Aspects du formalisme de la cession des parts sociales dans les sociétés à responsabilité limitée
La société à responsabilité limitée (S.A.R.L.) est la forme de société la plus répandue en Tunisie. Les problèmes juridiques que posent sa constitution et son fonctionnement peuvent intéresser un grand nombre de nos lecteurs. Nous nous proposons dans cette chronique de traiter de quelques aspects du formalisme de la cession des parts sociales.
Le capital d’une SARL est divisé en parts sociales (art. 92 C.S.C.) alors même qu’elle ne comprend qu’un seul associé (S.U.A.R.L.). Les statuts doivent mentionner que les parts représentant des apports en numéraires ou en nature ont été réparties entre les associés et intégralement libérées (art. 97 al. 1 C.S.C.). Les fondateurs doivent mentionner expressément dans les statuts que ces conditions ont été respectées (art. 97 al. 2 C.S.C.).
La cession des parts sociales à des tiers étrangers à la société, c’est-à-dire n’ayant pas la qualité d’associés, est soumise à une procédure d’autorisation qu’il nous faudra rappeler car, souvent, les opérateurs économiques, et même des praticiens du droit, n’en ont pas une réelle conscience s’exposant par là à un risque grave d’insécurité juridique (1). Une fois la cession passée, il faut les mesures de publicité à destination de la société et des tiers (2).
1) Le formalisme d’autorisation de la cession
L’alinéa 1er de l’article 109 C.S.C. pose que « les parts sociales ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins les trois quarts du capital social. » La soumission de la cession des parts sociales à des tiers à l’autorisation des associés consacre le caractère fermé de cette forme de société. Contrairement aux actions d’une société anonyme, la cession des parts sociales d’une SARL n’est pas libre.
Les associés donnent leur autorisation d’une manière collective, c’est-à-dire dans le cadre d’une assemblée générale convoquée et réunie dans les formes prévues par l’article 126 C.S.C. Il peut être suppléé à la tenue d’une assemblée générale par une consultation écrite engagée par le gérant (par correspondance) si le nombre des associés est inférieur à six et si une clause statuaire prévoit ce mode de prise de décision.
L’autorisation est donnée à la majorité des associés représentant au moins les trois quarts du capital social. C’est la règle de la double majorité : en personnes et en capital. Par exemple quand le nombre des associés est cinq, il faudra obtenir le vote favorable de trois associés cumulant un nombre de parts sociales représentant les trois quarts du capital. Les statuts peuvent prévoir une majorité moindre (al. 10 art. 109 C.S.C.). L’associé cédant participe au vote car les limitations du droit de vote ne peuvent résulter que de la loi (al. 8 art. 11) Or en la matière, il n’existe pas une interdiction du droit de vote comme celle en matière des conventions réglementées visées à l’article 115 C.S.C.
Pour permettre à la société et aux associés de se prononcer sur le projet de cession, l’alinéa 2 du même article 109 C.S.C. précise que « lorsque la société comporte plus d'un associé, le projet de cession est notifié à la société et à chacun des associés. » La notification n’est pas nécessaire dans une S.U.A.R.L.
En principe, la notification du projet de cession est faite par le cédant mais rien n’interdit qu’elle soit faite par le cessionnaire. La notification est donnée tout à la fois à la société, en la personne du gérant au siège social, qu’aux associés pris individuellement.
L’autorisation par les associés réunis en assemblée générale et les notifications à la société et aux associés sont exigées par la loi d’une manière impérative. L’alinéa 9 de l’article énonce, en effet, que « toute clause statutaire contraire aux dispositions ci-dessus est réputée non avenue. » Cela signifie que les statuts ne peuvent dispenser de l’autorisation du projet de cession et de la notification préalable à la société et aux associés. Le caractère impératif des règles de l’article 109 est d’ailleurs rappelé une deuxième fois à l’article 110 C.S.C.
Le caractère impératif des règles précitées a pour effet d’interdire une pratique rédactionnelle qui consiste à ce que les associés, voire même la société, interviennent dans l’acte de cession en guise de notification et consentement à la cession. Cette manière de faire n’est pas équivalente ou substituable à l’autorisation donnée par la société exprimée formellement par l’assemblée générale considérée comme un organe social. De même, l’intervention des associés dans l’acte de cession n’est pas substituable à la notification préalable du projet de cession. La cession faite en violation de ces règles est annulable.
