Le banquier créancier gagiste sur des dépôts
et l’opposition administrative
Le comptable public est chargé du recouvrement des créances publiques de nature fiscale ou autre. Il procède dès la prise en charge de la créance à la notification au débiteur d'un avis l'invitant à s'acquitter de la totalité des sommes qui lui sont réclamées. Le débiteur bénéficie d'un délai pour régulariser sa situation. A l'expiration du délai, le comptable public émet un titre exécutoire qu’il signifie au débiteur (art. 28 quinquies CCP). Le titre est dit exécutoire lorsqu’il permet au créancier de poursuivre des mesures d’exécution forcée contre les biens de son débiteur, qu’ils soient immobiliers ou mobiliers, corporels ou incorporels.
1) L’opposition administrative
Souvent le comptable public recours à des saisies-arrêts et oppositions. Leur formalisme est soumis à un régime dérogatoire à la saisie-arrêt de droit commun prévu au Code de procédure civile et commerciale. Elles sont opérées par une opposition administrative notifiée au tiers saisi.
Les banques sont les destinataires les plus indiquées des oppositions administratives du moment où elles ont pour vocation de recevoir des fonds du public.
La banque, tiers-saisi, est tenue de faire une déclaration au comptable public des sommes dues par elle au débiteur saisi. La déclaration est obligatoire alors même qu’elle ne serait pas débitrice de ce dernier. La banque est au surplus tenue de payer en l'acquit du débiteur de la créance publique, jusqu'à concurrence des fonds qu’elle doit ou qui sont entre ses mains, toutes sommes dues en vertu du titre exécutoire. Si les sommes objet de la saisie ou de l’opposition, sont assorties d’un terme ou d’une condition, leur remise au comptable public doit intervenir suivant l’échéance du terme ou la réalisation de la condition. Ce sont là des règles de droit commun qui ne soulèvent aucune difficulté dans la mesure où la banque ne justifie d’aucun droit sur les sommes revenant à son créancier.
2) Le gage des dépôts en banque
Les relations entre les banques et leurs clients ne se limitent pas à recevoir des dépôts et à assurer des services de caisse. Il peut exister, en parallèle, des crédits qui nécessitent la mise en place de sûretés diverses parmi lesquelles figurent des gages sur des dépôts en banque (compte d’épargne-logement, compte spécial d’épargne, compte à terme, bons de caisse, placements en devise etc.).
La nature de la remise de fonds au banquier est controversée en doctrine. Le langage professionnel emploie le terme dépôt. Quelle signification juridique peut-il avoir ? « Pour certains, il faut donner au dépôt en banque la nature que traduit sa dénomination. Les contrats doivent être classés d'après le but économique poursuivi par les parties et qui se révèle par l'objet et l'étendue de leurs obligations. Or le déposant entend se décharger sur le dépositaire de la garde des fonds. S'il en permet l'usage à ce dernier, c'est qu'une restitution à l'identique n'a aucune utilité pour lui, s'agissant de choses fongibles. D'où cette qualification retenue de dépôt irrégulier qui est particulièrement adaptée au dépôt à vue. À l'opposé, certains analysent le dépôt de fonds en banque comme un prêt de consommation au motif que c'est par le moyen de ce prêt que le banquier se procure auprès du public des fonds destinés à lui permettre de consentir des crédits. » (Michel Cabrillac et Régine Bonhomme, Dépôt et compte en banque, Répertoire Dalloz de droit commercial, Février 2005, n°9) Notre droit tunisien concilie les deux conceptions. Il est en effet prévu à l’article 996 COC, que ‘’lorsqu’on remet à quelqu’un des choses fongibles à titre de dépôt, mais en autorisant le dépositaire à en faire usage, à charge de restituer une quantité égale de choses de mêmes espèces et qualités, le contrat qui se forme est régi par les règles relatives au prêt de consommation’’. La remise d’une somme d’argent ou des billets de banque fait présumer l’autorisation d’usage (art. 997 COC). La jurisprudence française fait l'économie de la qualification pour se borner à constater que le titulaire du compte est créancier du banquier. (Cass. 1re civ., 7 févr. 1984 : Bull. civ. 1984, I, n° 49, D. 1984, Jur. P 638, note C. Larroumet ; François Grua, Le dépôt de monnaie en banque, D. 1988, 298). La créance du titulaire du compte est une créance monétaire de restitution. Elle s’exerce sur le solde disponible en cours du fonctionnement du compte et sur le solde définitif à sa clôture.
Quelle que soit la qualification retenue, il est important de relever que le titulaire du compte demeure, soit dans le cadre du dépôt soit dans le cadre du prêt de consommation, titulaire d’une créance monétaire sur la banque. Ainsi, le client peut affecter cette créance en garantie d’un crédit qu’elle lui consent.
