vendredi 29 avril 2016

Lecture dans le rapport annuel du Conseil du marché financier de 2014

Droit des sociétés  Lecture dans le rapport annuel du Conseil du marché financier de 2014



Le Conseil du marché financier (CMF) présente annuellement un rapport d'activité au Président de la République qu’il met ensuite en ligne sur son site Internet. Il ne passe pas une fois où le CMF n'était pas invité à se prononcer sur des difficultés soulevées par l’application des normes régissant les sociétés anonymes. Nous avons consulté le rapport annuel de 2014 (p. 74 et s.)[1] et nous en avons sélectionnés quelques thématiques pour les discuter dans la présente chronique.

      1) La réserve légale dans les sociétés anonymes


Le CMF a constaté de l’examen du projet de résolutions de deux sociétés, qui lui étaient transmis par application de l’art 3 (nouveau) de la loi du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier, que l’affectation des résultats n’était pas conforme, selon lui, aux dispositions de l’article 287 du Code des sociétés commerciales (C.S.C) régissant la réserve légale. Selon le CMF, le montant des réserves légales doit être calculé sur la base du bénéfice disponible et non sur la base du bénéfice net de l’exercice. Pourquoi la lecture de l’article 287 C.S.C est problématique et est-ce que l’interprétation qu’en fait le CMF est correcte ?

L’article 287 C.S.C énonce que « le bénéfice distribuable est constitué du résultat comptable net majoré ou minoré des résultats reportés des exercices antérieurs, et ce, après déduction de ce qui suit :

- une fraction égale à 5% du bénéfice déterminé comme ci-dessus indiqué au titre de réserves légales. Ce prélèvement cesse d’être obligatoire lorsque la réserve légale atteint le dixième du capital ;

- … ;

- … »

La notion de « résultat comptable net » est d’origine comptable. La N.C. 8 la définit comme étant « le résultat directement lié aux éléments de revenus et gains d’une part, et de charges et pertes d’autre part ». Le résultat comptable net peut être positif ou négatif selon que la société réalise des bénéfices ou des pertes. La notion de résultat comptable net est donc objective et neutre. Dans le contexte de l’article 287 C.S.C., il aurait fallu plutôt viser la notion de « bénéfice net de l’exercice » au lieu du « résultat net ».

L’article 287 C.S.C. présente un autre défaut de rédaction. Il ne suit pas correctement l’ordre chronologique dans la correction du bénéfice de l’exercice. En effet, le bénéfice net doit être corrigé selon l’ordre suivant par la :

- diminution des pertes antérieures ;

- diminution des sommes à porter en réserves ;

- et augmentation du report bénéficiaire.

Le défaut de rédaction de l’article 287 est dû au fait que le législateur traite en même temps deux questions différentes : l’assiette du bénéfice distribuable et les obligations mises à la charge de la société lors de l’affectation du bénéfice de l’exercice.

La difficulté discutée par le CMF trouve son origine dans ce passage du texte qui invite la société à prélever « une fraction égale à 5% du bénéfice déterminé comme ci-dessus indiqué ». L’énoncé légal ne se suffit pas à lui-même car il fait renvoi à ce qui est déterminé ci-dessus.

Le CMF retient une conception globalisante du renvoi. Selon lui, c’est tout le 1er alinéa de l’art. 287 qui est visé. La réserve légale est assise sur le bénéfice distribuable constitué du résultat comptable net majoré ou minoré des résultats reportés des exercices antérieurs. C’est pourquoi le CMF invite-t-il les sociétés en cause à intégrer dans l’assiette de la réserve légale non seulement le bénéfice de l’exercice mais aussi les bénéfices reportés des exercices précédents.

Quand le CMF écrit que deux sociétés avaient calculé la réserve légale autrement qu’il ne le suggère, on en conclut implicitement que les autres sociétés faisant appel public à l’épargne conforment leur pratique à la doctrine du CMF. C’est comme s’il y a un accord quasi-unanime chez les praticiens sur le sens de l’art 287 C.S.C.

En réalité, il s’agit davantage d’un effet structurant de la doctrine du CMF sur les sociétés faisant appel à l’épargne, qu’un consensus sur le sens donné à l’art 287 C.S.C. Le CMF s’exprimant en tant qu’autorité finit par imposer sa propre doctrine aux sociétés ne faisant pas appel à l’épargne. Celle doctrine n’est pas partagée par les sociétés anonymes ne faisant pas appel public à l’épargne.

