Libres propos sur le projet de loi relative aux procédures collectives (I)La période d'observation
L’Assemblée
des représentants du peuple sera incessamment appelée à examiner, en Commissions
puis en Assemblée plénière, un projet de loi relatif aux procédures
collectives. Actuellement, la matière figure en partie dans le Code de commerce,
traitant de la faillite des commerçants, et en partie dans la loi n°95-34 du 17
avril 1995, telle que modifiée et complétée par la loi 99-63 du 15 juillet 1999
et la loi n°2003-79 du 29 décembre 2003, traitant du redressement des
entreprises en difficultés économiques. A l’instar des anciens textes, le
projet de loi ne renvoie que sporadiquement à des décrets d’application. Toute
la question est de savoir si le Chef du gouvernement va utiliser son pouvoir
réglementaire général en dehors de ces renvois exprès. Nous le souhaitons
vivement dans un souci d’efficacité et de sécurité juridique.
La doctrine et
les praticiens ont toujours regretté l’éparpillement des sources législatives
en la matière. Le nouveau projet de loi se propose d’y remédier. Désormais, les
deux procédures collectives figureront dans le Code de commerce. On espère
qu’un jour le gouvernement inscrive à son agenda un travail plus important de
codification, qu’il peut entreprendre à droit constant en recourant, pour
alléger le calendrier parlementaire déjà surchargé, à une délégation législative
en application de l’article 70 al. 2 de la Constitution. Des matières telles
que le droit de la consommation, le droit de la propriété intellectuelle, le
droit des télécommunications, le droit du tourisme se prêtent facilement à une
telle initiative qui aura pour vertu de faciliter l’accès à la connaissance de
la loi.
Le projet de
loi n’est pas seulement un travail de codification, il se propose aussi d’être
l’instrument d’une réforme. L’exposé des motifs qui y annexé indique d’une
manière sommaire les raisons et les objectifs poursuivis, mais pour un juriste
professionnel, cela ne présente guère d’utilité. Il préfère connaître les sources
matérielles du projet de loi article par article. On regrettera toujours, et on
le dit insuffisamment, que le Centre des études juridiques et judiciaires,
censé être l’instrument institutionnel du gouvernement pour la rédaction des
grandes lois, n’ait pas inscrit dans son manuel de procédures -s’il en existe
un- l’obligation méthodique d’expliciter les sources matérielles de toute disposition
figurant dans un projet de code qu’il élabore. Ces sources matérielles, à la
fois d’ordre interne (solutions jurisprudentielles) et externe (droit comparé lato
sensu), constituent une référence de premier ordre pour les professionnels
de droit (magistrats, avocats et chercheurs), dans leur travail d’interprétation
et de compréhension des règles de droit positif.
****
L’espace
limité du magazine ne nous permet pas rendre compte de l’ensemble des apports
du projet de loi. Nous ne pouvons évoquer dans ce numéro et les deux prochains qui
suivront, que quelques bribes de cette riche discipline. On espère par-là soit
informer nos lecteurs, soit attirer l’attention des députés sur certaines
questions qu’ils pourront discuter afin d’améliorer la qualité du texte.
Nous dédions nos
commentaires actuels (et futurs) à l’étude des seules nouveautés introduites
dans la procédure de règlement judiciaire. Celle-ci, rappelons-le, est
poursuivie à la demande du débiteur ou l’un de ses créanciers et jamais
d’office par le juge[1],
aux fins de redressement chaque fois que l’entreprise est en état de cessation
de paiements, c’est-à-dire qu’elle ne peut faire face à son passif exigible par
son actif disponible réalisable à court terme.
La procédure
du règlement judiciaire est toujours déclenchée par une ordonnance du Président
du tribunal de première instance du lieu de l’établissement du débiteur. Pourtant,
un jugement rendu par le Tribunal dans sa formation collégiale aurait été plus
adéquat en raison de l’importance des effets juridiques rattachés à la
procédure.
L’ordonnance
du Président du tribunal déclare, en principe, l’ouverture d’une période d’observation.
