Les ventes avec primes.
Textes
L’article 23 (nouveau) de la loi n°91-46 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et les prix.
« Est interdite toute vente ou offre de produits ou de marchandises ainsi que toute prestation de services faites aux consommateurs et donnant droit à titre gratuit immédiatement ou à terme, à une prime consistant en produits, marchandises ou services, sauf s’ils sont identiques à ceux qui font l’objet de la vente.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux menus objets de faible valeur ni aux échantillons, ni aux produits conçus spécialement pour des fins publicitaires et portant la marque commerciale, ainsi qu’aux services de faible valeur. La valeur maximale de ces produits ou services ne peut excéder un montant fixé par arrêté du ministre chargé du commerce ».
Arrêté du ministre du commerce en date du 29 juillet 1999 portant fixation de la valeur maximale de la prime et du cadeau lors de la vente d’un produit ou la prestation d’un service.
Art. premier.- La valeur maximale des menus objets et des services de faible valeur autorisés à être donnés comme primes ou cadeaux est fixée à :
- 10% du prix de vente du produit ou du service concerné lorsque le prix de vente public toutes taxes comprises ne dépasse pas 50 dinars ;
- 5 dinars majorés de 2% du prix du produit ou du service si ce dernier dépasse 50 dinars.
En tout état de cause la valeur maximale de la prime ou du cadeau ne peut dépasser le montant de 40 dinars.
Art. 2.- La valeur de la prime ou du cadeau est fixée en fonction du prix de vente public pratiqué dans le même établissement commercial pour les produits ou les services objet de la prime.
Si le produit ou le service objet de la prime n’a pas une valeur marchande, la valeur de la prime sera déterminée sur la base du prix de vente à la production ou de revient majoré de 30%.
Art. 3.- Sont applicables les dispositions de l’article premier du présent arrêté aux produits conçus spécialement pour des fins publicitaires et portant la marque commerciale et aux échantillons à condition qu’ils comportent la mention « gratuit » ou « ne peut être vendu ».
En tout état de cause la valeur maximale de la prime ou du cadeau ne peut dépasser le montant de 40 dinars.
Introduction
La vente ou prestation de service avec prime est l’une des techniques de promotion des ventes[1]. Elle consiste à offrir à titre gratuit immédiatement ou à terme, à l’acheteur d’un produit ou d’un service, une prime consistant en produits, marchandises ou services.
Le siège de la matière est paradoxalement l’article 23 (nouveau) de la loi du 29 juillet 1991, relative à la concurrence et les prix. Cet article pose le principe de l’interdiction de la vente ou prestation de services avec prime lorsque l’acheteur est un consommateur. L’interdiction est la projection sur le plan juridique de certaines critiques d’ordre économique, sociale et éthique.
Sur le plan économique, la vente avec primes n’apporte au consommateur qu’une satisfaction superficielle ou ludique ; elle alourdit de surcroît le coût des produits.
Sur le plan social, elle détourne le consommateur de l’objet de l’échange et le trouble dans l’appréciation de sa valeur.
Enfin sur le plan éthique, elle cherche à mettre en œuvre des comportements « anormaux »[2] et lorsqu’elle s’adresse à des prescripteurs, elle vise à acheter de la prescription[3]. Elle est en outre dangereuse lorsqu’elle concerne des « produits éthiques ».
Même si elle reste destinée aux consommateurs, la vente ou prestation de service avec prime révèle deux aspects contradictoires des rapports entre producteurs et distributeurs: la coopération et le conflit.
La vente avec prime et une technique de conquête ou de fidélisation des clients nécessitant la diffusion d’un support, l’information sur l’opération, l’émission de bons, leur collecte et la vérification des obligations, leur remboursement. Dans toutes les étapes de la conception de ces bons, leur production et leur diffusion, les producteurs et distributeurs sont appelés à entretenir des rapports étroits de coordination et d’échange d’informations[4]. La coopération bat son plein lorsqu’ils font la promotion conjointe de leurs marques respectives[5].
Toutefois, ces professionnels peuvent avoir des intérêts opposés. La vente avec prime réduit l’activité économique en dissuadant des distributeurs d’installer des points de vente pour proposer le type de produit offert à titre gratuit[6]. Cette technique n’est pas accessible à toutes les entreprises, notamment de petites tailles[7]. Elle fait naître des tensions entre les producteurs entre eux[8] ou entre les producteurs et distributeurs, notamment en cas de mauvaise coordination[9] et refus de la distribution de répercuter l’opération au niveau du consommateur[10].
L’interdiction de la vente avec prime (1) n’est pas absolue. L’article 23 (nouveau) de la loi du 29 juillet 1991 y apporte des exceptions lorsque la prime est identique au produit objet de la vente ou encore lorsqu’elle est de faible valeur ou présentée comme un échantillon ou un support publicitaire de la marque commerciale (2).