Nous estimons la doctrine du CMF excessive. Un juriste ne s’arrête jamais à la lettre du texte quand il est mal écrit ou quand il conduit à des résultats fâcheux ou non cohérents avec l’ensemble du système juridique. Nul doute que la réserve légale est prélevée, selon le Code de commerce (art 77), le Code des sociétés commerciales pour les sociétés à responsabilité limitée (art 140 al. 1) et le Code des obligations et des contrats pour toutes les autres sociétés (art 1305), sur le bénéfice de l’exercice diminué des pertes antérieures. Le report bénéficiaire n’est jamais compris dans l’assiette de calcul de la réserve légale puisqu’il est le reliquat des exercices précédents qui ont subi le prélèvement au titre de réserve légale. On ne prélève pas deux fois une réserve légale sur le même bénéfice. Cette opinion est d’ailleurs confortée par l’exposé des motifs et les débats parlementaires de la loi du 27 juillet 2005 ayant conduit à la réécriture de l’article 287 C.S.C[2]. La volonté du législateur ne s’est pas dirigée à modifier la conception classique de la réserve légale.

      2) Les pertes importantes sur le capital social


Une société cotée, ayant des fonds propres en-deçà de la moitié du capital, a proposé à l’assemblée générale extraordinaire un projet de résolution décidant la continuité de l’exploitation de la société. Le CMF l’a invitée, à se conformer à l’art 388 C.S.C., en appelant les actionnaires à se prononcer sur la question de réduire ou d’augmenter le capital d’un montant au moins égal à celui des pertes.

Il y a ici une double erreur. Celle d’abord du conseil d’administration qui convoque l’assemblée générale extraordinaire à « décider la continuité de l’exploitation de la société ». Selon l’art 388 C.S.C., le conseil d’administration est tenu de convoquer l’assemblée générale extraordinaire à l’effet de décider la dissolution anticipée de la société. Cela s’explique aisément. Les actionnaires ayant déjà subi des pertes, on leur propose de mettre fin à la société d’une manière anticipée pour éviter qu’ils subissent des pertes plus importantes. La résolution à leur soumettre au vote doit porter sur la dissolution de la société et non sur la poursuite de l’activité sociale. Cette poursuite est atteinte indirectement quand une minorité de blocage votre contre la résolution proposée.

Il y a ensuite erreur quand le CMF exige que l’assemblée générale extraordinaire soit appelée à se prononcer le même jour sur la ‘’continuité de l’exploitation’’ et sur ‘’l’assainissement financier de la situation de la société par réduction ou augmentation de son capital’’. Rappelons que l’al. 2 de l’article 388 C.S.C. énonce que « l’assemblée générale qui n’a pas prononcé la dissolution de la société doit dans l’année qui suit la constatation des pertes, réduire le capital d’un montant au moins égal à celui des pertes ou procéder à l’augmentation du capital pour un montant égal au moins à celui de ces pertes ». Il en découle que l’assemblée générale extraordinaire ayant rejeté la dissolution anticipée de la société n’est pas tenue de procéder immédiatement à l’assainissement financier de la société. Elle dispose d’un délai d’une année à compter de la constatation des pertes pour y procéder[3].

      3) La transformation d’une mutuelle d’assurance en société anonyme


Le CMF n’a accordé son visa à un prospectus relatif à la transformation d’une société d’assurance à forme mutuelle en société anonyme qu’après s’être assuré :

‘’- de l’obtention, par la mutuelle d’assurances, de toutes les autorisations nécessaires pour la réalisation de l’opération …;

- du respect des intérêts de toutes les personnes concernées …, à l’occasion de l’accomplissement des formalités nécessaires à la réalisation de chaque étape de l’opération : aussi bien lors de la conversion du fonds commun en capital initial à répartir entre tous les adhérents …, que lors du traitement de l’augmentation du capital social… en vue d’atteindre le minimum légal de 10 MD exigé par le Code des assurances.’’

La première condition posée par le CMF intéresse la régulation de l’activité de l’assurance. En revanche, la deuxième condition ressort du droit des sociétés. La question est de savoir si une société à forme mutuelle peut se transformer en société anonyme ? On peut également imaginer une transformation en sens inverse.

Le propre de la transformation de la forme d’une société c’est qu’elle ne conduit pas à la création d’une nouvelle personnalité morale (art 436 C.S.C). La doctrine estime que cette solution n’est valable que si la transformation affecte la forme de la société et non sa nature.

Les sociétés à forme mutuelles exerçant dans le domaine des assurances sont prévues à l’art 53 du Code des assurances (C.A). Elles sont considérées comme des sociétés civiles. Elles ont pour objet de garantir à leurs adhérents, moyennant cotisation, le règlement intégral de leurs engagements en cas de réalisation des risques dont elles ont pris en charge et qu’elles répartissent leurs excédents de recette entre leurs adhérents dans les conditions fixées dans les statuts (art 55 C.A). Elles sont régies par des dispositions types des statuts ayant un caractère obligatoire fixées par décret (art 56 C.A.) et ne sont soumises au C.S.C, par renvoi du C.A, qu’en matière de responsabilité pénale des administrateurs et de commissariat aux comptes. La méthode législative d'encadrement de cette forme d’entreprise d’assurance est originale car ce n'est pas la loi qui détermine son régime mais un cadre contractuel imposé par un règlement[4].