Elle en détermine la durée, sans que, dans toutes les circonstances, elle
puisse excéder six mois, susceptible de prorogation une seule fois pour une
durée maximale de trois mois. La prorogation est décidée par le Président du
tribunal moyennant une ordonnance motivée. Exceptionnellement, la période
d’observation peut ne pas avoir lieu ou se terminer d’une manière anticipée,
surtout, dans ce dernier cas, au vu d’un rapport préliminaire sur la situation
économique, financière et sociale de l’entreprise que l’administrateur
judiciaire doit remettre au Président du tribunal dans un délai de deux mois de
sa nomination. De toute façon, le Président du tribunal peut à n’importe quel
moment de la procédure demander au Tribunal, siégeant en chambre de conseil, d’ordonner
la cession de l’entreprise aux tiers ou sa mise en faillite si les conditions
sont réunies. Il aura fallu être plus explicite sur la procédure à suivre pour décider
cette fin anticipée de la période d’observation et surtout élargir la demande à
l’administrateur judiciaire et aux représentants des créanciers en cas de
défaut de paiement d’une obligation née d’un contrat en cours.
L’exposé des
motifs du projet de loi souligne l’allongement excessif de la période
d’observation dans la pratique actuelle et ce malgré que la durée de la période
d’observation est formellement limitée à trois mois susceptible de
renouvellement une seule fois. Cet allongement a, à notre avis, une double
cause. D’une part, les textes en vigueur n’organisent pas un lien rigoureux entre
la fin du délai de la période d’observation et le prononcé du jugement sur la
demande de règlement judiciaire et d’autre part, le ministère public se montre
laxiste à exercer des poursuites pénales sur le fondement de l’article 55 de la
loi 95-34 qui sanctionne « quiconque empêche sciemment ou tente
d'empêcher la procédure du règlement judiciaire à quelque étape qu'elle soit ».
Par réalisme
juridique, le projet de loi porte la durée totale de la période d’observation à
neuf mois, mais la sanction qu’il institue en cas dépassement de ce délai n’est
pas, à notre sens, heureuse. Elle consiste, selon l’article 449 al. 2, à
permettre aux créanciers antérieurs, pourtant inscrits sur la liste des
créanciers et ne pouvant par principe recevoir paiement d’une dette antérieure,
de reprendre les actes d’exécution sur les biens du débiteur pour le
recouvrement de leurs créances et de bénéficier de la reprise du cours des
intérêts. Une telle sanction méconnaît l’essence même des procédures
collectives comme instrument de recouvrement collectif et égalitaire des
créances antérieures. Elle méconnaît aussi l’objectif premier de la procédure
du règlement judiciaire qui est le sauvetage de l’entreprise et la limitation
de son endettement par l’arrêt total du cours des intérêts. La solution
adéquate pour sanctionner le dépassement du délai de la période d’observation ne
peut être, à notre avis, que l’inscription de la demande de règlement
judiciaire au rôle du tribunal dans un délai fixé à compter de l’expiration de
la période d’observation. Il appartiendra au Tribunal de rendre justice à la
fin de la période d’observation. La solution est implicitement admise par
l’article 452 in fine, qui énonce que « l’administrateur
judiciaire soumet le plan de redressement au juge-commissaire immédiatement dès
qu’il est élaboré et sans dépassement du délai prévu à l’article 439. Le juge-commissaire établit un rapport sur la
pertinence du plan qu’il soumet au tribunal dans un délai de quinze
jours ; il peut proposer de soumettre l’entreprise à la faillite ».
Il suffit donc de reprendre la rédaction de cet alinéa et insister sur la
rigueur de la saisine du tribunal ; il faudra aussi assurer l’efficacité
de la sanction pénale du délit d’entrave reprise à l’article 593.
Sami Frikha
Article publié au magazine Le Manager oct. 2015, n°212, p. 72.
[1] A
noter cependant l’article 431 qui admet la conversion d’office de la procédure
de règlement amiable en règlement judiciaire en cas d’échec du débiteur à
conclure un accord avec ses créanciers. Cela suppose bien évidemment que le débiteur est en état de cessation de paiements.