1. Le principe de l’interdiction
Avant de déterminer quelles sont les primes interdites (1.2), il faut préciser le champ d’application de l’interdiction (1.1)
1.1. Champ d’application de l’interdiction.
La détermination du champ d’application de l’interdiction peut être faite à un double niveau : celui des personnes visées (1.1.1) et celui des opérations (1.1.2).
1.1.1. Les personnes visées.
1.1.1.1. L’interdiction des primes aux consommateurs.
L’article 23 (nouveau) de la loi 46-91 ne vise que les ventes ou offres de vente et les prestations de services ou offres de prestations de services faites aux consommateurs. Le législateur ne donne pas une définition explicite de la notion de consommateur. Mais la signification exacte de cette notion peut facilement être dégagée en situant les dispositions de l’article 23 (nouveau) dans leur contexte d’énonciation, celui du chapitre consacré aux « obligations à l’égard des consommateurs » par opposition au chapitre consacré aux « obligations à l’égard des professionnels ». Ainsi est consommateur la personne qui achète un produit ou bénéficie d’une prestation de service pour ses besoins personnels, c’est-à-dire à des fins non professionnelles[11].
La qualité du vendeur est sans influence. L’interdiction joue qu’il s’agisse d’un vendeur détaillant, d’un grossiste ou d’un producteur.
1.1.1.2. La validité des primes entre professionnels.
Le succès d’une promotion - consommateurs dépend en large mesure des efforts des distributeurs. Il est par conséquent rare qu’elle ne soit pas accompagnée d’une promotion distributeurs[12].
En ne visant que les primes données aux consommateurs, le législateur admet la validité des primes entre professionnels ou celles offertes aux forces de vente[13]. D’ailleurs la doctrine[14] distingue entre le concept de techniques de promotion des ventes et techniques de stimulation. Le premier définit une série d’opérations de promotion destinées à encourager les consommateurs. Le second désigne les opérations destinées à encourager soit les employés ou les représentants qui font partie de la force de vente de la firme, soit des acheteurs professionnels.
Toutefois, l’utilisation de cette technique de stimulation commerciale ne manque pas de soulever quelques difficultés d’application de certaines dispositions relatives aux obligations entre professionnels prévues par la loi du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix :
La transparence tarifaire
En effet, l’article 27 de la loi 46-91 impose une obligation de transparence tarifaire. « Tout producteur, grossiste ou importateur est tenu de communiquer à tout revendeur qui en fait la demande, le barème de prix et les conditions de vente qui comprennent les conditions de règlement et, le cas échéant, les rabais et les ristournes ». La question est donc de savoir si l’octroi d’une prime fait partie des conditions de vente dont la communication est obligatoire. Une interprétation téléologique du texte conduit à une réponse positive.
La facturation
De la même manière se pose la question de savoir s’il existe une obligation de mentionner la prime sur les factures de vente. L’article 25 de la loi 46-91 impose, en effet, pour toute vente d’un produit ou toute prestation de service pour une activité professionnelle l’établissement d’une facture. L’alinéa 3 du même article qui énumère les mentions obligatoires devant figurer sur la facture, ne vise pas expressément les primes. Mais est-ce une raison suffisante pour exclure leur mention ? La facture, précise le texte, doit porter une indication de la marchandise vendue ou la prestation de service rendue et le prix unitaire hors taxe sur la valeur ajoutée. Peut-on dire que la prime est vendue et qu’elle doit par conséquent figurer sur la facture ? L’hésitation est permise car aucun accord n’est intervenu entre les parties quant à son prix. D’ailleurs dans notre acception, la prime est donnée à titre gratuit, elle n’est pas à proprement parler vendue. D’aucuns peuvent estimer que la gratuité n’est qu’apparente, car le commerçant qui donne la prime le fait parce que le client accepte d’acheter un produit principal. En réalité, la vente avec prime offre une situation paradoxale. La prime n’est pas gratuite mais n’a pas un prix. Cette dernière caractéristique justifie l’analyse selon laquelle la prime n’a pas à figurer sur la facture. C’est que l’alinéa 3 associe les mentions relatives à la marchandise vendue et le prix unitaire. Or ces deux aspects, vente et prix, font défaut dans le cas de la prime. On peut penser dans ce cas à faire appel à l’exigence de l’indication des réductions accordées[15]. La prime sous un certain angle s’analyse en une réduction du prix en nature devant par conséquent figurer sur la facture.[16]
Les pratiques discriminatoires
La communication des conditions de vente et la facturation sont les instruments qui permettent de vérifier si un professionnel s’adonne à des pratiques discriminatoires à l’égard de ses partenaires, pratiques interdites par l’article 29-2) de la loi du 29 juillet 1991. Les termes généraux de l’article[17] permettent aisément de considérer que l’attribution discriminatoire de prime non justifiée par des contreparties réelles est une infraction qui tombe sous le coup de la loi[18]. Mais cette conclusion donne à réfléchir sur l’étendue de l’obligation de communication prévue à l’article 27 de la loi. En la limitant aux seules conditions générales qui comprennent les conditions de règlement[19], cet article ne permet pas au partenaire économique de vérifier s’il fait ou non l’objet d’une pratique discriminatoire sur les autres aspects de la transaction projetée[20].
