samedi 20 février 2016

Droit des sociétés : morceaux choisis. Administrateur personne morale - Directeur général : assujettissement au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants ; cumul entre une rémunération et une pension de retraite

Droit des sociétés : morceaux choisis 

Personne morale administrateur

Une personne morale peut être nommée membre du conseil d'administration d’une société anonyme (art 191 al. 1 du CSC). Lors de sa nomination, elle est tenue de désigner un représentant permanent. Le représentant légal de la personne morale n’est donc pas d’office celui qui la représente au conseil d’administration. Un acte d’investiture est nécessaire pour conférer à la personne choisie la qualité de représentant permanent. Si le représentant légal souhaite assister personnellement aux réunions du conseil d’administration, il doit s’auto-désigner représentant permanent de la personne morale (Cass. com. 3 oct. 2000, Dr. Sociétés 2001, n°79, note Legros). La désignation du représentant permanent est notifiée à la société sans forme particulière. La personne morale est tenue, en cas de révocation de son représentant permanent, de notifier sans délai à la société cette révocation ainsi que l’identité de son nouveau représentant permanent.

Le représentant permanent est soumis aux mêmes conditions que s’il était administrateur en nom propre (art 191 al. 1 CSC). Cette règle emporte une conséquence en matière de publicité légale. Les articles 16 et 219 CSC prévoient, en effet, que la nomination et la cessation des fonctions d’administrateur sont publiées au Journal officiel de la République tunisienne. La pratique des affaires, que l’on peut vérifier à travers les avis publiés, montre que l’on omet souvent de mentionner l’identité des représentants permanents des personnes morales nommées administrateur. L’omission peut avoir des conséquences très graves. En effet, l’article 17 C.S.C prévoit que l'inobservation des formalités de publicité prescrites entraîne la nullité de l'acte ou de la délibération. Un représentant permanent dont l’identité n’a pas donné lieu à publicité risque donc d’entraîner la nullité des délibérations du conseil d’administration auxquelles il avait pris part (Cass. com. 21 juill. 1975, D. 1976.207, note G. Gourlay, RTD com. 1976.130, n°9, obs. R. Houin, Rev. sociétés 1976.485, note J. H). L’attention de nos praticiens est donc attirée.

Directeur général. Assujettissement au régime de sécurité sociale. 

Les statuts d’une société anonyme peuvent prévoir de scinder les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général (art. 215 CSC). Partant de cette dissociation, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) demande, dans sa pratique récente de contrôle, des suppléments de cotisations à des sociétés anonymes dirigées par des directeurs généraux. Une telle position est éminemment critiquable au regard de l’article 35 (nouveau) de la loi n°60-30 du 14 novembre 1960, relative à l’organisation des régimes de sécurité sociale. Rappelons que ce texte énonce dans un premier alinéa que « les régimes prévus par la loi sont applicables à tous les employeurs et travailleurs liés par un contrat de travail ou réputés liés par un tel contrat. » Il ajoute dans un alinéa 2 qu’« il ne peut y avoir au regard du champ d’application de l’assujettissement du travail, qu’une seule personne susceptible d’être considérée comme employeur dont la rémunération n’est pas soumise à cotisation dans les sociétés, associations et groupements de quelque nature que ce soit ». Le deuxième alinéa ne peut en aucun cas s’appliquer à une société anonyme ayant choisi de scinder les fonctions de président et de directeur général. Le président du conseil d’administration n’est jamais un employeur (art. 216 CSC) ; seul le directeur général a cette qualité puisqu’il est le seul habilité à représenter la société à l’égard des tiers et à commander les salariés, les contrôler et, éventuellement, les sanctionner (art. 217). La dissociation des fonctions n’opère pas nomination de deux dirigeants comme par exemple le cas d’une société à responsabilité pouvant être dirigée par plusieurs gérants à la fois (art. 112 CSC).

Le directeur général d’une société anonyme, qu’il soit choisi parmi les administrateurs ou en dehors d’eux, n’est pas, en principe, dans un lien de subordination à la société. Il est nommé par le conseil d’administration pour une durée déterminée et est révocable à tout moment ; toute clause contraire est nulle (art. 217 CSC) Le directeur général d’une société anonyme est, en cette qualité, assujetti au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants organisé par le décret n°82-1359 du 21 octobre 1982 pour le secteur non agricole et le décret n°82-1360 du 21 octobre 1982 pour le secteur agricole. Il arrive cependant que le directeur général cumule sa fonction avec un contrat de travail effectif (Imed Laribi, Le cumul de mandat social et d’un contrat de travail dans les sociétés anonymes, R.T.D. 2001, p. 1). Dans pareil cas, il faudra faire une application distributive des deux régimes de sécurité sociale. Les cotisations sont liquidés, selon leur régime respectif, tant sur les rémunérations servies au titre du travail indépendant que sur celles payées au titre de travail salarié.

