Réduction de capital par remboursement des apports Le droit de partage est-il vraiment dû ?
Problématique. Une société anonyme peut décider de
réduire son capital dans l’objectif d’absorber les pertes qu’elle a subies ou, en dehors de
toute perte, afin de restituer aux actionnaires leurs apports ou abandonner des
actions souscrites par eux et non libérées. La réduction de capital peut également
être décidée pour doter le fonds de réserve légale (art. 308 C.S.C) Nous nous attachons dans cette
chronique à la figure de réduction de capital non motivée par des pertes dans
laquelle la société restitue aux actionnaires leurs apports. Cette restitution
peut se faire par versements en espèce ou par transfert de la propriété d’un
bien. Il s’agit de savoir quels sont les droits d’enregistrement dus à
l’occasion d’une telle opération.
La doctrine fiscale. Dans une note commune n°2/2005[1],
l’Administration fiscale a commenté les dispositions de l’article 58 de la loi
n°2004-90 du 31 décembre 2004 portant loi des finances pour l’année 2005
modifiant le tarif n°19 de l’article 20 du Code des droits de l’enregistrement
et de timbre. Il y est prévu que « la réduction de capital des sociétés
qui ne contient pas d’obligation, libération ou transmission de biens meubles
ou immeubles entre les associés, membres ou autres personnes est soumise au
droit fixe de 100 dinars[2] [par
acte] au titre de chaque opération. »
Ce droit fixe trouve application notamment
en cas de réduction de capital avec absorption de pertes ou encore réduction de
capital consécutive au rachat de la société de ses propres titres (comme en cas
de défaut d’agrément d’une cession d’actions à un tiers (art. 321 CSC) ou dans
le cadre d’un programme d’achat d’actions (art. 88 de la loi du 14 novembre
1994, portant réorganisation du marché financier)). Le même droit fixe s’applique
également quand la réduction de capital est destinée à doter le fonds de
réserve légale.
La réduction de capital en l’absence de
perte, donnant lieu au remboursement d’apports, peu importe qu’il soit en
espèce ou par l’attribution d’un élément d’actif, ne rentre pas dans le champ d’application
de ce tarif d’où la difficulté d’interprétation.
La note commune précitée résout la
difficulté dans les termes suivants : ‘’les opérations de réduction de capital comportant une mutation ou un partage même partiel d’actif, demeurent soumises au droit proportionnel variable selon qu’il s’agit de bien non fongible apporté par un associé ou d’un acquêt social. Dans le premier cas, il peut y avoir perception du droit de 5% sur les mutations des immeubles et droits immobiliers, de 2,5% sur les mutations de fonds de commerce et 0,5% sur les partages d’acquêts sociaux et des autres biens meubles.’’
Certains termes employés par la note
commune nécessitent qu’ils soient expliqués à nos lecteurs.
Ainsi, les biens fongibles sont ceux qui, étant “de même quantité et qualité’’ ou “de même espèce et qualité’’, peuvent se substituer entre eux pour le paiement (art. 258 COC). La fongibilité traduit ainsi "un rapport d'équivalence entre deux choses en vertu duquel l'une peut remplir la même fonction libératoire que l'autre" (Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 3, par Picard, Les biens : LGDJ 1952, n° 58). Les sommes d’argent sont l’archétype des choses fongibles. Ils s’opposent aux biens non fongibles, individualisés et non interchangeables. Les immeubles et droits immobiliers, et le fonds de commerce sont par exemple des biens non fongibles.
L’expression ‘’acquêt social’’ désigne, en
droit fiscal, les apports en société de choses fongibles, les biens non
fongibles ayant fait l’objet d’un apport à titre onéreux et les biens acquis ou
créés par la société en cours de son existence, y compris les plus-values
résultant, pour les apports des associés, de constructions, améliorations et
dépenses faites sur ces biens par la société ou encore de l’exploitation
sociale.