La vente à perte
On signalera également l’interdiction de la revente à perte prévue par l’article 26. Est considérée comme une vente à perte la vente intentionnelle d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif majoré des taxes spécifiques afférentes à cette vente et, le cas échéant, des frais de transport. La question est de savoir si la prime doit être prise en considération pour la détermination du prix d’achat effectif. Un revendeur[21] doit pour mener une opération de promotion par les primes acheter les primes. Il supportera deux coûts : celui du produit principal et celui de la prime. Une interprétation stricte du texte interdisant la revente à perte donne à penser que seul est pris en considération le prix d’achat du produit principal objet de la revente. L’expression prix d’achat effectif ne permet pas de couvrir les coûts « d’achat » de la prime. Elle renvoie simplement aux remises et ristournes accordées par le vendeur.
La vente à prix imposé
L’offre de la prime au consommateur par le détaillant est souvent faite sur une initiative du fabricant. Ce dernier vend le produit avec sa prime au détaillant et demande à ce dernier de la répercuter au consommateur. Dans les rapports entre professionnels, aucune limite n’est imposée à la valeur de la prime par rapport au prix du produit ou service principal[22]. On pourrait néanmoins voir dans l’adjonction d’une prime d’une certaine valeur au produit principal un moyen d’imposer un caractère minimum au prix de ce produit, délit prévu par l’article 28 de la loi du 29 juillet 1991[23]. En joignant par exemple une prime d’une valeur de 5 dinars à un objet vendu habituellement à 40 dinars, le fabricant oblige le détaillant de revendre le produit à 50 dinars pour éviter la violation de la réglementation de la vente avec prime.
1.1.2. Les contrats visés.
L’interdiction des primes est doublement large.
1.1.2.1. La nature du contrat principal
Les primes sont interdites lorsqu’elles sont rattachées à des opérations principales de vente ou de prestation de services. Contrairement au contrat de vente, le contrat de prestation de service est ignoré par le code des obligations et des contrats. La notion est plutôt utilisée en matière de droit de la concurrence et du droit de la consommation[24]. Mais il semble que l’on peut ranger dans cette catégorie tous les contrats qui n’entraînent pas un transfert de la propriété de bien ou de produits ou, selon une définition positive, les contrats qui portent sur des « obligations de faire »[25]. Il est impossible de dresser une liste complète, nous citerons à titre d’exemple les contrats d’hébergement touristique, les contrats de louage d’ouvrage (coiffeurs, laveries, réparateurs divers..), les contrats d’assurance, les contrats de banque, la location de voitures...
1.1.2.2. Contrat définitif et offre de contrat
Le texte est également général sous un autre angle. Il n'est pas nécessaire que la vente soit réalisée ou que la prestation de service soit conclue[26]. L’offre de contrat assortie de l’offre de prime est également sanctionnée. A priori l’interdiction n’est pas justifiée car le consommateur ne souffre pas l’offre préalable de la prime avant la conclusion du contrat. Mais c’est ignoré le comportement du consommateur à l’achat. Nombreux acheteurs se croient contraints, au moins moralement, d’acquérir ces produits[27].
Malgré le silence de la loi du 29 juillet 1991, on doit admettre que l’interdiction des offres a pour conséquence d’interdire la publicité se rapportant à ses offres[28].
Reste à savoir si une prime non annoncée à l’acheteur (prime-surprise) est interdite, découverte par exemple en ouvrant l’emballage. A priori une telle prime échappe à l’interdiction car aucune incitation n’est faite du consommateur à acheter. Mais la connaissance de bouche à oreille qu’en aura un deuxième acheteur va l’inciter à acheter le produit, d’où l’utilité de l’interdiction de la prime.
1.3. Primes interdites.
Au sens de l’article 23 (nouveau), la prime peut consister en un produit, une marchandise ou un service (1.3.1.). Sa remise n’est interdite que parce qu’elle est faite à titre gratuit (1.3.2.) et qu’elle est d’une nature différente de ceux qui font l’objet de la vente (1.3.3.). Les modalités d’octroi restent sans influence sur son interdiction (1.3.4.).
