Varia
L’effet de la révision judiciaire du loyer des locaux commerciaux sur les clauses d’augmentation
(Ch. réunies C. cass. n°46361 du 26
février 2015, inédit)
Nous avons publié sur les colonnes de
notre magazine, le mois de juin 2015, un article traitant de la clause d’indexation
unilatérale dans les baux commerciaux. Il s’agit de la clause selon laquelle le
loyer d’un local à usage commercial sera augmenté, selon une périodicité
déterminée, en fonction d’un pourcentage convenu. Nous nous sommes demandé si
la clause devrait recevoir application chaque fois où le contrat est appelé à
être renouvelé ou révisé. Notre réponse était négative. L’arrêt des chambres
réunies confirme la solution.
Il s’agit dans cette affaire d’un
contrat de location commerciale prévoyant une augmentation du loyer de 10%
annuelle cumulable. La locataire a pu obtenir en 1998 une révision judiciaire
du loyer à la baisse dont la date d’effet commence à partir du 1er juin
1997. Une année après, la bailleresse sollicite l’application de la clause
d’augmentation unilatérale du loyer au taux de 10% sur la base du nouveau
loyer.
Les juges de premier degré ont rendu un
jugement de rejet en la forme. La Cour d’appel de Tunis l’infirme et donne
droit à l’action en estimant que la clause d’augmentation de loyer a toujours force
obligatoire. Cet arrêt d’appel est censuré une première fois par la Cour de
cassation qui estime qu’il y a manquement aux articles 26 et 36 de la loi
relative aux baux commerciaux. Selon la Cour suprême, la révision judiciaire du
loyer met fin à l’application de la clause d’augmentation et il n’y pas lieu de
se réfugier derrière la force obligatoire du contrat. La relation contractuelle
sera poursuivie sous le règne du texte spécial ayant un caractère impératif.
La cour d’appel de renvoi persiste en
considérant que « la clause contractuelle n’a pas été révoquée par la
révision judiciaire du loyer et qu’elle doit recevoir application tant que les
parties ne l’ont pas modifiée ». Un deuxième pourvoi en cassation sur la
même question litigieuse a justifié l’intervention des chambres réunies.
L’arrêt des chambres réunies rappelle,
à bon droit, la distinction entre une clause d’échelle mobile et une clause
d’augmentation. La clause d’échelle mobile est celle qui lie le loyer à
l’évolution d’un indice, tel le prix d’une marchandise ou le salaire minimum
interprofessionnel garanti ou tout autre critère choisi par les parties. Il en
découle que la clause d’augmentation du loyer de 10% par an n’est pas une clause
d’indexation. Selon l’article 26 de la loi du 25 mai 1977 relative aux baux
commerciaux, la révision du montant du loyer peut intervenir à tout moment
chaque fois que, par le jeu de la clause d’échelle mobile, le loyer se trouvera
augmenté ou diminué de plus du quart par rapport au prix précédemment fixé
contractuellement ou par décision judiciaire. En dehors du jeu de la clause
d’échelle mobile, la révision du loyer ne peut intervenir qu’après trois ans au
moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de
départ du bail renouvelé et à la condition que le changement des circonstances
économiques entraîne une variation de plus du quart de la valeur locative (art.
25). L’arrêt finit par affirmer que l’art 25 de loi de 1977 présente un caractère
d’ordre public. Selon la Cour de cassation, le législateur cherche à la fois assurer
au locataire une stabilité dans l’exploitation du fonds de commerce et au bailleur
le bénéfice d’un revenu en adéquation avec l’évolution des données économiques qui
prévalent dans le lieu d’exploitation. L’arrêt de la cour d’appel de renvoi est
ainsi censuré. Les juges de fond ne peuvent opérer une révision du loyer qu’en
respectant les conditions précisées dans l’article 25 ou 26 de la loi de 1977.
On ne le dit jamais assez. Les
professionnels de la rédaction des contrats de baux à usage commercial sont
appelés à conformer leur pratique rédactionnelle aux exigences expressément impératives
d’un loyer équitable des baux à renouveler ou à réviser (art 23). Ils
sont tenus d’une obligation de conseil, voire d’une obligation de mise en garde
de leur client et doivent s’abstenir de rédiger des clauses d’augmentation
unilatérale du loyer ; elles sont inopérantes en droit et trompent les
contractants.