En application de la note commune, nous
aurons ainsi les droits d'enregistrement suivants :
-
droit de mutation proportionnel de 5% en cas de réduction de capital
par attribution à l’un des associés d’un bien immeuble ou d’un droit réel
immobilier apporté par un autre associé ;
-
droit de mutation proportionnel de 2,5% en cas de réduction de capital
par attribution à l’un des associés d’un fonds de commerce apporté par un autre
associé ;
-
droit de partage de 0,5% en cas de réduction de capital par versement
aux associés de sommes d’argent ou par attribution aux associés d’actifs
quelconques acquis ou créés par la société en cours de vie sociale ;
-
aucun droit mutation ou droit de mutation en cas de réduction de
capital par attribution à l’associé rapporteur le bien apporté, sauf le
problème de la soulte et de la plus-value.
On relève de ce qui précède que la note
commune n°2/2005 fait référence, d’une part à la théorie de la mutation
conditionnelle en cas de partage d’actifs après liquidation de la société et
assimile, d’autre part la réduction de capital par attribution d’actifs à une
opération de liquidation de société.
La théorie de la mutation conditionnelle. Elle remonte à l’Ancien Régime
français, à une époque où les auteurs considéraient que l’apport en nature n’était
pas entièrement translatif de propriété dès lors que la société était
considérée comme recevant l’exploitation du bien apporté avant de retourner
dans le patrimoine de l’apporteur lors de sa dissolution. Cette doctrine,
combattue par la majorité des auteurs, a été admise par la Cour de cassation française
(Cass., ch. réunies, 6 juin 1842, S. 1842. 1. 484. – 22 déc. 1904, DP 1905. 1.
209). « Les apports purs et simples de corps certains n’opèrent
mutation, en droit fiscal, que sous la condition suspensive que l’objet apporté
ne sera pas repris par l’apporteur lui-même lors de la dissolution de la
société. Si l’associé reprend, au moment du partage, les corps certains dont il
a fait apport, il doit être réputé n’avoir jamais cessé d’en être propriétaire,
au point de vue fiscal. Par suite, l’attribution de ces biens à l’apporteur ne
donne pas ouverture du droit de partage ou au droit de mutation, dès lors que
la condition ne s’est pas réalisée. » (Guy Laval, Droits
d’enregistrement perçus lors du partage d’une société, Juriscalsseur
Enregistrement, Traité, Fasc. 100, n°55) Si le bien a été attribué à un
associé autre que le rapporteur, le droit de mutation devient exigible lors du
partage de la société sans cumul avec le droit de partage.
La théorie de mutation conditionnelle des
apports n’a pas reçu une consécration législative dans le Code des droits de
l’enregistrement et de timbre. Elle a la valeur d’une simple doctrine fiscale
(Habib Ayadi, Les droits d’enregistrement et de timbre et leur contentieux, CPU
2008, p. 299 et s.) Il n’existe pas de jurisprudence tunisienne publiée pour
savoir si elle est ou non reçue par les tribunaux. On mentionnera toutefois que
le Code des sociétés commerciales prévoit à l’article 46 in fine que
« lorsque la liquidation résulte de la dissolution de la société, les
associés peuvent, après le paiement de tous les créanciers, reprendre les biens
meubles ou immeubles objet de leurs apports, sauf stipulation contraire des
statuts ». Cette disposition est apparemment une consécration
implicite de la théorie de la mutation conditionnelle des apports.
L’assimilation d’une réduction de capital
à un partage. Nous avons
précédemment vu que la note commune 2/2005 assimile la réduction du capital
d’une société moyennant attribution d’acquêts sociaux à un partage pour la
soumettre au droit de partage au taux de 0,5%. Pour justifier cette
assimilation, la note commune emploie l’expression de « partage partiel d'actif
».