1.3.1. La consistance de la prime : un produit, une marchandise ou un service.
La rédaction de l’article 23 (nouveau) appelle une première remarque sur la distinction entre produit et marchandise. Cette dernière expression désigne usuellement les biens meubles corporels. Elle est par conséquent moins large que l’expression produits qui désigne les biens immatériels voire même les biens immeubles. Le législateur aurait pu donc n’employer que ce terme.
Mais la généralité du terme produit ne permet pas d’inclure la remise d’une somme d’argent parmi les primes interdites. Une telle remise s’analyse en une réduction de prix. Mais la solution serait différente lorsque le consommateur reçoit un « chèque » permettant d’obtenir d’un magasin des articles qui y sont vendus à concurrence de la contre-valeur de ce chèque. L’interdiction ne sera pas levée si le consommateur bénéficie d’une option entre le remboursement de la valeur de ce chèque ou l’acquisition d’objets[29].
La prestation de service n’est interdite que si elle est détachable du contrat de vente[30].
1.3.2. La gratuité de la remise
La gratuité de la prime se définit par rapport au prix de vente du produit ou du service. La prime ne donne pas lieu à un supplément de prix[31]. D’ailleurs l’initiateur de l’opération la présente comme telle et c’est cette présentation qui compte pour que l’interdiction joue.
La gratuité est essentielle à la définition de la prime. Un objet attribué contre une rémunération très inférieure à son prix d’usine est-il une prime ? Sauf à tenir compte des impératifs d’une interprétation stricte d’un texte pénal, deux arguments peuvent être avancés à l’appui d’une telle assimilation : l’article 23 (nouveau) qui n’exige pas une gratuité totale et le risque de voir l’interdiction légale tournée. En vendant l’objet à un prix dérisoire le commerçant peut faire croire que le consommateur a payé la prime.
La gratuité ainsi caractérisée, nous pouvons distinguer la vente avec primes et les ventes conjointes[32] et les primes auto-payantes[33].
Une difficulté de savoir s’il peut constituer une prime interdite le cadeau offert par un commerçant aux personnes qui incitent leurs amis à effectuer des achats chez lui. L’attribution du produit est-elle véritablement faite à titre gratuit. En recherchant de nouveaux clients, le bénéficiaire n’a-t-il pas en réalité rendu un service pour le commerçant[34].
Une autre difficulté risque de se poser en cas de promotion de vente par de « faux concours ». Un concours où tout acheteur d’un produit serait gagnant par la facilité des questions ou bénéficierait d’une bonification de points en vue de gagner. Le concours déguise en réalité une vente avec prime interdite.
1.3.3. L’absence « d’identité entre l’objet de la vente et l’objet de la prime ».
La prime interdite est celle qui n’est pas identique à l’objet de la vente.
Il est évident qu’un vendeur de produit ne peut offrir à titre de prime une prestation de service. Ainsi en s’inspirant du contenu de certains messages publicitaires parus sur les colonnes de la presse, le vendeur d’un ordinateur ne peut offrir comme prime une initiation à l’utilisation des logiciels préinstallés. De même, celui qui vend des ordinateurs portables ne peut offrir aux vingt premiers acheteurs un voyage d’agrément.
En exigeant une identité entre l’objet de la vente et l’objet de la prime, le législateur tunisien évite la difficulté d’application de la notion prime de nature différente prévue par la législation française.
Ainsi par exemple en application de l’article 23 (nouveau), la prime consistant en un magnétoscope est frappée d’interdiction lorsque la vente porte sur un téléviseur grand modèle. De même, l’offre d’une série logicielle est interdite lorsque la vente porte sur un ordinateur. L’offre d’un oreiller est interdite lorsque la vente porte sur un matelas. Dans les prévisions du législateur, la prime est interdite chaque fois qu’elle ne correspond pas à la pratique classique de promotion de « 13 à la douzaine »[35] ou de « 20% de quantité de plus ». L’identité de la prime à l’objet de la vente s’apprécie d’une manière stricte. La constatation de son caractère accessoire est insuffisante pour justifier son attribution gratuite.
Aucune limite n’est imposée à la valeur de la prime.
La prime sous forme de prestation de services offerte par un prestataire de service est plus délicate à trancher. Un coiffeur peut-il offrir un service gratuit pour celui qui a bénéficié de dix services payants ? Le onzième service gratuit peut-il être jugé comme identique aux autres ? C’est ce que ne semble pas admettre l’article 23 (nouveau) qui ne réserve expressément que les produits qui sont identiques à l’objet de la vente. Aucune allusion n’est faite aux services. Comme conséquence de cette interdiction, une compagnie aérienne ne peut offrir d’attribuer une prime pour les voyageurs réguliers sous forme de voyage gratuit lorsqu’ils auront cumulé un certain nombre de kilomètres. De même, un hôtelier ne peut accepter qu’un enfant puisse dormir gratuitement dans la chambre des parents à l’hôtel sans supplément de prix. Néanmoins on peut se demander si une interprétation rigoureuse de la solution légale devrait conduire à interdire certaines pratiques de surclassement du service, telles que pour une compagnie aérienne l’offre d’accès à une salle d’attente privative, d’une ligne téléphonique spéciale ou d’une priorité de réservation ou pour un hôtelier l’offre d’une meilleure chambre.