Dirigeant social. Cumul entre rémunération et pension. 

De hauts fonctionnaires ou de hauts cadres salariés, ayant atteint l’âge légal autorisant le bénéfice d’une pension de retraite ou d’une pension de vieillesse, sont souvent sollicités par des sociétés de droit privé pour assurer des fonctions directoriales (gérant, président-directeur général ou directeur général…) Ces sociétés souhaitent bénéficier de leur expertise et de leurs réseaux. Les hauts cadres, encore en bonne santé physique et mentale, sont tentés de répondre positivement à ces sollicitations et souhaitent même cumuler leurs rémunérations de dirigeants avec les pensions servies à eux par les organismes de sécurité sociale.

L’article 2 de la loi n°87-8 du 8 mars 1987, instituant des dispositions relatives au travail des retraités dans le secteur privé pose le principe d’interdiction de cumul entre une rémunération permanente et une pension (al 1). Il organise aussi des sanctions en cas de violation (al 2 et 3).

Une exception à l’interdiction du cumul est cependant consacrée au profit des « bénéficiaires d’une pension de retraite qui sont propriétaires ou promoteurs de projets sous forme quelque forme que ce soit, à condition d’en assurer eux-mêmes la direction ainsi qu’au dirigeant de l’entreprise ayant qualité d’associé. » (al. 4 art. 2) Les hauts cadres ne sont pas des apporteurs de capitaux. Ils sont plutôt des bons managers appelés à diriger des sociétés contrôlées par d’autres. La question est de savoir si la loi de 1987 exige que le manager cumulard détienne un minimum de capital dans la société qu’il dirige.

Lors des débats parlementaires pour le vote de la loi, un député a posé la question. Il s’est demandé quel sens peut avoir la notion d’associé employée par le texte. Il a remarqué qu’il suffisait à quelqu’un de détenir un pour cent du capital de la société pour avoir la qualité d’associé. Il a expressément appelé à exclure du bénéfice de l’exception légale, les associés minoritaires qui ne détiennent que un pour cent du capital (Débats de l’assemblée des députés, n°23, séance du 3 mars 1987, p. 1242 et s.). Il est évident que la remarque de ce député n’est pas exacte en droit. Une personne est associée dès l’instant où elle est fait apport en société : un apport en industrie bien que ne donnant pas droit à un titre de capital confère la qualité d’associé à l’apporteur. En outre, une personne détenant une seule part sociale ou une seule action, c’est-à-dire moins que un pour cent du capital, est aussi associée. La remarque du député reste toutefois intéressante car elle pose la problématique générale des conditions du bénéfice de la dérogation à l’interdiction du cumul entre une pension et une rémunération permanente.

En réponse à l’intervention du député, le ministre des affaires sociales avait avancé que le Gouvernement a, un moment, pensé exiger un seuil minimum d’importance de la participation, tel que le tiers ou le quart du capital, mais il a finalement renoncé à le faire en se contentant de la seule exigence de la qualité d’associé chez le dirigeant sans autre condition (Ibid, p. 1248). En conclusion, le fait de réaliser un apport en industrie ou le fait de détenir un seul titre de capital, suffit à conférer la qualité d’associé et autoriser le cumul entre la rémunération de dirigeant et la pension de retraite.


L’acquisition de la qualité d’associé peut se réaliser par deux procédés traditionnels : l’apport en société ou l’acquisition des titres de capital. Mais un simple contrat de prêt d’action passé par le futur dirigeant suffit. « Le prêt d’action est même préféré à la cession, car il permet mieux que d’autres procédés, de s’assurer que l’intéressé ne conserverait pas les actions, une fois ses fonctions venues à expiration » (Franck Auckenthaller, Prêt de titres, Jurisclasseur Société Traité, Fasc. 2125, n°7). Il doit s’agir d’un prêt de consommation où l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée (art 1086 COC) ; un prêt portant sur des actions permet de satisfaire l’exigence de la qualité d’associé au sens de l’alinéa 4 de l’article 2 de la loi n°87-8.

Article publié in Le Manager, Fév. 2016,