Le moyen de preuve d’un contrat de prêt civil
(C. Cass. n°74327 du 17 oct. 2012,
inédit)
Disons-le d’emblée : cet arrêt de
la Cour de cassation est à oublier. La réponse qu’il donne à la question posée
est une violation caractérisée de la loi. Les faits qui lui ont donné naissance
sont relativement simples. Le demandeur, qui après avoir viré au compte d’une
société anonyme en cours de constitution une somme d’argent représentant la
libération d’actions souscrites par un tiers, agit contre ce dernier en paiement
au prétexte qu’il lui a consenti un prêt remboursable à tout moment. Le
défendeur nie avoir convenu avec le demandeur un prêt donnant lieu à une
obligation de restitution.
La Cour d’appel de Tunis rend un
jugement confirmatif d’un jugement de premier degré accueillant favorablement la
demande de remboursement du prêt. Selon la Cour, la preuve du prêt est
suffisamment établie par la réalité du virement bancaire et par les
déclarations écrites émanant des tiers, en somme des témoins. Pour admettre ces
moyens de preuve, la Cour invoque les dispositions des articles 1081 et 1082 du
Code des obligations et des contrats (COC) qui, selon elle, n’exigent pas l’établissement d’un écrit pour la validité et
pour la preuve du prêt. Elle rejette le moyen soulevé par le défendeur tiré de
l’article 473 COC interdisant la preuve testimoniale des actes juridiques d’une
valeur supérieure à mille dinars. Elle l’estime inapplicable aux faits de la
cause car « le différend ne porte pas sur le montant exact des virements reçus,
mais sur l’existence d’un contrat de prêt entre les parties. » (sic).
Contre toute attente, la Cour de
cassation rejette le pourvoi. Pour elle, la contestation portant sur la cause
du droit du demandeur est une question de fait dont la preuve peut se faire par
tout moyen.
La motivation de l’arrêt de cassation est
inadmissible. Un jeune étudiant en droit apprend, dès sa première année
d’études, une règle élémentaire de la vie civile. Pour toute obligation d’un
montant supérieur à mille dinars ayant sa source dans un contrat, la preuve
doit, en cas de dénégation du débiteur, être apportée par écrit. La preuve par
témoignage ou par présomptions de l’homme est, en principe, non admissible dans
les rapports civils. La règle est séculaire et universelle. La preuve littérale
des obligations contractuelles s’applique à tout contrat. La solution est formulée
par le législateur une fois pour toute à l’article 473 COC. Il n’a pas à la
rappeler à l’occasion de la réglementation spéciale de chaque contrat. Il ne
peut être autrement, car la question restera toujours posée pour les contrats
innommés.
Le législateur nous rappelle le
respect que l’on doit à la solution qu’il consacre dans des termes on ne peut
plus clairs : « Lorsque la loi prescrit une forme déterminée, la
preuve de l’obligation ou de l’acte ne peut être faite d’aucune autre manière »
(art. 423 C.O.C.). L’article 424 COC en tire cette autre conséquence :
« Lorsque la loi prescrit la forme écrite pour la preuve d’un contrat, la
même forme est censée requise pour toutes les modifications de ce même
contrat. » Lorsque le montant de l’obligation n’est pas déterminée, il
appartient au demandeur de le chiffrer conformément à l’article 475 COC et ce
pour les besoins de la détermination du moyen de preuve adéquat. Quand la
créance est non susceptible d’évaluation, la preuve doit être faite par écrit (Slaheddine Mellouli, Introduction à
l’étude du droit, Imprimerie officielle de la République tunisienne, Tunis
2000, n°758, p. 231.) Quand un créancier demande paiement d’une somme d’un
montant inférieur à mille dinars mais qui fait partie d’une créance d’un
montant supérieur à mille dinars, la preuve doit être également rapportée par
écrit (476 COC).
La preuve testimoniale est recevable quand le demandeur n’ayant
pas en sa possession un écrit constatant l’obligation contractuelle apporte un
commencement de preuve par écrit. Il s’agit de tout écrit qui émane du débiteur
et qui rend vraisemblable l’obligation (477 COC). La preuve testimoniale est
alors le moyen pour transformer la vraisemblance en certitude. L’ordre de
virement signé par le demandeur dans le cas d’espèce, ne peut être considéré
comme un commencement de preuve car il n’émane pas du débiteur et il ne rend
pas vraisemblable l’obligation de restitution.