1.3.4. L’indifférence des modalités d’attribution de la prime.
La prime est interdite qu’elle soit attribuée immédiatement après la passation du contrat ou à terme (prime différée). Dans ce dernier cas, la prime se réalise au moyen de la distribution des coupons-primes, timbres-primes, bons, tickets, vignettes… Ces titres sont utilisés comme des preuves d’achats successifs donnant droit à la prime[36]. La fidélisation du consommateur est plus efficace[37]. Cette technique semble s’imposer lorsque la vente porte sur un produit de grande consommation de faible valeur de sorte qu’il est inutile d’y adjoindre une prime.
2. Les exceptions à l’interdiction
L’interdiction de la vente avec prime de nature différente que le produit ou service objet de la transaction ne joue pas lorsque la prime consiste en un menu objet ou un service de faible valeur (2.1). De même la prime peut consister en un échantillon ou un produit conçu spécialement à des fins publicitaires (2.2.). En tout état de cause la valeur est plafonnée à un montant fixé par arrêté du ministre de l’économie.
2.1. Menus objets ou services de faible valeur
Selon l’alinéa 2 de l’article 23 (nouveau) l’interdiction de la vente avec prime n’est pas applicable aux menus objets ainsi qu’aux services de faible valeur. Pour éviter tout arbitraire dans l’appréciation de cette valeur, il est prévu qu’un arrêté du ministre chargé du commerce fixera la valeur maximale autorisée.
Ainsi selon le texte, si le professionnel a une liberté de choix des fonctions de la prime, - prime ludique, didactique ou utilitaire -, il ne peut, en revanche, donner une prime supérieure à une certaine valeur. Ce sont les fondements même de l’interdiction de la vente avec prime qui constituent une limite à son application. La limitation de la valeur est destinée à éviter que la production soit grevée de charges intolérables pour l’entreprise[38]. C’est aussi l’assurance que l’attention du consommateur ne soit pas détournée de l’objet principal de la transaction. C’est enfin la condition pour que la concurrence entre les professionnels reste loyale.
2.1.1. Domaine d’application de la règle de limitation de la valeur
C’est par arrêté du ministre du commerce du 29 juillet 1999 que la valeur de la prime a été plafonnée.
Deux remarques préalables doivent être faites concernant le champ d’application de la règle de plafonnement de la valeur de la prime.
D’une part, nous avons vu, par un raisonnement a contrario, que l’alinéa 1er de l’article 23 (nouveau) autorise la prime lorsqu’elle est de la même nature que le bien ou service objet de la transaction. Dans ce cas, la règle de plafonnement ne joue pas d’autant plus que l’alinéa 2 du même texte ne vise que le plafonnement des menus objets ou service de faible valeur.
- La valeur de la prime ou du cadeau est fixée en fonction du prix de vente public pratiqué dans le même établissement commercial pour les produits ou les services objet de la prime. Ce texte s’applique au commerçant qui associe à titre d’une prime un produit donné qu’il vend dans son établissement. Le prix de vente au public toutes taxes comprises est le prix de référence pour l’appréciation de la valeur de la prime.
- Si le produit ou le service objet de la prime n’a pas une valeur marchande, la valeur de la prime sera déterminée sur la base du prix de vente à la production ou de revient majoré de 30%. Ce critère s’applique aux objets spécialement conçus ou achetés par le commerçant à des fins promotionnelles. Son interprétation n’est pas aisée, car il utilise alternativement deux notions distinctes : le prix à la production et le prix de revient majoré à 30%. Prenons par exemple le cas d’une prime achetée auprès d’un fabricant établi en Tunisie. Le prix départ usine est inférieur au prix de revient parce qu’il ne comprend pas les frais de transport. Quel prix doit-on dès lors retenir ? Une difficulté comparable peut s’agiter lorsque la prime est achetée à un grossiste. Le critère du prix de production a pour effet de ne tenir compte que du prix d’achat de ce grossiste alors que le critère du prix de revient majoré invite à retenir le prix facturé par le grossiste. L’affaire soumise au tribunal de commerce de Lyon[39] révèle une autre complication. Les coûts de la prime étaient au nombre de trois : le coût d’acquisition des primes, en l’occurrence des figurines, auprès d’un sous-traitant qui les avait fait fabriquer en Chine, le coût de leur mise en place sur l’emballage et le coût d’une redevance versée au propriétaire du personnage représentée par lesdites figurines.