La jurisprudence française, en présence d’un texte strictement identique au texte tunisien, donne à la procédure de notification un caractère impératif qu’elle sanctionne par la nullité. Dès lors qu'un projet de cession de parts sociales n'a pas été notifié à la société et à chacun des associés, la vente encourt la nullité et ne saurait être régularisée par la participation active aux assemblées générales des nouveaux porteurs de parts (Cass. com., 21 mars 1995, J.C.P. 1995, éd. E. n°27, observations J.-J. Caussain et A. Viandier.) Dans une autre espèce, la même juridiction, (Cass. com. 9 mai 1990, Bulletin 1990 IV N° 145 p. 97) affirme que « La seule intervention de l'un des deux associés d'une société à responsabilité limitée à l'acte de cession de ses parts sociales par son coassocié ne suffit pas à répondre aux exigences de l'article 45 de la loi du 24 juillet 1966 dès lors que le premier associé n'a pas reçu notification préalable du projet de cession et que l'assemblée générale des associés, appelée à se prononcer sur celui-ci, n'a pas été réunie. » Dans un autre arrêt (Cass. Com 26 mars 1996 Bulletin 1996 IV N° 98 p. 82), la même cour énonce que « L'article 45 de la loi du 24 juillet 1966 impose la notification du projet de cession des parts à chacun des associés ; cette procédure ne peut être remplacée par l'intervention de tous les associés à l'acte de cession. » Plus récemment, (Cass. com 21 janv. 2014 Bulletin 2014, IV, n° 17), elle a estimé que « les parts d'une société à responsabilité limitée ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société que dans les conditions et selon les modalités prescrites par l'article L. 223-14 du code de commerce. Dès lors, ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui rejette une demande en annulation d'une cession de parts sociales au profit d'un tiers étranger à la société sans constater que la cession avait été notifiée à la société et aux associés » Avis est donc donné aux praticiens pour qu’ils respectent rigoureusement la procédure de l’article 109 C.S.C. préalablement à l’établissement de l’acte de cession.
2) Le formalisme de publicité légale de la cession
Toute cession de parts sociales, qu’elle soit faite entre associés ou avec un tiers, donne lieu à deux formalités de publicité légale. L’une à destination de la société, l’autre à destination des autres tiers.
La société est un tiers au contrat de cession alors même qu’elle l’a autorisée. Une fois la cession établie, elle doit être notifiée à la société pour qu’elle lui soit opposable. C’est ce que prévoit l’article 110 C.S.C. Tant que la notification n’a pas lieu, la société continue à traiter avec les mêmes associés que précédemment. Ils sont les seuls à être admis en assemblée générale, à exercer leur droit de vote et toucher les dividendes mis en distribution.
Il n’est pas prévu une forme particulière à la notification. Jadis, le Code de commerce exigeait une notification par un acte extrajudiciaire ayant date certaine, ce qui est lourd et onéreux. La règle n’a pas été reprise par l’article 110 C.S.C. Il suffit d’une notification par tout moyen qui laisse une trace écrite. Une lettre recommandée avec accusé de réception suffit amplement. L’article 111 in fine C.S.C. consacre un autre mécanisme pour assurer l’opposabilité de la cession à la société. C’est celui de l’inscription par le gérant de la cession sur le registre des associés.
La cession des parts sociales intéresse aussi les autres tiers, qu’ils soient des créanciers de l’associé cédant ou ceux du cessionnaire, voire même un autre cessionnaire au cas où le cédant aurait conclu, de mauvaise foi ou par négligence, une double cession à deux personnes différentes. Les droits des tiers sont dépendants de la date d’accomplissement de la publicité légale. La cession n’est opposable aux tiers qu’à partir de la date de dépôt au greffe du tribunal et de publicité au journal officiel de la République tunisienne (art. 16 C.S.C.). La formalité de dépôt au greffe du tribunal est aussi consacrée à l’article 46 de la loi du 2 mai 1995, relative au registre du commerce puisque la cession conduit à une modification de la répartition des parts sociales telle qu’elle figure dans les statuts (art 97 C.S.C.).
Avant de délivrer le récépissé du dépôt mentionnant sa date, le greffier effectue une vérification formelle de la cession pour chercher si elle est conforme à la répartition des parts sociales telle qu’elle résulte des statuts précédemment déposés (art. 29 de la loi du 2 mai 1995, relative au registre du commerce). Poussant les textes jusqu’à leurs conséquences ultimes, le comité de coordination du registre du commerce et des sociétés français a estimé que le greffier doit, lors du dépôt en annexe au registre du commerce et des sociétés d'un acte de cession de parts sociales, vérifier la permanence des inscriptions des actes successifs, c’est-à-dire il vérifie la chaîne des cessions. (V. Joël MONNET, Cession des parts, Droit des sociétés n° 11, Novembre 2004, comm. 192.) La question reste cependant posée de savoir si après chaque cession, il doit être procédé à la mise à jour des statuts et leur dépôt au greffe. Dans la pratique des tribunaux du grand Tunis, que nous connaissons le mieux, la modification des statuts n'a pas à intervenir à l'occasion de chaque cession. Il n’est pas nécessaire d'ajouter au dépôt des actes de cession celui d'un exemplaire des statuts modifiés en conséquence. La doctrine soutient cependant une opinion rigoureuse plus respectueuse de la lettre du texte (V. Joël MONNET, op. cit. et les références citées).
Article publié au magazine le Manager, Février 2017.