dimanche 25 octobre 2015

Libres propos sur le projet de loi relative aux procédures collectives (I) La période d'observation

Libres propos sur le projet de loi relative aux procédures collectives (I)La période d'observation

L’Assemblée des représentants du peuple sera incessamment appelée à examiner, en Commissions puis en Assemblée plénière, un projet de loi relatif aux procédures collectives. Actuellement, la matière figure en partie dans le Code de commerce, traitant de la faillite des commerçants, et en partie dans la loi n°95-34 du 17 avril 1995, telle que modifiée et complétée par la loi 99-63 du 15 juillet 1999 et la loi n°2003-79 du 29 décembre 2003, traitant du redressement des entreprises en difficultés économiques. A l’instar des anciens textes, le projet de loi ne renvoie que sporadiquement à des décrets d’application. Toute la question est de savoir si le Chef du gouvernement va utiliser son pouvoir réglementaire général en dehors de ces renvois exprès. Nous le souhaitons vivement dans un souci d’efficacité et de sécurité juridique.
La doctrine et les praticiens ont toujours regretté l’éparpillement des sources législatives en la matière. Le nouveau projet de loi se propose d’y remédier. Désormais, les deux procédures collectives figureront dans le Code de commerce. On espère qu’un jour le gouvernement inscrive à son agenda un travail plus important de codification, qu’il peut entreprendre à droit constant en recourant, pour alléger le calendrier parlementaire déjà surchargé, à une délégation législative en application de l’article 70 al. 2 de la Constitution. Des matières telles que le droit de la consommation, le droit de la propriété intellectuelle, le droit des télécommunications, le droit du tourisme se prêtent facilement à une telle initiative qui aura pour vertu de faciliter l’accès à la connaissance de la loi.
Le projet de loi n’est pas seulement un travail de codification, il se propose aussi d’être l’instrument d’une réforme. L’exposé des motifs qui y annexé indique d’une manière sommaire les raisons et les objectifs poursuivis, mais pour un juriste professionnel, cela ne présente guère d’utilité. Il préfère connaître les sources matérielles du projet de loi article par article. On regrettera toujours, et on le dit insuffisamment, que le Centre des études juridiques et judiciaires, censé être l’instrument institutionnel du gouvernement pour la rédaction des grandes lois, n’ait pas inscrit dans son manuel de procédures -s’il en existe un- l’obligation méthodique d’expliciter les sources matérielles de toute disposition figurant dans un projet de code qu’il élabore. Ces sources matérielles, à la fois d’ordre interne (solutions jurisprudentielles) et externe (droit comparé lato sensu), constituent une référence de premier ordre pour les professionnels de droit (magistrats, avocats et chercheurs), dans leur travail d’interprétation et de compréhension des règles de droit positif.
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L’espace limité du magazine ne nous permet pas rendre compte de l’ensemble des apports du projet de loi. Nous ne pouvons évoquer dans ce numéro et les deux prochains qui suivront, que quelques bribes de cette riche discipline. On espère par-là soit informer nos lecteurs, soit attirer l’attention des députés sur certaines questions qu’ils pourront discuter afin d’améliorer la qualité du texte.
Nous dédions nos commentaires actuels (et futurs) à l’étude des seules nouveautés introduites dans la procédure de règlement judiciaire. Celle-ci, rappelons-le, est poursuivie à la demande du débiteur ou l’un de ses créanciers et jamais d’office par le juge[1], aux fins de redressement chaque fois que l’entreprise est en état de cessation de paiements, c’est-à-dire qu’elle ne peut faire face à son passif exigible par son actif disponible réalisable à court terme.
La procédure du règlement judiciaire est toujours déclenchée par une ordonnance du Président du tribunal de première instance du lieu de l’établissement du débiteur. Pourtant, un jugement rendu par le Tribunal dans sa formation collégiale aurait été plus adéquat en raison de l’importance des effets juridiques rattachés à la procédure.