On peut être tenté de résoudre la difficulté en assignant à chaque critère (le prix départ usine et le prix de revient majoré) un domaine d’application :
- Le prix à la production s’appliquera chaque fois que la prime est achetée de l’extérieur de l’entreprise, peu importe que ce soit chez un fabricant ou un grossiste.
- Le prix de revient majoré de 30% s’appliquera en revanche chaque fois que c’est l’entreprise elle-même qui fabrique la prime.
- Une difficulté que ne résout pas cette interprétation concerne le cas d’une prime importée. Doit-on inclure dans ce cas les frais d’acheminement aux frontières et les droits de douane ?
2.2. Echantillons et produits publicitaires
L’interdiction de la vente avec prime ne s’applique pas aux échantillons et aux produits publicitaires portant la marque commerciale du professionnel. Les échantillons et produits publicitaires sont également soumis à la même limitation de valeur précédemment analysée. Mais l’arrêté du 29 juillet 1999 ne définit pas le mode de calcul de la valeur intrinsèque de la prime contrairement à ce qu’il a fait pour les menus objet et service de faible valeur.
2.2.1. Les échantillons
Les échantillons jouent en pratique un double rôle. Ils sont parfois portés par des produits vis-à-vis desquels ils jouent le rôle de prime. Ils sont également distribués sans aucune contrepartie[40]. La question est alors de savoir si la contrainte relative à la limitation de valeur prévue à l’alinéa 2 de l’article 23 (nouveau) ne reçoit application que lorsque l’échantillon est utilisé comme prime. Des arguments en sens contraire peuvent être faits en faveur de l’une ou l’autre des interprétations. Si on rapporte l’alinéa 2 de l’article 23 (nouveau) à son contexte d’énonciation on est tenté de l’interpréter dans un sens restrictif. Mais si on a simplement égard à la lettre du texte c’est l’interprétation large qui devra prévaloir.
La limitation de la valeur de l’échantillon peut surprendre, car a priori il aurait été plus indiqué de prévoir une restriction quantitative. L’échantillon doit, en effet, être offert « dans des conditions de quantité et de mesure strictement indispensable à une appréciation des qualités du produit »[41].
L’article 23 (nouveau) n’exige pas expressément que l’échantillon provienne de l’assortiment du vendeur du produit destiné à la promotion. On peut cependant se demander si cette condition ne résulte pas implicitement de la technique d’échantillonnage et de la notion d’échantillon. Si une telle acception est retenue on est conduit à n’autoriser l’échantillonnage croisé que s’il remplit les conditions de la vente avec prime.
Enfin, on mentionnera que l’arrêté du 29 juillet 1999 exige que l’échantillon porte la mention « gratuit » ou « ne peut être vendu » [42]. C’est là un ajout par rapport à la loi. Le ministre de commerce n’a pas reçu compétence pour définir les conditions de la promotion par la technique des échantillons mais simplement pour déterminer leur valeur maximale. Au-delà de cette remarque de forme qui on le verra peut conduire à des conséquences juridiques regrettables sur l’échantillonnage en matière des services, on peut ajouter que les exigences posées sont maladroitement exprimées. Le terme « échantillon » n’est pas accolé à « gratuit » et les expressions « gratuit » et « ne peut être vendu » ne doivent pas être considérées comme simplement alternatives mais plutôt complémentaires.
La mention « gratuit ne peut être vendu » convient surtout au cas où l’initiative de la promotion est prise par le producteur. Le détaillant ne pourra pas se permettre de ne pas la répercuter sur les consommateurs.
L’exigence d’une inscription littérale de gratuité est-elle de nature à interdire l’échantillonnage en matière des services ? Certes l’échantillonnage est utilisé plus fréquemment pour les produits que pour les services ; il y a même parfois une impossibilité d’offrir un échantillon un service en raison de la difficulté de le diviser en petites unité de vente. Il suffit de penser à la difficulté d’offrir sous forme d’échantillon un vol gratuit ou un séjour pour une durée limitée dans un hôtel[43]. Mais est-ce là une raison suffisante pour ériger ces contraintes en une règle de droit. Un fournisseur de service peut avoir un intérêt, s’il le peut, à offrir un échantillon de son service. Christopher Lovelock & Denis Lapert[44] citent l’exemple d’AOL, (America On-Line), fournisseur d’accès Internet, offrant aux possesseurs d’ordinateur équipé d’un modem un essai gratuit d’une durée de dix heures pour encourager ceux-ci à essayer ses services on-line ou encore l’exemple des chaînes de télévisions câblées permettant à tous leurs abonnés de recevoir gratuitement une nouvelle chaîne (payante) pendant quelques heures par jour.