Cette même assimilation avait prévalu en
droit français jusqu’à un revirement de la jurisprudence opéré par un arrêt de principe
en date du 23 septembre 2008. Dans cette affaire, la société Cidinvest avait
procédé à deux réductions successives de son capital social (non motivées par
des pertes) par diminution de la valeur nominale des titres. À l’issue de ces
opérations, les associés avaient reçu un remboursement corrélatif du montant de
cette réduction. L’administration fiscale avait qualifié de partage lesdites
opérations et les a taxées comme telles aux droits d’enregistrement prévus pour
le partage. Le principal associé exposé à un refus d’enregistrement acquitta la
totalité des droits d’enregistrement demandés, puis réclama la restitution par
voie gracieuse puis contentieuse en se prétendant non redevable du droit de
partage faute de partage.
La
Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt (22 déc. 2006, La revue fiscale du
patrimoine, n°7-8, Juillet 2007, étude 16, note Renaud Mortier ; Droit
fiscal, 30-35, 26 juillet 2007, comm. 788, Gauthier Blanluet ; JCP E n°31,
2 août 2007, 1999, note Reginald Legenre, RTD Com. 2006, p. 691, note Gauthier
Blanluet) infirmatif d’un jugement de premier degré défavorable à la demande de
remboursement. La Cour d’appel énonce que « (…) pour être soumis au
droit d’enregistrement de l’art. 746 CGI l’acte contenant la réduction de
capital d’une société doit être analysé en un acte de partage de biens ;
que le CGI ne comportant pas de définition autonome de partage de l’actif
social, il convient, (…), de se référer, en cette matière aux dispositions de
l’art. 1884-4 du Code civil ; que le partage de l’actif social visé par
cet article et auquel s’appliquent les règles du partage des successions ne
peut avoir lieu qu’après la clôture de la liquidation de la société,
c’est-à-dire lorsque la société n’existe plus. »
L’Administration
fiscale a élevé un pourvoi en cassation qui a donné lieu à un arrêt de rejet
(Cass. com., 23 sept. 2008, JCP N n°41, 10 oct. 2008, act. 665, Eric Meier
et Régis Torlet ; RTD com., 2008, p. 802, note Paul Le Cannu et Bruno
Dondero ; La revue fiscale du patrimoine n°11, Nov. 2008, étude 19, Renaud
Mortier ; Droit fiscal n°49, 4 déc. 2008, comm. 608 Gauthier Blanluet).
Selon la Cour de cassation, « les associés n’ont pas entendu liquider
la société dont la personnalité morale n’a pas été atteinte et (…) les
décisions de réduction de capital mettent à la charge de la société directement
envers chacun des associés une dette par part détenue » La Cour de cassation rejette l’argument
de l’administration fiscale selon lequel « les conditions du partage sont réunies du
fait de l’existence de l’indivision au moins un temps de raison entre chacun
des associés sur la masse indivise des fonds sociaux correspondant à la
fraction réduite du capital suivie de la répartition individuelle et privative
entre les associés de ces mêmes fonds devenus disponibles ».
Ainsi,
selon la Haute juridiction, toute répartition de valeurs sociales entre les
associés qui laisse subsister la personne morale n’est pas un partage. Le
partage suppose, en effet, que la société ait été préalablement liquidée. Ce
n’est que lorsque la liquidation est terminée, que la société n’existe plus en
tant qu’être moral et qu’il lui succède un état d’indivision entre les
associés, que le partage peut intervenir. Il consiste alors à mettre fin à cet
état d’indivision en attribuant à chaque associé un droit exclusif sur certains
biens en échange des droits indivis qu’il possédait sur l’ensemble du fonds
social. Cette même analyse
peut prospérer en Tunisie.
L'opération de réduction de capital par
remboursement d'apports est par conséquent soumise au droit fixe du tarif n°22
de l'article 23 du Code des droits de l'enregistrement, soit 20 dinars par
page. Les associés qui auront acquitté les droits de partage, voire même un
droit de mutation, peuvent agir en justice pour demander restitution des droits
indûment payés.
Sami Frikha
[2]
Le droit fixe est porté à 150 dinars par acte en vertu de la loi de finance
pour l’exercice 2013.