Dans la constitution de la sûreté, la banque doit respecter les conditions prévues dans le Code des droits réels pour le gage des créances. La matière est régie par les articles 212, 214 et 218 CDR.
L’article 212 traite des conditions de validité du gage entre les parties. Il exige en premier leur consentement sans autre formalisme, mais cette règle est tempérée par l’article 214 qui subordonne l’opposabilité du privilège aux tiers à l’établissement d’un acte ayant une date certaine contenant des énonciations obligatoires. L’article 212 ajoute une deuxième condition à la perfection du nantissement. Il s’agit de la remise de la chose entre les mains du créancier gagiste ou entre les mains d’un tiers détenteur. Quand il s’agit du gage d’une créance, la remise de la chose nantie est réalisée selon un mode particulier prévu à l’article 218. Le privilège ne s’établit sur la créance que par la satisfaction de deux conditions cumulatives :
- la remise du titre constitutif de la créance qui s’entend de la remise de l’écrit qui la constate. La créance non constatée par un écrit ne peut donner lieu à gage.
- Et, en outre, la signification du gage au débiteur de la créance donnée en gage ou par l’acceptation de ce dernier, par acte ayant date certaine. En fait concernant cette dernière condition, il faut distinguer selon que le débiteur de la créance donnée en gage est un tiers ou le créancier gagiste lui-même. Dans ce dernier, il serait superflu sinon absurde d’exiger une signification du gage à soi-même.
La remise du titre et la signification du nantissement ou son acceptation permettent la mise en possession du créancier. Elles jouent le rôle de la tradition en matière de meubles corporels. Ce sont deux conditions substantielles de la naissance du privilège au profit du créancier gagiste. Elles font perdre au constituant le pouvoir de recouvrer seul le montant de la créance nantie. Elles assurent aussi une fonction de publicité.
3) Les droits du banquier gagiste
La question se pose de savoir quelles sont les droits du banquier gagiste en face d’une opposition administrative. On raisonne ci-après à propos du cas le plus fréquent où le créancier gagiste est lui-même débiteur de la créance donnée en gage.
Le Code de la comptabilité publique résout la difficulté où le tiers-saisi reçoit une notification de saisies ou d’oppositions de la part d’autres créanciers se prévalant de ce que leurs créances priment la créance publique. Il doit, au cas où les sommes objet de la saisie ou de l’opposition sont insuffisantes pour payer l’ensemble des créances, les consigner à la caisse des dépôts et consignations, à défaut d’accord entre le comptable public et ces créanciers sur leur répartition amiable.
La solution est différente quand le tiers saisi se prévaut à l’égard du comptable public de sa qualité de créancier gagiste. Il peut, dans ce cas, lui opposer un droit de rétention qui trouve son fondement dans l’article 234 du CDR.
Le droit de rétention dont bénéficie la banque ne présente d’intérêt que lorsque l’échéance de la créance donnée en gage arrive sans que soit encore exigible la créance bancaire. Car avant le terme de son obligation, la banque n’est tenue d’aucun paiement au profit de son client et si elle refuse de le faire c’est en vertu du bénéfice du terme (art 136 COC). Mais une fois la dette de la banque est devenue exigible, cette dernière peut exciper de sa qualité de créancier gagiste et exercer un droit de rétention pour refuser de se dessaisir des sommes dues par elle au profit du comptable public poursuivant (art 234 CDR et art. 323 COC). Ce droit s’exerce sur la chose et sur ses fruits. Appliquée à une créance frugifère, le droit de rétention s’exerce sur le capital et les intérêts rémunératoires (art. 227 CDR).
Le droit de rétention dont bénéficie le créancier nanti, et qui lui permet de retenir la chose, n’est pas sans effet sur son droit de préférence sur le meuble donné en gage. Ce pouvoir de fait sur la chose renforce le droit de préférence. Nous rappelons, à cet effet, que l’art 261 CDR dispose in fine que le créancier gagiste peut s’opposer à la saisie ou à la vente, lorsque la valeur du gage est insuffisante dès l’origine, ou est devenue insuffisante par la suite, pour payer le créancier nanti. Mais lorsque la valeur de la chose donnée en gage suffit au désintéressement du créancier gagiste, le législateur autorise les tiers à saisir la chose donnée en gage et demander sa vente. Néanmoins le législateur a tenu compte du pouvoir de fait exercée par la créancier nanti sur la chose donnée en gage en lui permettant de pratiquer une saisie-arrêt entre les mains des créanciers saisissants, à concurrence de la somme qui lui est due, afin d’exercer son privilège sur le produit de la vente.
En réalité et dans la mesure où il s’agit du gage d’une créance de somme d’argent, le créancier exerce sont droit de préférence instantanément dès l’arrivée d’échéance de sa propre créance. Les sommes dues par le banque sont appliquées au paiement de sa propre créance par voie de compensation (art 254 CDR).
Le Manager, Juin 2017, n°231.