2.2.2. Les produits de publicité.
Le produits doivent être conçus spécialement à des fins publicitaires et doivent porter la marque commerciale. Deux conditions sont ainsi posées : la conception spéciale du produit et son marquage.
L’exigence d’une conception spéciale de l’objet à des fins publicitaires est difficile à cerner, car elle peut apparaître sous deux aspects différents.
- La conception peut n’être en effet que subjective. L’entreprise achète des produits dans le commerce pour les destiner à la publicité. L’objet existe ainsi sur le marché et peut être vendu séparément dans les circuits habituels. Prise dans ce sens, la conception risque de se confondre avec la condition relative au marquage : l’entreprise achète le produit dans l’intention non de le revendre mais de l’offrir dans le cadre d’une opération de communication publicitaire. Le marquage sera alors la manifestation extérieure de cette intention.
- Une acception forte de la condition légale peut requérir un caractère objectif à l’acte de conception. L’objet est fabriqué pour servir comme support publicitaire.
Il est difficile de deviner dans quelle direction vont se prononcer les tribunaux. En droit français, la notion de conception spéciale a disparu, seul est requis le marquage avec toutefois des conditions strictes d’indélébilité et de lisibilité. Quelle que soit la solution qui sera définitivement retenue, il est certain que l’article 23 (nouveau) fait obstacle à ce qu’une entreprise offre à titre d’objet publicitaire des articles qu’elle vend habituellement sous sa marque[45].
[1] Kotler Dubois, Marketing management, Nouveaux Horizons 1994, p. 625. L’auteur classe les techniques de promotion des ventes usuelles en quatre catégories : les ventes avec primes, les jeux et concours, réductions des prix et rabais et les essais et échantillons. Cependant la loi n°98-40 du 2 juin 1998, relative aux techniques de vente, réserve le terme « promotion » à toute opération de vente ou prestation de service accompagnée d’une réduction de prix pratiqué, pendant une période limitée pour lancer ou relancer la vente d’un ou plusieurs produits ou services. Voir notre article sur le lien suivant :
[2] Elle engendre en outre des comportements néfastes : dégradation des produits porteurs, fraudes, vol, etc.
[3] Pierre Desmet, Promotion des ventes, Nathan 1992, p. 42.
[4] Pierre Desmet et Gilles Laurent, La promotion de vente préfigure-t-elle l’avenir du marketing, Décision Marketing n°12/1997, p. 6.
[5] J.-.P. Bernadet et autres, La promotion des ventes en France, évolution et révolutions, Décision Marketing 12/1997, p. 12.
[6] Pierre Desmet, ouvrage précité, p. 42. Cette opposition est plus nette pour les primes auto-payantes. Les détaillants ne veulent pas que les marques leur portent une concurrence directe en proposant au consommateur des produits à des prix très réduits qu’ils vendent eux-mêmes en magasin. Maurice Cohen, La politique de promotion des ventes, Dunod, p. 86.
[7] Jean. Calais-Auloy & Frank Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz, 4e éd., p. 139.
[8] V. par exemple, Trib. Com. Lyon, 2 mars 1999, Dalloz Affaires, p. 1321, Note E. P. : un producteur agissant contre un autre en concurrence déloyale pour violation de la réglementation des ventes avec primes.
[9] Rupture des stocks, arrachage des preuves d’achat sur les packs etc.
[10] Pierre Desmet, ouvrage précité, p. 137.
[11] C’est cette définition qui est consacrée par la loi n°98-44 du 2 juin 1998, relative à la vente avec facilités de paiement ou la loi n° 45-98 du 2 juin 1998 relative à certaines techniques de promotion des ventes et à la publicité. Mais paradoxalement la définition du consommateur donnée par la loi n°117-92 du 7 décembre 1991 semble être insuffisamment précise. Est consommateur au sens de son article « celui qui achète le produit pour le consommer ».
[12] J. Lendrevie & D. Lindon, Mercator, Dalloz, 5ème éd., p. 422.
[13] Un producteur peut être amené à récompenser les efforts des salariés de ses distributeurs pour les stimuler. Pourtant il est à craindre que des pressions soient exercées sur les consommateurs par des revendeurs intéressés personnellement à la promotion de certaines marques.
[14] François Caquelin, La légalité des opérations de stimulation des ventes, G.P. 1981, 1, doct. P. 559.
[15] En ne citant que les réductions accordées, l’article 25 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1991 soulève une autre difficulté d’interprétation celle de savoir si les ristournes doivent être mentionnées sur les factures.
[16] L’administration fiscale tunisienne ne s’est pas prononcée, à notre connaissance, sur la question de savoir si l’indication sur la facture du fournisseur de la fourniture d’articles supplémentaires sans supplément de prix donne droit à la déduction de la TVA. L’administration fiscale française à répondu par la négative. Le régime des primes est ainsi aligné sur le régime des rabais et ristournes.