La Cour de cassation française s’est montrée plus rigoureuse pour
faire respecter des règles identiques à celles du droit tunisien. Elle a par
exemple cassé un arrêt d’appel pour défaut de base légale quand il a déclaré
établie l’existence d’un prêt et ordonné le remboursement de celui-ci en se
fondant sur des présomptions de fait telle qu’une attestation délivrée par un
tiers, sans rechercher si le créancier, à défaut d’un écrit constatant le prêt,
produit un commencement de preuve par écrit émanant du débiteur rendant
vraisemblable l’existence du contrat (Cass n° 72-10.630 du 6
fév. 1974, Bulletin 1 N. 48 P. 42). Les pièces écrites émanant des tiers produites
par le demandeur dans l’arrêt que nous commentons ne sont pas un commencement
de preuve par écrit. La Cour de cassation française le rappelle : « Alors
que, comme le faisait valoir Madame Y... dans ses conclusions récapitulatives
d’appel…, la preuve de la remise de fonds à une personne ne suffit pas à
justifier l’obligation de celle-ci à restituer la somme reçue ; que la Cour
d’appel n’a pas constaté l’existence, parmi les pièces produites aux débats,
d’un écrit valant reconnaissance de dette par la prétendue débitrice ; que les
pièces émanant de tiers ne peuvent servir de commencement de preuve par écrit ;
qu’en condamnant néanmoins Madame Y... à rembourser les sommes versées par
Monsieur X..., la Cour d’appel a violé l’article 1341 du code civil. » (Cass.
09-10977, 8 avr. 2010, Bulletin 2010, I, n° 89)
La preuve de la remise des fonds ne peut à elle seule prouver
l’existence d’un contrat de prêt car la remise d’une somme d’argent peut
avoir plusieurs significations. La remise des fonds est un acte neutre qui
n’indique pas sa raison d’être. « La preuve de la remise est un fait qui
se prouve par tous moyens, alors que la preuve de l’intention de prêter est
soumise au droit commun de la preuve des actes juridiques. » (Stéphane Piedelièvre et Emmanuel Putman,
Droit bancaire, Economica 2011, pp. 398-399). La solution est constamment rappelée par la Cour de cassation
française : « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la preuve de
la remise des fonds à une personne ne suffit pas à justifier l’obligation pour
celle-ci de restituer la somme qu’elle a reçue, la cour d’appel, qui n’ pas
constaté l’existence, parmi les éléments retenus, d’un commencement de preuve
par écrit du prêt, n’a pas donné de base légale à sa décision. » (Cass. 94-11815 du 23 janv. 1996, Bulletin 1996 I N° 40 p. 25)
Un demandeur qui soutient à titre principal l’existence d’un contrat de
prêt ne peut se prévaloir d’un fondement subsidiaire tiré de l’enrichissement
sans cause : « Mais attendu
qu’ayant constaté que M. Y... n’apportait pas la preuve du contrat de prêt qui
constituait l’unique fondement de son action principale, la cour d’appel en a
exactement déduit qu’il ne pouvait être admis à pallier sa carence dans
l’administration d’une telle preuve par l’exercice d’une action fondée sur
l’enrichissement sans cause ; qu’aucun des griefs n’est donc fondé. » (Cass. 08-10742 du 2 avr. 2009, Bulletin 2009, I, n° 74)
Espérons que l’arrêt de la Cour de
cassation du 17 octobre 2012 reste un cas isolé.
Les clauses statutaires relatives à la majorité aux assemblées générales d’actionnaires
(C. Cass. n°2013. 8022 du 3 avr. 2014,
inédit)
Les statuts d’une société anonyme
stipulent, dans le cas d’espèce, que « la nomination des administrateurs
est décidée par les actionnaires détenant les trois quarts des actions ayant
droit de vote ; en cas de partage de voix, celle du président est
prépondérante. » Cette dernière précision est mal venue car quand on exige
une majorité de trois quarts des voix pour la validité d’une décision, on
exclut toute possibilité de partage de voix.