Les statuts types des sociétés à forme mutuelle actuellement en vigueur sont fixés par le décret n°92-2257 du 31 décembre 1992. Leur art 25 précise que l’assemblée générale extraordinaire peut modifier les statuts, proroger la durée ou prononcer la dissolution de la société. Il y a une contradiction à affirmer en même temps que les dispositions types des statuts sont obligatoires et à permettre à l’assemblée générale extraordinaire de les modifier. A supposer que cette contradiction soit résolue, le problème est de savoir si l’assemblée générale peut aller jusqu’à modifier tous les statuts à l'occasion d'une opération de transformation.

Des auteurs relèvent, en droit français, l’existence de deux obstacles à la transformation d'une société à forme mutuelle en société anonyme. En premier lieu, une décision, même largement majoritaire, ne peut, au plan des principes, faire perdre aux assurés leur qualité de sociétaire. En dehors de la dissolution, la radiation collective des sociétaires semble requérir un accord individuel de la part de chacun des sociétaires, difficile, voire même impossible à réaliser en pratique. En deuxième lieu, les excédents non distribués ne pourraient être utilisés à la constitution du capital d’une société anonyme. Cet excédent doit être dévolu à d’autres sociétés d’assurance mutuelle (Sous dir. Jean Bigot, Traité de droit des assurances, Tome 1, Entreprises et organismes d’assurance, 2e éd. LGDJ-DELTA, 2000, p. 141). Ce deuxième obstacle n'est pas vérifié en droit tunisien puisque les statuts types des sociétés d’assurance à forme mutuelle n'imposent pas un emploi spécial des excédents à la fin de la société.

En réalité, il est difficile d’admettre que nous sommes en présence d'une opération de transformation de société au sens strict du terme, car l'opération de conversion du fonds commun en capital social à répartir entre tous les adhérents, visée par le prospectus visé, est un véritable acte d’apport en société qui ne cadre pas exactement avec la notion de transformation.

       4) La clôture anticipée d’un emprunt obligataire


Le CMF a été informé par une société de la clôture anticipée d’un emprunt obligataire émis pour un montant de 10 millions de dinars susceptible d’être porté à 15 millions de dinars, sachant que la note d’opération relative audit emprunt prévoit la possibilité de clôturer, sans préavis, les souscriptions si le montant maximum de l’émission (soit 15 MD) était intégralement souscrit.

Le CMF a noté que bien que le changement proposé n’affectait pas les intérêts et les droits des personnes ayant déjà souscrit et n’engendrait pas d’accroissement de la charge des obligataires, l’article 33 du Code des Obligations et des Contrats exige de l’initiateur d’une offre donnée ayant fixé un délai pour l’acceptation, de s’engager envers l’autre partie jusqu’à l’expiration du délai, au bout duquel sa responsabilité sera dégagée si aucune réponse d’acceptation ne lui parvient.

En droit strict, l’analyse devrait amener à distinguer deux questions : le montant de l'émission et le délai de souscription. Quand une société décide d'émettre un emprunt obligataire pour un montant déterminé susceptible d'être porté à un montant supérieur, il faudra déterminer qui est le bénéficiaire de l'option de relève du montant. C'est incontestablement la société émettrice. C'est une alternative qu'elle s'est réservée et qu'elle peut décider, sans responsabilité pour elle, quand elle l’exerce. Les délais de souscription prévus pour la souscription du montant le plus élevé ne remettent pas en cause le droit au cantonnement de l’émission obligataire.

Article publié sur les colonnes du magazine Le Manager Avril 2016.








[1] http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/rapp_ann/cmf14_fr_rapp.pdf
[3] La commission des études juridiques de la CNCC en France estime que la décision de dissolution de la société est importante et par conséquent les actionnaires doivent disposer d’un délai de réflexion après la constatation des pertes. Par conséquent, l’assemblée générale extraordinaire ne peut être tenue au plutôt que 15 jours après l’assemblée générale ordinaire ayant statué sur les comptes, Panorama d’actualités, J.C.P. éd. E., 1997, n°49, p. 1315.
[4] Il ne faut pas confondre les sociétés à forme mutuelle avec les sociétés mutualistes régies par le décret du  18 février 1954 sur les sociétés mutualistes.