrepartie « d’éléments de nature diverses »
b) La qualification du pas-de-porte
Les sommes payées par le preneur au moment de l’entrée dans les lieux peuvent recevoir deux qualifications possibles : soit elles sont considérées comme une indemnité compensatrice de l’immobilisation du bien du bailleur par le droit au renouvellement du bail, soit elles sont considérées comme un supplément de loyers payés d’avance. Les parties peuvent choisir dans le contrat l’une ou l’autre des qualifications. En cas de silence du contrat, il appartient au juge de se prononcer. Le rédacteur professionnel doit attirer l’attention des contractants sur le choix de la qualification sous peine d’engager sa responsabilité professionnelle. D'autres qualifications ont été retenues en pratique comme « l'achat d'une commercialité », qui doit alors s'assimiler à l'achat d'une clientèle, ou encore des « indemnités en contrepartie d'avantages exceptionnels donnés par le bailleur » (exclusivité notamment), ou enfin « des rachats d'aménagements » qui ne seront pas assimilables à un pas-de-porte.
Le choix d’une qualification n’est pas neutre. Il entraîne des conséquences en rapport avec la législation sur les baux commerciaux.
- Considéré comme un supplément de loyer payé d’avance, il est tenu compte du pas-de-porte au moment des révisions et renouvellements en tant que loyer.
- Considéré comme une indemnité compensatrice d’avantages supportés par le bailleur (une durée de bail longue, bail tous commerces, faculté de cession libre, droit de préférence du locataire en cas de vente des murs, absence de dépôt de garantie), le pas-de-porte n’influe pas sur l’exécution du contrat sauf au locataire de rappeler lors de son éviction par le bailleur qu’il avait payé un pas-de-porte. Dans les centres commerciaux, il s'agit de baux investisseurs, le preneur supportant généralement toutes les charges, il est difficile d’accepter la qualification d’indemnité compensatrice. C’est plutôt un supplément de loyer.
2) Les conséquences fiscales du pas-de-porte
Ces conséquences varient selon la qualification retenue de la nature du pas-de-porte. Le juge fiscal n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties. Les conséquences fiscales s’apprécient tant du point de vue du bailleur que du point de vue du locataire.
a) La fiscalité du bailleur
La fiscalité du bailleur varie selon son statut fiscal.
Il peut tout d’abord s’agir d’une personne physique agissant à titre particulier ou d’une société de personne n’exerçant pas une activité professionnelle (une société civile immobilière notamment). Selon une doctrine administrative et une jurisprudence fiscale, les sommes que le locataire verse au propriétaire en sus du prix annuel du loyer, à titre de pas-de-porte, doivent être prises en compte pour la détermination du revenu foncier, au même titre que le loyer proprement dit dès lors qu’elles présent le caractère d’un supplément de loyer. Il a été cependant admis que ces sommes puissent échapper à l’impôt sur les revenus fonciers lorsque le contribuable établit que la somme versée lors de la conclusion ou du renouvellement du contrat du bail est destinée à compenser une dépréciation subie par l’immeuble ou lorsqu’elle est la contrepartie de la perte d’un élément de son patrimoine, mais faut-il pour autant que le loyer soit normal. La disparition ou la dépréciation du fonds de commerce ou de certains éléments de ce fonds que le bailleur exploitait justifie l’absence de taxation comme supplément de loyer du droit d’entrée (Emmanuel Cruvelier, Bail commercial. – Fiscalité. Indemnité d’entrée. – Dépôt de garantie. – Indemnité de déspécialisation, JurisClasseur Bail à Loyer, Fasc. 1500, n°33.) Par ailleurs, il peut arriver que le bailleur et le locataire soit traités de façon dissymétrique (Jean-Pierre Maublanc, Le versement d’un pas-de-porte au bailleur peut constituer une compensation à la dépréciation de l’immeuble, AJDI 2001, p. 50). Le droit d’entrée est considéré comme supplément de loyer pour le premier et comme le prix d’acquisition d’un élément d’actif pour le second.
Il peut ensuite s’agir d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés ou d’une entreprise exerçant une activité industrielle, commerciale, agricole ou non commerciale. Les sommes versées au titre de pas-de-porte doivent être regardées dans la plupart des cas comme présentant pour le bailleur un supplément de loyer. Elles sont comprises dans le résultat de l’exercice au cours duquel elles sont réputées acquises en vertu des stipulations du contrat. Il en sera autrement quand le droit d’entrée a pour contrepartie l’exécution des travaux s’étalant sur plusieurs exercices ou lorsqu’il constitue des annuités indexées payables sur plusieurs exercices.
b) La fiscalité du locataire
La dépense supportée par le locataire ne saurait être assimilée, par le locataire, à des frais de premier établissement immédiatement déductibles. Elle présente, en principe, le caractère d’un supplément de loyer lorsque son montant, augmenté du loyer stipulé au bail n'excède pas la valeur locative réelle de l'immeuble. La charge doit être répartie sur la durée du bail. Mais aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle comptable n'interdisent à l'entreprise de répartir cette indemnité sur une durée plus longue que la période du bail : la jurisprudence, rapportée par la doctrine administrative, a ainsi validé la déduction d'un pas-de-porte sur une durée de vingt-cinq ans correspondant à "la durée probable de la location" (Emmanuel Cruvelier, op. cit., n°44).
Des fois la somme versée peut constituer le prix de revient d'un élément incorporel du fonds de commerce. Deux constantes reviennent cependant dans la qualification du pas-de-porte comme prix d'acquisition d'avantages commerciaux ou comme prix d'un élément incorporel du fonds de commerce. Pour déterminer si une indemnité versée par le preneur au bailleur est une charge de loyer déductible ou si elle constitue le prix d'acquisition d'éléments corporels de fonds de commerce, il y a lieu de tenir compte non seulement des clauses du bail et du montant de l'indemnité stipulée mais aussi du niveau normal de loyer correspondant au local ainsi que des avantages effectivement offerts par le propriétaire en sus du droit de jouissance découlant du contrat de bail (Emmanuel Cruvelier, op. cit., n°46)
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