[17] « Il est interdit à tout commerçant, industriel, ou artisan ainsi qu’à tout prestataire de service de pratiquer à l’égard d’un partenaire économique ou d’obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires non justifiées par des contreparties réelles ».
[18] Araine Benard-Seyfert, Les pratiques discriminatoires, Librairies techniques, 1985, p. 176.
[19] V. supra la transparence tarifaire.
[20] On ne manquera pas de souligner une autre insuffisance des dispositions de l’article 27 par rapport à celles de l’article 29. L’interdiction des pratiques discriminatoires est générale et frappe tous les professionnels, notamment les prestataires de service. En revanche, ceux-ci ne sont pas soumis à l’obligation de transparence. La même remarque peut être conduite à propos de la cohérence des articles 25 et 29. La facturation étant un instrument de contrôle a posteriori de l’existence des pratiques discriminatoires ne contient pas toutes les indications relatives à l’opération conclues, par exemple les délais de paiement et les conditions de vente.
[21] L’interdiction de la revente à perte s’applique seulement aux revendeurs et non aux producteurs et aux prestataires de services.
[22] Voir infra § 2.1, la question du plafonnement de la valeur de la prime offerte au consommateur.
[23] Francis Delabarre, art. précité, p. 13.
[24] Jérome Huet, Droit civil, Les principaux contrats spéciaux, LGDJ-DELTA, n°32104, p. 1117.
[25] Alain Bénabent, Droit civil, Les contrats spéciaux, Montchrestien, 1993, p. 251
[26] Les modalités de conclusion du contrat (vente directe ou vente à distance) sont indifférentes.
[27] J.-M. Mousseron, J.J. Burst, N Cholet, Ch. Lavabre, J.-M. Leloup & A. Seube, Droit de la distribution, Librairies techniques – 1975, p. 434.
[28] A rapprocher avec les dispositions de l’article 36 de la loi n°98-40 du 2 juin 1998 relative aux techniques de vente et à la publicité commerciale : « Est interdite toute publicité portant sur …les produits dont la commercialisation est interdite ».
[29] Jean Hémard, Vingt ans de réglementation des ventes avec primes et le décret n°71-270 du 7 avril 1971, Rec. Dalloz 1971, p. 215.
[30] Francis Belabarre, Les ventes avec primes, fascicule 1320, Jurisclasseur Contrat-Distribution, p. 8. On pense à la livraison ou à la garantie et le service après-vente.
[31] Une prime donnant lieu à un supplément de prix alors qu’elle est présentée comme étant gratuite, est mensongère.
[32] Comme exemple de cette pratique, on peut mentionner ce que l’on appelle « les logiciels intégrés » ou les « suites bureautiques ». Les producteurs de ces logiciels offrent un ensemble composé d’un traitement de texte, d’un tableur, d’un outil de présentation et d’une base de données à un certain prix. Si les composantes étaient achetées séparément le prix total serait plus élevé. Les ventes conjointes sont interdites par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1991, relative à la concurrence et les prix.
[33] L’acheteur d’un produit reçoit un titre lui donnant le droit d’acheter un autre produit à un prix avantageux.
[34] Jean Hémard, La nouvelle réglementation des primes et cadeaux, Rec. Dalloz 1974, p. 224.
[35] Ce type de promotion est une façon astucieuse de pratiquer une baisse de prix sans avoir à modifier celui-ci ; c’est le sentiment, pour l’acheteur, de faire une bonne affaire. En périodes de crises, ces offres sont particulièrement prisées. Jean-Pierre Bernadet, Comment développer la promotion des ventes, Nathan, p. 23.
[36] La prime différée peut prendre la forme d’une prime directe collectionnable : la collection demande du temps et la répétition des achats.
[37] Le procédé des primes points est en voie de disparition, il cède la place à la carte privilège.
[38] « D’ailleurs la prime risque de ne pas correspondre au goût du public. L’entreprise se retrouvera alors avec un stock considérable d’objet-primes dont elle n’a que faire ». Maurice Cohen, op. précité, p. 86.
[39] Trib. Com. Lyon, 2 mars 1999, précité.
[40] Jean-Pierre Bernadet, op. précité, p. 23.
[41] C’est en ce sens que s’est prononcé le droit belge. Laurent de Beouwer, Le droit des promotions commerciales, De Boeck, p. 131.
[42] Par erreur, le texte français de l’arrêté emploi l’expression « ne pas être vendu ».
[43] Christopher Lovelock & Denis Lapert, Marketing des services, Publi Union, p. 301.
[44] Ibid, p. 301.
[45] Laurent de Beouwer, précité, p. 135.