L’ordonnance du Président du tribunal déclare, en principe, l’ouverture d’une période d’observation. Elle en détermine la durée, sans que, dans toutes les circonstances, elle puisse excéder six mois, susceptible de prorogation une seule fois pour une durée maximale de trois mois. La prorogation est décidée par le Président du tribunal moyennant une ordonnance motivée. Exceptionnellement, la période d’observation peut ne pas avoir lieu ou se terminer d’une manière anticipée, surtout, dans ce dernier cas, au vu d’un rapport préliminaire sur la situation économique, financière et sociale de l’entreprise que l’administrateur judiciaire doit remettre au Président du tribunal dans un délai de deux mois de sa nomination. De toute façon, le Président du tribunal peut à n’importe quel moment de la procédure demander au Tribunal, siégeant en chambre de conseil, d’ordonner la cession de l’entreprise aux tiers ou sa mise en faillite si les conditions sont réunies. Il aura fallu être plus explicite sur la procédure à suivre pour décider cette fin anticipée de la période d’observation et surtout élargir la demande à l’administrateur judiciaire et aux représentants des créanciers en cas de défaut de paiement d’une obligation née d’un contrat en cours.
L’exposé des motifs du projet de loi souligne l’allongement excessif de la période d’observation dans la pratique actuelle et ce malgré que la durée de la période d’observation est formellement limitée à trois mois susceptible de renouvellement une seule fois. Cet allongement a, à notre avis, une double cause. D’une part, les textes en vigueur n’organisent pas un lien rigoureux entre la fin du délai de la période d’observation et le prononcé du jugement sur la demande de règlement judiciaire et d’autre part, le ministère public se montre laxiste à exercer des poursuites pénales sur le fondement de l’article 55 de la loi 95-34 qui sanctionne « quiconque empêche sciemment ou tente d'empêcher la procédure du règlement judiciaire à quelque étape qu'elle soit ».
Par réalisme juridique, le projet de loi porte la durée totale de la période d’observation à neuf mois, mais la sanction qu’il institue en cas dépassement de ce délai n’est pas, à notre sens, heureuse. Elle consiste, selon l’article 449 al. 2, à permettre aux créanciers antérieurs, pourtant inscrits sur la liste des créanciers et ne pouvant par principe recevoir paiement d’une dette antérieure, de reprendre les actes d’exécution sur les biens du débiteur pour le recouvrement de leurs créances et de bénéficier de la reprise du cours des intérêts. Une telle sanction méconnaît l’essence même des procédures collectives comme instrument de recouvrement collectif et égalitaire des créances antérieures. Elle méconnaît aussi l’objectif premier de la procédure du règlement judiciaire qui est le sauvetage de l’entreprise et la limitation de son endettement par l’arrêt total du cours des intérêts. La solution adéquate pour sanctionner le dépassement du délai de la période d’observation ne peut être, à notre avis, que l’inscription de la demande de règlement judiciaire au rôle du tribunal dans un délai fixé à compter de l’expiration de la période d’observation. Il appartiendra au Tribunal de rendre justice à la fin de la période d’observation. La solution est implicitement admise par l’article 452 in fine, qui énonce que « l’administrateur judiciaire soumet le plan de redressement au juge-commissaire immédiatement dès qu’il est élaboré et sans dépassement du délai prévu à l’article 439.  Le juge-commissaire établit un rapport sur la pertinence du plan qu’il soumet au tribunal dans un délai de quinze jours ; il peut proposer de soumettre l’entreprise à la faillite ». Il suffit donc de reprendre la rédaction de cet alinéa et insister sur la rigueur de la saisine du tribunal ; il faudra aussi assurer l’efficacité de la sanction pénale du délit d’entrave reprise à l’article 593.
Sami Frikha

Article publié au magazine Le Manager oct. 2015, n°212, p. 72.

[1] A noter cependant l’article 431 qui admet la conversion d’office de la procédure de règlement amiable en règlement judiciaire en cas d’échec du débiteur à conclure un accord avec ses créanciers. Cela suppose bien évidemment que le débiteur est en état de cessation de paiements.