Le litige est né lors du
renouvellement du mandat des administrateurs de la société. Les actionnaires
majoritaires ont désigné un nouveau collège du conseil d’administration avec 62%
des voix seulement. L’actionnaire minoritaire qui s’est vu interdire d’accès au
conseil d’administration avait agi en nullité des délibérations de l’assemblée
générale. Il obtient gain de cause en première instance mais la Cour d’appel de
Tunis rend un jugement infirmatif (C. appel Tunis n°34090 du 13 mars 2013,
inédit). La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’actionnaire minoritaire.
La règle légale en cause est celle
prévue à l’alinéa 5 de l’art 278 du Code des sociétés commerciales (CSC). Il y
est énoncé que « l'assemblée générale statue à la majorité des voix des
actionnaires présents ou représentés. » Ce texte admet-il que l’on y
déroge par une clause statutaire augmentant la majorité dans les assemblées
générales ordinaires ? Sur le plan pratique, les investisseurs
institutionnels et les partenariats tuniso-étrangers recourent souvent à des
clauses dérogatoires pour mieux protéger les actionnaires minoritaires. C’est
la première fois que les tribunaux tunisiens sont appelés directement à se
prononcer sur leur validité.
L’arrêt de la Cour de cassation
approuve purement et simplement l’argumentation avancée par la Cour d’appel.
Celle-ci utilise plusieurs registres argumentatifs. Elle se réfère à
l’expression de loi (usage de l’indicatif présent), au raisonnement a
contrario (certains articles du CSC réservent expressément la clause
contraire alors que l’art. 278 ne le fait pas), au risque de blocage du
fonctionnement de la société que pourrait créer une majorité renforcée et à
l’inélégance d’une clause statutaire fixant une majorité dans les assemblées
générales ordinaires similaire, sinon supérieure, à celle nécessaire à la
validité des délibérations des assemblées générales extraordinaires.
Pris un à un ces
arguments ne sont pas déterminants. L’usage de l’indicatif présent est presque
normal dans l’expression de la loi. Le raisonnement a contrario est
dangereux et ne peut être admis qu’avec des précautions (Marie-Laure
Mathieu-Izorche, Le raisonnement juridique, 1ère édition PUF,
2001, pp. 420-421.) L’absence de réserve de clause contraire
n’est pas toujours nécessaire pour reconnaître à la loi un caractère supplétif,
le principe étant celui de la liberté contractuelle. Enfin, le risque de
blocage est plus lié à la répartition du capital (cas de capital social réparti
d’une manière égalitaire entre deux blocs d’actionnaires) qu’au seuil chiffré
de la majorité des voix.
Deux auteurs
tunisiens admettent le principe de la validité des clauses dérogatoires à la
règle de la majorité. « Les dispositions de
l’article 278 du Code des sociétés commerciales ne semblent pas d’ordre public.
Il ne faudrait cependant pas qu’une majorité plus élevée fasse échec, par
exemple aux règles de révocabilité ad nutum des administrateurs. Une clause
prévoyant une majorité plus élevée que le droit commun pour la révocation des
dirigeants serait inacceptable. La solution est discutable pour leur
nomination. » (Christine
Labastie-Dahdouh et Habib Dahdouh, Droit
commercial, entreprises et groupements privés Tome 2 règles particulières, 1ère
édition IHE, p. 446.) En droit français comparé, les voix sont partagées quand
bien même il existe un texte exprès qui sanctionne la violation de l’article L225-98 du Code
de commerce. Un auteur français a disserté dans les
termes suivants en faveur des clauses dérogatoires à la règle de la
majorité « une telle solution contreviendrait à l’intérêt
social : elle aboutit à rechercher le consentement d’un plus grand nombre
d’actionnaires (voire l’unanimité, si elle est poussée à l’extrême) … une
telle recherche d’un consensus, voire l’unanimité, est par principe préférable
à la loi de la majorité lorsqu’elle n’est pas accessible. Une telle recherche
n’est d’ailleurs par interdite par le législateur …. L’augmentation des règles
de quorum et de majorité offre la même possibilité, mais sans détruire pour
autant le lien entre le droit de vote et le pourcentage de capital
détenu. » (Patrick Ledoux, Le droit de vote des actionnaires, LGDJ, 2002, pp.327-328.)
A notre avis, l’arrêt du 3 octobre 2014
loin de clore le débat ne fait que le lancer.
Sami Frikha